La dépendance des petits élus aux capacités relationnelles des grands élus

La dépendance des petits élus aux capacités relationnelles des grands élus apparaît très clairement lorsqu’on écoute en particulier certains élus ruraux, qui aiment à se définir comme petits élus. Pour un certain nombre d’entre eux, qu’ils soient maires ou présidents de communautés de communes rurales «la Région c’est loin ». Cet éloignement n’est pas que géographique, en l’occurrence l’Hôtel de Région n’est distant que de 30 kilomètres de la mairie de l’élue qui tient les propos suivants :

‘« R Non, non, c’est loin. Puisqu’on est en pleine élection régionale, j’ai reçu trois candidats que je connaissais un petit peu puisque je travaille aussi pour ce contrat de développement. Mais c’est vrai que pour nous, la Région c’est une machine lourde, que l’on connaît mal. Moi, j’ai un peu d’expérience, donc ça ne me gênerait pas de frapper aux portes. Mais je pense que lorsque l’on est élu rural d’une petite commune comme les nôtres, on n’a pas forcément l’audace d’y aller parce que faut le dire c’est quand même des grosses machines, on est en retrait, on ne sait pas trop ce qui s’y passe, on ne sait pas trop si on peut aller chercher l’information. Alors on a tout un tas de documentation, la Région intervient dans tel ou tel domaine qui ne nous concerne pas. Je pense aux lycées par exemple. La formation professionnelle, j’y ai été confrontée parce que j’ai eu deux emplois jeunes et je m’y suis intéressée mais sinon, pfff…. C’est vrai qu’on connaît mal la Région. Et c’est ce que j’ai dit aux candidats : faites vous connaître, au moins auprès des élus de terrain. Moi, au conseil municipal, quand je leur parle de la Région, c’est un peu abstrait. »
Entretien n° 9 du 22 mars 2004’

Les petits élus ne s’estiment pas capables d’aller défendre seuls un projet devant le Conseil régional. Plusieurs raisons sont invoquées : l’insuffisante formation des élus, l‘insuffisance de moyens financiers qui limite l’effectif intercommunal et en particulier le manque de personnel qualifié capable d’instruire les dossiers, le manque de confiance. Bref, une combinaison de facteurs qui créent une situation objective de dépendance des petits élus aux ressources et capacités relationnelles des grands élus :

‘« R Oui c’est lié à la ruralité mais c’est aussi le manque de formation des élus au départ. Vous êtes élu parce que vous avez envie de participer à l’aménagement de votre commune, parce que vous aimez le contact, pour différentes raisons. Mais vous n’avez pas de formation. Quand vous arrivez dans une mairie. Moi c’est un petit peu différent parce que j’ai eu deux mandats avant, un mandat de conseiller municipal et un mandat d’adjoint, donc j’avais déjà participé à la vie municipale. Celui qui est élu une première fois, qui n’a jamais participé à la vie municipale. Un budget communal, mais c’est du chinois. Je défie quiconque, bon les gens qui sont dans des entreprises ont le contact, mais on se débrouille tout seul. Il faut aller sur le terrain, faire les choses techniques, les choses juridiques, toutes les responsabilités qui vous incombent, c’est monumental.
Q Il n’y a pas du tout de formation ?
R Alors y a de la formation sur notre demande par l’association des maires du Rhône et de France. Encore faut-il avoir du temps pour aller à ces formations, se sentir concerné. Vous savez la plupart des gens travaillent, ces formations se font en journée, votre employeur, il n’a pas toujours envie de vous voir partir deux jours par là, trois jours ailleurs. Y a déjà des réunions qui se font en journée, d’autres le soir. Moi j’ai abandonné mon métier parce que je voulais vraiment m’occuper de ma commune, sinon j’aurais pas pu. Moi je travaillais à 2 km d’ici, donc en contact avec le public. On venait me voir pour me dire : y a un trou sur le chemin. Alors à un moment, je me suis dit : faut faire un choix. Soit je n’exerce plus ma profession, soit mon mandat va être tronqué parce que je ne pourrai pas l’exercer complètement. Quand je demandais des jours de liberté pour aller à des formations, mon supérieur n’était pas toujours d’accord. Il m’avait dit que j’avais fait un choix, qu’il fallait que je l’assume. Donc c’est très difficile. Et puis vous n’avez pas les structures qui vous appuient directement, moi j’ai pas de service technique, donc quand j’ai une gouttière sur un toit, c’est tout bête, mais il va falloir aller chercher un maçon, voir à quoi ça ressemble, quelles nuisances ça va créer, comment on va intervenir. Dans une ville, vous avez les services techniques, les services juridiques, vous avez la comptabilité, tout un tas de services qui fait que tout roule. Le maire, il est plus en représentation que sur le terrain. Moi, je suis sur le terrain, je suis confronté au chien qui aboie, au service qui n’est pas effectué, j’ai un employé malade, comment je fais, plein de petits problèmes comme ça qui, pour des élus de ville paraissent complètement …, ils ne connaissent pas ça. Nous, c’est notre vie quotidienne ».
Entretien n° 9 du 22 mars 2004’

Les grands élus médiateurs

Concrètement lorsqu’un président d’une communauté de communes rurale veut promouvoir une action et obtenir son financement au sein du contrat de Pays, il s’appuie sur un élu dominant du territoire : président du Conseil général, député, président du Pays qui le relaie auprès de la Région.

‘« R1 Yves NICOLIN est président de la communauté d’agglomération. Clairement, on travaille avec le Conseil régional pour le Pays. M. NICOLIN a plus facilement accès à Mme COMPARINI qui est aussi député qu’un président de communauté de communes qui ne sent pas la carrure de demander un entretien à Mme COMPARINI. Un exemple tout bête, la restauration des entreprises hôtelières sur l’agglo. Le Conseil régional a une politique de droit commun qui aide les hôtels en dehors des agglos. Si vous habitez dans un village, vous avez un hôtel à faire retaper, vous demandez de l’argent à la Région sur la ligne de droit commun, vous habitez dans l’agglo, on vous dit non. Nous dans le contrat de Pays, on voulait faire financer certains hôtels qui avaient besoin d’être rafraîchis. Au niveau régional, les techniciens ont dit non. On a une ligne de droit commun qui exclut, on va pas le faire passer par le biais des politiques territoriales. M NICOLIN a rencontré Mme COMPARINI et M CHAMBON, on a eu un appui politique et bien cette action figure dans le contrat d’agglo financé dans le contrat de Pays.
Après cela vous avez en milieu rural une opération d’acquisition d’un bâtiment en ruine pour le casser et faire du logement, la Région ne le finance pas, le maire de Desnouez, il ne demandera pas un entretien à Mme COMPARINI.
Après au Pays, si on a des projets qui nous tiennent à cœur et bien c’est au Pays de dire à ses députés, vous avez demandé à l’État des financements là-dessus, il faut me récupérer des fonds, il y a un CIADT qui arrive, vous me mettez tel projet là-dessus. Les députés sont des outils. »
Entretien n°2 du 3 décembre 2003’

Ce rôle de médiateur apparaît encore plus nettement quand le clivage partisan entre le Pays et la Région fait craindre une réduction des enveloppes budgétaires prévues au contrat. Dans le Beaujolais, tous les présidents d’EPCI sont membres soit de l’UMP, soit de l’UDF, soit du Parti Radical Valoisien, alors que l’exécutif régional issu des élections de 2004 repose sur une alliance de l’ex gauche plurielle. Les deux élus régionaux référents du CDPRA sont l’un, membre du Parti Communiste, l’autre, du Front National. Les dialogues peuvent être difficiles.

‘« R Jean Jack QUEYRANNE est un collègue parlementaire, je lui ai déjà parlé de certains projets et j’espère que son objectivité les fera aboutir, sinon je lui dirai et très clairement. Je ne pense pas qu’il y ait un problème. On a moins de relais, mais c’est aux parlementaires et aux Pays de se réunir, c’est là l’intérêt du Pays de dire voilà monsieur le Président nous avons tel projet, qu’est ce que vous apportez ?
Imaginons que demain M. QUEYRANE ne donne pas une aide à un gros projet prévu, il va en prendre plein la figure. D’autant plus que sur le terrain il y a un élu communiste et un élu front national. A partir de là si vous voulez comment se situe la population, comment elle va réagir, ça c’est un vrai problème, comment les maires vont traiter avec les élus du FN et du PC ? Comment cela va se passer, je le vois bien. Le parlementaire que je suis, va certainement jouer le rôle de récepteur d’un certain nombre de dossiers et de projets. Les maires vont dire, on fait comment avec la Région, ou ils vont faire appel à d’autres conseillers régionaux qu’ils ne connaissent pas. Il va se créer des nouvelles relations de travail, différentes, c’est une nouvelle donne. Je ne suis jamais inquiet ou surpris par la vie politique. »
Entretien n°21 du 19 avril 2004’

Dans le Roannais la situation est plus nuancée. En effet, Christian AVOCAT, un des deux élus régionaux PS référent CDPRA et CTEF, est un des premiers opposants à l’actuel député maire Yves NICOLLIN. Dans le système local, il est un acteur qui compte. Il a toujours été proche de Jean AUROUX, tant au ministère du travail de 1981 à 1986 comme collaborateur, qu’à la mairie de Roanne comme adjoint jusqu’à 2001. Il n’a plus la main sur les choix du CDPRA dirigé par un chef de projet proche de messieurs CLEMENT-FROMENTEL et NICOLIN. Mais il peut jouer de ses différentes positions de minoritaire ou majoritaire pour se faire porte parole soit des intérêts de la Région, soit des intérêts du Roannais sans jamais oublier les siens propres. Aujourd’hui, la donne politique a changé. Les élections municipales de 2008 ont donné la majorité à la liste PS conduite par Madame Laure DEROCHE. Christian AVOCAT est le nouveau président de Grand Roanne Agglomération depuis le 18 avril 2008286. Il est désormais plus à son aise pour articuler les différentes procédures à l’œuvre sur le Roannais.

Notes
286.

www.forez.info.com « Christian Avocat élu à la présidence du grand Roanne ». Consulté le 10 décembre 2008.