D’après les chiffres du CRDR383 sur le millier d’agents de développement répartis dans les huit Départements de Rhône-Alpes, plus de 40 % travaillent pour le compte d’associations. 40 % d’entre eux sont embauchés par les EPCI. 20 % sont répartis dans des organismes publics comme les organismes consulaires, quelques communes et les lycées agricoles qui parfois emploient des agents de développement.
Autrement dit, la montée en puissance de l’intercommunalité a eu un impact sur cette profession qui est lentement passée d’un univers militant à la gestion standardisée de compétences regroupées au niveau des EPCI.
‘« R Les agents de développement économique dans les communautés de communes, les animateurs généraux, plus ça va, plus ce sont des profils qui se rapprochent des profils de secrétaires de mairie. Ça gère les zones d’activité, Ça gère les ordures ménagères, le tri sélectif. Ça se bureaucratise, du moins c’est ressenti comme cela. J’ai des collègues qui s’en plaignent. Alors que là, on a encore la chance d’avoir un boulot de terrain. Vous savez le portage de repas, c’est bien. C’est utile. Le pôle d’excellence c’est autre chose ».Malgré ses travers, le militantisme présentait des avantages. Les agents de développement avaient au moins une lecture politique du développement territorial que lentement la dérive procédurière a effacée. Par lecture politique, nous entendons la capacité de définir les élus qui pèsent, connaître les chefs de service qui comptent dans le jeu décisionnel, s’appuyer sur des relais associatifs, syndicaux, économiques pour mobiliser la société civile.
L’opposition entre militantisme et professionnalisme a stérilisé ce savoir essentiel à la conduite du développement territorial comme mobilisation des initiatives locales. Aujourd’hui, la gestion routinière des procédures supplante le savoir relationnel. Nombre d’agents de développement des « temps héroïques » déplorent que leurs plus jeunes confrères délaissent la mobilisation des acteurs locaux, les initiatives locales pour se soumettre à l’élu et utilisent la procédure comme source de pouvoir. Les exigences d’instruction des projets, la gestion de leur imbrication et la comitologie locale sont les attributs de leur pouvoir.
‘« R Les agents de développement ne savent pas se positionner par rapport au pouvoir, par rapport aux élus. Ils sont aux ordres de. Et ils ont des stratégies détournées pour retrouver du pouvoir. Ils gagnent du pouvoir sur et grâce à la procédure. Avec la procédure, j’ai mon pouvoir. Donc ils entretiennent d’une certaine façon ce processus bureaucratique. Alors que s’ils avaient un peu plus de culture politique, s’ils comprenaient un peu plus les sources de pouvoir, les relations entre les sources de pouvoir, par exemple savoir les différents niveaux d’élus, ils ne maîtrisent pas les liens entre les élus, ils ne maîtrisent pas les questions de stratégie. Ils n’ont pas de lecture politique, pas de lecture des jeux de pouvoir. De qui je suis redevable, avec qui je travaille. Quand je travaille avec la Région, avec quels techniciens, quel niveau de techniciens. Avec l’État, est ce que c’est le Préfet, le Sous-préfet, quels services déconcentrés ? Les agents de développement, de manière générale, ne mesurent pas les subtilités entre les différents niveaux de pouvoir. Formellement, ils savent ce qu’est un Préfet, un technicien, mais la subtilité des jeux de pouvoir : qui j’utilise pour faire avancer les projets, comment je me positionne avec les uns et les autres. L’agent de développement c’est quoi, là dedans. Est ce que c’est de dire Amen à tout le monde ou est-ce que c’est de définir le sens de ce métier et de savoir se positionner dans le processus ?»Procédure et rôle politique des agents de développement
Par exemple, la communication institutionnelle est une question technique qui peut prendre des tournures profondément politiques. Notamment lorsqu’il s’agit de diffuser une information aux différentes strates et organes composant le Pays, plus particulièrement quand il s’agit de mobiliser la société civile. Certains agents de développement peuvent être assez « chatouilleux » lorsque le problème de la diffusion d’information est abordé. Il met en lumière les contradictions de leur travail de technicien avec le respect de la démocratie représentative et notamment comment indirectement il contribue au « dépouillement » de l’échelon communal tout en respectant la procédure. Les agents de développement sont des professionnels de la politique non élus.
‘« R2 Si vous avez des membres du Conseil de Développement, vous leur dites on va réfléchir sur un projet, bien parfois ils sont informés sur des réflexions en cours avant que les conseillers municipaux des autres communes aient intégré le problème.La difficulté qu’éprouvent les agents de développement à agir en conformité avec l’ordre politique basé sur le mandat représentatif est identique chez les présidents d’EPCI comme le confie l’un d’entre eux.
‘« R Alors c’est vrai que c’est un échange qui respire dans les EPCI, alors après comment les petites communes s’y retrouvent. Ensuite c’est en interne c’est chaque EPCI qui établit sa chaîne d’information. Bon, c’est vrai que c’est pas facile, …c’est pas facile. Moi j’essaie de,… j’essaie essentiellement que les infos qu’on détient au niveau communautaire redescendent dans les communes avec deux niveaux, le bureau c’est les maires et aux délégués communautaires. Donc tout compte rendu doit être diffusé le plus largement possible et le plus rapidement possible ; je demande que les comptes rendus soient rédigés dans les cinq jours. Au niveau de la méthode j’essaie que les informations passent à tous les niveaux. Alors je sais que l’information orale passe toujours de manière réduite dans les réunions, c’est pour ça que les comptes rendus écrits je les fais passer le plus possible. Alors vis à vis du Pays un des risques que l’on avait bien identifiés lors d’une journée réunion de réflexion. Avec la mise en place du CLD, et bien on risque d’avoir des gens qui seront au CLD qui seront du monde associatif qui soient mieux au courant des affaires du pays que les conseillers municipaux des communes parce que…, alors là y a un vrai déphasage. Alors là aussi il va falloir que le Pays se pose des questions. Il faut qu’il mette en place des règles de diffusion de son info interne ».Le président d’EPCI, qui ne doit sa légitimité de délégué intercommunautaire qu’aux élus municipaux, est conscient des risques d’une forme de substitution de la société civile aux « petits élus » en matière d’élaboration de projet de développement.
‘« R Alors, oui, oui et puisque les élus de premier niveau ne sont plus impliqués dans la vie réelle et les grandes décisions quoi. Y a déjà un premier niveau de délégation entre l’élu de base et la communauté de communes, et puis après, de la communauté de communes au Pays, au syndicat mixte. Donc là je crois qu’il faut qu’on se pose des questions de communication interne. »Le président du CLD du Roannais reconnaît la lourdeur et l’enjeu de la consultation imposée aux élus qui justifient leurs réticences à son égard :
‘« R Oui mais, au début, mon impression, quand est arrivé le Pays Roannais, certains élus voyaient avec intérêt l’arrivée du pays et du CLD. D’autres étaient gênés par l’arrivée du CLD. Pas tellement à cause d’un contre-pouvoir mais comme une contrainte sur leur prise de décision. Avant d’aller dans l’action il fallait encore demander un avis, je crois que c’est cela qui gênait. Une lourdeur, une obligation supplémentaire. Désormais, je crois, que le CLD prend sa place dans le pays il commence à être accepté. »Ce qui est à l’œuvre dans ces problèmes de diffusion de l’information, reconnus par les acteurs aux statuts différents, c’est d’une part, le risque de hiérarchisation des mandats entre élus municipaux et édiles intercommunaux ; d’autre part, la place qui est faite aux membres de la société civile qui interviennent dans les CLD.
En réalité, le développement territorial est en perpétuelle construction. Il oscille entre une conception organique et une conception mécaniste. Il est sujet à l’indétermination qui paradoxalement fait partie de ses dynamiques structurantes. Cette indétermination oblige l’ingénierie territoriale à se justifier et s’auto promouvoir auprès des élus locaux en quête de nouvelles formes de légitimités. Pour les agents de développement, elle constitue une opportunité qui leur permet de défendre leurs intérêts et d’entretenir des débouchés professionnels. Dans cette perspective les agents de développement présentent quelques traits de ce que Michel CROZIER nomme la personnalité bureaucratique384.
Entre les résultats de l’enquête de 1999 et ceux de l’enquête de 2009, la proportion des employeurs n’a pas changé. On relève cependant que les associations sont en retrait. Les associations, en tête avec 43% des agents en 1999 sont aujourd’hui devancées par les structures intercommunales qui drainent près de 40% des postes.
CROZIER M. Le phénomène bureaucratique. Essai sur les tendances bureaucratiques des systèmes d‘organisation modernes et sur leurs relations en France avec le système social et culturel, Paris, 1963, Le seuil 413 p.