2 Division verticale du travail politique et règles du consensus

On observe une division verticale du travail entre les grands élus et les petits élus. Les premiers n’interviennent pas directement dans la gestion du contrat. L’opérationnel ne les concerne pas. Ils viennent « taper du poing sur la table » comme le dit un agent de développement du Roannais. Ou ils interviennent sur les grands programmes d’infrastructures qui auront un impact sur la gestion du contrat de Pays et des autres procédures qui lui sont liées. Comme par exemple la construction de la liaison de l’A 89 entre Balbigny dans la Loire et La Tour de Salvagny dans le Rhône.

Sans entrer dans l’obscurité du labyrinthe juridique et technique qui caractérise ce projet d’infrastructure d’intérêt national depuis 15 ans276, on peut dire qu’il est essentiel au désenclavement du Pays Roannais et au développement du secteur Ouest du Beaujolais.

Aussi, Bernard JAYOL, ancien chef de projet socialiste du CDPRA du Roannais, plaide-t-il « pour mettre le syndicat mixte Pays Roannais en mouvement, en action afin de ne pas partir en ordre dispersé par rapport à l’arrivée d’entreprises susceptibles d’être intéressées par une implantation dans le Roannais »277.

Dans le Beaujolais, un schéma de développement économique piloté par le SCOT278 que préside Bruno CHARVET, également chef du projet CDPRA, permet de planifier l’installation des futures zones d’activités pour lutter contre le déclin économique et démographique de l’ouest du territoire.

Ce projet d’infrastructure mobilise le personnel politique local, du conseil municipal rural au ministre des transports, Dominique PERBEN (jusqu’en mai 2007), conseiller général du Rhône (UMP), candidat à la mairie de Lyon en 2008. Dans cette poudrière, les clivages politiques explosent, les alliés d’hier sont les ennemis d’aujourd’hui. Alors que Michel MERCIER et Pascal CLEMENT FROMENTEL s’entendent pour saper les fondements de la politique des CDPRA, ils se livrent une guerre ouverte sur ce projet d’aménagement autoroutier.

Par exemple, une proposition de Loi relative à la réalisation de la section entre Balbigny et La Tour de Salvagny de l’A 89 est déposée le 24 janvier 2006 au Sénat279 par Mme Elisabeth LAMURE, sénatrice UMP du Rhône. Cette femme politique est par ailleurs Maire de Gleizé, vice présidente de la Communauté d’agglomération de Villefranche, conseillère générale du Rhône où elle siège dans la majorité de coalition UMP, Modem, parti radical valoisien que dirige Michel MERCIER. Dans cette démarche législative, elle est accompagnée par des sénateurs rhônalpins PS et UMP280. Michel MERCIER vote contre, rejoint par Muguette DINI sénatrice UDF du Rhône et Josiane MATHON POINAT, sénatrice PC de la Loire. Cette dernière expose clairement les motifs de son refus : « La proposition de loi que nous avons sous les yeux est alors déposée en toute hâte, sur commande, je le suppose, d’un ministre président de conseil général qui confond autorité politique conférée par son portefeuille ministériel et ce qu’il considère comme son fief (exclamations sur les travées de l’UMP) et par un autre ministre candidat dans le Rhône, M PERBEN » 281.

L’élue communiste en parfait accord avec les élus UDF dénonce entre autre le caractère anticonstitutionnel de cette loi, commande politique diligentée par le ministre de la Justice, garde des Sceaux, Pascal CLEMENT FROMENTEL, qui faisant fi de la hiérarchie des normes, intervient sciemment dans le domaine règlementaire282.

Par ailleurs Michel MERCIER s’oppose à un tracé qui défigurerait une partie des Monts du Lyonnais, déverserait le trafic vers l’A6 et engorgerait encore plus l’agglomération lyonnaise déjà saturée283. Cette position le rapproche du maire PS de Lyon, Gérard COLLOMB, sénateur du Rhône, président de la communauté urbaine qui veut éviter l’asphyxie284, en plaçant Dominique PERBEN dans l’embarras. Un choix politique qui prend en compte l’avis des 1500 élus regroupés au sein de l’Alternative aux contournements autoroutiers de Lyon (Alcaly) qui, s’ils reconnaissent la nécessité du tronçon n’en proposent pas moins un tracé alternatif. Le poids de ces grands électeurs a été déterminant pour Michel MERCIER lors de sa réélection au Sénat en 2004. Il a moins compté lors de sa réélection en 2008 à la tête de l’exécutif rhodanien285 qui a donné lieu à une alliance avec Dominique PERBEN, le grand perdant des séquences électorales de cette année 2008.Ces deux opposants d’hier sont aujourd‘hui des alliés de circonstance.

‘« R Parce que les problèmes ne sont pas les mêmes. Vous avez un problème typiquement Beaujolais, c’est la concurrence avec l’agglomération lyonnaise. L’Ain, la plaine est effectivement attirée par la zone Villefranche Belleville, mais il y a Bourg en Bresse, des problèmes d’environnement et puis il y a des problèmes politiques. Il est vrai que le Département du même bord, c’est le Département du Rhône, normalement, ça devrait marcher, mais pas toujours. C’est les prérogatives des élus. Par exemple MERCIER est opposé à la directive territoriale d’aménagement alors que les autres sont d’accord, et le Grand Lyon est favorable. En plus on est dans une année électorale, Conseil général, Conseil régional, je ne parle pas des européennes mais il y a les sénatoriales au mois de septembre. Les positions sont purement politiques et n’ont plus rien à voir même avec l’intime conviction des élus.
Q Qu’est ce vous entendez par politique ?
R Il s’agit pour les sénateurs de ne pas mécontenter les maires. C’est très clair. On pourrait dire on va affiner un petit peu, mais non, ce n’est pas la peine. »
Entretien n° 19 du 16 avril 2004’
Schéma d’implantation des échangeurs sur le tronçon de l’A 89 entre Balbigny (42) et La tour de Salvagny (69)
Schéma d’implantation des échangeurs sur le tronçon de l’A 89 entre Balbigny (42) et La tour de Salvagny (69)

Source www.alcaly.org

La division du travail politique

Un exemple comme celui de l’A89 est révélateur du mécanisme de la division du travail politique qui structure les relations entre élus. Mais il donne à penser que l’organisation du travail politique est binaire : les grandes infrastructures reviennent aux grands élus, les CDPRA et le « tout venant de l’action publique » aux petits élus. Cependant, il faut garder à l’esprit que la domination qu’exercent les grands élus est une relation inégale consentie par les petits élus, où nul n’est totalement dépourvu de ressources. Chacun, avec les qualités d’un contorsionniste, défend son intérêt politique au cours d’une négociation plus ou moins serrée.

Notes
276.

D’après le dossier d’information du Sénat mis en ligne le 13 juillet 2007 sur www.senat.fr .

«  Bloqué depuis 15 ans dans des méandres juridiques, l’A 89 est un projet d’intérêt national, qui aura un important impact sur les départements de la Loire et du Rhône. De crainte que les divergences d’analyse entre le Conseil d’État et la Commission Européenne ne conduisent à un nouveau report, des sénateurs de diverses sensibilités politiques ont souhaité que le Parlement se saisisse de ce dossier. L’enjeu est d’importance. L’A 89 désenclavera tout le Nord du Département de la Loire, en particulier le bassin de Roanne, et désengorgera Saint Etienne, qu’il faut aujourd’hui traverser pour continuer vers Lyon ».

277.

LE PETIGALAND D. « Le PS attaque tous azimuts », www.leprogres.fr , édition du 8 septembre 2004.

278.

Le syndicat mixte du SCOT du Beaujolais a lancé en décembre 2005 un schéma de développement lié à l’A 89

DEL RIZZO B. « Les perspectives financières du SCOT Beaujolais dénoncées », www.leprogres.fr , édition du 11 février 2006.

279.

La Loi a été adoptée le 1er mars 2006 et publiée au JO n° 53 du 3 mars 2006.

280.

L’ont accompagnée dans cette démarche messieurs Jean BOYER, Sénateur UDF de la Haute Loire, Bernard FOURNIER, Sénateur UMP de la Loire, Jean-Claude FRECON Sénateur PS de la Loire, Michel THIOLLIERE membre du Groupe Rassemblement démocratique et social européen, (membre de l’UMP) et Michel CHARASSE, Sénateur PS du Puy de Dôme.

281.

Compte rendu intégral des débats de la séance du 7 février 2006 sur la réalisation de l’A 89.sur www.senat.fr

282.

Compte rendu intégral des débats de la séance du 7 février 2006 sur la réalisation de l’A 89.sur www.senat.fr

283.

VEROT P.O « Adoption définitive de l’autoroute A 89 par l’assemblée nationale ». Le Pays, 3 mars 2006. Dans cet article, selon Michel MERCIER, « L’A 89 n’a rien à faire dans Lyon »

284.

. « Autoroutes : Gérard COLLOMB veut éviter l’asphyxie de l’agglomération lyonnaise ». www.leprogres.fr , édition du 30 mars 2006.

285.

Da FONSECA E. « L’UDF peut elle perdre le pouvoir au Conseil Général ? » www.leprogres.fr , édition du 2 avril 2006.