3 La gestion consensuelle du Pays se cristallise dans sa structure porteuse et les mécanismes d’intégration.

Statut juridique de la structure porteuse : les cadres de l’intégration

Ce qui est en jeu ici, c’est la légitimation du système de pouvoir multi-niveau qui gère le contrat de Pays et nourrit l’intégration intercommunale. C’est par le lissage des oppositions partisanes et une répartition équilibrée des financements que la formalisation des relations de pouvoir laisse à chaque EPCI, en particulier à la ville centre, communauté d’agglomération, la possibilité de promouvoir son propre développement en coordination avec les autres communautés de communes constituant le Pays. La problématique de la coordination semble prendre le pas sur celle du contrôle. Cependant, la stratégie de développement ne trouve cohérence et efficacité que dans un leadership affirmé.

Dans le Pays Roannais qui a opté pour le syndicat mixte ouvert et dans le Pays Beaujolais qui a retenu la convention entre EPCI, la ville centre dispose d’un plus grand nombre de représentants que les autres communautés de communes. Mais cette répartition est plus symbolique qu’elle ne permet de peser réellement sur les majorités.

Le cas Roannais

Pour Roanne la coopération intercommunale est ancienne. Elle a été une des premières villes de France à se structurer en communauté d’agglomération avec six communes voisines pour regrouper 73 000 habitants. Elle a pris une part importante dans le bon déroulement du CGD en se plaçant, en termes de représentation, sur un pied d’égalité avec les communautés de communes participantes, bien que Christian AVOCAT, adjoint au maire de Roanne en était le chef de projet.

‘« Une animation de partage, c’est très important. Que ce soit avec les socioprofessionnels, les chambres consulaires, des associations, une équité entre les communautés de communes et l’agglomération, ce qui était un choix politique très fort. On met deux représentants de l’agglomération, comme on met deux représentants pour la plus petite des communautés de communes. Cette égalité a pu permettre de décoincer un certain nombre de situations, c’était plus facile de collaborer ».
Entretien n°31 du 7 décembre 2006’

Le changement de majorité municipale, en 2001, fait éclater cet équilibre politique et symbolique. La mécanique d’intégration à l’échelle du CDPRA s’enraye. Le Grand Roanne revendique quatre représentants au sein des instances dirigeantes du Pays au lieu de deux auparavant289. Même si les communautés de communes comptent 20 délégués sur les 25 du syndicat mixte, la confiance est ébranlée. D’autant plus les nouveaux dirigeants de la ville centre entament une procédure de contrat d’agglomération qui renforce la défiance des partenaires. Le contrat d’agglomération est perçu comme concurrent du contrat de Pays qui manifeste non seulement une volonté hégémonique du Grand Roanne, mais aussi une tentative de faire cavalier seul, le Grand Roanne se délestant de son arrière Pays.

‘« R On essaie, on essaie. C’est justement tout l’enjeu de ce Pays. On a l’impression d’être aspiré. Rien qu’au niveau du contrat d’objectifs, la Région nous annoncé que 14 millions d’euros seraient alloués au Pays roannais sur cinq ans. Sachant que le grand Roanne a son contrat d’agglomération et qu’il essaie de se positionner et de garder pour lui dix millions d’euros.
Q Sur ces 14 ?
R Oui, voyez ce qui restera aux ruraux. Je ne veux pas vous cacher qu’il y une guéguerre. C’est pour ça que nous on a intérêt à monter des projets structurant et développant avec des retombées économiques pour qu’ils soient acceptés au niveau de la Région. »
Entretien n°3 du 12 mars 2004’

Ce passage en force fait fi des règles élémentaires de l’intercommunalité. En effet, « un des facteurs essentiels de la réussite de la coopération intercommunale est le respect très scrupuleux des équilibres politiques locaux.(…) Les décisions intercommunales (…) sont, par nécessité, objet de compromis savants et bien dosés, ce qui peut laisser imaginer beaucoup d’immobilisme à un observateur peu averti. Aussi est-il important que n’apparaissent pas clairement des tentatives d’hégémonie trop marquée de la part d’une tendance politique ou d’une commune.(…) Un syndicat intercommunal se doit, en toute circonstance, de conserver une image de neutralité politique. Il ne doit à aucun moment être partie prenante des joutes électorales » 290.

Mais les règles de l’intégration étant plus fortes, le Pays retrouve son rythme de croisière, « la volonté d’avancer ensemble » l’emporte sur les enjeux partisans et les luttes institutionnelles.

‘« R Je dirais, que quand l’ancien chef de projet qui s’appelait Bernard JAYOL a souhaité laisser sa place, alors là, il y a eu un peu de tensions quand j’ai été élu chef de projet. Il y a eu un peu de tension politique parce qu’on n’est pas du même bord. Bon, c’était un peu une reprise des choses. Actuellement, dans le cadre du syndicat mixte, il y a une représentativité politique de tous les bords, mais on est tous là pour faire avancer les choses. Je pense que les choses sont bien calées. »
Entretien n° 14 du 30 mars 2004
« R Non, enfin oui, il y a des relations qui se créent, mais c’est pas facile au niveau du territoire de s’allier parce qu’il y a aussi l’appartenance politique des uns et des autres. Non je pense qu’on pourra se faire entendre au niveau de la Région si on a des projets structurants d’envergure. Nous, Côte roannaise, c’est là dessus qu’on va travailler pour démontrer qu’on a des projets d’envergure à mettre en place. L’école de musique de la Côte roannaise est un bon exemple. On a une école de musique qui fonctionne très bien, qui a des effectifs en augmentation constante, qui est reconnue comme pôle d’excellence musicale. Des enfants qui sortent de cette école parviennent à accéder au conservatoire. Aujourd’hui, on est en train de montrer qu’il faut doter cette école de moyens physiques, d’un pôle fédérateur, voilà comment on travaille. On ne va pas lutter contre les projets du Grand Roanne, on va défendre nos projets en montrant qu’ils sont structurants pour le territoire et qu’on veut les voir afficher au Pays. »
Entretien n° 3 du 12 mars 2004’

Un comité de liaison entre les comités de pilotage du Pays et du Grand Roanne est mis en place. Composé d’agents de développement et d’élus de toutes les parties au CDPRA il donne lieu à des réunions houleuses. Mais d’outil de surveillance mutuelle, le comité de liaison devient le point d’ancrage des deux procédures.

‘« R. On a bien vu quand on a passé la partie agglo. Toutes les communautés de communes ont pu s’exprimer. L’agglo avait ses quatre représentants, ce qui n’a pas fait « pencher la balance » en faveur de l’agglo. Mais c’était aussi pour montrer, il me semble, que l’agglo a un certain poids. Donc d’avoir quatre représentants, au niveau de l’agglo, même s’il y a eu une demande pour en avoir plus, bon ça me paraît assez équilibré. Pour moi, ça ne pose pas de difficulté. Alors, comme je suis chef de projet du Pays roannais, j’ai souhaité qu’on mette en place un comité de liaison avec le contrat d’agglo, parce que c’était quelque chose qui était un peu flou. Et de mettre en place un comité de liaison ça permet d’articuler la communauté d’agglo et les communautés de communes. Alors, on peut dire aussi que l’agglo est un peu plus en avance que le Pays, mais l’agglo c’est une communauté où les élus ont l’habitude de travailler ensemble, mais le reste, le Pays, c’est dix communautés de communes qui travaillent déjà dans leurs communauté de communes et qui doivent travailler dans un autre endroit, donc c’est pour ça, finaliser les actions ça va prendre un peu plus de temps. »
Entretien n° 14 du 30 mars 2004
« R Comme une complémentarité. Nous, on est en milieu urbain, le Pays est un peu plus rural, la communauté d’agglo a besoin du Pays comme le Pays a besoin d’une communauté d’agglo. On est en totale complémentarité et symbiose. On a d’ailleurs créé, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, un comité de liaison Pays agglomération où on a des élus du Pays et des élus de l’agglomération qui sont aussi de élus du Pays, qui se rencontrent régulièrement et qui font un état d’avancement des projets Pays et projets agglo et qui fixent des priorités en fonction de leurs choix. »
Entretien n°18 du 1er avril 2004’

La Région pèse dans ce rapprochement. Son vice–président Dominique. CHAMBON (UDF) (1999-2004) signifie nettement qu’un contrat d’agglomération non intégré au contrat de Pays ne serait pas signé291. Le poids financier est mis dans la balance. Sur l’enveloppe totale de 14, 5 millions d’euros, 4,5 sont alloués au contrat d’agglomération, le reste au Pays. Le syndicat mixte « Le Roannais en Rhône-Alpes » est mis en place le 1er janvier 2004, mais le CDPRA n’est signé par Jean Jack QUEYRANE, Président de l’exécutif régional, Didier JOUVE (Verts) vice président délégué à l’aménagement et à l’animation des territoires, Stéphane BOUILLON préfet de la Loire et André CELLIER (UMP) président du syndicat mixte, que le 21 avril 2006, soit quatre ans après la reconnaissance du périmètre d’étude par la CRADT du 15 mars 2002292. Cette signature tardive prive le CDPRA de la très modeste participation de l’État au titre du volet territorial du CPER, la date butoir ayant été fixée au 30 juin 2005. Le préfet de la Loire en est réduit à inaugurer les chrysanthèmes en rappelant que « le Roannais doit s’imposer en tant que porte de la région Rhône-Alpes avec l’A 89 et la RN . Une entrée d’un territoire qui doit être dynamique. Nous devons avoir une industrie compétitive, être présent dans les pôles d’excellence rurale et de compétitivité. Cela représente beaucoup de contrats qui permettent de discuter tous ensemble » 293 .

On relève évidemment l’absence du président du Conseil général chez les signataires. La raison est simple : le Département ne participe pas au financement du CDPRA, mais il tient encore le Pays sous son influence.

‘« R 1 Le Département nous aide, mais il se limite à ses compétences obligatoires. Il n’ira pas plus loin. Vous savez, il y a eu des grandes passes d’armes sur l’histoire du bureau, sur les documents d’invitation, on n’a pas mis le logo du Conseil général. C’est un prêté pour un rendu. Le Département n’a pas voulu faire un engagement sur cinq ans comme la Région. La Région accompagne cinq ans, le Département l’accompagne en fonction de ses lignes classiques. »
Entretien n°27 du 19 juin 2006
« R 2 Pour notre Pays roannais, il y a eu la gauche, puis la droite, le chef de projet était de gauche, maintenant il est un élu de la majorité départementale de droite. Avec au sein du bureau du syndicat mixte, la présence des élus des deux bords, mais on sent du côté de la société civile où je me place une lutte d’influence entre les élus de la Région et les élus du Département. Mais au sein du Pays, les élus doivent dépasser cette division pour agir dans le véritable sens de la loi Voynet et du développement durable, prévoir l’avenir du territoire au-delà des appartenances politiques. Je sais que les échéances électorales vont freiner cela ».
Entretien n°27 du 19 juin 2006’

Dans le Beaujolais

Dans le Pays Beaujolais, l’intercommunalité est inégalement pratiquée. Stratégie de défense et effet d’aubaine la conditionnent fortement. La structure porteuse du CDPRA a pris la forme juridique d’une convention entre EPCI. Elle est autant le fruit de la concurrence entre élus UMP, UDF et radicaux valoisiens qu’elle ne marque une volonté symboliquement forte de mettre en avant les communautés de communes. Cette convention traduit localement une « paix armée » entre messieurs Bruno CHARVET, Président du CDPRA, Bernard PERRUT Député Président de la CAVIL, et Bernard FIALAIRE, Président de la communauté de communes du Val de Saône, Conseiller général sous l’étiquette du parti radical valoisien.

Le compromis obtenu permet à chacun de revendiquer la paternité de cette nouvelle coopération. L’association touristique présidée par Bernard PERRUT donne son nom à ce nouveau territoire. La communauté d’agglomération de Villefranche emploie les chargés de mission du Pays Beaujolais « territoire de projet » et Bruno CHARVET devient le président du comité de pilotage du Pays Beaujolais.

‘« R Le comité de pilotage qui réunit les 13 présidents de communautés de communes a confié à l’un d’entre nous, en l’occurrence M CHARVET, le soin de piloter les réunions, mais ça pourrait être moi ou un autre, mais ce n’est pas forcément mon souhait d’ailleurs. Et si vous voulez, le but c’est qu’on s’organise entre nous. Je ne vais pas vous dire que c’est l’idéal parce que le contrat de Pays et le Pays est encore trop la compilation de petits projets, de projets qui n’ont pas encore la dimension à l’échelle du Pays. A mon avis, dans le Pays, devraient être retenus, avant tout, des projets complètement transversaux. Il devrait y avoir moins de projets locaux et plus de projets transversaux comme l’économie, les communications, le tourisme. Le tourisme, c’est transversal, c’est pour cela que le Pays Beaujolais touristique a été le vecteur de ce Pays Beaujolais. »
Entretien n°21 du 19 avril 2004’

Mais ce compromis a également une portée symbolique forte : ce sont les EPCI qui sont responsables solidairement du développement intégré de ce territoire en recomposition. Non pas une nouvelle structure juridique plus dure comme un syndicat mixte qui viendrait surplomber le jeu intercommunal.

‘« R1 La lecture politique est claire. On a clairement dit et affirmé dans la convention que ce sont bien les communautés de communes, qui, solidairement, ont la compétence pour représenter le Pays, que le comité de pilotage qui n’est pas une instance juridique, est l’autorité politique du Pays. Le président du comité de pilotage est l’autorité politique du Pays, il est légitimé. Y a rien qu’à voir comment s’est passée son élection y a dix jours, y a vraiment un soutien politique fort des communautés de communes et des milieux socio professionnels pour ce président de comité de pilotage. Quelque part on fonctionne en ticket dans ce comité de pilotage, parce qu’il y a le président du comité de pilotage, M CHARVET et puis y a aussi le président de la structure qui porte l’animation qui est le président de la communauté de communes de Villefranche, M PERRUT. Mais quelque part, y a une légitimité politique avec deux nouveaux vice-présidents, un pour le secteur Ouest TARARE, un pour le secteur val de Saône. Cet exécutif politique collégial a une vraie légitimité politique. Alors est-ce qu’il y aurait une légitimité politique plus forte avec une structure plus intégrée comme un syndicat mixte, on s’est posé la question. Je suis pas sur que les syndicats mixtes qui ont été créés en Rhône-Alpes, par exemple le syndicat mixte du Roannais ayant accouché dans la douleur, je suis pas sûr qu’il ait une plus grande légitimité politique, parce qu’y a eu des compromis, des tractations, qu’on n’a pas été obligé au sein de notre structure virtuelle. »
Entretien n° 10 du 22 mars 2004’

L’option de la convention entre EPCI ne signifie pas que la volonté politique intégratrice soit moins forte que dans un syndicat mixte. La rapidité de la procédure peut en témoigner malgré tous les jeux de pouvoirs constatés. La charte du Pays Beaujolais est approuvée en avril 2003, son périmètre reconnu définitivement par arrêté préfectoral le 7 novembre 2003, le contrat validé en commission permanente du Conseil régional le 5 mars 2004 pour la période 2004-2009. Il est le premier territoire de projet à signer son contrat avec la Région et l’État. Depuis 2006, la ville centre, Villefranche sur Saône prépare son contrat d’agglomération pour 2008-2010. Elle s’inclut dans le réseau de villes de Rhône-Alpes en appui sur son arrière Pays. La volonté politique est claire : il s’agit de constituer un pôle territorial intégré ayant sont mot à dire à l’échelle de l’aire urbaine lyonnaise. Comme le précise le président de la CAVIL dans une déclaration à la presse locale:

‘« Outre les aspects liés aux compétences et au renforcement des aides financières de l’Etat, l’agglomération de Villefranche sera désormais reconnue comme un pôle d’équilibre et de développement au sein de la Région et pourra faire entendre la voix du Nord du Département tout entier dans le cadre du réseau des villes et agglomérations de Rhône-Alpes qui réunit régulièrement les responsables des principales collectivités avec les présidents du Conseil régional et des Conseils généraux» 294.’

A l’instar du Pays Roannais, les conflits partisans s’épuisent dans la gestion du contrat et la constitution de ce pôle au Nord du Département du Rhône.

‘« R1 Au comité de pilotage, les 13 présidents de communautés de communes, ils savent tous ce que pense l’autre, ils connaissent la position parce qu’elle a été exprimée. Après ils disent : bon,est-ce qu’on reste en conflit ou est-ce qu’on essaie d’aller un petit peu plus loin. ?»
« R2 Y a quelque chose que j’ai toujours apprécié dans le cas des différents contrats que j’ai suivis, même si le développement s’est politisé, les élus n’ont jamais affiché ouvertement leur positionnement politique pour faire passer les choses. Ça c’est clair. »
Entretien n° 10 du 22 mars 2004’
Notes
289.

Article 6 du statut du syndicat mixte « Le Roannais en Rhône-Alpes ». Il est administré par 25 délégués désignés par les membres adhérents. Quatre représentants pour la communauté d’agglomération, deux représentants par communauté de communes (2x10) et un représentant pour la commune isolée de Saint Alban les Eaux.

290.

MARTIN S. et NOVARINA G., « La coopération entre communes », Les annales de la recherche urbaine, 1985, n° 28, p 73.

291.

Compte rendu de la réunion du 21 mars 2003. Intervention du Conseil régional sur les procédures de contrat de Pays et d’agglomération publié sur le site http :www.cgdduroannais.com. Consulté le 15 janvier 2006.

292.

Arrêté préfectoral du 22 mars 2002 sur la définition du périmètre d’étude.

293.

LEPITGALAND D. « Le Pays Roannais : une porte en Rhône-Alpes » www.leprogres.fr , édition du 23 avril 2006

294.

GUTTIN LOMBARD F. «La communauté d’agglomération est née» www.leprogres.fr , édition du 17 décembre 2005.