Parler de la personnalité bureaucratique de l’agent de développement, c’est prendre en compte la vanité de sa fonction qui consiste à nourrir la dérive procédurière du développement territorial au détriment de ses fins concrètes.
‘« R On a laissé croire qu’on allait embaucher des agents de développement qui allaient remplir une procédure. Les contrats de développement en Rhône-Alpes, les contrats emploi-formation ne produisent pas de développement, et Leader de moins en moins. On voit bien que la tendance, c’est là, on va vers plus de territorialisation. De procédures, de fermeture. On voit que cette génération de Leader qui émerge, c’est conçu comme une politique de développement territorial et non plus comme une politique d’initiative locale. On s’aperçoit aussi que ce qui est mis en avant par l’État et la Région sur les projets, ce sont les questions d’organisation et ce n’est pas une question de la nature du sujet travaillé ou de l’initiative locale que cela va faire permettre d’émerger. Et la question de l’ingénierie, des moyens du développement est traitée de manière très secondaire et plutôt comme un aspect de gestion de l’organisation. Quand on dit : qui va aller réfléchir, inciter à la réflexion, à l’émergence d’idées, à l’accompagnement et compagnie. C’est comme si ça se faisait tout seul. Ça, c’est un mouvement de fond. Il commence à y avoir des critiques. Quand on regarde le résultat de certaines politiques, ce n’est pas faramineux. »Dans cette optique, le rapport au savoir qu’entretiennent les agents de développement peut s’apparenter au ritualisme. Le ritualisme se caractérise par l’ignorance ou le rejet des buts généraux et concrets de l’activité considérée et la primauté donnée aux moyens incarnés dans les institutions385. Comme si l’ingénierie territoriale à l’instar de la bureaucratie dans son acception critique constituait une catégorie de l’action qui donne la priorité aux moyens sur les fins.
‘« R Ça me semble assez incompatible avec le temps passé dans ce travail, il y a une usure. C’est très frustrant, on n’a pas les résultats qu’on attend. C’est lent, on n’est pas forcément reconnu dans le travail que l’on fait.Cette profession s’interroge sur soi, écrit sur soi, questionne l’utilité de son rôle. Elle « ne fait qu’exprimer la nécessité où chacun est de témoigner de sa fonction devant les autres, et la bureaucratie ne fonctionne qu’en vertu d’une reconnaissance mutuelle et toujours renouvelée de ses membres les uns par les autres, selon un cérémonial déterminé »386. Elle se reflète dans son propre miroir pour justifier son action et son existence. La fétichisation de la procédure et du projet au détriment de l’action elle-même pose la question de l’identité professionnelle, voire de la tentation corporatiste.
MERTON R. K. Social theory and social structure, Glencoe, The Free press, 1957, p 206, cité dans CROZIER M. Le phénomène bureaucratique. Op.cit. p 26.
LEFORT C. « Qu’est ce que la bureaucratie ? » Éléments d’une critique de la bureaucratie. Gallimard, 1979, p 287.