Des mécanismes de liaison inefficaces

L’Instance Territoriale Participative

L’Instance Territoriale Participative (ITP) est justement un exemple d’expérimentation hasardeuse. Ce mécanisme de liaison a pour fonction d’assurer la coordination entre les CTEF et CDRA. Il traduit la volonté politique régionale, en accord avec l’État, de territorialiser la politique d’emploi formation. Son fonctionnement sur « le papier » est décrit de manière suivante :

‘« C’est un élu régional désigné pour piloter le CTEF qui, en lien avec le représentant de l’Etat et le regroupement des acteurs territoriaux (CDRA, Maison de l’emploi, Comité de bassin d’emploi- CBE ...) dirige l’instance territoriale participative, espace d’information, de concertation, de débats dans le cadre de l’élaboration, la mise en œuvre, le suivi du CTEF ».’

L’ITP rassemble entre 25 et 40 acteurs locaux maximum concernés par l’emploi et la formation en lien avec la stratégie de développement économique.

Ces acteurs se répartissent de façon équitable en cinq collèges :

Un comité opérationnel, « émanation de l’Instance Territoriale Participative, co-présidé par la Région et l’État et composé d’une dizaine de membres » est chargé d’assurer la gestion quotidienne du CTEF.

Mais force est de constater que le surpeuplement institutionnel de l’ITP n’en facilite par l’efficacité. Elle empile des organisations au fonctionnement aléatoire.

Par exemple, les Maisons de l’Emploi (État) réunissent le service public de l’emploi en un même lieu. Elles s’associent aux CTEF (Région) pour devenir Maison de l’Emploi et de la Formation. Elles créent des observatoires sur les besoins en emplois et formation, elles recherchent des méthodes communes d’action entre les différents organismes qu’elles regroupent. Mais elles se heurtent à l’éclatement institutionnel et au cloisonnement des modes opératoires. D’ailleurs, l’absence de pouvoir hiérarchique du directeur et la forme juridique (association ou groupement d’intérêt public) de la Maison de l’Emploi et de la Formation traduisent la permanence des logiques institutionnelles non coopératives.

‘« R Maintenant est-ce que la formule Maison de l’emploi est la bonne formule ? Moi je n’y crois pas trop. Pour les demandeurs, tout rassembler dans les mêmes locaux, c’est intéressant. Mais je ne voudrais pas être directeur d’une maison de l’emploi. En tant que directeur, produire un plan d’action commun mais sans avoir aucun lien hiérarchique avec aucune des instances qui composent la maison d’emploi. Vous avez l’ANPE, l’ASSEDIC, la direction du travail, plus la collectivité porteuse. Un directeur de maison de l’emploi ne dira jamais à un directeur de l’ANPE vous allez faire ça. Non, l’ANPE, elle a ses propres lignes. C’est pour ça que je parlais des convergences des politiques. Le territoire c’est essayer de faire converger, mais ça repose beaucoup sur la volonté locale. Un directeur d’agence fera ce qu’il voudra dans une maison d’emploi. On va travailler avec des institutions qui ont chacune leur politique, ont des directives qui descendent de très haut. »
Entretien n°35 du 7 juin 2007
« Q Disposez-vous d’un pouvoir hiérarchique sur les différents services réunis dans cette maison de l’emploi et de la formation ?
R2 Je n’ai aucun pouvoir hiérarchique. Mais une forme de pouvoir avec des guillemets devant et derrière qui me permet de nouer des partenariats.
Q Concrètement, comment s’organise le partenariat entre le contrat territorial emploi-formation qui relève de la Région et la maison de l’emploi de qui relève de l’État ?
R2 Très bien. Parce qu’on est sur un territoire intelligent.
Q Qu’est-ce que c’est un territoire intelligent ? Qui est intelligent dans ce territoire ?
R 2 Tous les partenaires qui sont à l’écoute pour atteindre les objectifs fixés, qui bougent et qui veulent travailler ensemble.
R1 C’est vrai qu’il y a une volonté de convergence. On a rapproché les plans d’action. Ce qui fait qu’au moment de la mise en œuvre des actions des deux plans d’action, on a réussi à trouver une façon intelligente pour coordonner leurs interventions ».
Entretien n°41 du 6 juillet 2007’

En réalité, l’empilement organisationnel au sein de l’ITP en rend l’animation tellement difficile qu’elle en est inefficace.

‘« Q Dernière question sur l’instance territoriale participative, l’efficacité de cette chose ?
R Dans l’exemple que je connais, limitée. On ne s’improvise pas spécialiste sur ces questions de formation. »
Entretien n°46 du 18 septembre 2008’

Les élus régionaux sont conscients de ces difficultés. Selon Christian AVOCAT, président du Grand Roanne et chef du groupe PS à la Région, la lourdeur de ces dispositifs devrait conduire la Région à fusionner progressivement les CTEF et les nouveaux CDDRA créés à partir de juillet 2008. Pour l’élu, le bon fonctionnement de l’ITP tient avant tout au poids politique du référent régional qui doit la piloter.

Les élus référents

La Région désigne des élus référents à chaque procédure. Ce sont des conseillers régionaux qui, au sein du comité de pilotage, essaient de faire valoir les intérêts de la Région et les leurs quand ils sont des élus du territoire. Leur poids dépend de leur ancrage politique. Disposer du seul mandat de conseiller régional les rend transparent dans la marmite locale. Le cumul et l’ancienneté politique sont nécessaires à l’efficacité de leur intervention. Face aux élus dominants, ils doivent disposer de ressources pour exister.

Sur le plan institutionnel, la compétence « formation » de la Région est reconnue, identifiée par les élus locaux. Elle l’est moins en ce qui concerne le développement territorial. Cette situation pèse évidemment sur la marge de manœuvre des élus régionaux référents.

‘« R On sent l’ombre des grands élus dans les comités de pilotage où ils sont présents, mais c’est du cas par cas. C’est plutôt bon signe quand ils sont là. Mais cela pose un autre problème, c’est la reconnaissance de l’élu référent de la Région. Du conflit de légitimité entre un grand élu, et chef de projet influent dans les comités de pilotage qui se drape dans sa légitimité du suffrage universel au scrutin uninominal, etc., par rapport au conseiller régional rapporteur élu à la proportionnelle dans un cadre départemental et qui ne représente pas une équivalence de légitimité. C’est vrai que je suis d’accord avec vous, il y a ce décalage. Il y a des élus influents qui pèsent sur le périmètre après ils ne s’en mêlent plus. Ils laissent faire les seconds couteaux, mais c’est quand même leurs seconds couteaux. Le dialogue se passe mieux entre les seconds couteaux et la Région qu’entre la Région et le grand élu féodal dans son coin. Tout cela est porteur d’incohérence parfois.
Quel est le poids de l’élu référent ? Dans votre question, je distingue le contrat territorial emploi-formation et le contrat de développement en Rhône-Alpes. Le CDRA dépend du poids politique du rapporteur et quelle est la reconnaissance du poids politique du rapporteur par les autres élus. Il y a une typologie des conseillers régionaux : il y a les anciens et les nouveaux qui n’ont que ce mandat dans leur background. C’est difficile pour eux de s’imposer. Il leur faut apprendre ces procédures, leur complexité, les liens existants, ils doivent prendre parfois le train en marche. Et puis il y a le conseiller régional qui a déjà exercé d’autres fonctions, qui a d’autres mandats, et qui est déjà identifié. Quand il parle, il s’exprime pour la Région et il est aussi consolidé par autre chose. En revanche les élus référents du CTEF sont bien perçus, parce que la Région assure une vraie compétence c’est la formation. Mais il y a autant deux cas de figure que de situations politiques. »
Entretien n°46 du 18 septembre 2008’

Dans le Beaujolais, par exemple, le bon fonctionnement de la Maison de l’emploi dans le Beaujolais dépend pour beaucoup du fait qu’Henri JACOT (Gauche Alternative Écologique Citoyenne), pilote régional du CTEF n’a aucune ambition électorale dans le Beaujolais. Situation qui permet à Bernard PERRUT (UMP), député, président de la communauté d’agglomération de Villefranche sur Saône qui accueille et supporte financièrement les locaux de la Maison de l’emploi et de la Formation et du CDPRA de peser de tout son poids dans le Pays Beaujolais.

En outre la compétence d’Henri M. JACOT dans le domaine socio-économique est reconnue. Sur le plan académique, il est Professeur d’Université en retraite. Fondateur et ancien directeur d’une équipe de recherche associée au CNRS en économie des changements technologiques, il a travaillé sur l’introduction des nouvelles technologies dans les entreprises, dans les organisations de manière plus générale. Son engagement syndical en fait un interlocuteur privilégié des Organisations Syndicales Représentatives. Adhérent à la FSU depuis 40 ans, il a été pendant 12 ans, avec Jean-Christophe LE DIGOU, le rédacteur du rapport annuel sur la situation économique et sociale en France pour le compte de la CGT. Il a participé au sein de l’Université Lyon 2 à la formation des cadres syndicalistes CFDT et FO. Sa légitimité est renforcée par sa position d’élu chef de file des CTEF a niveau de la Région Rhône-Alpes.

Dans le Roannais se présente un autre cas de figure. Le principal élu régional référent des CDPRA et CTEF était Christian AVOCAT (PS) jusqu’ à sa nomination à la présidence du Grand Roanne en 2008 après l’élection de Laure DEROCHE (PS) à la mairie de Roanne. Ce basculement devrait lui permettre de peser davantage. D’autant plus que la défaite de Pascal CLEMENT FROMENTEL lors des dernières cantonales dans son fief de Néronde qui conserve son seul mandat de député a fait basculer le pilotage des dipositifs à gauche311. Le CDPRA est désormais présidé par Georges BERNAT (PS) qui a battu André CELLIER (UMP) ancien conseiller général du canton de Saint Germain Laval. Ainsi le vainqueur des cantonales remplace le vaincu à la tête du Pays.

Les cadres intégrateurs

Les cadres intégrateurs sont des chargés de mission qui travaillent au sein des directions régionales de Rhône-Alpes. Par exemple, au sein de la Direction des politiques territoriales, ils accompagnent les CDRA et les CDPRA. Ils défendent les priorités de la direction régionale auprès des acteurs locaux. Ils assistent notamment aux comités de pilotage. Mais, leur rôle est ambigu. Progressivement, ils deviennent des contrôleurs de gestion des procédures qui les éloigne de l’animation du développement territorial.

‘« R En tout cas sachez qu’au sein de cette direction, il y a cette volonté là de formaliser davantage les profils avec cette partie gestion qui va prendre de l’importance et pour laquelle on va de plus en plus souvent solliciter nos animateurs territoriaux pour faire de la programmation sur cinq ans. Enfin, annuellement, quelles sont les grandes opérations prévues, les montants financiers correspondants, ce qui nous permet d’affiner nos prévisions. 
Q Développer l’aspect gestion prévisionnelle.
R Oui. Après, il y a certains animateurs qui réagissent bien. Ça peut leur permettre de mieux organiser. D’autres animateurs vont vous dire, s’organiser sur cinq ans, on n’est plus dans du développement territorial.
Q Ça signifie que la contrainte financière peut avoir un impact sur les compétences exigées dans les profils de postes ?
R C’est une dimension supplémentaire du poste qui sera intégrée »
Entretien n° 42 du 6 août 2007’

Certains se perçoivent davantage comme des censeurs que des facilitateurs. De surcroît la surcharge de travail les oblige à « papillonner » d’un contrat à l’autre, d’une thématique à l’autre sans véritablement approfondir les questions qu’ils abordent.

‘« Q Vous êtes en charge de combien de CDRA ?
R. Sept. (Long silence) Oui. C’est vrai que l’on voit tellement de choses, qu’à un moment donné, ce que je ressens, on n’approfondit rien. Je trouve. Cela dépend des profils. C’est une appréciation personnelle qui ne serait peut-être pas partagée par mes collègues. Si on suit une thématique, on l’approfondit. Là, comme on est porte d’entrée de la Région, on ne peut pas se contenter d’un niveau d’information zéro. Surtout quand on est en comité de pilotage. Je trouve que c’est difficile de passer d’un CDPRA à l’autre. Même si je suis concentrée sur le Département de l’Ain, il y a des modalités de fonctionnement différentes selon les territoires. Et puis surtout de maîtriser la complexité due à la multiplication des dispositifs régionaux. Alors c’est la question que je me pose à l’heure actuelle, être sur un champ plus restreint mais avoir la possibilité de l’approfondir. Au niveau des interlocuteurs, ça me gêne un peu de passer de la petite enfance à la création d’une pépinière, au logement, au volet habitat. À un moment donné on n’est quand même pas Superwoman. Ce n’est qu’un avis personnel. L’idée, c’est de travailler avec nos collègues. Mais encore une fois, on est les interlocuteurs Région.
En plus, on a des emplois du temps bien chargés, il y a les déplacements. C’est vrai que j’essaie de vous répondre sur l’ingénierie, mais est-ce qu’on a véritablement le temps, les moyens de travailler sur l’ingénierie ? »
Entretien n° 42 du 6 août 2007’

Les chargés de mission ne sont pas toujours en position d’appuyer le conseiller régional référent dans la conduite des dispositifs territoriaux. En réalité le poids du binôme régional « technique-politique » tient à la place que leur laisse les élus dominants du territoire dans le pilotage des CTEF et des CDPRA. Même si l’influence de ces derniers sur les responsables de services de la Maison de l’Emploi est limitée, leur fort ancrage local et leur multipositionnement sont une ressource essentielle dans l’orientation de l’action publique territoriale. Mais c’est aussi un frein à la mise en cohérence des politiques initiées par la Région. En son sein, la tentation de revenir à une approche sectorielle est forte.

Notes
311.

M. Bernard BONNE, (UMP) qui préside désormais le Département de la Loire. Il est également président de la communauté de communes du Pilat