L’État dans la négociation des périmètres : un pari sur le temps long au delà des échéances électorales locales.

C’est cette orientation que prend la gestion des différents dispositifs étudiés en Pays Beaujolais et Roannais. CDPRA, SCOT, CTEF sont autant de procédures territoriales multi-niveaux en voie de stabilisation à l’intérieur de cadres territoriaux qui se rapprochent les uns des autres. Dans cette convergence des cadres de l’action, le rôle de l’État local au concret consiste à créer les conditions de la recomposition territoriale sans l’imposer aux pouvoirs locaux alors que la loi confère au Préfet de Région les prérogatives de puissance publique pour trancher la question des périmètres. Mais avant que le périmètre des EPCI ne soit présenté à l’avis du Préfet départemental et celui du Pays au Préfet de Région, c’est le sous-préfet d’arrondissement qui, localement, entre dans des tractations difficiles avec les élus. En fait, il en est réduit à participer au marchandage politique du territoire, pour en favoriser l’évolution institutionnelle. Il négocie l’application du droit avec les élus dominants tout en respectant les cadres territoriaux entérinés par la Région lors des premiers CGD. Il met en balance les subventions intercommunales pour favoriser les regroupements. Il n’impose moins qu’il ne parie sur une recomposition territoriale progressive au fil des échéances électorales. Autrement dit, les servies de l’État local parient sur le temps long pour modifier le paysage institutionnel local, au-delà des échéances électorales de court terme.

A titre d’illustration, le sous préfet de Villefranche sur Saône détaille son rôle lors des quatrièmes rencontres juridiques organisées par la Faculté de sciences juridiques de l’Université Lumière Lyon 2 en partenariat avec le Département du Rhône le 20 octobre 2000 : « Le fondement du rôle de l’État et le rôle du corps préfectoral, c’est de dire des choses qui ne sont pas toujours bien entendues et en tout cas pas toujours reçues de façon favorable parce que ça met en causes des habitudes, des traditions ou parfois même des intérêts. Alors ce rôle, je disais, il est important mais pas décisif. Il est important dans son champ (.) parce que nous intervenons dans l’intercommunalité, en gros, pour mettre un véto à un projet qui ne tient pas la route ou prendre l’initiative d’un projet que personne ne lance. Mais nous n’avons pas le pouvoir d’imposer un projet sur lequel il n’y aurait pas une forte adhésion. Donc, vous voyez c’est un rôle assez subtil. (.) En fait, je vous l’ai dit, et je conclurai là-dessus, le corps préfectoral joue un rôle de garde fou. Attention que l’on ne fasse pas n’importe quoi sous prétexte que l’on veut faire quelque chose. Nous avons le droit d’empêcher que ça se fasse. Deuxièmement, nous avons un rôle d’incitateur. Il ne faut pas non plus, que, notamment dans les zones les moins animées où il y a moins de leaders, les communes ne pensent pas à se regrouper. Et puis troisièmement nous avons parfois aussi un rôle d’arbitre à la demande naturellement des collectivités pour éviter que des combats qui sont d’une autre nature ne viennent gêner le débat technique qui est un vrai débat de développement. En réalité, on s’engage avec l’intercommunalité, c'est-à-dire avec toute la gestion du système territorial, on s’engage dans des échéances longues, il était évoqué 10 ans, (.) 10 ans en tout état de cause, c’est deux mandats communaux ou presque. (.) et bien, nous sommes là, c’est un peu le rôle naturel de l’État d’ailleurs de veiller à ce que leurs regards aillent un peu plus loin que la prochaine échéance électorale. »265.

Les registres du corps préfectoral

L’habileté individuelle et l’autorité institutionnelle du représentant de l’État vont de pair dans l’utilisation des registres politiques et gestionnaires :

‘« R Alors pour le Pays Beaujolais, y a une forte histoire, avant y avait, y a toujours une association touristique loi de 1901, le Pays Beaujolais, qui je pense a été la coquille, a permis au Pays Voynet d’émerger plus facilement. Et puis la chance dans le Beaujolais, tout le Pays est couvert par des EPCI, le préfet a insisté pour qu’on ait un SCOT qui couvre tout l’arrondissement. Vous savez, les élus, ils sont quand même souvent obligés de travailler ensemble. Et puis sur le Pays, vous savez, le préfet, il est « allé au charbon », il a assisté aux réunions où manifestement il a fallu expliquer que le Pays était quelque chose d’important pour eux. L’arrondissement de Villefranche, le Pays, c’est sur tout l’arrondissement. Pour certains élus, ça n’était pas évident parce que vous avez un peu le Val de Saône proche de l’Ain et vous avez le Beaujolais, de la montagne, plus vers la Loire. Et pendant un temps, c’est vrai que les élus du Val de Saône voulaient contractualiser plutôt avec l’Ain et ça ne s’est pas fait pour des raisons politiques. Et pendant un bout de temps, ça a stagné parce que c’était compliqué à mettre en place et puis ils étaient réticents, ils disaient encore une structure de plus. Qu’est ce que ça va nous apporter en plus pour être clair. »
Entretien n° 13 du 29 mars 2004’

Le sous préfet de l’arrondissement de Villefranche entre 1996 et juillet 2002 note avec résignation : « Je considère toujours que le périmètre du Pays Beaujolais qui ne va pas jusqu’à l’Ain n’est pas satisfaisant. Mais je respecte le choix qui a été fait par les élus locaux. On ne doit pas aller contre la volonté des hommes. Ceux de l’Ain ne souhaitent pas pour l’instant intégrer le Beaujolais, tant pis. Cependant, rien n’est définitif. Les frontières peuvent évoluer. »266

Cet extrait, aveu d’impuissance publique, montre comment le représentant de l’État, ramené au rang de simple négociateur parmi d’autres, utilise les mêmes registres d’action que les élus quand il ne s’y soumet pas. Dans le Roannais, son avis compte peu par rapport à celui du ministre de la Justice, président du Conseil Général de la Loire.

Dans le Beaujolais, où le poids des leaders est moins flagrant, le sous-préfet recourt à la presse pour peser sur les élus. Il anime des tables rondes pour faire de l’opinion publique son alliée. Il cherche à persuader du bien fondé de la coopération intercommunale :

‘« R Non, l’État n’a pas les moyens. C’est vrai qu’après les rapports qu’on peut avoir avec les élus, forcément à un moment donné, le sous-préfet, ah oui, on avait un article de presse dans lequel il s’était exprimé en disant, oui, il nous faut une communauté d’agglomération à Villefranche. Il faut que des communes rejoignent, il va impulser. Mais de moyens de pression, il ne peut pas. »
Entretien n° 13 du 29 mars 2004’

En ce qui concerne les Préfets, leurs moyens de pression sont plus importants. Mais à l’instar de n’importe quel président d’exécutif local, ils jouent avec les subventions. Ils font de l’argument financier un atout dans leur jeu pour peser sur les orientations des maires en matière de regroupement intercommunal et sur la définition des périmètres des Pays. A cet égard, l’attribution des subventions du FEDER a été déterminante dans la définition du périmètre du CGD, par voie de conséquence sur le CDPRA du Roannais. Les maires ruraux de droite « sous tutelle politique » de M. Pascal CLEMENT FROMENTEL ont rejoint le CGD de gauche sous l’influence de M. Jean AUROUX.

‘R « Là dedans, le préfet est intervenu en disant ceci : ne pourraient être éligibles au fonds du FEDER que les communes comprises dans le territoire du CGD de Roanne.(.)
Cela n’a pas été dît officiellement. Mais vous avez un certain nombre de maires de droite qui ont basculé dans le camp d’AUROUX et quand vous regardez la carte les découpages, c’est net, un directeur de services en préfecture me l’a confirmé. Ce ne sont pas des choses que l’on dit en public évidemment. Quand on regarde le périmètre on voit bien : on a un CGD qui englobe tous les territoires éligibles au fonds FEDER à l’époque où il y avait un zonage FEDER, maintenant il y a plus de zonage FEDER. »
Entretien n°43 du 16 juin 2008
« R L’interco a pris comme ça grâce à la manne financière »
Entretien n° 13 du 29 mars 2004
« R On a des possibilités. Ça dépend du volontarisme, des ministres et du préfet, de leur volontarisme en la matière. On a toujours une possibilité, c’est les subventions, par exemple, la dotation globale d’équipement pour les petites communes. Ça va aux intercommunalités les plus petites et aux communes de moins de 20 000 habitants et vous avez aussi la DDR, la dotation de développement rural, à condition qu’il y ait création d’emplois. Effectivement le préfet peut inciter les communes à se regrouper en disant, vous n’aurez pas de DDR ni de DGE. Il peut faire ça. Alors ça dépend du volontarisme du préfet. »
Entretien n° 19 du 6 avril 2004’

Si l’argument financier pèse en matière de regroupement intercommunal dans les EPCI, sa portée doit être relativisée pour les Pays. Le Fonds National d’Aménagement et de Développement du Territoire, à l’instar du budget du ministère de l’aménagement du territoire qui le finance a été peu abondé. En conséquence, la section locale du Fonds National d’Aménagement et de Développement du Territoire267 a peu contribué au volet territorial des CPER. Précisément, pour le CDPRA du Beaujolais, le total des sommes Fonds National d’Aménagement et de Développement du Territoire allouées au financement du plan d’action s’élève à 691 000 € sur trois actions : 426 000 € pour l’aménagement de la ville centre Villefranche, 145 000 € pour les services et équipements structurants pour le Pays, 120 000 € pour l’animation du CDPRA. Financement à comparer avec les 14 000 000 € prévus au CDPRA, la Région en couvrant environ 30%. (Annexe 4)

Pour le Roannais, le cas est différent. Un contrat d’agglomération représentant le volet urbain du CDPRA, est signé avec l’État et la Région en janvier 2004.

Pour le CDPRA le montant total de la contribution du Fonds National d’Aménagement et de Développement du Territoire s’élève à 153 550 € répartis en 53 550 € pour l’animation de la démocratie participative et 100 000 € pour l’animation économique du Pays. (Annexe 5)

En ce qui concerne le contrat d’agglomération, le montant sollicité du Fonds National d’Aménagement et de Développement du Territoire est de 3 712 787 €. Le montant total du projet s’élève à 26 398 115€.268

Comme le précise l’introduction de ce protocole d’accord : « Tous les crédits cités ne peuvent être mobilisés que sous réserve du vote des budgets annuels de chacun des co-contractants. Les actions retenues seront financées en fonction des priorités de chaque cocontractant »269. Cette clause vaut pour tous les contrats territoriaux qui voient l’État réduire sa participation financière.

Ainsi, le CPER Rhône-Alpes, pour la période 2000-2006, comprenait 14 programmes pour un total de financements de 8 341 M€ à la charge de l’État et 8 155 M€ à celle de la Région. Le total des dépenses de l’ensemble du contrat de projet 2007-2013 est ramené à 2 395 M€ (dont 547 M€ pour le volet territorial du contrat de projet, pour l’essentiel à la charge de la Région)270.

Cependant, l’insuffisance financière de l’État dans les CDPRA ne lui permet pas de peser lourd dans les négociations avec la Région sur la redéfinition des périmètres.

‘« R Oui. D’ailleurs que voulez vous que l’État dise quand pour le Pays Beaujolais vous avez un rapport grosso modo de 750 000€ que l’État fournira par rapport aux 13 Millions € de la Région. Ceci dit, ils tiennent compte de l’avis de l’État parce qu’on peut racler des crédits de droit commun de certains ministères pour financer certaines opérations. »
Entretien n° 19 du 6 avril 2004
« R Sur la négociation politique entre l’État régional et le Conseil régional, je crois que le pouvoir régional a vu d’un mauvais œil, il avait déjà ces territoires avec les CGD, que l’État éclate tout et veuille lui recoller des entités territoriales. Donc ça n’a pas du être une négociation facile. »
Entretien n° 13 du 29 mars 2004’

Plus largement, le registre d’action du Préfet oscille entre incitation et application stricte de la règle. Il poursuit l’objectif de recomposition territoriale souvent, par la négociation lente, dans le cadre politique et institutionnel existant. Il n’est pas maître du jeu, même s’il dispose du pouvoir règlementaire qui est une ressource importante dans le processus de décision. C’est le Préfet de Région qui arrête les périmètres des Pays après avis conforme de la CRADT.

‘« Q Mais sur le périmètre, il ne peut pas faire acte d’autorité ?
R Ah si. On peut ne pas entériner le périmètre. Alors là, c’est là où les grands élus interviennent. Il faut une bonne raison pour refuser un périmètre. Alors j’ai vu des intercommunalités discontinues, j’avais vu cela dans les Pyrénées orientales, c’était très amusant, enfin c’était du partage politique. Ça n’avait rien à voir avec les intérêts généraux. Y avait la droite qui s’était regroupée et ça n’avait rien à voir avec la géographie. Si vous faites le ramassage des ordures au niveau intercommunal, vous passez dans une commune et puis pas dans l’autre, vous voyez ce que ça peut donner. Je crois que l’État a refusé d’imposer. Il ne voulait pas être trop directif, mais quand on a vu l’absurdité de certaines mesures, alors on a imposé directement le périmètre. Légalement, l’État peut s’y opposer, mais il faut trouver une bonne raison. Ou retarder la prise de l’arrêté, ça c’est toujours une manière. On laisse traîner. Ça arrive souvent. »
Entretien n° 19 du 6 avril 2004’

Les services centraux de l’État en action : une logique d’influence plus que de pouvoir.

Les services centraux de l’État interviennent dans une logique de conseil et d’expérimentation. La DATAR, qui appelle à projet d’expérimentation, fournit des guides méthodologiques pour la création de Pays dans le cadre de la LOADDT. Elle reconduit cette démarche d’expérimentation qu’elle avait déjà préconisée dans une quarantaine de sites pour l’élaboration des Pays issus de la LOADT de 1995. Cette démarche est reprise par la DIACT dès la fin 2005. Derrière l’expérimentation, il s’agit dans une logique de changement incrémental, de désarmer les oppositions et les élus rétifs à une telle réforme271.

La Direction Générale des Collectivités Territoriales (DGCL) apporte son soutien technique dans l’élaboration des documents techniques nécessaires à la définition des périmètres.

Pour les services centraux de l’État, l’action se déroule dans une logique d’influence plus que de pouvoir pour favoriser la création de normes d’action diffusées dans le temps long. Cette stratégie de long terme fera l’objet d’une analyse plus approfondie dans les parties suivantes.

‘« R1 Enfin, c’est l’État qui nous a embringués dans cette affaire. C’est la DATAR et la sous préfecture qui nous ont orientés sur des appels d’offre, qui nous lancé sur les premières études et puis après on a fait le lien avec le contrat. On en est là aujourd’hui parce que l’État était là. Et puis l’État nous a, pas en continu, c’est vrai avec la Région, mais l’État a certains moments nous a dit : c’est comme ça, comme ça et comme ça. Par rapport aux conventions, c’est pas la Région qui allait nous dire quel texte allait s’appliquer. On a fait des projets de conventions qu’on a fait valider par la région pour obtenir le quitus et après on a travaillé avec la DATAR, la DGCL sur les conventions. »
Entretien n° 10 du 22 mars 2004’
Notes
265.

Actes des quatrièmes rencontres juridiques organisées par la Faculté de sciences juridiques de l’Université Lumière Lyon 2 en partenariat avec le Département du Rhône le 20 octobre 2000, p 92-94.

266.

PELOILLE F et MERCIER G. « Six ans de Beaujolais : le bilan de François Burdeyron » www.leprogres.fr , édition du 9 juillet 2002.

267.

Le FNADT intervient en complément des fonds publics locaux et privés mobilisés pour les opérations qui relèvent de la LOADDT, au premier chef celles prévues dans le cadre des Pays et agglomérations. Le fonds se divise en deux sections : l’une générale qui finance les programmes nationaux prévus par la DATAR après avis du CIADT. L’autre, locale abonde le volet territorial des CPER. Elle est gérée par les préfets.

268.

Contrat d’agglomération. Protocole d’accord/volet territorial du Contrat de Plan État-Région 2000/2006, janvier 2004, 13 p ? sur www.territoires.rhonealpes.fr .

269.

Ibidem p 4.

270.

Cour des comptes. Les aides des collectivités territoriales au développement économique, 28 novembre 2007, p 80.

271.

LEYLAVERGNE H. « La notion de pays », Actes des quatrièmes rencontres juridiques organisées par la Faculté de sciences juridiques de l’Université Lumière Lyon 2, en partenariat avec le Département du Rhône le 20 octobre 2000, p 50-61.