Dans les services régionaux
Jusqu’aux élections de 2004, l’instabilité politique de l’exécutif joue en faveur des directions des services régionaux. Les positions des élus régionaux évoluent au fil des majorités de compositions selon les thématiques abordées. Il revient aux directeurs de services d’assurer la continuité des logiques d’action. Ils empiètent parfois sur le domaine des élus.
‘« R1 Je n’irais pas jusqu’à dire que le Conseil régional n’a pas de ligne politique, ils ont quand même mis en place le SRADT, ils ont signé le CPER, y a quand même eu des directives politiques de l’exécutif, mais ça ne se retrouvait pas au niveau des directions, y avait pas, à part quelques exceptions, y avait pas de mainmise politique sur l’administration régionale.Depuis 2004, le contrôle politique semble avoir repris le dessus sur les services. On peut appréhender la démission de l’ancien Directeur des politiques territoriales comme un classique de la lutte pour la domination de l’appareil bureaucratique décrite par Max WEBER312. Le vice-président au développement durable (Vert) parvient à imposer son autorité à la Direction des politiques territoriales. Les membres de ses services s’interrogent pourtant sur le sens à donner à leur action. La multiplication des dispositifs territoriaux contradictoires et leurs contrôles procéduriers conduisent à « resectorialiser » les contrats présentés comme transversaux. « Resectorialisation » qui impose de nouvelles modalités de coopération entre les dispositifs. Ce qui alourdit encore leur fonctionnement.
‘« R Vous avez dû entendre cela souvent. N’y aurait-il pas-il pas nécessité de créer une entité qui regrouperait le tout ? C’est la question numéro un. Jean-Claude BLET, mon collègue, chargé de mission qui a un passé, il a participé à la mise en place des contrats globaux de développement, a beaucoup de recul, nous dit souvent : la vocation première des contrats globaux de développement était de regrouper au sein d’un seul contrat toutes les thématiques. Principalement l’économie, l’agriculture. Selon lui, on revient en arrière puisque la direction de l’agriculture développe son PSADER. Donc dans le CDPRA, volet agricole, il y a un PSADER. Il faut établir des relations avec la direction de l’agriculture avec laquelle on n’est pas toujours en phase. Cela implique un montage juridique compliqué. L’articulation avec le CTEF c’est aussi compliqué. Il y a aussi l’articulation avec les contrats autour de l’eau. Je ne vais pas tous les lister. (.)Avec cette « resectorialisation » déguisée, avec des budgets obéissant encore à la logique de compétences d’attribution sans prendre suffisamment en compte la logique territoriale de développement économique ; ce qui est en jeu, c’est l’adaptation des services de la Région au processus de traduction313 des différents intérêts locaux, en un projet territorial commun. Pour l’élu régional chef de file des CTEF, les services de la Région obéissent à une logique bureaucratique ; ils fonctionnent « comme des tuyaux d’orgue » (sic).
‘« R On est quand même limité par les lignes classiques de la Région. Les actions que vous pouvez penser intéressantes pour les entreprises, pour le développement du territoire, à un moment donné dans ces lignes classiques on ne peut pas y entrer. Si je prends par exemple le maintien des derniers commerces en milieu rural, il existe en lignes classiques et zonées, c’est à dire dans le canton de Monsols et Beaujeu, si vous êtes dans un village dehors de la zone vous ne pouvez pas obtenir d’aide pour le dernier commerce. Donc comme l’action existe dans la ligne classique, vous ne pouvez pas prendre dans le contrat ».L’organisation bureaucratique de la Région est confrontée à la souplesse des Pays et des EPCI qui fonctionnent sur le mode artisanal. Dans les petites structures de gestion que sont les Pays et les communautés de communes rurales, l’efficacité de l’action est subordonnée au travail de la coalition de projet. Son efficacité dépend de l’entregent de ses membres, de leur capacité à intégrer les réseaux d’acteurs participant aux multiples procédures administratives et contractuelles dans lesquelles se joue l’action publique territoriale.
Mais la bonne volonté de quelques uns ne suffit pas. Elle est un soubassement trop incertain pour assurer la réussite de politiques aussi ambitieuses que le développement territorial et l’emploi formation. La consolidation de la coalition de projet initiatrice dans une forme organisationnelle régulatrice reste à inventer. Autrement dit, une fois le projet formulé dans une charte, les programmes d’action définis, le contrat signé, il ne reste pas grand chose de la procédure qui n’a de sens que par la mobilisation qu’elle entraîne.
Les carences de l’ingénierie territoriale dans les territoires infra régionaux
Les agents de développement et les chargés de mission en poste dans les dispositifs territoriaux s’amusent des directions régionales lorsqu’elles parlent des services des EPCI et des Pays.
Sur un programme comme SECURISERA, deux chargés de mission sont chargés de son animation, de « recruter » les entreprises qui pourraient en bénéficier. Celui du CTEF à temps plein, celui du CDPRA fait comme il peut au milieu des multiples tâches qui lui incombent.
Le couplage de la question de l’emploi-formation au développement territorial suppose que les chargés de mission des CDPRA soient compétents en la matière. Or ces professionnels généralistes sont déjà bien occupés par la création de zones d’activités, la structuration de la filière bois, l’implantation de haltes garderies, la mise en réseau d’écoles de musiques, ou encore l’organisation d’évènements festifs à l’échelle du Pays314. Leur affecter une nouvelle charge de travail comme l’enrôlement des PME dans la Gestion Prévisionnelle des Ressources Humaines, c’est de la part des élus régionaux une forme de méconnaissance de la réalité du contenu des postes qu’ils veulent financer.
‘« R Je crois que le syndicat mixte du Pays n’a pas voulu porter le CTEF. D’abord sur une question de compétences, ils n’ont pas en leur sein les agents compétents. Et puis il y a ce que vous abordiez tout à l’heure, le champ de l’emploi quand on n’est pas dedans, ça semble particulièrement nébuleux. J’y suis depuis trois ou quatre ans, ça reste nébuleux même pour un praticien. »Cette fuite en avant territoriale est révélatrice du saupoudrage si souvent dénoncé en matière de développement territorial. Elle surcharge les agents de développement. Elle est contreproductive parce qu’elle débouche sur une bureaucratisation de l’action publique territoriale.
Cette mécanique est constitutive d’une dérive procédurière qui s’auto-entretient. Elle ne peut fonctionner que par la force vitale d’un nombre réduit d’acteurs. Elle peut jouer un rôle non négligeable dans la recherche de convergence des méthodes. Parmi les différents chargés de mission et élus, un certain nombre d’entre eux s’entendent pour dégager des marges de manœuvre et créent un effet cliquet dans l’articulation des dispositifs au-delà des luttes politiques et institutionnelles.
‘« R Le problème c’est que le rouage est en train de se créer. En début d’année, j’étais fortement en position d’articuler les choses. J’ai parlé de mon positionnement qui était la recherche très claire d’articulation entre les deux dispositifs. (.)Toutefois, la « bonne volonté » pour travailler localement en bonne intelligence à la convergence de dispositifs institutionnellement éclatés, aux logiques contradictoires, ne suffit pas à corriger les conséquences de la dilution des responsabilités politiques et techniques.
WEBER M. Économie et société, op.cit., p 298. « Et toujours se pose la question de savoir qui domine l’appareil bureaucratique existant. Et toujours sa domination n’est possible que d’une manière limitée pour un non spécialiste, le conseiller privé spécialiste finit le plus souvent par l’emporter sur le ministre non spécialiste dans l’exécution de sa volonté ».
CALLON M. « Éléments pour une sociologie de la traduction. La domestication des coquilles Saint Jacques et des marins pêcheurs dans la baie de Saint Brieuc », L’Année sociologique, 1986, pp 169-208.
Cette liste à la Prévert reprend quelques unes des actions développées dans les deux CDPRA étudiés.