Les petits élus, dépendants des relations et ressources des notables, semblent accepter les grandes orientations du Pays sans résister. Cependant, ils ne sont pas totalement dépourvus de marge de manœuvre. On constate bien une asymétrie du pouvoir liée à la faiblesse des moyens des communes rurales et de la nécessité pour leurs maires d’entrer dans des dispositifs de coopération intercommunale qui leur échappent en partie. Mais la domination est aussi une relation qui place le dominé en situation de négociation d’avantages personnels pour permettre au dominant d’étendre son emprise. A ce titre les relations entre les petits élus représentants les communautés de communes entourant l’encore communauté de communes de l’agglomération de Villefranche désormais communauté d’agglomération sont révélatrices.
Pour atteindre le seuil de 50 000 habitants, deux possibilités s’offrent aux édiles de la communauté caladoise : laisser faire la démographie, ce qui peut être relativement long ou s’associer avec une commune voire une communauté de communes voisine. Un marchandage s’engage entre les élus de la communauté de communes de Beaujolais Nizerand Morgon et les instances dirigeantes de la communauté de communes de l’agglomération de Villefranche sur Saône. Dans cette situation, c’est le dominant qui est en attente, il ne pourra parvenir à son dessein que si le dominé consent à se placer sous son aile. La négociation apparaît alors sous un autre jour : c’est à l’élu dominant d’adopter un profil bas, de montrer qu’il est là pour promouvoir l’intérêt des petits élus et de leurs communes, de les associer à des projets communs, de leur montrer de la considération et du respect.
‘« R Ils ne pourront le faire que s’ils prennent toute leur place dans cette communauté, sans être considérés comme un apport matériel ou autre, donc une considération entière ».Il doit, dans un marché de dupes, convaincre qu’il n’a aucune volonté hégémonique sur le territoire, mais, au contraire, qu’il cherche à fédérer les intérêts de la ville centre et des communes voisines. Il offre des opportunités comme en témoigne la présidente de la communauté de communes rurales concernée :
‘« R (Villefranche) Qui cherche à devenir agglomération, qui nous sollicite beaucoup, qui souhaiterait qu’on adhère à cette communauté d’agglomération. Alors, on y a été très hostile à un moment donné parce qu’on nous a présenté cette communauté d’agglomération, je dirais, ... mal. On venait nous chercher pour faire le nombre, mais sans jamais nous présenter ce qu’on pouvait faire ensemble. Nous aussi, on est inquiet pour nos impôts locaux, pour nos contribuables. Moi, je veux bien appartenir à une communauté plus importante que la mienne, mais je veux savoir à quels engagements je me prépare.Cette capacité politique des petits élus s’inscrit plus globalement dans une organisation du travail politique qui hiérarchise les élus, sans hiérarchie institutionnelle. C’est cela au fond le consensus sur lequel repose tout cet édifice politique local en recomposition.
Consensus et conservation du pouvoir
C’est sur les conditions de sa négociation qu’il faut se pencher. Le consensus n’est pas défini comme une simple solution molle à laquelle personne ne s’oppose. C’est d’abord une façon de définir les pratiques, de faire émerger les rôles nécessaires à la décision collégiale qui est le résultat du travail d’élus profondément ancrés localement. Bien que les échéances électorales de 2001 et de 2008 aient contribué au renouvellement des élus municipaux, soit par rajeunissement, soit par alternance, généralement, on retrouve les mêmes personnalités des CGD aux CDPRA. Cette longévité politique tient à leur capacité à se positionner en acteurs incontournables du système politique local. Ils peuvent ainsi « réaliser l’indispensable lien entre les trois scènes de la négociation qui s’engage avec le contrat : la scène locale et intercommunale, avec le sésame d’un mandat municipal fort et son relais par la présidence d’un EPCI, la scène départementale, les conseillers généraux ayant su rendre incontournables les solidarités de canton, et bien entendu la scène régionale, base de l’expérimentation »287.
‘« R Il y a eu une espèce de prise de conscience qu’on pouvait faire des choses ensemble. On arrive à bien se connaître, maintenant on est 13 communautés de communes qui constituent le Pays, mais on voit au fil des comités de pilotage, les relations se font et les actions transversales commencent à émerger ».Consensus et effet d’aubaine
Une seconde donnée structurelle intervient dans la gestion consensuelle du contrat, c’est la disette budgétaire. En période de diminution tendancielle des dotations de l’État, les petits élus ont intérêt à s’engager dans la conduite de projets qui leur échappent en partie, mais qui sont synonymes de financements pluriannuels relativement stabilisés. L’effet d’aubaine liée à l’intégration en Pays est le bienvenu, c’est sous ce jour qu’il est décrit par un bon nombre d’élus et de techniciens.
‘« R Non, il y a eu le CGD, le Pays qui prend le relais, alors on n’a pas eu le couteau sous la gorge, mais c’est aussi une façon d’obtenir des subventions. On n’a pas le couteau sous la gorge. Mais ou vous vous mettez en Pays pour obtenir les subventions ou vous n’êtes pas en Pays et vous n’avez pas les subventions. Il y a quand même une incitation pour qu’on se mette ensemble pour qu’on puisse bénéficier des subventions ».L’effet d’aubaine serait même le trait marquant de la démarche Pays, ce qui relativise fortement sa portée intégratrice et sa vocation à planifier le développement territorial.
‘« R Mais fondamentalement, le Pays c’est la contractualisation entre la Région et les communautés de communes. Pour les communautés de communes, il s’agit essentiellement d’effet d’aubaine. Je ne vois pas une action nouvelle qui n’aurait pas déjà été programmée par les collectivités territoriales.L’effet d’aubaine souligne l’ambivalence de l’intégration intercommunale au sein du Pays. Le CDPRA ne serait qu’un moyen parmi d’autres d’obtenir des subventions régionales pour financer l’aménagement de la place du village ou rafistoler le toit de l’Église. Alors, on ne se situerait plus dans la construction d’un intérêt commun à plusieurs EPCI à l’échelle d’un territoire intégré. Mais, c’est l’intérêt municipal et des maires qui serait premier.
‘« R2 (Le Pays). Ça peut être un formidable outil de développement local comme une machine, un tiroir caisse qui n’apportera aucune plus value au niveau stratégie ou concertation. Tout reste ouvert.DE SEVERAC C, JOUVE B, VANIER M., article cité, p 235.