Avant d’illustrer la production de savoirs régulateurs au sein de micros territoires par un cas concret, il convient de préciser que la rencontre entre une démarche scientifique, une procédure administrative et un projet politique n’est pas un fait nouveau en matière de développement territorial en général et dans les Pays en particulier.
En ce qui concerne les Pays, Annie BLETON RUGET identifie ce type de relation entre la portée de la géographie vidalienne à là fin du dix-neuvième siècle et la constitution d’une identité nationale. « Si, au travers des pays, la rencontre entre un cadre structurant et une réalité que ce dernier prétend appréhender a pu avoir lieu, c’est parce que cette rencontre est le produit du croisement d’une démarche épistémologique nouvelle et d’une lecture différente de l’identité nationale. La capacité des vidaliens à faire surgir du territoire national une nouvelle échelle de territorialité, assimilée à l’idée de proximité ou de localité, et à la caractériser tient à la fois aux méthodes qui leur sont propres et aux schémas idéologiques qu’ils partagent avec leurs contemporains. Du côté de la démarche épistémologique, on sait combien les vidaliens ont privilégié le terrain et le regard, à l’opposé des méthodes de leurs collègues historiens qui valorisent le texte ; comment, aussi, l’expérimentation de ces méthodes pousse les géographes universitaires hors de leur cabinet d’études ; (.) La démarche savante que ces expérimentateurs de l’espace national entendent mettre en œuvre ne suffit cependant pas à expliquer leur intérêt pour la localité et le pays. Il faut aussi inscrire leur projet dans une nouvelle représentation du territoire national qu’ils partagent avec leurs contemporains : une représentation qui les conduit à la valorisation du local dans une France où les diversités régionales ne sont plus seulement reconnues, mais soulignées et même théorisées.» 339 .
Plus proche de nous, Gilles MASSARDIER en rend compte en montrant le poids « des nouveaux géographes » dans l’aménagement du territoire des années 70-80340. Il met à jour « les échanges de services » entre acteurs universitaires et administratifs et analyse les effets de légitimation du discours savant, la « cohérence discursive », sur l’action publique.
Anne Cécile DOUILLET montre l’évolution conjointe des modes d’action publique et des analyses savantes qui sont convoquées à l’appui de l’action publique341. Elle explicite une forme d’entente entre certains universitaires et aménageurs qui produit un « discours scientifico-administratif » résultat d’un influence réciproque, tout en nuançant sa portée, tant sur l’action publique que l’analyse savante.
BLETON RUGET A. « Les pays vidaliens : aménagement du territoire et espaces ruraux, entre démarches savantes et enjeux politiques ». dans Pays et territoires. De Vidal La Blache aux lois d’aménagement, op cit p 31-33.
MASSARDIER G. Expertise et aménagement du territoire. L’État savant, L’Harmattan, 1996, 283 p.
DOUILLET A.C. « Le développement territorial, une entente d’experts entre universitaires et aménageurs » dans DUMOULIN L., LA BRANCHE S., ROBERT C., WARIN P.(dir.) Le recours aux experts. Raisons et usages politiques, , Presses Universitaires de Grenoble, 2005, p133-155.