Le comité de pilotage est un club de présidents d’EPCI qui tranchent entre les desideratas de la multitude d’élus représentant des intérêts divergents. Il est doté d’une direction, instance représentative du Pays, d’un ensemble de personnes instituées pour agir dans le sens défini par le groupement politique territorial qu’est le Pays. Il ne s’agit pas d’une simple relation sociale entre élus, il y a bien une activité dont le déroulement est défini par un corpus de règles propres au groupement. Le groupement est autonome fixant lui-même son propre règlement et autocéphale parce qu’il désigne lui-même son représentant qui peut être sous l’influence d’un grand élu. Ces caractéristiques laissent supposer une relative indépendance dans sa capacité à orienter son activité, même si ce groupement est ouvert à d’autres institutions et acteurs qui peuvent influencer ses décisions. Si un chef est choisi entre les différents présidents d’EPCI, son nom inscrit dans les statuts, la pratique de la direction s’éloigne aussi du modèle présidentiel propre aux collectivités locales.
‘« R Alors sur ce qui va être difficile, dans le cadre des dix communautés de communes, il va y avoir des projets apportés par les communautés de communes, il y a une enveloppe financière en face, il va bien falloir, et c’est là que ça va être difficile. Si chaque communauté de communes apporte dix projets, ça fait 100 projets, ça va dépendre des coûts des projets, il peut y avoir des projets tellement conséquents. On va mettre six à sept millions pour les projets des communautés de communes et puis on va garder une enveloppe globale Pays agglo, et bien il va falloir trancher. C’est là que ce sera difficile, mais ce ne sera pas tranché au niveau politique, ce sera tranché au niveau du syndicat mixte. Ensuite il va falloir présenter les actions au niveau de la Région qui va dire, celle-là c’est bon, pas celle-ci. On risque d’avoir des soucis avec la Région. »Modalités d’arbitrage
Avant de passer en séance plénière, les arbitrages ont déjà eu lieu entre les présidents d’EPCI, membres du bureau du CDPRA. Les réunions du bureau peuvent donner lieu à des empoignades, à des oppositions partisanes virulentes, mais comme le précise l’un des anciens chargés de mission du Pays Beaujolais, les élus « sont assez intelligents pour ne pas aller jusqu'au point de rupture ». L’intelligence, c’est ne pas casser une tribune politique non partisane où chaque président d’EPCI peut conforter sa position, sans s’exposer aux risques électoraux.
‘« R1 La version politique je l’avais depuis le départ depuis 1999, c’était clairement une commande politique, l’objectif c’était quand même d’utiliser la démarche Pays aussi comme une plate-forme politique qui n’était pas soumise aux urnes. C’est très clair. Quand le Sous-préfet disait : « Le Pays est au-delà des respirations démocratiques », tout le monde a applaudi des deux mains. Tu te souviens quand BURDEYRON avait sorti ça. Ça a un côté positif, parce que les respirations démocratiques on sait aussi ce que ça engendre en termes de blocages de projets un an avant et un an après. En gros, on quatre ans pour bosser sur un mandat de six ans. Moi je trouve qu’elle était bien cette formule parce ça permettait de donner à une instance un peu fédérative, une sorte de continuum en termes de stratégie territoriale et d’exécution de projet, etc… .C’est le côté positif.Bref, le comité de pilotage illustre la règle du jeu consensuelle. Ce jeu renforce la « solidarité de tous les initiés, liés entre eux par la même adhésion fondamentale aux jeux et aux enjeux, par le même respect (obsequium) du jeu lui-même et des lois non écrites qui le définissent, par le même investissement fondamental dans le jeu dont ils ont le monopole et qu’il leur faut perpétuer pour assurer la rentabilité de leurs investissements, (cette solidarité)ne se manifeste jamais aussi clairement que lorsque le jeu vient à être menacé en tant que tel ».295
Or, la désignation du président de comité de pilotage est un risque pour l’équilibre du jeu. Le Pays, groupement politique territorial à direction collégiale choisit le président du comité de pilotage de manière répondre à l’orientation stratégique que les élus dominants veulent lui donner, sans spolier les élus de second rang. Les qualités propres de la personne qui porte la parole du Pays doivent être compatibles avec les exigences du pouvoir collégial multi-niveau. L’autoritarisme, la visibilité politique que l’on prête aux maires en raison de leur responsabilité directe ne correspond pas aux nécessités du pouvoir collégial qui suppose la capacité à créer le consensus autour d’un diagnostic et d’un accord à ébaucher. Ce qui est un atout dans le type présidentiel peut être un handicap dans le type collégial.
Qualités et choix du chef
C’est d’abord un acteur multi-positionné, mais qui n’est pas un élu de premier rang et ne prétend pas le devenir. Les parlementaires du territoire cumulant un poste d’exécutif local ne se tireraient pas une balle dans le pied en lui offrant un tremplin vers la lumière. Le périmètre du Pays est en effet calqué sur l’arrondissement qui peut recouvrir plusieurs circonscriptions électorales parlementaires. Et puis les clivages politiques ne doivent pas être trop marqués.
‘« R1 Et puis il fait d’ombre à personne, c’est vrai M. CHARVET l’a dit. Aujourd’hui, il n’a pas d’autre ambition. Il veut pas être conseiller général, il veut pas être sénateur, il veut pas être député, il n’a pas d’autres prétentions. En revanche, il est apprécié pour ça, parce qu’il est quand même Président de l’association des maires ruraux, il est administrateur d’un organisme public, il est à la CRADT, à la CDCI. C’est pas par hasard s’il est là. Bon intellectuellement, il la capacité, on peut hurler très fort et rien voir derrière. Il tisse, il fait son bonhomme de chemin sur des dossiers technico politiques. Il ne va pas partir sur des grandes déclarations. »Dans le Pays Beaujolais, Bruno CHARVET, président du comité de pilotage du CDPRA et du SCOT présente le profil politique suivant : cinq mandats de maire, président de communauté de communes, membre de la CRADT, de la Commission Départementale de Coopération Intercommunale, Président de l’association des maires ruraux du Rhône, administrateur de plusieurs organismes publics. Il s’est retiré de la vie politique en 2008. M Daniel PACCOUD président de la communauté de communes Beaujolais Saône Pierres Dorées et maire de Pommier296 le remplace à la présidence du Pays et du SCOT du Beaujolais. M CHARVET est décrit comme un médiateur dont les capacités sont reconnues : qualité d’écoute, dévouement au bien commun, d’une certaine façon l’effacement de l’intérêt personnel au profit de la collectivité.
Voici comment deux chargés de mission du Pays Beaujolais décrivent Bruno CHARVET, président du comité de pilotage :
‘« R2 C’est un médiateur, c’est un négociateur.Bruno CHARVET pourrait être qualifié de leader transactionnel.
‘« R1 Enfin, il affirme des choses, il n’en démord pas, mais il va pas le faire de façon agressive. Parce qu’on a une nouvelle génération d’élus qui ont entre 40 et 45 ans qui ont différentes responsabilités, qui eux, sont capables d’affirmer des choses, manipulateurs mais d’être blessants, d’être manipulateurs, négociateurs, on le prend comme on veut. M. CHARVET, il n’est pas comme ça. Il consulte, il affirme ses positions, il les défend, il nous fait confiance.Ces « qualités humaines » sont également mises en avant par tous les agents de développement du Roannais, quand ils évoquent le fonctionnement du CGD les années passées sous la direction de Christian AVOCAT, ancien adjoint PS au développement économique à la mairie de Roanne, vice président du Grand Roanne. Aujourd’hui, président du Grand Roanne Agglomération, il n’est plus référent du CDPRA et du CTEF Roannais.
‘« R Au groupe permanent du CGD, il y avait Christian AVOCAT conseiller régional de gauche et Philippe MACKE, conseiller régional de droite. Ils se lançaient des boutades sans arrêt sans aucune arrière-pensée, donc vraiment un pilotage politique détendu.»A l’endroit du chef de projet du Pays Roannais, les commentaires sont moins élogieux. Capacité à créer du consensus et immobilisme ne doivent pas être confondus. André CELLIER, président de comité de pilotage du Pays roannais est aussi maire, président de communauté de communes et conseiller général UMP. Il est missionné par le président du Conseil général, M CLEMENT-FROMENTEL pour contrôler le Pays.
‘« R M. CELLIER est un excellent homme de dossier, techniquement. Par contre, il a des petits soucis de communication, d’assise, de charisme, il a été parachuté par le Conseil général sur le Pays roannais, et à mon sens, il est assez jeune en politique, ça fait que cinq ans qu’il est conseiller général et dans des conditions assez particulières. Il a succédé à quelqu’un qui est décédé. Et à mon sens, il n’avait pas encore assez d’envergure et d’étoffe pour assumer ce rôle là. Et du coup, quand on est rentré vraiment dans la politique politicienne à la direction du Pays roannais, il était un petit peu perdu, ça se comprend tout à fait et il a fait extrêmement confiance à l’équipe d’animation du Pays roannais et tout ce que dit l’équipe technique est parole d’évangile. »Par conséquent c’est l’absence d’une vision stratégique pour le territoire au nom de laquelle il prendrait position qui est l’objet de discussions.
‘« R Il faut que les élus aient pris conscience de cette nouveauté. Cette nouveauté n’est pas un nouvel échelon administratif, c’est un échelon de coordination, pas de décision. C’est un endroit où il faut envisager l’avenir de son territoire. D’abord il faut comprendre, il faut avoir conscience qu’on appartient à un territoire. Ce n’est pas le cas actuellement dans le Roannais. La population n’a pas conscience que les Pays existent. Et que le Roannais existe. Certains on n’en pris conscience, mais très peu. Il n’y a pas beaucoup de communication qui est faite là-dessus. Mais là, ça vient essentiellement d’une volonté politique. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de chef de file qui prenne en main ce territoire. »Cette critique revient aussi dans le Beaujolais. Si les qualités requises pour établir le consensus sont reconnues, c’est le manque de vision pour le territoire qui est âprement contesté. Certains agents de développement rêvent du politique idéal comme le décrivent Luc BOLTANSKI et Ève CHIAPELLO à propos du leader de la cité par projets : « Dans la cité par projets, il n’est pas seulement celui qui sait s’engager mais celui qui est aussi capable d’engager les autres, de donner de l’implication, de donner de l’implication, de rendre désirable le fait de le suivre, parce qu’il inspire confiance, qu’il est charismatique, que sa vision produit de l’enthousiasme, toutes qualités qui font de lui l’animateur d’une équipe qu’il ne dirige pas de façon autoritaire mais en se mettant à l’écoute des autres, avec tolérance, en reconnaissant et en respectant les différences. Ce n’est pas un chef (hiérarchique), mais un intégrateur, un facilitateur, donneur de souffle, fédérateur d’énergies, impulseur de vie, de sens et d’autonomie. » 297
‘« R Mais le problème c’est qu’il n’ ya pas de leader ici. Il faut un élu leader.(.)Mais comme le rappelle à juste titre Martin VANIER, les « fabriques de territoire »298 que sont ces procédures contractuelles territoriales créent plus de postes honorifiques que de réels postes d’autorité. Le statut de président de comité de pilotage ne confère aucune autorité propre à son détenteur, d’autant plus quand il n’existe pas de structure dure qui pourrait constituer un embryon d’appareil de gouvernement. Quand il existe, c’est un homme de paille qui « le dirige ».
‘« R Le problème du Pays, par rapport à l’EPCI, c’est qu’il n’a pas d’autorité. Il n’a pas d’autorité formelle. Les présidents de syndicat mixte, ils ne peuvent rien imposer aux présidents d’EPCI. Un président d’EPCI, compte tenu de la précision des transferts aura la loi avec lui. Éventuellement, il dira au préfet ce qu’ils font c’est illégal. Là on pourra faire du contrôle de légalité. En revanche les Pays, non.Le comité de pilotage est un des lieux d’intégration de la gestion des CDPRA et CTEF. La décision est collégiale, aucun leader ne s’impose tout en respectant les lignes définies par les grands élus parce que c’est en son sein que bon nombre de dysfonctionnements organisationnels doivent être réglés. En particulier la rencontre du fonctionnement bureaucratique de l’État et de la Région avec la structure artisanale des EPCI et du Pays.
Le télescopage des structures organisationnelles est lié à la volonté régionale de territorialiser toujours plus ses interventions. N’étant chef de file en rien, la Région dans une logique subsidiaire cherche à montrer qu’elle est capable de coordonner les champs économiques, de l’emploi et du développement territorial.
BOURDIEU P. « La représentation politique éléments pour une théorie du champ politique ». Actes de recherches en sciences sociales n° 36/37, février mars 1981, p 3-24.
Communiqué de presse du PAYS Beaujolais suite au comité de pilotage du jeudi 15 mai 2008
BOLTANSKI L., CHIAPELLO E. Op.cit. p 172-173.
VANIER M. « Petite fabrique de territoire en Rhône-Alpes », article cité.