1 Des CGD aux CDPRA, les notables sont en ordre de marche

Des CGD aux CDPRA, c’est sur la base d’un rapport de force entre quelques élus que se structure la recomposition territoriale. Dans les Pays Roannais et Beaujolais, ce sont les parlementaires cumulant les postes de présidents d’exécutif local, en particulier, messieurs Jean AUROUX, et Michel MERCIER qui sont en lice. Ces deux professionnels de la politique sont des notables, tels que les définit Pierre GREMION : « ils disposent d’une représentativité suffisante pour obtenir de l’administration locale une transgression de l’universalisme de la règle centrale, et, qui occupe, de ce fait, une position médiatrice, stratégique entre l’état et la société civile. Cette médiation, toutefois avant d’être fondée sur une représentativité personnelle est juridiquement déterminée par la structure des institutions de représentation du régime politique et administratif » 193 .

Le premier, professeur de l’enseignement technique, est ancien ministre socialiste du Travail de 1981 à 1983, auteur des lois éponymes en matière d’information et droit des salariés. Secrétaire d’État et ministre de l’urbanisme, du logement et des transports jusqu’en mars 1986, date de la première cohabitation. Député maire de Roanne de 1977 à 1993, battu en 1985 aux législatives, maire jusqu’en 2001, conseiller général de la Loire de 1976 à 1988.

Le second, universitaire de formation est président UDF du Conseil Général du Rhône depuis 1990, ancien député, sénateur du Rhône depuis 1995 maire de Thizy, président de la communauté de communes d’Amplepuis Thizy. Membre important du Modem, il est un acteur de « l’ouverture » de son parti à la majorité présidentielle. Cette stratégie a pour but de le maintenir à la présidence du Conseil général dans lequel sa majorité est instable. Il est Ministre de l’Espace rural et de l’Aménagement du Territoire depuis le 25 juin 2009.

Au niveau national, tous deux ont été acteurs du processus de rationalisation de l’action publique territoriale, entendue comme « l’ensemble des processus d’intellectualisation, de formalisation, d’universalisation d’une activité humaine » 194. Jean AUROUX est l’auteur d’un rapport fondateur au Premier Ministre Lionel JOSPIN, portant sur la réforme des zonages et aménagement du territoire195. Il y préconise une recomposition territoriale sur le triptyque : un projet, un territoire, un contrat.

Michel MERCIER, dans son rapport au Sénat analyse la multiplicité des zonages et relève que c’est « plus dans leurs modalités actuelles que dans leur principes qu’ils semblent devoir être remis en cause ». Rappelant l’opposition du Sénat à LOADDT de 1999, il dénonce fermement la complexité de la procédure Pays qui lui confère une position ambigüe dans l’organisation territoriale196. Il est désigné vice-président de l’observatoire de la décentralisation, organisme créé en 2004 par la Chambre Haute suite à l’acte II de la décentralisation.

Cependant, malgré la production d’un savoir technico-politique qui prône rationalisation et simplification de l’action publique territoriale, chacun, au niveau local, adopte une stratégie propre dans l’élaboration des nouveaux zonages que sont les CGD et les CDPRA.

Jean AUROUX les favorise à l’échelle du Roannais, Michel MERCIER contrarie l’initiative régionale en constituant un CGD défensif avec M. Pascal CLEMENT-FROMENTEL. Ceux-ci ne participent d’aucune manière aux programmes d’action des deux CDPRA qui couvrent une partie de leur Département respectif. En tant que présidents de Conseils généraux, ils initient en revanche des contrats de développement triennaux avec les communes et quelques communautés de communes pour contrarier la Région.

Pascal CLEMENT-FROMENTEL, ancien cadre supérieur chez Rank Xerox, avocat, est président du Conseil Général de la Loire depuis 1994, sous l’étiquette Démocratie Libérale (DL), après en avoir dépossédé le baron du gaullisme, Lucien NEUWIRTH. Au niveau national, il est ministre DL des relations avec le Parlement dans le Gouvernement BALLADUR en 1993, député UMP, puis ministre de la Justice Garde des Sceaux en juin 2005 dans le Gouvernement GALOUZEAU DE VILLEPIN. Battu dans son fief de Néronde, lors des cantonales de 2008, il perd la présidence de l’exécutif départemental, il ne conserve que son mandat de député.

Dans le Beaujolais, l’intervention de Bernard PERRUT, député DL de la 9ème circonscription du Rhône est déterminante. Il sollicite la DATAR pour faire du Beaujolais « un Pays expérimental » de la LOADDT. Avocat de formation, adjoint au maire de Villefranche sur Saône, il préside la communauté de communes de l’agglomération de Villefranche sur Saône, désormais communauté d’agglomération (CAVIL). Cet héritier politique est le fils de Francisque PERRUT (UDF) à qui il succède à l’Assemblée Nationale en 1997. Il est par ailleurs président du groupe d’étude « intercommunalité, Pays, politiques contractuelles »197 à l’Assemblée Nationale et membre titulaire du conseil national du tourisme. Il s’appuie sur le Pays pour fédérer les communes manquant à l’avènement de la communauté d’agglomération de Villefranche sur Saône (CAVIL), qui s’affirme difficilement comme la ville centre de ce nouvel espace débordant sur le Département de l’Ain et dans l’orbite lyonnaise. Son projet est contrarié par l’accord entre Jean PEPIN, sénateur maire de Saint-Nizier-le-Bouchoux, président du Conseil Général de l’Ain (depuis 2004, il est vice-président du Conseil général de l’Ain et conseiller municipal de Saint Nizier le Bouchoux) et Michel MERCIER, président de l’exécutif rhodanien.

‘« R Je dirais méchamment à 90% c’est purement politique. C’est tout le problème des regroupements, que ce soit les Établissements Publics de Coopération Intercommunale ou les trucs comme ça, c’est que chaque entité a peur de perdre du pouvoir. Ensuite quand il y a un Pays, il faut choisir un président de comité de pilotage. Vous vous imaginez bien ce que ça peut donner. »
Entretien n° 19 du 6 avril 2004
« R Vous ne pourrez jamais empêcher. Ça c’est ce qu’on appelle le jeu des acteurs. (Rires). C’est un éclairage que nous, techniciens de la Région nous avons toujours en tête. Cela permet de voir les personnalités dominantes, du jeu qui se joue, ça permet d’avoir une idée parce que les personnalités dominantes, elles, peuvent peut être jouer en complémentarité, elles peuvent s’annihiler parce qu’elles ont des enjeux. Et ça c’est des éclairages qu’il faut avoir quand on travaille sur un territoire. On n’a pas vraiment les moyens de l’avoir, mais il faut l’avoir en tête, parce que ça permet de mieux comprendre pourquoi quelque chose se fait ou pas. Bon vous avez dans le Beaujolais un député, c’est les grands élus ou alors dans le Roannais, c’est la présence de l’agglomération par rapport au Pays. On se rend compte que dans certains territoires, des personnalités politiques de bords différents qui arrivent à s’entendre et mettent en avant le projet pour leur Pays. C’est plus compliqué dans les Pays, je n’en cite pas où les personnalités sont davantage tournées vers elles mêmes que vers le territoire. »
Entretien n° 20 du 8 avril 2004’

Les principaux notables mis en scène, il convient maintenant de présenter les deux générations de contrats dont ils ont été les maîtres d’œuvre, CGD et CDPRA.

Notes
193.

GREMION P. Le pouvoir périphérique. Op.cit., p 212.

194.

Ibidem p 101. GREMION établit une différence heuristique entre rationalisation et rationalité dans l’analyse de la planification : il étudie la relation entre la rationalisation dont l’administration est capable pour assurer son activité planificatrice et la rationalité qui se dégage à travers les résultats de cette activité. Il écrit : « La rationalisation recouvre l’ensemble des processus d’intellectualisation, de formalisation, d’universalisation d’une activité humaine. La rationalité fait appel à la raison de la rationalisation. La notion de rationalité naît de la critique des résultats de la rationalisation. La rationalisation se veut universelle. Sa critique fait apparaître des rationalités plurielles. »

195.

AUROUX J. « Rapport à M. le Premier Ministre portant sur la Réforme des zonages et aménagement du territoire », DATAR, La documentation française, 1998, 68 p.

196.

MERCIER M. Pour une république territoriale : l’unité dans la diversité, Rapport d’information au Sénat n° 447,28 juin 2000.

197.

Qui ne comprend d’autre membre que lui-même ! C’est en effet ce qui ressort de la consultation par internet du site de l’assemblée nationale.