Le rôle structurant de l’Association Rhône-Alpes des professionnels du Développement Economique Local (ARADEL) dans la région Rhône-Alpes

L’ARADEL compte aujourd’hui plus de 700 adhérents à l’échelle de la Région. Même si par le terme « professionnels », elle souligne son ouverture aux experts et aux bureaux d’études, les agents de développement constituent son noyau dur. La constitution-diffusion de savoirs et savoir faire passe par des colloques, des offres de formation, réunions à thème, échanges d’expériences qui progressivement phagocytent les modalités de l’action publique. Ces professionnels, au premier rang desquels les agents de développement, participent à la production d’un ordre territorial, en appui sur des représentations théoriques du territoire. En tant qu’acteurs de dispositifs de gouvernement, ils établissent des liens avec l’espace savant, et sont soit en relation partenariale, soit concurrentielle avec l’offre de service des bureaux d’études. Par la production et la circulation des savoirs, ils cherchent à se rendre incontournables dans la production d’action publique.

Les temps héroïques

La création de l’ARADEL remonte aux élections municipales de 1977 gagnées par les partis politiques de gauche PS, PC et PRG qui font campagne sur l’emploi. Dans les villes, les exécutifs fraîchement élus se dotent de services économiques, bien qu’une circulaire du premier ministre Raymond BARRE de 1978 interdise les interventions des collectivités territoriales en matière économique. De ce jeu classique entre le centre et la périphérie, émerge au ministère de l’Équipement, au sein du Service Technique de l’Urbanisme (STU), désormais dénommé Direction Générale de l’Urbanisme de l’Habitat et de la Construction (DGUHC), un groupe de travail dénommé services économiques des villes. Participe à ce groupe de travail, Alain COTTALORDA, à l’époque urbaniste au comité technique de L’Isle-d’Abeau, aujourd’hui maire PS de Bourgoin Jallieu (depuis 2001)402. Alain COTTALORDA propose alors au STU de créer un groupe au niveau Rhône-Alpes. Il s’agit d’un club informel d’agents de développement qui cherchent à promouvoir des savoir-faire professionnels et à légitimer une profession émergente dans un contexte politique et institutionnel parfois hostile.

‘« R Alors ce groupe a fonctionné. Alors la finalité c’était d’abord de se connaître au niveau Rhône-Alpes et d’échanger des savoir-faire professionnels. C’était une pratique absolument émergente. Il fallait donner une légitimité à ce métier qui était neuf dans les collectivités territoriales. Qui n’avait d’ailleurs aucune place dans les organigrammes des collectivités territoriales. Les directeurs généraux des collectivités territoriales, de gauche comme de droite, vieille école les définissaient comme les « danseuses du maire ». Parce que dans la culture de l’action municipale, le domaine économique n’était pas au centre. Il y avait donc ce double besoin de construire une légitimité professionnelle et d’autre part d’échanger sur un savoir-faire ».
Entretien n° 43 du 16 juin 2008’

En 1983, après les lois de décentralisation, la gauche au pouvoir subit un cinglant échec aux élections municipales. Cependant les maires de droite conservent les services économiques des villes, parfois en changeant les directeurs de services s’ils avaient été trop marqués avec le maire précédent.

C’est à partir de cette période que l’installation des services dans l’organigramme des collectivités territoriales s’établit clairement.

‘«R Les secrétaires généraux des services comprennent qu’il s’agit d’un enjeu important. Ils veulent avoir le contrôle normal entre guillemets qu’exerce le secrétaire général ou directeur général, pour parler plus moderne, d’une collectivité territoriale qui veut remplir pleinement son rôle. Là on peut dire qu’il y a confirmation du métier ».
Entretien n° 43 du 16 juin 2008’

En 1985, ARADEL prend le statut d’association présidée par son fondateur Alain COTTALORDA. Elle se dote d’un budget alimenté par les adhésions de sa centaine de membres et par quelques subventions versées par les collectivités locales.

‘« R Nos ressources étaient une adhésion à symbolique des personnes physiques. 50 F. On avait créé un collège personnes morales, on avait demandé aux collectivités territoriales de verser entre 1000 et 5 000 F à l’époque. Cela nous a mis du beurre dans les épinards. Mais cela n’a pas rencontré l’enthousiasme débordant les collectivités territoriales ».
Entretien n° 43 du 16 juin 2008’

Son fonctionnement est artisanal. Ce « bricolage » s’appuie sur le bénévolat. Pour l’anecdote, ARADEL « recrute » en particulier des appelés du contingent qui évitent ainsi le service militaire. Elle est avant tout un lieu d’échanges interpersonnels, d’expériences, de tuyaux. Yves CHAPPOZ, succède à M COTTALORTA, et préside l’association de 1989 à 1993.

La bureaucratisation d’ARADEL

En 1996, une rupture intervient, ARADEL passe à la phase bureaucratique. La Région intervient de manière plus substantielle, la dote en personnel permanent. L’État lui emboîte le pas. La mise en œuvre des CGD, l’utilisation des fonds européens sont un premier appel à compétences. La montée en puissance de l’intercommunalité, la succession des dispositifs territoriaux font grossir les effectifs.

‘« R Et puis en 1996, la Région a commencé à réfléchir aux CGD et Robert PLANT, directeur des affaires économiques et Jean SOULASSE, directeur des politiques territoriales, se sont dit, on a demandé beaucoup de professionnalisme aux animateurs des contrats, on veut qu’il y ait de l’animation économique sur les contrats, on crée du lien et de l’activité sur le territoire. S’il n’y a pas un lieu ressource pour faire en sorte que les gens se rencontrent et se professionnalisent, on va se planter. Par ailleurs, il y en avait qui disaient, nos procédures européennes, elles ne sont pas beaucoup utilisées, notamment au niveau des entreprises. Donc il faudrait qu’il y ait un peu de professionnalisation des développeurs sur la thématique de l’entreprise. A ce moment-là, le président de l’association en avait un peu marre de porter tout cela à bout de bras, 150 adhérents à l’époque. Il s’est dit : soit on arrive à structurer l’association avec une convention entre l’État et la Région et nous, soit on arrête tout. Et la Région a dit : OK. Autant confier cette mission de professionnalisation à l’ARADEL. Elle a déjà une légitimité sur le terrain puisqu’elle est portée par des développeurs. Alors que nous, en interne, on va créer quelque chose qui sera plus lourd et où les gens se sentiront peut-être moins à l’aise parce que c’est la Région. L’État a fait confiance également. Et cela dure depuis neuf ans. (.)
Nos adhérents sont principalement des personnes qui travaillent au sein des collectivités territoriales, soit en direct avec des entreprises en phase de création, des porteurs d’idées et des projets, soit en phase de développement ou d’implantation sur une zone d’activité. Donc, ça c’est le volet économique. Ensuite, il y a ce qui va aller pour favoriser l’environnement et le développement de l’entreprise. Il s’agit de développer l’immobilier d’entreprise, les zones d’activité, animer des chefs d’entreprise au niveau de club, les former, faire en sorte qu’ils se rencontrent. Un deuxième volet, qui est plus porté sur les personnes qui travaillent sur les Pays, dans les contrats de développement en Rhône-Alpes, les aider à manager le projet de territoire, les aider à conduire une stratégie territoire, de diagnostic, de prospective, qu’est-ce que je veux faire de ce territoire dans quatre, cinq ou dix ans. Nous avons aussi à la demande de la Région, les animateurs touristiques des contrats que nous devons fédérer en réseau professionnalisé. Donc les adhérents de l’ARADEL, les collectivités territoriales, association développement parce que certains Pays sont encore en association mais pas en syndicat mixte, les chambres consulaires, ça, c’est vraiment notre cœur de cible. Après, nous avons des organismes plus périphériques comme les cabinets conseil spécialisés sur le développement économique territorial. Quelques organismes de formation, les grands groupes qui ont des activités liées au développement économique sur le territoire. Par exemple, quand une grande entreprise comme EDF ferme un établissement, finit un chantier, elle va s’impliquer sur le territoire qu’elle va déserter, pour compenser la perte de taxe professionnelle. »
Entretien n° 24 du 6 juin 2006’

D’espace d’échange professionnel, ARADEL élargit son rayon d’action pour devenir prestataire de services. Elle offre des compléments de formations aux agents de développement. Elle n’est pas un cabinet conseil qui intervient directement sur le territoire pour définir sa stratégie. Elle agit soit en concurrence, soit en complément du CNFPT sur le marché lucratif de la formation continue du personnel des collectivités territoriales.

‘« R Dans les autres Régions, il n’y a pas forcément une structure comme celle-là. ARADEL est un lieu de formation, les formations sont de très bonne tenue avec de très bons intervenants. Pour les petites structures qui n’ont pas forcément les moyens, des budgets formation importants, avoir un tel espace, c’est une valeur ajoutée que nous apportons par rapport au CNFPT qui lui est incontournable pour la fonction publique au niveau de la formation, mais qui n’a pas toujours des intervenants de très bonne qualité. Parce que le CNFPT ne les rémunère pas forcément au prix du marché.
Q Cela signifie que vous vous situez sur le même champ d’intervention que cette structure ?
R Non, si vous regardez dans les formations du C.N.F.P.T., vous voyez qu’il y en a très peu sur le développement territorial. Je ne vois pas le CNFPT monter des formations sur l’accompagnement des porteurs de projets, sur la stratégie des PME-PMI, sur l’analyse financière ces choses-là, alors que nous on le fait, c’est notre valeur ajoutée. Alors c’est vrai qu’il y a d’autres formations qui portent plus sur le plan personnel, parce que pour être un bon développeur, il faut avoir de la technicité et connaître des choses un peu complexes. Il faut également pouvoir les animer et pouvoir les communiquer, pouvoir mettre les gens en réseau, savoir monter des projets donc il y a un volet développement personnel assez important. Peut être sur cette partie là, il peut y avoir quelque chose de monté par le CNFPT. Mais je ne pense pas que l’on soit concurrent, on monte ensemble des journées de formation. »
Entretien n° 24 du 6 juin 2006’

Elle identifie les demandes de formations par quatre moyens. Premièrement, par voie de questionnaire, elle enquête sur les besoins émergents lors des colloques et des séminaires de formation qu’elle organise. Deuxièmement, son conseil d’administration composé de 20 développeurs sert de courroie de transmission. (Un des agents du Pays Roannais en est actuellement membre. Celui du site de proximité d’Isable et Urfé l’a été). Ces professionnels du développement territorial captent les évolutions du « terrain » et font remonter les besoins. Troisième source, la Région, en mettant en place de nouvelles procédures, souhaite que les développeurs soient formés sur des thématiques précises. Par exemple l’animation de la démocratie participative dans les CLD. Dernière source, ce sont les consultants qu’ARADEL mentionne sur son site internet, qui interviennent dans les formations qu’elle organise, qui eux aussi, sont capteurs de besoins, d’évolution et de nouveaux débouchés.

Par l’extension de son emprise sur la formation continue des développeurs en Rhône-Alpes, mais aussi dans d’autres régions où de telles structures sont inexistantes, petit à petit ARADEL contribue à la normalisation du métier d’agent de développement. En témoigne la publication d’ouvrages de vulgarisation sur le métier de développeur qui poursuivent le double objectif de normalisation-légitimation du métier403.

Dans sa revue spécialisée Les cahiers du développeur économique, n° 8 d’octobre 2005, ARADEL publie les résultats d’une commande conjointe du Conseil régional de Rhône-Alpes au cabinet d’expertise Avenir Téléservices intitulée « Les Métiers du développeur économique », basée sur une enquête auprès d’une trentaine d’agents de développements.

Trois points sont abordés :

D’après les rédacteurs du rapport d’expertise, il ressort « que dans un métier en émergence depuis 20 ans, (. )en perpétuelle évolution. (.) d ’une logique de guichet, (.) il(.) a naturellement évolué vers une logique de management de projet.

Cette mission d’accompagnateur du changement sur un territoire, nécessite de la part du développeur économique une capacité à évoluer et s’adapter aux mutations rapides de l’économie  (.).

C’est en partie cette perpétuelle évolution du métier qui participe du sentiment des développeurs de non reconnaissance de leurs compétences et donc d’une volonté depuis quelques années de structurer le métier pour affirmer sa valeur ajoutée, sans que cela ne le fige dans un cadre trop normatif ».5

Les rédacteurs constatent que « p ris individuellement, chaque développeur se définit comme un cas particulier ne pouvant rentrer dans aucune tentative de classification des fonctions exercées, car issu d’une logique propre à son territoire.

Les enquêteurs soulignent que le métier de développeur n’est pas reconnu. « Il se diversifie et se complexifie, ce qui génère un manque de lisibilité vis-à-vis des collectivités et donc à terme des problèmes d’évolution de carrière. De plus, les objectifs et les missions manquent souvent de précision. ».

En conséquence, les préconisations des auteurs s’orientent vers « la professionnalisation du métier : une nécessité souhaitée par les collectivités locales comme par les développeurs économiques. ».

Mais si l’association joue un rôle prépondérant en la matière, elle n’est pas en situation de monopole. Elle s’inscrit dans un espace de professionnalisation du métier d’agent de développement composé d’universitaires, d’associations, d’entreprises privées de conseils, de structure publiques. Cette organisation tient autant du marché sur lequel s’échange des prestations par voie de contrat que du réseau d’interconnaissances qui se rendent mutuellement service.

Notes
402.

Informations obtenues par échange de mails avec le secrétariat de mairie de M. COTTALORDA.

403.

Cet objectif figure expressément dans le Référentiel des compétences. Cœur des métiers. Groupe de travail référentiel de la plate-forme métiers du développement territorial avec l’aide d’Anne KILLI du Cabinet Ingeniors sur www.unadel.asso.fr . Consulté le 18 juillet 2009.