3 L’État dans les Pays : entre contrôle, coordination et autonomisation des pouvoirs locaux.

La confirmation institutionnelle de la régulation sans hiérarchie

A la suite du Comité Interministériel d’Aménagement et de Développement du Territoire du 15 décembre 1997, Dominique VOYNET, Ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement commande deux rapports sur la redéfinition des politiques de développement territorial.

Le rapport CHÉRÈQUE

Dans la lettre de mission du 2 février 1998, elle charge Jacques CHÉRÈQUE, ancien ministre de l'aménagement du territoire, d’examiner les « instruments contractuels et financiers qui concourent au développement régional » et, plus précisément, les Contrats de Plan État-Région (CPER), afin que la nouvelle génération des contrats favorise « la contractualisation à l'échelle des territoires de projets que sont notamment les agglomérations et les Pays ». Dans son rapport intitulé « Plus de Région et mieux d'État. La prochaine génération des contrats de Projets État Région (2000-2006) Rapport au Ministre de l’environnement », qui compte 33 propositions, l’auteur insiste notamment sur le fait que l'exercice de contractualisation État-région doit être poursuivi. (propositions 1 à 3) Il préconise la création d’un Schéma Régional d'Aménagement et de Développement du Territoire (SRADT) comme cadre de référence pour tous les partenaires qui va dans le sens du développement des investissements immatériels (proposition 4).

La réactivation de la CRADT pour notamment lui transférer la compétence de constater le Pays (proposition 7) et pour assurer le suivi du contrat (proposition 15).

Le dégagement de crédits de fonctionnements (titre V) d’ingénierie et d’animation pour favoriser l’émergence de projets et l’organisation des territoires (proposition 25).

M CHEREQUE reprend le principe directeur : "un territoire + un projet + une stratégie = un contrat", énoncé par Jean AUROUX dans son rapport au Premier Ministre sur la Réforme des zonages et l’aménagement du territoire de juin 1998.

Le rapport MORVAN

Dans la lettre de mission du 19 février 1998 la ministre commande à Yves MORVAN, Professeur d'Université et président du Comité Économique et Social de la Région Bretagne, de mener une «  mission de réflexion et de proposition concernant le renforcement des conférences régionales en matière de planification territoriale ». Elle écrit : « Je vous demande dans cette perspective d'examiner les conditions et les conséquences d'un éventuel changement de statut des schémas régionaux d'aménagement et de développement du territoire (créés par l’article 6 de la LOADT de 1995) au profit de documents prescriptifs ».

Derrière la portée prescriptive, autrement dit normative au sens juridique du terme, c’est ni plus ni moins l’éventualité d’un « big bang institutionnel » qui est abordée. Avec ce document qui deviendrait opposable aux tiers et autres documents d’urbanisme, qui aurait une portée juridique identique à la Directive Territoriale d’Aménagement de l’État, la Région deviendrait localement le chef de file du développement territorial. Les principes de libre administration, d’interdiction de tutelle d’une collectivité sur une autre exploseraient. Bref, non seulement, l’article 72 de la Constitution volerait en éclat mais, c’est l’unité et l’indivisibilité de la République qui pourrait être atteinte, avec cette porte ouverte au fédéralisme.

Après avoir estimé qu'une conception renouvelée de l'aménagement du territoire était nécessaire, Yves MORVAN propose une définition « raisonnable » du schéma régional d'aménagement dans le rapport intitulé « Éléments en vue d’un éventuel changement de statut des schémas régionaux d’aménagement et de développement du territoire (SRADT) : rapport à Madame la ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement. »

En effet, dès la quatrième page du rapport, l’expert fait comprendre la dépendance au sentier historique et institutionnel qu’il emprunte. Refusant le changement radical au profit de sa conception incrémentale, il précise : « Il est bien évident qu’une réforme du statut des SRADT, si elle devait aboutir à un véritable et puissant renforcement des capacités du gouvernement des régions, devrait se situer dans le cadre d’un changement beaucoup plus vaste et beaucoup plus profonds de l’organisation française, ce qui aboutiraient à une véritable modernisation de la France et à un réel renforcement de la vie démocratique. (.) Malheureusement, tant que chaque proposition devra se heurter à des principes fondamentaux qu’on s’acharne à déclarer intangibles (non tutelle d’une collectivité sur une autre, égalité juridique, libre administration...), tant que les chantiers de réforme devront se situer à l’intérieur de frontières bien circonscrites…., tant que les pseudos prétextes d’une fausse unité nationale constitueront des remparts contre toute innovation, tant que les élus locaux continueront de faire appel aux pouvoirs centraux pour régler leurs différents, les évolutions ne seront qu’incrémentales et nécessairement insuffisantes pour régler les problèmes de développement économique et social au regard des enjeux futurs ».

Considérant l'émergence « d'un pouvoir de gouvernance des Régions », le rapporteur soutient qu'une planification territoriale coordonnée par la Région est nécessaire. Il prône la mise en place de projets de développement d'aménagement du territoire régional, présentés par la Région au nom des autres collectivités et acteurs (Pays et agglomérations notamment) qui, en déclinant les prescriptions nationales, seraient un « instrument de débat public » et la base nécessaire aux CPER.

Élaboré sous la responsabilité de la Région, cet instrument serait composé de :

  • un document prospectif ;
  • une charte de développement ;
  • un schéma régional d'aménagement.

Finalement, en réponse à la commande de Mme VOYNET, le rapporteur propose que le SRADT n'ait pas de portée normative.

L’esprit de la Loi d’Orientation d’Aménagement et de Développement Durable du Territoire : la planification indicative

En 1999, la LOADDT fait du Pays le volet territorial des Contrats de Plan État-Région247. Il s’agit selon les termes du député DURON rapporteur du projet de loi de reconstruire « une planification pour le siècle à venir » 248 . Mais une planification indicative qui refuse le principe hiérarchique de l’autorité régulatrice. Dès lors que l’État, par la voix de sa Ministre de l’environnement, admet que d’une part « au schéma unitaire dans lequel les autorités centrales assuraient la direction des politiques territoriales, se substitue un jeu pluraliste qui rend nécessaire la mise au point de modes de coordination des initiatives publiques et privées 249 , que d’autre part sous la pression des élus locaux, il refuse la prééminence de la Région en matière de développement territorial, la régulation relève de la coordination sans hiérarchie. Régime de régulation renforcé par l’acte II de la décentralisation, relatif aux libertés et responsabilités locales, adopté le 13 août 2004. En effet, le Législateur, attribue de nouvelles compétences aux Régions et aux EPCI. Les premières élargissent leurs interventions en matière de développement territorial et de formation. Les seconds voient leurs attributions en matière de développement économique renforcées. Mais de chef de file en matière de développement territorial, suite aux pressions des élus des grandes agglomérations, il n’est pas fait mention. L’architecture institutionnelle locale reste inchangée.

Notes
247.

La loi reprend certaines dispositions de la circulaire du Premier Ministre du 31 juillet 1998 relative à la préparation de la 4ème génération de Contrats de Plan État-Région.

248.

Rapport n° 1288 enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 décembre 1998 fait au nom de la commission de la production et des échangessur le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire et portant modification de la loi n°95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire par M. Philippe DURON, Député.

249.

Audition de Mme VOYNET, Ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement devant la commission de la production et des échanges pour l’aménagement du territoire, le 18 novembre 1998.