Les Pays au fil des alternances politiques

Le Pays va connaître un succès croissant. La carte des Pays à l’automne 2001 voit émerger environ 400 projets de Pays. Comme le titre le quotidien Le Monde du 11 octobre 2001, «Les Pays réussissent à s’imposer comme outil d’aménagement du territoire »257.

Mais, la loi adoptée, son application ne durera que le temps de la majorité parlementaire qui l’avait votée. Après les élections présidentielles de 2002, le 31 octobre de la même année, aux assises des Conseils généraux, Jean-Pierre RAFFARIN, Premier Ministre déclare : « Pourquoi vouloir quadriller systématiquement la France en 400 Pays (…) » et poursuit « Le Département doit être le lieu où se dessine la carte infradépartementale » 258 .

C’est la prééminence de la Région via la CRADT qui pose problème à la nouvelle majorité. Jean PUECH, ancien ministre de l’agriculture sous le Gouvernement BALLADUR, président UMP du Département de l’Aveyron, ancien président de l’Association des Départements de France la vise très précisément en dénonçant cette instance locale qui « juge et tranche » 259 . Estimant que cette structure présidée par le Préfet de Région et le président de Région ne « reflète pas les attentes du terrain » dans la mesure où « les représentants de l’État y sont plus nombreux que les élus », il en demande simplement l’abrogation au Premier Ministre, relayé par Daniel HOEFFEL, président de l’Association des Maires de France260, vice président du Sénat, ancien président du Conseil général du Bas-Rhin.

Durant cette période de flou politique sur le devenir des Pays, on observe un ralentissement des procédures reconnaissances de Pays. Elles redémarrent pourtant après le Conseil Interministériel d’Aménagement et de Développement du Territoire (CIADT) du 13 décembre 2002. Leur existence est confirmée, mais dans une forme qui change l’esprit dans lequel ils avaient été institués par la LOADDT.

En effet, lors de ce CIADT, le Gouvernement décide d'engager une simplification des politiques territoriales. Pris dans l’urgence des délais d’éligibilité aux fonds structurels européens, il opte pour une mise en œuvre élargie du volet territorial des CPER«  afin, notamment, de permettre l'élargissement à d'autres types de contrats de territoire que ceux mentionnés par la LOADDT du 25 juin 1999 dès lors qu'ils respectent les principes de cohérence et de partenariat  »,·d'assouplir les conditions de préparation des contrats de territoire prévus en application du volet territorial des contrats de plan. » 261

Cette formule s’apparente à un enterrement de première classe des Pays tels qu’ils étaient conçus par la loi Voynet puisqu’ils sont ramenés à un simple contrat territorial parmi d’autres. Plus loin, il est précisé que « les démarches de Pays représentent un effort de coordination des stratégies de développement et d'aménagement du territoire à des échelles pertinentes, en liaison étroite avec les représentants des activités socio-économiques et associatives. Ce mouvement de coopération doit prendre place dans un cadre souple et respectueux des compétences des collectivités ou de leurs groupements à fiscalité propre. Il doit privilégier une logique de projets et ne pas être enserré dans des procédures inutilement complexes.

A cet égard, le Gouvernement souhaite revenir à l'esprit d'origine de la politique des Pays qui visait à les consacrer comme des espaces de projet concerté, fondés sur le volontariat local . Dans cette perspective, sont prévus notamment :

Ces orientations feront l'objet d'une initiative législative qui sera prochainement discutée au Parlement. »

C’est un amendement présenté par Patrick OLLIER dans la loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003 URBANISME ET HABITAT, articles 95 et 96, (Annexe 3) qui propose une nouvelle rédaction de l’article 22. Dans cette troisième modification en huit ans, l’avis conforme de la CRADT qui liait la décision préfectorale et le périmètre d’étude sont supprimés.

Un double objectif est réalisé : le retrait de ces éléments de procédure, dont il faut admettre la lourdeur, réduit le poids de la Région dans la décision. Elle réhabilite de fait le rôle de l’institution départementale. Le maintien de l’autonomie des communes et de leur regroupement est également assuré. C’est la recherche de cohérence de l’aménagement du territoire au niveau régional, en collaboration avec la société civile sur la base d’un savoir partagé qui est atteinte directement. C’est désormais sur simple avis du Conseil régional et du Conseil Général que le périmètre du Pays sera constaté et arrêté par le Préfet. Autrement dit, avec la suppression du périmètre d’étude essentiel à son institutionnalisation et à sa légitimation, le Pays redevient d’abord une affaire d’élus, dans la mesure où les études, la prospective ouvraient un champ de débat qui pouvait échapper à leur contrôle.

Dans son dernier alinéa, l’article 96 prévoit une articulation entre le SCOT et le Pays :

« Lorsque le périmètre d'un SCOT recouvre en tout ou partie celui d'un Pays ayant fait l'objet d'une publication par arrêté préfectoral, le projet d'aménagement et de développement durable du SCOT tient compte de la charte de développement du Pays. »

Sur ce point il faut préciser que la planification territoriale prévue par la loi de Solidarité et de Renouvellement Urbains du 13 décembre 2000 dont le SCOT est l’instrument clé reconnaît la force organisationnelle de l’intercommunalité en général et fait de l’agglomération le pivot de la cohérence de l’aménagement territorial. « Les SCOT ont pour objet de promouvoir une stratégie globale d’aménagement à l’échelle d’un même bassin de vie, d’habitat et d’emploi. Ils doivent fédérer au niveau de l’agglomération l’ensemble des politiques sectorielles -urbanisme, habitat, déplacement, équipements commerciaux…- et ils primeront sur tout autre document de planification. C’est dire l’importance d’une bonne appréhension de ces documents ».262.

Même si le SCOT doit « tenir compte de la charte de Pays », formule vague qui ne lie guère les décideurs publics263, le premier instrument est plus contraignant que le second parce que plus institutionnalisé. L’un planifie stricto sensu avec force obligatoire. L’autre reste un projet de territoire qui donne lieu à un contrat. On peut donc en vertu de «la « loi naturelle » de l’intercommunalité264 penser qu’à compétences et périmètres identiques la forme la plus intégrée absorbe la forme la moins intégrée. Autrement dit envisager à terme la cannibalisation du Pays par le SCOT ou la réunification des procédures à l’intérieur d’un périmètre commun.

Notes
257.

BUFFIER D. « Les Pays réussissent à s’imposer comme outil d’aménagement du territoire » Le Monde, 11octobre 2001 p 11.

258.

JEROME Béatrice et DA SILVA Elia, « Le gouvernement s’apprête à donner un coup d’arrêt à la création des « Pays ». Lancées par Charles Pasqua et développées par Dominique Voynet, ces associations de communes déplaisent à certains élus, qui y voient une concurrence pour le Département », Le Monde du 13 novembre 2002, p 12.

259.

Ibidem p 12.

260.

C’est la position très claire qui est ressortie de la table ronde sur les Pays organisée lors du congrès de l’AMC le 30 novembre 2002.

261.

Compte rendu à la presse du CIADT 13 décembre 2002 (en gras et souligné dans le texte).

262.

VOIX I., XAMBEU P. « Comment aborder les SCOT ? «  Maires de France, Paris, n° 114, Septembre 2001, p 62.

263.

La DIACT a confié une mission d’évaluation des démarches contractuelles de Pays au Conseil Général du Génie rural des eaux et des forêts. En février 2006, le CGGREF a rendu le rapport N° 2391 qui précise : « La démarche SCOT tient peu compte de l’existence des Pays. Lorsque ce dernier en est le porteur, les espoirs placés en sa réalisation seront souvent difficiles à réaliser », p 4.

264.

RIBOT C. « L’autonomie institutionnelle des EPCI » dans LE SAOUT R. (dir), L’intercommunalité. Logiques nationales et enjeux locaux, Presses Universitaires de Rennes, 1997, p 43.