Les contradictions organisationnelles des CDPRA et des CTEF.

Le CDPRA fonctionne essentiellement avec son bureau composé des présidents d’EPCI et d’agents de développement. C’est à ce niveau que sont prises les décisions qui ensuite « remontent » pour débloquer la part régionale du contrat. Pour le CTEF, c’est un élu régional qui pilote le dispositif. Autrement dit, il est demandé aux agents de développement et aux élus locaux d’articuler des dispositifs aux logiques contradictoires, l’un ascendant l’autre descendant. Les chargés de mission régionaux avouent leur désarroi devant cette cacophonie territoriale.

‘« R Mais le niveau de décision finale pour les CTEF reste à CHARBONNIÈRES. Effectivement, tout au long de l’année et dans le cadre de nos instances on est en contact avec les acteurs locaux pour orienter, mobiliser en fonction des besoins du territoire, telle ou telle mesure. Mais au final, la décision est prise par la Région. Alors que dans les CDPRA, si ça ne passe pas au niveau du comité de pilotage, cela ne sera jamais délibéré. On peut être en situation de blocage. La place des élus locaux n’est pas la même. Cela fait une grande différence. Il y a deux types de pilotage politique différents. Dans le CTEF, c’est le pilote régional qui fixe la stratégie. Dans le contrat des Pays, c’est le comité de pilotage c’est-à-dire une enceinte d’élus locaux. »
Entretien n°39 du 6 juillet 2007
« R. De fait, on a une dynamique CDPRA où les initiatives viennent du territoire, piloté par un élu local, mais où le rapporteur régional ne sert pas à grand-chose. Et en plus, dans une chronologie qui est complètement aléatoire. Alors que nous, tous les CTEF marchent du même pas, ont été créés en même temps, on se réunit tous les mois pour faire le point. Alors que les CDPRA, il n’y en a pas un qui a été fait en même temps. Donc la chronologie n’est pas la même à partir d’actions qui proviennent de la base, mais pilotées par un élu local. De fait, il y a une sorte de combats entre ces deux logiques. »
Q Comment s’organise la coordination politique entre les dispositifs CTEF et CDPRA? A l’échelon régional, à l’échelon intercommunal ? A quoi sert la charte des CDPRA issue d’un diagnostic territorial qui met en avant les problèmes d’emploi formation ?
R Il y a peu de coordination politique. Il y a eu une réunion seulement. L’autre jour, j’ai demandé qu’on en refasse une. Il y a eu une seule réunion entre les rapporteurs du CDPRA et les pilotes du CTEF et les vice-présidents concernés. Une seule réunion depuis le début du mandat, c’est trop peu. C’est vrai que du coup, comme ce n’est pas très calé au niveau régional, ça ne l’est pas plus au niveau du terrain. J’ai fait procéder à une évaluation sur l’action économique au niveau des CDPRA. C’est en cours, il y aura un rapport là-dessus. Cela va faire apparaître de manière très civilisée ce que l’on dit. Il faudrait absolument que la dynamique des CDPRA soit phasée spatialement et temporellement avec les CTEF. Autrement c’est boiteux. Ou alors, ça va finir par converger et presque fusionner. C’est ce qui est affiché dans la délibération initiale. C’est à dire que le CTEF est la dimension emploi-formation du CDPRA. Ensuite les procédures, comment cela se construit-il ? Quelles méthodes pour construire tout cela ? On n’en est pas là. Ça navigue. »
Entretien n°38 du 28 juin 2007’

Les flux de commandement du CTEF partent des instances régionales vers les acteurs territoriaux. Mais, l’instauration d’un « droit de tirage» en vertu duquel la Région transfère une partie de ses compétences aux acteurs du territoire les autorise à exercer un appel de fonds nécessaires au financement des actions locales. «Dans le CTEF, l’enveloppe déterminée(.), se mettra en œuvre sous la forme de droit de tirage. Cela signifie que la Région jouera pleinement son rôle d’acheteur et d’organisateur de la structuration de l’offre de formation et plus largement de service dans le champ de l’emploi et de la formation, en habilitant les structures dont les capacités à délivrer le service auront été reconnues. Les territoires mobiliseront, de manière souple et réactive, les mesures de la boîte à outils dans le cadre de leur plan d’actions et dans la limite de l’enveloppe qui leur aura été attribuée.» 309

En pratique, la synthèse des diagnostics réalisés par les CTEF sur les besoins en termes de formation, la mise en mouvement des nombreux acteurs créent un flux d’information ascendant qui appelle une réponse de la Région. Or la réponse donnée peut autant être perçue comme une décision régionale que l’obéissance à un ordre territorial. En conséquence ce qui était présenté comme marginal dans le dispositif tend à devenir central dans son fonctionnement.

‘« R Comment dire ? Il faut bien voir aussi qu’à la fois dans les politiques de la direction économique régionale, il y a tout un tas de politiques de droit commun. On peut territorialiser, à l’image d’une distinction classique décentralisation / déconcentration. Il y a deux façons de territorialiser. Donc, il y a une partie des compétences du droit commun qui ne sont pas décentralisées, il n’y a pas un droit local à tirer sur les dispositifs. Pour autant, il y a une traduction territoriale, il y a une montée dans ces politiques de droit commun, par exemple de l’économie, de les territorialiser, c’est-à-dire que la dimension territoriale intervienne, que si quelque chose se passe, on interroge, on demande au pilote du CTEF, au rapporteur du contrat de Pays. Donc on prend en compte la dimension territoriale, mais qui n’est pas une vraie décentralisation. Voilà. Il en va de même pour les politiques d’emploi formation. Il y a une forme de renversement. Le Contrat Territorial Emploi-Formation est créé au départ pour gérer la partie déconcentrée de la DEFC qui est peanuts par rapport à la dynamique d’ensemble. De fait, on crée les instances, comité opérationnel, instance territoriale participative qui ont comme vocation avec les diagnostics d’avoir une vision sur l’ensemble. Après, c’est le point où on en est, il y a un renversement puisque la dimension du moyen, le dispositif conçu pour attribuer du budget devient en fait le principal, par les diagnostics, par l’interface qu’elle fait avec les agents, par la mobilisation au sein de la Région des différentes directions, mais aussi l’État, les consulaires, pourquoi pas à terme les entreprises par l’intermédiaire de la gestion des ressources humaines. Donc, il y a une espèce de renversement de situation assez intéressant. On a un retournement de la chaussette. On a des moyens au service d’une décentralisation financière et en fait c’est le moyen qui devient principal. C’est une procédure de gouvernance avec vocation à s’intéresser à tout, mais avec des leviers étroits par rapport à cela. Alors on ne peut pas avoir 27 ou 44 politiques différentes. C’est le débat économique qu’on a eu entre Didier JOUVE et Jean-Louis GAGNAIRE. Le premier a tendance à dire : les territoires, les territoires et dit que les actions économiques dans les contrats de Pays, ce sont les acteurs locaux qui les décident. Très bien, on leur file des primes pour le développement durable, pourquoi pas ? Le deuxième dit : à la direction économique, on a voté un schéma régional de développement économique, donc on a les grandes lignes. Il y a autant une démarche descendante qu’une démarche montante. Sinon, on a 44 économies différentes en Rhône-Alpes. Les acteurs locaux ne voient parfois pas plus loin que le bout de leur nez. C’est-à-dire l’animation touristique hôtelière, ou je ne sais quoi. J’exagère un peu. À peine. Si l’on veut avoir des politiques de branches, des contrats sectoriels, bien sûr, elles seront des traductions territoriales comme dans les Contrats Territoriaux Emploi-Formation, comme dans les pôles de compétitivité. C’est à la fois territorial mais en même temps ça s’adosse à des contrats sectoriels, sur les clusters, ça se territorialise dans le sens où ça s’installe dans les territoires. Mais ils n’ont pas une dynamique que d’un seul territoire, cela n’a pas de sens. Sinon le développement local égale développement bocal.»
Entretien n°38 du 28 juin 2007’

Limites et avantages des financements croisés

Cette contradiction s’exprime dans les modalités de financement des postes d’animation de SECURISERA. La Région apporte 50 % du financement via les CTEF. Le CDPRA finance les 50 % manquant. Autrement dit, la Région incite les communautés de communes du Pays à financer une des composantes de la Gestion Prévisionnelle en Ressources Humaines des entreprises. Si les présidents d’EPCI refusent, le programme SECURISERA est mort né. On peut dire ici que le territoire commande.

‘« R SÉCURISERA, ce sera vraiment très bien pour le territoire. Mais moi, je voulais qu’on le porte. Pour moi, c’est important que le Pays apporte de la compétence, de l’expertise mais ne soit pas uniquement apporteur de subventions. Nos élus n’ont pas voulu. Parce que les élus locaux, M. CHARVET estime que ce n’est pas aux impôts locaux de payer la politique R.H. des entreprises. Donc, ce n’était pas une compétence du Pays. La maison de l’emploi récupère le truc. Et c’était aussi important pour elle, c’est une question de légitimité. Donc on s’entend bien, on travaille en bonne intelligence, il fallait qu’il y ait cette procédure. En même temps, il y a un jeu d’acteurs forcément. La maison de l’emploi cherche aussi à légitimer sa présence. »
Entretien n°34 du 1er juin 2007’

Pour le CTEF, les fonds sont fléchés par la Région dans une enveloppe territoriale de 5 000 000 d’euros affectée aux huit programmes du CTEF. Ici, c’est la Région qui commande. Si des besoins de formation sont constatés sur le territoire et n’entrent pas dans l’un des huit programmes exprès, c’est au chargé de mission des CTEF de trouver les arrangements financiers avec les autres dispositifs, Maison de l’emploi ou CDPRA.

‘« R Les dispositifs ne sont pas sur le même champ. D’un côté, le CDPRA se fixent des lignes pour financer des actions qui répondent à ses objectifs avec des pourcentages de financement, tel projet on le finance à 30 %, l’autre à 60 %. Le CTEF n’a pas d’autres moyens financiers que cette fameuse enveloppe territoriale. Le CTEF est complètement fléché alors que le CDPRA est beaucoup plus ouvert. Je ne suis pas sûr que le CTEF complète le CDPRA, alors que sur le plan financier l’inverse est vrai parce que moi je n’ai pas les moyens pour financer en direct les porteurs de projets alors qu’on peut en trouver au niveau du CDPRA. »
Entretien n°35 du 7 juin 2007’

De manière générale, la Maison de l’emploi et le CDPRA sont plus souples dans le financement que le CTEF, dont les moyens financiers sont fléchés. Ils se transforment ainsi en enveloppe subsidiaire aux programmes connexes que la Région ne finance que partiellement. Ainsi devant le peu d’empressement des présidents d’EPCI à cofinancer le poste d’animateur du dispositif SECURISERA au sein du CDPRA, c’est la Maison de l’emploi de Villefranche sur Saône et du Beaujolais qui mobilise ses ressources financières. Pour la Maison de l’emploi du Beaujolais, « c’est un signal fort donné aux acteurs locaux » , un gage de coopération donné par cette nouvelle venue sur le territoire. Elle légitime ainsi sa présence et son action auprès des autres institutions, telles que les chambres consulaires et le Pays qui n’ont pas attendu sa création pour travailler à la meilleure connaissance du territoire et à la mobilisation des acteurs locaux. A l’inverse, le CDPRA finance des actions prévues au CTEF dès lors qu’elles ont été définies comme stratégiques par la charte du Pays.

‘« R Le CDPRA est une façon de faire financer des actions qu’on a au projet. Alors là c’est un travail en bonne intelligence. Les CTEF émergent, ça n’empêche pas du tout le CDPRA d’avoir des objectifs stratégiques en matière de formation. Moi, j’ai la chance d’arriver sur un territoire où le contrat de Pays intègre déjà des actions ressource humaines et a une commission R.H.. Cette commission ressources humaines au sein du Pays n’a pas à disparaître parce qu’elle peut développer des actions. Donc pour nous, si une action intervient et qui n’a rien à voir avec les huit dispositifs prévus au CTEF, c’est une bonne porte d’entrée que de passer par le CDPRA. Par exemple en ce moment, il y a les avenants au contrat de Pays, c’est un bon moyen pour nous d’adapter nos actions aux besoins identifiés dans le CTEF et de trouver un financement. Ici il y a une bonne intégration. »
Entretien n°35 du 7 juin 2007’

Précisons que dans le Roannais, si le chargé de mission emploi formation est financé par le CDPRA, le Grand Roanne qui devait porter la Maison de l’emploi accueillant le CTEF n’a pu honorer son engagement faute de budget en 2007 et 2008. Le CTEF est en conséquence porté par la Maison de l’Information sur la Formation et l’Emploi Formation310. Le service public de l’emploi n’est pas réuni en un lieu unique.

Financer la nouveauté sans renforcer l’existant

Dans ce maelström, une course aux subventions et à la gestion des fonds s’enclenche entre les différents acteurs. Pour paraphraser l’économiste classique Jean Baptiste SAY, auteur de la loi des débouchés, on pourrait dire que le projet crée sa propre demande. Il répond à une logique de l’offre. La Région, à peine le CDPRA mis en œuvre, passe déjà au CTEF, dans un flux perpétuel d’initiatives répondant à un schéma directeur, que ce soit le Schéma Régional de Développement et d’Aménagement du Territoire ou Schéma de Développement Économique. Un diagnostic chasse l’autre, une charte se superpose à la précédente. La dynamique de projet entretient une organisation qui a besoin de la dynamique du projet pour vivre.

‘« R De toute façon, la maison de l’emploi était déjà prête quand le contrat territorial emploi-formation est arrivé. Donc il y a déjà un décalage dans le temps. Ils se sont cassés les dents là où je prédisais qu’ils allaient se casser les dents. On est là pour leur dire : travaillons ensemble, faisons des choses nouvelles, faisons des choses ensemble, on va être dans le gagnant-gagnant, dans l’innovation. Ils nous répondent, nous on fait déjà les choses. Aidez-nous à faire ces choses, c’est un minimum. Et après, on en reparle. C’est difficile, parce qu’un grand nombre d’acteurs a des bonnes idées. On commence à faire des choses. Et quel que soit l’appel à projets, on ne finance pas l’existant. On finance le nouveau.
(.)
Ça vous le faisiez déjà sur votre mission, on ne va pas financer quelque chose que vous avez déjà fait. Notre logique c’est de dire qu’est ce qu’on fait de nouveau ensemble ? Quand vous avez un acteur nouveau qui arrive tous les six mois pour vous dire la même chose, ça devient compliqué aussi pour les acteurs locaux, ça devient lassant, la manière de faire c’est de contourner. Donc on regarde un peu les actions de la maison de l’emploi, de la C. C. I., la chambre des métiers, il y a deux, trois actions utiles. Sinon pour faire trois antennes, est-ce qu’il y a besoin d’embaucher huit chargés de mission ? »
Entretien n°34 du 1er juin 2007’

En conséquence, l’action en cours n’est pas renforcée, elle est consommée au sens premier du terme qui implique sa disparition. Une nouvelle est créée, qui vient, soit en substitution, soit en complément de la précédente. Elle complexifie le jeu d’acteurs. Au final, le temps manque à l’acquisition d’expérience qui se mue à chaque nouveau programme en expérimentation.

Notes
309.

Rapport n° 05.02.161. Plan régional pour l’emploi : le contrat territorial pour l’emploi et la formation sur www.crrhonalpes.fr .

310.

Au début du processus, une structure porteuse signataire du CTEF a été choisie par la Région sur la base d’un certain nombre de critères (identité juridique, capacité à agir sur le périmètre CTEF, légitimité, moyens et compétences d’animation et d’ingénierie emploi-formation). Ce sont désormais les Maisons de l’emploi et de la formation issue du plan de cohésion sociale de 2004 (plan Borloo) qui assurent la mise en vigueur de cette politique territoriale intégrée.