Première partie : L’ingénierie territoriale au service du projet territorial

Le développement territorial est aux prises avec des forces contradictoires qui traversent ses phases de mise en œuvre. Les stratégies de contrôle territorial sur fond de luttes institutionnelles qui accompagnent la recomposition territoriale sont un élément clé de compréhension de ce qui se joue dans les Pays. Le pouvoir politique ne pouvant s’exercer que sur une population identifiée à l’intérieur d’un territoire aux frontières reconnues, la question des limites territoriales s’applique aussi aux Pays.

Comme les « frontières » sont des institutions qui bornent le pouvoir politique, nous considérons le Pays comme un groupement politique territorial doté d’un appareil de gouvernement chargé de concevoir et mettre en œuvre des actions de développement territorial à forte orientation économique160. Que ce gouvernement soit multi-niveau est une caractéristique marquante du Pays, mais cette caractéristique ne change rien à sa nature politique et la nature même du pouvoir politique qui ne s’exerce qu’à l’intérieur de frontières établies et reconnues.

Son orientation économique signifie que le « Pays politique » et les autres dispositifs infra régionaux, prenant en compte les faits économiques dans la conduite des affaires publiques recherchent les cadres favorables au développement de l’activité économique locale sans intervenir sur l’autonomie des agents économiques et sociaux. Certains de ces agents économiques et sociaux peuvent être associés aux débats sur les orientations et la mise en œuvre partagée de l’action publique. Le Pays est alors un lieu de régulation au sens que lui donne Jean Daniel REYNAUD161. Dans l’action qui s’y déroule certaines règles se créent, d’autres se transforment ou disparaissent162.

En ce qui concerne la phase de définition des périmètres des CDPRA163 et des CTEF, les règles d’action sont assez simples à découvrir. Bien que leur délimitation mobilise l’ingénierie territoriale via les nombreuses études qui pourraient légitimer leur tracé, celui-ci résulte d’abord du partage politique territorial entre quelques notables sur fonds de luttes institutionnelles. L’architecture institutionnelle locale, chantier permanent depuis les lois de décentralisation de 1982 et 1983 est une incertitude que les notables essaient de domestiquer. La meilleure façon d’en contrôler les enjeux est de participer à la délimitation des périmètres des Pays et des dispositifs qui leur sont liés.

Dans la phase de gestion des contrats, les règles du jeu sont plus subtiles. L’édifice intercommunal, sur lequel repose les CDPRA et les CTEF, dispositifs multi-niveaux en relation avec la Région et l’État, donne lieu à des négociations qui doivent servir les uns sans desservir les autres. Autrement dit, il y a ici une forme d’indétermination des règles qui cherchent à assurer la cohésion de l’action publique territoriale multi-niveaux. Mais ces règles se heurtent à la difficulté de gouverner des formes organisationnelles aux logiques de fonctionnement contradictoires.

Notes
160.

Selon la terminologie wébérienne empruntée aux catégories de la sociologie dans WEBER M. Économie et société. Les catégories de la sociologie Tome,. Plon, réédition de 1995, p 88-102.

L’auteur précise : « Par opposition à « activité économique », nous appellerons « activité à orientation économique », toute activité qui (a) est orientée en principe à d’autres fins mais qui tient compte dans son déroulement de faits économiques (la nécessité subjectivement reconnue d’initiatives économiques) ou qui (b) est d’orientation essentiellement économique mais utilise pour parvenir à ses fins des moyens violents. Autrement dit, toute activité dont l’orientation n’est pas essentiellement et pacifiquement économique, mais dans la détermination de laquelle entrent des facteurs économiques ». Voir aussi p 116-118.

161.

REYNAUD J.D. Les règles du jeu. L’action collective et la régulation sociale, Armand Colin (1993), 2004, p XVI (préface). « Une règle est un principe organisateur. Elle peut prendre la forme d’une injonction, ou d’une interdiction visant à déterminer strictement un comportement. Mais elle est plus souvent un guide d’action, un étalon qui permet de porter un jugement, un modèle qui oriente l’action. Elle introduit dans l’univers symbolique des significations, des partitions, des liaisons ».

162.

Ibidem p 19.

163.

Les termes Pays et CDPRA sont équivalents. Comme nous l’avons précisé en introduction, les CDRA, dispositifs régionaux couplés à la politique étatique des Pays donnent lieu à la création de CDPRA.