Chapitre 1 : L’ingénierie territoriale dans la légitimation du partage politique du territoire

Le développement territorial nourrit le processus de recomposition territoriale autant qu’il s’en imprègne. D’une part, il participe à la délimitation de nouveaux territoires comme les Pays par le jeu de la coopération intercommunale et la mise en réseau des multiples strates et acteurs de la gestion publique territoriale.

D’autre part, sa mise en œuvre contribue à la « dé-limitation »164 des dits territoires, processus qui désigne un recul de la domination territoriale par l’affaiblissement des fonctions de définition et de contrôle des frontières.

Ce double jeu de délimitation/dé-limitation sape l’assise de la domination politique qui ne peut s’exercer qu’à l’intérieur d’un espace clos où s’exerce sa souveraineté. Cette opposition entre la fermeture des circonscriptions politiques et l’ouverture des territoires fonctionnels s’inscrit dans un mouvement de balancier qui, selon Bertrand BADIE, nous ferait passer « d’une politique du territoire faite de centres et de périphéries, de bornages et de compétences exclusives, à une politique de l’espace faite d’appartenances multiples, d’échanges et de réseaux » 165 .

L’ingénierie territoriale construit les cadres cognitifs nécessaires à cet éventuel changement de paradigme. Mais en l’absence d’instance arbitrale effective166 ou plus simplement de chef de file en matière de développement territorial, la définition des périmètres des CDPRA et CTEF résulte de luttes institutionnelles et des logiques de fiefs. Les notables s’affranchissent des périmètres d’études prévus par ces dispositifs. Les diagnostics territoriaux et autres préconisations issus des travaux de l’ingénierie territoriale les influencent peu. Ces travaux peuvent cependant dénouer des situations de blocage politique. Ils viennent en appoint de légitimation du partage politique du territoire.

Notes
164.

INNERARITY D. La démocratie sans l’État. Essai sur le gouvernement des sociétés complexes, (2002), traduction 2006, Flammarion, col CLIMATS, p 169.

165.

BADIE B. « Du territoire à l’espace » dans La France au-delà du siècle, L’Aube/Datar, 1994, p 7-14.

166.

GAXIE D. « Structures et contradictions de l’édifice institutionnel », dans Luttes d’institutions. Enjeux et contradictions de l’administration territoriale, op.cit., p 276 et 277. « A défaut l’instance arbitrale effective, la régulation s’opère à travers les luttes dans le cadre de compromis et d’équilibres plus ou moins stabilisés passés entre les groupes ».