B La gouvernance négociée de l‘action publique à la recherche des formes organisationnelles adaptées

La contractualisation de l’action publique299 est un vecteur de changement dans les modalités de sa conception, de son financement et de sa mise en œuvre dans le sens où elle permet à la Région en particulier de légitimer ses interventions. Pour Jean Pierre GAUDIN, « la dynamique politique de la décentralisation et la pratique des financements « croisés » font que, de génération en génération de CPER, les Régions se sont d’abord positionnées en complément sur des compétences classiques de l’État, puis ont proposé des initiatives propres ou des contributions nouvelles, et qu’elles ont fini par revendiquer et conquérir des compétences supplémentaires… Ce qui ne déplaît pas forcément à un État qui cherche de son côté, à garder des marges de manœuvre financières et à alléger ses engagements (surtout en période où il annonce des réductions d’impôt). Le contrat de plan est donc une démarche qui a attiré ou orienté vers les régions des compétences élargies» 300 . Cette évolution se traduit par la déclinaison territoriale du CPER dans des dispositifs territoriaux, comme les Pays et les CTEF. Ce qui importe, c’est la manière dont la division du travail s’y pratique. Idéalement, ils visent à substituer la logique de projet territorial à la logique sectorielle de compétences administratives, divisées entre les collectivités territoriales et les services déconcentrés de l’État. En s’appuyant sur l’expérience de l’intercommunalité, la définition et le respect de l’intérêt collectif dans les structures porteuses –syndicat mixte ou conventions entre EPCI-, ces dispositifs posent la question du territoire au sens du développement local dans une logique « bottom up » plutôt que la territorialisation entendue comme application locale d’une politique sectorielle nationale.

Dans le premier cas, les projets de développement émanent et sont portés par les acteurs locaux publics et privés, en partenariat avec les services déconcentrés de l’État, dans une logique transversale et ascendante.

Dans le second cas, il s’agit d’appliquer une politique décidée et pilotée depuis le niveau central dans une logique descendante à un espace administratif de mise en œuvre de politique nationale301. Parfois les pratiques peuvent faire voler en éclat ces constructions idéales typiques.

Le contrat territorial s’il est dit global ou transversal, parce qu’il recouvre plusieurs thématiques et qu’il met en cause les blocs de compétences, ne nie pas complètement la logique sectorielle. Qu’il s’agisse de développer des zones d’activités, de logistiques, de créer des relais petite enfance ou de développer des activités culturelles, les acteurs du territoire ont besoin de l’expertise et de l’expérience sectorielle des services de l’État, comme ils recourent aux compétences d’attributions de la Région pour agir.

L’étude empirique révèle la difficulté de compréhension et de distinction entre les politiques sectorielles et les politiques territoriales. Transversalité, démarche de projet constituent l’armature méthodologique des politiques territoriales dans lesquelles « désectorialisation et localisation sont deux aspects étroitement imbriqués » 302 . On constate que la pluralité des acteurs mobilisés intègre difficilement la méthode territoriale dans leurs modes opératoires.

‘«  Pour nous, l’exercice de développement territorial s’appuie sur un projet de territoire. Et c’est un petit peu la difficulté qu’on a quelquefois avec les acteurs locaux. C’est qu’ils parlent plus volontiers d’actions, d’opérations très précises que de projet territorial, alors que pour nous, il faut d’abord passer par l’exercice prospectif d’élaboration d’un projet qui répond à une spécificité, parce que ce que ce qu’on fait dans un territoire n’est pas forcément ce qu’on fait dans un autre. Et ça, c’est la réponse que peut apporter une politique territoriale. Une politique territoriale, c’est un cadre régional qui s’applique avec des critères à l’ensemble des territoires. Une politique territoriale, ça doit répondre en priorité à une spécificité, et la spécificité du territoire on la retrouve dans le projet territorial. On n’est pas dans la même approche : une politique sectorielle, elle descend, une politique territoriale, elle remonte du terrain. Après il est bien évident, je mets un bémol à ce que vous avez dit, la Région n’a pas volonté de tout prendre. Par contre, elle est capable d’avoir des actions, des réponses sur un sujet qui peut être identique dans chacun des territoires, mais dont les réponses seront différentes parce que les besoins sont différents. C’est toute la différence entre une politique sectorielle et une politique territoriale.
La difficulté des acteurs locaux c’est qu’ils ont plus tendance à aller directement sur la réponse que peut apporter la Région avant de se poser la question de savoir pourquoi ils ont besoin de cela, quels sont les problèmes, les enjeux, les forces et faiblesses des territoires. C’est un peu cela l’exercice de notre métier. Ce qui remonte du territoire et c’est logique, c’est : eh bien on ne voit pas bien la différence. Et nous on dit : la différence on la verra d’autant mieux s’ils ont un projet plus fort. »
Entretien n°20 du 8 avril 2004’
Notes
299.

GAUDIN J.P. Gouverner par contrat : l’action publique en question.- Paris : Presses de Sciences Po, 1999, 233 p. définit la logique contractuelle de la manière suivante : « Pour mieux approcher les contours spécifiques de ces démarches contractuelles qu’on peut aussi appeler des contrats d’action publique, on retiendra toutefois ici trois critères de forme, qui une fois réunis, permettent déjà de préciser les modalités procédurales de la contractualisation et de cerner le champ d’investigation : d’abord, la présence d’un accord négocié sur des objectifs mêmes d’action; puis l’engagement sur un calendrier de réalisation qui s’inscrit, dans un terme moyen, entre l’annualité budgétaire et l’horizon lointain de la planification ; enfin, des contributions conjointes des parties prenantes à la réalisation des objectifs (en termes de financement ou de compétences humaines et techniques) ; le tout inscrit dans un texte d’engagement cosigné par différents participants ».

300.

GAUDIN J.P. L’action publique. Sociologie et politique, Paris Presses de Sciences Po et Dalloz, 2004.

301.

Céreq Bref n°182 janvier 2002, Politiques d’emploi et territoires.

302.

DOUILLET A.C.  « Fin des logiques sectorielles ou nouveaux cadres territoriaux ? » dans DOUILLET A.C., FAURE A. (dir) L’action publique et la question territoriale, Presses Universitaires de Grenoble, 2005, p 275.