Les atouts de la Région

Si les élus locaux dans leur majorité rejettent toute tentative de hiérarchisation des institutions en matière de développement économique territorial, la Région n’est pas totalement démunie pour imposer ses vues.

En premier lieu, la présence de leaders d’envergure nationale fait de la gestion régionale un enjeu de politique nationale.

Cela tient d’abord à la personnalité des présidents de l’exécutif régional. Le poste de président de l’exécutif régional est détenu par des hommes et femmes politiques de premier plan. M Charles MILLON en est l’illustration. Député maire (UDF) de Belley dans l’Ain, il dirige la Région de 1988 à 1999. En 1994, fort de son expérience des CGD entamée deux ans plus tôt en Rhône-Alpes, il préside à l’Assemblée Nationale la Commission spéciale chargée d’examiner la Loi d’Orientation de Développement et d’Aménagement du Territoire de 1995. En tant que ministre de la Défense de mai 1995 jusqu’à la dissolution de l’Assemblée Nationale de 1997, il est chargé par le Président de la République, Jacques CHIRAC de préparer la transformation de l’armée de circonscription en armée de métier227. Son alliance avec le Front National lors des régionales de 1998 scelle sa chute politique. Il est destitué suite à une action en justice à son encontre, en décembre 1998.

Anne Marie COMPARINI, (UDF), adjointe au maire de Lyon, Raymond BARRE, succède à Charles MILLON en janvier 1999, avec le soutien d’une majorité hétéroclite. Dans un contexte politique régional tendu, Mme COMPARINI réussit à se faire un nom sur la scène politique régionale et nationale. Fidèle lieutenant de François BAYROU lors des élections présidentielles de 2007, membre du Modem, elle ne cède pas aux sirènes de l’ouverture sarkozyste. Elle en paye le prix lors des élections législatives : battue, elle a aujourd’hui quasiment disparu du circuit politique.

En 2004, Jean Jack QUEYRANNE est élu président de l’exécutif régional avec une « majorité plurielle » stable. Il commence sa carrière politique dans l’ombre de Charles HERNU en tant que premier adjoint au maire de Villeurbanne dès 1977, puis comme suppléant (PS) à l’Assemblée Nationale lorsque celui-ci est nommé ministre de la Défense en 1981. Il est élu maire de Bron en 1989. Plusieurs fois secrétaire d’État sous le Gouvernement JOSPIN entre 1997 et 2000, il assure l’intérim du Ministre de l’Intérieur lors la vacance de M CHEVENEMENT. Il est nommé Ministre des relations avec le Parlement d’août 2000 à juin 2002. Bref, le parcours et la notoriété des ces différentes personnalités en font des leaders territoriaux incontournables dans le jeu politique local et national.

La gestion partisane du fait régional est renforcée avec l’écrasante victoire du Parti Socialiste aux élections régionales de 2004. Celui-ci s’inscrivant dans une stratégie de reconquête du pouvoir national en 2007 fait de la Région une vitrine de son action228. Les présidents de Régions socialistes réunis au sein de l’Association des Régions de France veulent transformer leurs collectivités territoriales en « laboratoires de l’action publique »229. Le Pays est valorisé230. Il est présenté comme un exemple de ce que pourrait être une politique de développement conduite dans un souci de « démocratie territoriale »231, il s’inscrit dans la mise en place par les exécutifs régionaux socialistes d’un répertoire d’actions de développement régional232. La reconnaissance du pouvoir économique des Régions est au centre de leur action233.

Le Parti Socialiste a besoin d’un bilan et de perspectives. Le développement régional territorialisé est une opportunité qui s’inscrit dans un projet politique de refonte de l’architecture institutionnelle et de partage du pouvoir politique entre l’État et la Région234.

Sur ce point, le président de la Région Rhône-Alpes est sans équivoque. En septembre 2005, il écrit dans une tribune donnée au journal Le Monde « Réformer l’État, c’est accorder l’autonomie régionale » 235 . Selon M. Jean Jack QUEYRANNE, cette autonomie reposerait sur quatre piliers :  le transfert des pouvoirs normatifs vers les Régions, des budgets à la hauteur des besoins, un transfert des compétences sur une logique fonctionnelle qui charge le couple Région –communauté d’agglomération du développement économique avec la Région comme chef de file, quand le tandem Commune –Département s’occuperait du volet social, enfin l’interdiction du cumul des mandats et la transformation du Sénat en chambre de type fédéral.

Une consultation nationale des élus régionaux réalisée par l’Association des Régions de France236 montre que cette position est partagée par l’ensemble des conseillers régionaux quelle que soit leur appartenance partisane, même si les élus de droite sont moins radicaux que les élus de gauche sur les changements institutionnels.

Lors de la campagne présidentielle de 2007, la candidate socialiste, présidente de la Région Poitou-Charentes met en exergue cette logique d’autonomisation des régions françaises à l’égard de l’État237. Par exemple, elle soutient la recapitalisation d’Airbus par les Régions françaises sur le modèle des Länder allemands, même ci ces derniers, dans le cadre fédéral, disposent de budgets et compétences sans commune mesure avec la collectivité territoriale française.238

En second lieu, entre les contrefeux départementaux et les insuffisances de l’État, la Région dispose d’une maigre capacité financière dont elle fait pourtant une ressource dans le jeu institutionnel. L’effet d’aubaine que constitue l’enveloppe contractuelle de 13 millions d’euros alloués aux CDPRA oriente les comportements des petits et grands élus. Fonctionnaires et élus régionaux savent en jouer pour élargir la maille territoriale :

‘« R1 Aujourd’hui, il faut être clair. Les crédits réservés annoncés par l’État il y a deux ou trois ans, aujourd’hui n’existent pas pour les Pays. Par contre il a des politiques avec des fonds réservés pour les contrats d’agglo, il n’a pas réservé de crédits pour les Pays. Grosso modo, quand je demande au SGAR, combien vous souhaitez mettre sur la politique Pays du Pays Roannais, c’est 300 000 euros sur cinq ans. Lorsqu’on demande au Conseil régional, c’est de l’ordre de 13 millions d’euros. Étant donné qu’on n’a pas trop de temps à perdre, pour le moment on se concentre sur le Conseil régional. Donc on a des rapports très fréquents avec la DPT. (…) .»
Entretien n° 10 du 22 mars 2004
« R (.). Par exemple entre le Roannais et le Beaujolais, il y avait trois CGD, il n’y a plus que deux Pays. En Ardèche, trois CGD, un seul Pays. Sur le territoire type isérois, il y a très peu de recomposition, les Pays correspondent aux CGD. Au Nord Isère, typiquement un CGD a disparu sous l’effet de la construction de la communauté d’agglomération du Pays voironnais, il restait une petite partie de l’ancien CGD, on ne pouvait passer un contrat sur ce petit territoire, donc il en a rejoint un autre. Il y a aussi le fait que, lorsqu’un territoire arrive en fin de contrat, il essaie d’en réintégrer un autre pour ne pas être sans subvention régionale trop longtemps, là on ne se fait pas d’illusion, c’est l’effet d’aubaine. Et puis il y a aussi des élus qui ne veulent pas travailler avec les voisins. Certains CGD étaient un peu petits et on aimerait qu’ils se regroupent avec les voisins. »
Entretien n° 20 du 8 avril 2004’

Par exemple, dans le Roannais, le contrat de Pays est contrarié par le contrat d’agglomération du Grand Roanne qui veut se délester de sa périphérie rurale. A l’opposé, les élus et services régionaux sont favorables à l’intégration des deux contrats au sein de la maille unique du Pays. Au final, la Région utilise l’arme financière pour faire pression sur la majorité UMP de l’agglomération. Elle obtient gain de cause.

‘«R  On a été obligé de s’inscrire dans le Pays d’une part géographiquement parce qu’on ne peut pas faire un Pays avec une enclave qui n’appartient pas au Pays. On est quand même le moteur économique du Pays, le Pays c’est 115 communes, c’est 150 000 habitants dont 73 000 pour le Grand Roanne. On regroupe les équipements de centralité. On est le cœur du Pays. On peut prétendre à un contrat d’agglomération autonome et parallèlement travailler sur le contrat de Pays. La Région n’a pas souhaité dans sa politique prendre les choses dans ce sens là. Elle a dit, pour moi, il n’y a qu’une entité géographique et je ne signerai qu’un contrat, le fameux CDPRA dans lequel il y aura un volet urbain qui sera le contrat d’agglomération. Donc on est vraiment partie prenante du Pays, on est intégré au Pays, on a construit notre contrat au niveau de l’agglomération, mais on l’a quand même soumis au Pays, c’est une chose que la Région nous a imposée, c'est-à-dire d’avoir un avis positif du comité de pilotage pour pouvoir signer le contrat et pouvoir décrocher les fonds de la Région..
Entretien n° 18 du 1er avril 2004’

En troisième lieu, la Région, au fil des années a constitué un réseau d’acteurs aux multiples légitimités par lequel elle diffuse son influence. D’abord pour contourner un déficit de légitimité de ses élus de base. Si l’expérience et la dimension nationale des présidents de l’exécutif rhônalpin est déterminante dans le jeu politique et institutionnel, il n’en va pas de même pour les conseillers régionaux. Désignés pour la première fois au suffrage universel direct en mars 1986 sur un mode de représentation départemental au sein de circonscriptions régionales, ils sont politiquement moins visibles que les conseillers généraux qui jouissent d’une légitimité historique et d’une présence plus forte sur le territoire. Ils souffrent d’un déficit de proximité auprès des petits élus et des électeurs pour lesquels le Département a su mener des politiques clientélistes et affirmer sa présence, dans des antennes locales comme les Maisons du Département.

Alors, la Région joue dans un autre registre. Elle utilise la qualification de son personnel pour mobiliser les experts et la société civile. En moyenne, mieux dotée en personnel de catégorie A que les autres collectivités territoriales (voire tableau ci-dessous) elle fait de la production de savoirs sur son action un élément clé de son positionnement dans le jeu institutionnel. Nous y reviendrons plus en détail dans la troisième partie.

En ce qui concerne les relations qu’elle entretient avec la société civile, la Région joue la carte des membres actifs des Conseils Locaux de Développement. Concrètement, depuis les premiers CGD, la Région affiche sa volonté de « faire participer » la société civile. Cette stratégie est clairement identifiée dans les CDPRA et les CTEF. En leur sein, scientifiques, experts, syndicats salariés, représentants d’associations, quelques rares chefs d’entreprises sont mobilisés pour réorienter la recomposition territoriale vers le cœur des compétences d’attribution régionale,s en imposant petit à petit les zones d’emplois comme maille de référence. La Région sélectionne ensuite les actions éligibles à ses financements sur la base de la transversalité. La démarche opérationnelle des CTEF illustre cette logique de positionnement institutionnel.

Le renforcement de l’intégration des politiques territoriales aux échelles infra régionales

Bien que ciblée sur les problèmes d’emploi et de formation, la démarche opérationnelle des CTEF se veut « transversale ». Elle doit «  agir en complémentarité des politiques de développement local et notamment dans les domaines de l’aménagement du territoire et de l’économie ». Ainsi, « le contrat devra s’articuler avec les politiques ou procédures de développement locales, et notamment les CDRA. Il pourra constituer à terme et selon les modalités fixées au plan local le volet emploi formation d’un ou plusieurs CDRA » 239 .

La maille territoriale adéquate, « doit correspondre à un espace de projet, de coopération entre acteurs, de construction de stratégies communes. Elle doit être pertinente en terme d’emploi et de formation, et de déplacement pendulaire domicile-travail ».240

« Cette démarche rejoint celle qui sous-tend la mise en œuvre des Contrat de développement Rhône-Alpes (CDRA) et vise à donner plus de cohérence à la politique territoriale de la Région en permettant une combinaison plus étroite entre les stratégies de développement économique d’une part, et le développement des ressources humaines d’autre part. » 241

Aux termes de l’article 2 du protocole d’accord signé avec l’État le 5 juillet 2005, les périmètres opérationnels doivent résulter d’une mise en cohérence des zones de territorialisation du Service public de l’emploi et des futures Maisons de l’emploi, des bassins de formation de l’Éducation Nationale, des périmètres des CDRA (ou leur regroupement). La Région précise qu’« à faut d’accord avec les services de l’État, le périmètre retenu sera celui d’un ou plusieurs CDRA. » 242 et que « la recherche de ces périmètres communs sera menée en concertation avec les collectivités territoriales concernées au premier rang desquels les Départements » 243 Compte tenu de la compétence sociale du Département en matière d’insertion (il gère le RMI), cet alinéa ne relève pas de l’anecdote en matière de coordination des programmes d’insertion par l’emploi.

La Région persiste dans cette volonté de fondre ses interventions dans les territoires infra régionaux. Le 10 juillet 2008, l’Assemblée plénière du Conseil régional « a choisi de mettre en place une nouvelle stratégie en matière de politique territoriale contractuelle avec les Contrats de Développement Durable de Rhône-Alpes (CDDRA) » qui succèdent aux CGD et CDRA /CDPRA244.

D’une durée de six ans (au lieu de cinq actuellement), ces nouveaux contrats proposent notamment :

  • d’intégrer le développement durable et d’en faire la base de tous les projets de territoire. Ainsi les nouveaux CDDRA ont vocation d’être à la fois des Contrats de développement, des plans Énergies Climats Territoriaux (PCET) et des agendas 21
  • de placer la logique de contrat et de proximité au cœur du partenariat Région/territoire/acteurs en s’appuyant notamment sur les Espaces Rhône-Alpes
  • de renforcer les liens entre le CTEF (CTEF) et CDDRA
  • de mieux articuler les priorités des projets de territoires avec les grands schémas régionaux et outils de planification (SCOT)
  • de s’appuyer sur des démarches prospectives existantes
  • de prendre en compte les stratégies d’agglomération
  • de fixer une fourchette de subvention régionale allant de 55€ à 110€ par habitant

Autrement dit, la nouvelle génération de contrats affiche son ambition intégratrice. La Région poursuit la territorialisation de la politique emploi formation en renforçant son articulation avec les CDDRA. Elle prend la mesure des effets de centralités, et de leurs impacts sur la gestion foncière, l’habitat et le transport qui devraient structurer l’articulation des périmètres des CDDRA et des SCOT245. Avec cette annonce politique, la Région prend position en attente de la redéfinition de l’architecture institutionnelle locale et de l’évolution de la Dotation Globale de Fonctionnement (principale contribution de l’État au financement des collectivités locales) dans les années à venir246.

Elle devra négocier avec l’État et ses représentants qui, depuis la LOADDT de 1999 cherchent à redéfinir l’équilibre entre la logique de coordination et la logique de contrôle au sein de ces espaces infrarégionaux, cadres d’intersection des connaissances, des instruments de politiques publiques et des logiques d’acteurs qui les accompagnent.

Notes
227.

Informations obtenues sur www.archives.premier-ministre.gouv.fr . Consulté le 10 mars 2007.

228.

Entretien donné au quotidien Le Monde par M. QUEYRANNE, président de Rhône-Alpes, www.lemonde.fr , édition du 5 avril 2004.

229.

JEROME B. « Entretien avec Bruno Rousset, Président de la l’Association des Régions de France », www.lemonde.fr , édition du 30 mars 2005.

230.

GROSRICHARD F. « La Bretagne mise sur les Pays pour réinventer son développement » www.lemonde.fr , édition du 1er décembre 2004.

231.

JEROME B. «Assises, forums, rencontres : les présidents de région socialiste multiplient les remues méninges territoriaux », www.lemonde.fr , édition du 1er décembre 2004.

232.

MANDRAUD I. « Dans ses régions le PS veut organiser la résistance à M RAFFARIN », www.lemonde.fr , édition du 5 avril 2004.

233.

MICHEL A. « Le pouvoir économique réel des régions françaises », www.lemonde.fr , édition du 19 mars 2007.

Le budget total des régions s’élève à 21 milliards d’euros en 2006, elles ne représentent que 16% des dépenses d’investissement des collectivités locales.

234.

ARF « Les rencontres du fait régional », Synthèse des débats organisés par l’Association des Régions de France le 8 décembre animés par Pierre Luc SEGUILLON. www.arf.asso.fr . Consulté le 12 mars 2007.

235.

QUEYRANNE J. « Réformer l’État, c’est accorder l’autonomie régionale », www.lemonde.fr , édition du 5 septembre 2005.

236.

Enquête réalisée par l’ARF entre le 26 octobre et le 24 décembre 2006 sur la base de questionnaires administrés auprès des 26 Régions, intitulée «  Consultations des conseillers régionaux sur les réformes institutionnelles », 38 p. www.arf.asso.fr . Consulté le 12 mars 2007.

237.

LAVAL G, SABERAN H. « Airbus : les régions françaises entrent dans la danse », www.liberation.fr , édition du 2 mars 2007.

238.

Selon EUROSTAT, les recettes fiscales des Länder représentent 9% du PIB allemand en 2006 et les dépenses 12,5 % sur www.dgcl.gouv.fr « Les collectivités locales en chiffres 2008. Chapitre 9 : le contexte européen » p 119, 120.

Soit 207 Milliards d’euros de recettes et 279 Milliards d’euros de dépenses. Sources PIB allemand 2006 sur www.botschaft-frankreich.de .

En 2006 la totalité des recettes des régions françaises s’élèvent à 21, 480 Milliards d’euros et les dépenses à 21, 5 Milliards d’euros. « Les finances des régions 2008 » p5 sur www.dgcl.gouv.fr

239.

Délibération n° 05.02.161 plan régional pour l’emploi : modalités de mise en oeuvre du contrat territorial emploi-formation sur www.crrhonalpes.fr

240.

Rapport n° 05.02.161

241.

Rapport n° 05.02.505 plan régional pour l’emploi : modalités de mise en oeuvre du contrat territorial emploi-formation sur www.crrhonalpes.fr .

242.

Rapport n° 05.02.161 Plan régional pour l’emploi : le contrat territorial pour l’emploi et la formation sur www.crrhonalpes.fr .

243.

Protocole d’accord Etat Région du 5 juillet 2005 en faveur d’un renforcement de la territorialisation des politiques d’emploi et de formation sur www.ctefduroannais.org . Consulté le 15 mai 2007.

244.

Communiqué de presse de la région Rhône-Alpes du 11 juillet 2008 sur la délibération de l’Assemblée plénière de la Région du 10 juillet 2008.

245.

« SCOT : enjeux d’équilibre en Rhône-Alpes » Rhône-Alpes Magazine, septembre 2007, 46 p.

246.

TERNISIEN X. « Les collectivités protestent contre la purge imposée par l’État », www.lemonde.fr , édition du 11 juillet 2008.