L’appartenance au monde de l’expertise

Ensuite, chez les agents de développement, ce sont les qualités propres des individus, leur capacité à entrer en relation et à coopérer par ajustement mutuel, leur sens des responsabilités qui font la différence. Gérer un projet, ce n’est pas gérer un dossier, c’est participer à la création de l’avenir. C’est signer son appartenance au monde de la prospective.

‘« R1 Notre travail en partenariat, en collaboration étroite avec le président du comité de pilotage, on est là pour faire un peu de prospective, pour tracer des pistes, pour faire des hypothèses, de portages, d’hypothèses sur le périmètre. »
Entretien n°10 du 22 mars 2004
« R Un deuxième volet qui est plus porté sur les personnes qui travaillent sur les Pays, dans les CDRA, les aider à manager le projet de territoire, les aider à conduire une stratégie territoire, de diagnostic, de prospective, qu’est-ce que je veux faire de ce territoire dans quatre, cinq ou dix ans ».
Entretien n°24 du 6 juin 2006’

C’est pour les agents chargés du développement un élément de distinction par rapport aux autres fonctionnaires territoriaux. Ce sont des agents qui ne font pas de « l’administration », ce sont des « développeurs »376 qui se distinguent par la manipulation de données, qui établissent des diagnostics, ils allient réflexion et action, sont très proches de la décision politique. Entre soi on s’appelle les « agitateur de terrain » pour marquer le rôle des animateurs de l’intercommunalité par rapport aux fonctionnaires départementaux et régionaux.

‘« R1 Oui, mais y a le terrain, c’est ce qui change beaucoup même si la fonction administrative est la même, c’est le côté terrain par rapport à nos homologues de la Région et du Département, eux ne sont pas toujours sur le terrain. Nous, on sillonne sans arrêt. Le terme d’agitateur de terrain, je trouve qu’il correspond très bien à notre mission. C’est faire émerger des idées, des concepts, des projets. Quand une idée qu’on a lancée est reprise par un élu, par une structure et bien j’ai rempli ma fonction, j’ai gagné ».
Q Mais quand vous dites agitateurs de terrains, vous allez chercher les idées sur le terrain, c’est quoi le terrain ?
R2 On est au carrefour de différentes choses, vous êtes amené à rencontrer différentes personnes, vous êtes amené à rencontrer différentes situations sur le territoire, à lire différents documents, et puis un jour vous tombez sur l’idée, vous formalisez une idée.
R1 Oui, c’est ça, on est là pour formaliser, faire reformuler les acteurs économiques, culturels, sociaux. Euh, des projets propres à nous, amenés sur la base de notre propre réflexion, il ne devrait pas y en avoir tant que ça. En fait, on reçoit toutes ces informations et on reformule.
R2 On met en relation aussi, on peut jouer les intermédiaires entre deux entités, c’est ce carrefour dont je vous parlais, carrefour des idées extérieures, des personnes extérieures, qui fait qu’on est l’élément qui fait monter la mayonnaise.
R1 On est le carrefour du développement ! On se balade sur le territoire, on est embauché par la communauté de communes de Villefranche. On a un ordre de mission qui couvre l’ensemble du Département. Moi, j’estime qu’on ne doit pas passer plus de la moitié de notre temps au bureau. Ça dépend des périodes. Y a des moments où on est plus dehors et y a des moments où on épluche les dossiers et on est plus au bureau. »
Entretien n° 10 du 22 mars 2004
« R On travaille dans des petites structures, on est des généralistes, on doit tout faire, du secrétariat, du développement, de l’animation, on doit faciliter les choses, on est proche de nos élus, on a un côté collaboration politique, technique très fort. Donc par rapport au Conseil général, on a à faire à des chefs de services mais avec des compétences très précises. Nous, on est très généralistes, on est même à la limite du politique parce qu’on est aussi la personne de confiance de notre président. (.) C’est notre force d’être généraliste et d’être proche du politique. »
Entretien n° 3 du 12 mars 2004’

Cette appartenance au mode de l’expertise, de la prospective commande une forme d’encodage, une « mise aux normes » du langage. Cette mise en forme de l’argument propre au monde de l’ingénierie du projet territorial donne du poids aux mots, c’est une façon de faire savant dans une mode managériale qui ne dit pas son nom. Comme le dit de manière critique un président d’EPCI du Pays Ronnais :

‘«R. Quand on utilise certains mots et bien ça donne de la légitimité à la phrase que vous venez de dire ou d’écrire».
Entretien n° 4 du 12 mars 2004’

Ce propos distancié sur le jargon territorial révèle un des aspects les plus marquants de la démarche projet au cœur de l’ingénierie : le sentiment d’appartenir au monde de l’innovation, celui qui est à l’origine de la dynamique de développement, qui fait de la prospective et devient un facteur clé de succès dans la stratégie de développement territorial.

Notes
376.

Terme utilisé en opposition aux administratifs par le vice président de la région Rhône-Alpes, M CHAMBON, Compte rendu de la réunion du 21 mars 2003. Intervention du Conseil régional sur les procédures de contrat de pays et d’agglomération publié sur le site http : www.cgdduroannais.com .