Servir l’intercommunalité sans desservir les communes

Cette ambivalence consiste à servir l’intercommunalité sans desservir les communes tout en respectant les consignes régionales de transversalité. En effet, la logique d’intégration différenciation propre au contrat de développement est subtile. Si le CGD avait réussi à consolider l’intercommunalité en intéressant les communes par le financement de leurs projets, la Région en mettant l’accent sur le financement des actions transversales instille un doute sur le bien fondé du Pays et de la coopération intercommunale :

‘« R Par contre, ce qui est très dommageable dans le Pays, ce sont les relations entre les communes et les communautés de communes, parce que dans le cadre du CGD, les communes avaient été extrêmement associées dès le départ, c'est-à-dire : faites moi remonter vos projets, les projets communaux sont éligibles, donc il y avait un réel travail sur le territoire, la communauté de communes avait centralisé, avait joué son rôle de coordonnateur d’actions communales, on avait transposé ça au sein du CGD avec l’ensemble des communautés de communes, il y avait un réel partenariat. Cette fois-ci la Région dit : pour le Pays Roannais, il n’y aura aucune action communale éligible cette année, ce n’est pas la peine d’interroger vos communes, seules les actions transversales seront retenues, seules les maîtrises d’ouvrages intercommunales seront retenues, etc.…. Donc nous, on n’a pas interrogé nos communes. Et tout d’un coup, patatras, le dernier conseil intercommunautaire, on a voté le budget, on est venu à parler du Pays, alors c’est pas normal qu’on ne soit pas associé, faites nous remonter des actions qui pourraient être éligibles. Et du coup, nous communautés de communes on a perdu beaucoup de crédibilité par rapport aux communes et au projet contractuel. Le FEDER, il n’y a plus d’argent, le Pays il n’y a pas d’argent pour les communes, elles se demandent à quoi elles servent. Moi, depuis que le Pays roannais fonctionne moins bien, moi, je le ressens au niveau du conseil communautaire, il y a plus de tensions. »
Entretien n°15 du 30 mars 2004’

Ainsi, en forçant trop sur le caractère transversal des opérations éligibles au contrat, la Région perturbe l’équilibre intercommunal et ajoute une difficulté supplémentaire à la prise de décision.

‘« R Sur d’autres lignes d’actions comme la ligne 19 qui était l’équipement des communautés, c’était la ligne où chaque communauté pouvait se retrouver dans des investissements d’équipement pour chacune de ses communes ou par chacune des communautés. Donc là, y a eu un inventaire, chaque communauté a fait un inventaire, a apporté un document où y avait des projets équivalents à dix fois l’enveloppe disponible. A partir de là, y a d’autres critères qui ont été évoqués, en disant, qu’il fallait regarder caractère intercommunal. Bon, la Région avait aussi certaines exigences. Bon, si on dit : on veut subventionner trois salles de sport, la Région dit : y a peut être une réflexion à avoir au niveau de la communauté, voire en faire qu’une, qu’elle soit plus grande et qu’elle serve à plusieurs communes. Y a eu un retour dans chaque communauté et puis, avec en filigrane, tout le monde a des projets, mais l’enveloppe doit être partagée de manière plus ou moins équitable, même si on n’a pas défini à l’euro près la somme qui devait être attribuée. Bon, y avait un peu cette idée de répartition équitable entre les communautés. A partir de là, chaque communauté a du élaguer ses projets pour arriver grosso modo à ce que chaque commune pouvait réaliser. Donc y a eu consensus, y a pas eu de problème, bon c’était d’autant plus facile dans l’ancien contrat que chaque communauté, c’était un peu une volonté dans l’ancien contrat, le Grand Roanne et la plus petite communauté, chaque communauté était représentée pareil, chaque communauté avait deux représentants. »
Entretien n°5 du 15 mars 2004’

Collégialité et intercommunalité

Cet équilibrisme gestionnaire tient au mode de désignation du président d’EPCI. Avec l’intercommunalité, et contrairement à la commune288, le lien direct entre la population et le président de l’EPCI n’existe pas. Aussi ne doit-il sa légitimité qu’au collège des conseillers représentant les différentes municipalités qui composent la communauté intercommunale. Cette « déprésidentialisation» de la fonction représentative redonne du lustre à la coopération et à la collégialité qui sont des principes d'action au niveau intercommunal. D’ailleurs modifier l’équilibre politique et le régime de représentation existant peut être risqué pour cette construction en équilibre instable. L'élection au suffrage universel du président d'EPCI pourrait jouer à contretemps de cette évolution. Lorsqu’est abordée cette question, le même argument est avancé quelle que soit l’appartenance partisane des présidents d’EPCI. La crainte d’une opposition politique partisane entre le maire de la ville centre et le président d’EPCI qui jouiraient tous deux de la même légitimité électorale.

‘« R L’élection au suffrage universel des représentants des EPCI, on va voir comment ça va se dérouler. Les quelques pistes qu’on a vues risquaient de créer des distorsions entre les majorités municipales et leurs délégations à la communauté de communes, enfin bon. Alors disons que le système actuel n’est pas mauvais en soi, mais je crois qu’il faut qu’il y ait des règles précises de communication interne qui engendreront des frais, mais les frais c’est des moyens, à la rigueur c’est une photocopieuse plus puissante et peut-être quelqu’un pour faire la photocopie, mais faire circuler l’information c’est important. Toute information d’une strate supérieure est diffusée à une strate inférieure, ça c’est la règle que j’ai mise en place et toutes commissions extérieures auxquelles siègent des gens, des délégués de notre structure, c’est rediffusé au niveau inférieure. Y a une diffusion pyramidale de l’information. Oh, ça vaut ce que ça vaut, mais je veux dire, c’est le minimum. Je sais que dans certains secteurs, c’est négligé. Mais je sais que nous ce qu’on a mis en place ce n’est pas forcément efficace à 100 %, mais je crois que pour le moment, c’est de ce côté-là qu’il faut chercher les solutions. »
Entretien n° 4 du 12 mars 2004
« R Je n’y suis pas favorable en l’état actuel parce qu’il faut que les mentalités aient évolué, qu’on ait une reconnaissance des territoires, et ça c’est une mini révolution. Cela veut dire que le maire est en fait le chef d’un échelon administratif, qui se voit coiffé par une nouvelle structure administrative qui a un super maire, un président de communauté de communes élu au suffrage universel. Et qui peut conduire à des politiques contradictoires. Alors aujourd’hui, je reste favorable au mode de désignation au second degré. La communauté de communes et d’agglomération est l’émanation de différents conseils municipaux. Ça évite les problèmes politiques qui pourraient survenir, le président de la communauté d’une couleur, le maire de la ville principale de l’autre et à partir de là ça devient ingérable. »
Entretien n°21 du 19 avril 2004
« R Je pense que ce sera plus au niveau des élus communaux qu’il y aura un problème. On a l’impression que si on va dans le sens de l’élection au suffrage universel direct, ça sera un peu compliqué. Parce que la communauté de communes, ce ne sera pas les mêmes élus, alors il y aura des décisions qui seront prises par les élus communautaires qui ne correspondront peut être pas aux actions prises au niveau des décisions communales. Et on a l’impression que quand ça avait été évoqué au niveau des assemblées générales des maires de France, il y avait plus des 3/4 des maires qui étaient opposés à cette élection au suffrage universel direct, plus des 3/4 alors qu’à Paris, la décision c’était pratiquement d’aller à l’opposé de ce qui se décidait au niveau des élus. C’est un peu comme si celui qui ne serait pas élu maire tenterait sa chance au niveau de la communauté de communes, c’est un peu le sentiment des maires du Département. Ensuite que ce soit en compétence avec le Conseil général, je pense pas parce que ce ne sont pas les mêmes compétences. Bon il y a des secteurs où les communautés de communes recoupent les cantons. »
Entretien n°14 du 30 mars 2004’

A partir de ces quelques exemples, on observe que la gestion des CDPRA et leur articulation avec les autres dispositifs d’action publique territoriale se traduit par une division du travail politique consensuelle. Il s’agit d’une organisation qui refuse la hiérarchie institutionnelle mais qui admet la hiérarchie entre élus. Dans ce mode de fonctionnement, chaque élu, quelque soit son rang, qu’il soit dominant ou dominé dispose toujours d’une ressource qu’il peut opportunément mettre en jeu. Aussi, hiérarchiser les institutions pourrait rigidifier les règles du jeu. Réduire ce risque est l’enjeu de la cristallisation du consensus dans les règles d’action de la structure porteuse du CDPRA et les mécanismes d’intégration des procédures complémentaires comme le CTEF et le contrat d’agglomération.

Notes
288.

GREMION P. op.cit., p 418. « (.) La communauté lors des élections municipales, se prononce d’abord pour sur un maire et sur sa personnalité. Ce n’est pas, suivant le schéma constitutionnel, le Conseil municipal qui est la source de légitimité du maire, mais à l’inverse c’est souvent la légitimité du maire qui est première et c’est de lui que dépend la légitimité du Conseil. Le maire tire sa légitimité du contact direct avec l’ensemble de la population au-delà de toute structuration de cette population en groupes d’intérêts. Face à ce courant direct établi entre le maire et la population le Conseil municipal est l’expression est l’expression des intérêts organisés de la communauté. Il revient au maire (ou au candidat qui ambitionne de lui succéder) d’établir un certain "dosage" des groupes d’intérêts au sein de la communauté (les agriculteurs, les artisans, les retraités, etc.).

La supériorité structurelle de la commune rurale est que du fait de la dimension, la municipalité exprime la collectivité à travers ce double canal de la formation et de la légitimation des décisions collectives »