Rareté et sélection des participants 

Dans les territoires infra régionaux, les CLD regroupent généralement les représentants des acteurs économiques, les responsables d’associations, les partenaires sociaux et les présidents d’EPCI du territoire. Associés à l’élaboration des projets, ainsi qu’au choix et à la définition du programme d’actions, ils peuvent formuler des propositions au cours de nombreux ateliers thématiques.

Les membres des collèges des CLD des Pays Beaujolais et Roannais ont la plupart été contactés par les élus et les chargés de mission du Pays lors du travail préparatoire à la Charte.

Le CLD du Beaujolais compte 87 membres répartis en trois collèges : collèges des élus territoriaux : 15 membres, collège socio-économique : 37 représentants, collège famille, social, culturel : 35 représentants.

Le CLD du Roannais commun au CDPRA et à la communauté d’agglomération du Grand Roanne est composé de 83 membres dont 14 élus, 34 membres du mouvement associatif, 22 du monde économique et 13 représentants d’institutions comme les organisations syndicales représentatives de salariés, les syndicats d’employeurs, les syndicats agricoles, un syndicat forestier.

Les associations et les institutions ayant une couverture territoriale large sont retenues et leurs responsables cooptés par les élus. Leur représentativité est d’abord territoriale avant d’être sociale.

Associations de quartiers, de mal logés, couches de la population socialement défavorisées non organisées et sans représentation telles que les Rmistes, les chômeurs de longue durée ne sont pas des catégories sociales territorialement représentatives. Par contre présidents de CCI, universitaires, associations de commerçants, chef d’entreprises, fonctionnaires de catégorie A ou cadres supérieurs le sont.

Cette logique imprécise de représentativité territoriale opère un tri des citoyens sur leurs capacités et compétences à intervenir dans ces instances techniques et politiques. Ou alors sur leur capital social.

‘« R Les gens pour qui on construit des filières d’intégration de formation ne participent pas à la construction de ces filières. C’est vrai qu’on a que des gens très intégrés, il n’y a pas de désaffiliés. 
Q D’une certaine façon le conseil de développement participe à la domination d’un groupe social sur le territoire, ça peut être vu comme une hypothèse.
R Oui.
Q Donc, on serait totalement à l’opposé de ce qu’est la démocratie participative, la rationalisation démocratique puisqu’on est dans le renforcement d’une logique de domination.
R Sauf que ce groupe dominant est très divers, et qu’on a de multiples sensibilités, et dans le bureau, on n’est pas dans cette logique de groupe dominant. Mais c’est vrai que la composition doit évoluer. Alors ce qui est intéressant ici c’est la position de l’université dans ce champ. On ne s’est jamais positionné comme des experts dans ce domaine alors que c’est à ce titre qu’on nous a appelés. J’ai toujours essayé de développer des logiques transversales. Les gens ne restent pas sur leurs domaines de compétence mais doivent aller ailleurs. Ça commence à être compris, notamment au niveau du bureau.»
Entretien n°23 du 29 mai 2006
« R Je suis assez dubitatif sur le rôle du CLD pour en avoir vu dans plusieurs Pays. La Région nous a un peu imposé ça, elle ne sait pas trop quoi en faire. L’institutionnaliser comme une structure lourde, je ne sais pas si c’est vraiment utile. Sur l’aspect participatif, consultatif c’est intéressant, mais le formaliser de manière aussi stricte ça alourdit. Par exemple, dans le collège « citoyens », on rassemble des individus qui n’ont pas les mêmes intérêts au même moment. Sur le papier, ça peut être intéressant, mais ensuite, le faire vivre, c’est autre chose. Ça ne produit pas grand-chose. Alors, ça peut être intéressant quand on parle d’un projet, d’une étude, d’aller chercher des idées différentes. Mais l’institutionnaliser de manière aussi rigide, ça pose des problèmes parce qu’ils sont toujours en train de chercher leur place. Puis, ce sont souvent les mêmes qui interviennent dans les CLD. Ce sont des gens qu’on associe à d’autres réflexions qu’on retrouve souvent. Ce sont souvent des organismes de représentation comme on est à l’échelle du Pays. On n’est pas sur la petite association du coin. Par exemple au niveau sportif on n’a pas le club de football, on a le district du Roannais. Ça n’engendre pas les mêmes actions que le petit club, on a souvent le même discours. En plus, il y a des gens qui s’y investissent sans forcément qu’on tienne toujours compte de leur avis. Bon.
Entretien n° 36 du 7 juin 2007’

Il ne s’agit pas de tomber dans une description manichéenne mais de montrer simplement que l’entrée dans ces enceintes est filtrée. De manière délibérée ou non.

D’une part, les membres de la société civile sont cooptés par les élus sur des critères peu précis, d’autant plus que, faute de disponibilité, les volontaires ne sont pas nombreux.

Cependant la compétence professionnelle, l’engagement social et l’assiduité aux réunions sont déterminants.

‘« R On ne peut pas dire qu’il n’y a que des techniciens, il y a aussi des retraités. C’est vrai que globalement ce sont des personnes qui ont des compétences dans tel ou tel domaine d’activité. Ils ont été choisis sur cette base et sur la base de la représentation territoriale et des secteurs d’activité. Mais je ne crois pas qu’il y ait une grosse sélection de la part des élus, les gens qui ont été volontaires ont été pris. »
Entretien n°23 du 29 mai 2006’

Ce point précis n’est pas propre aux deux CLD présentés. Lors de la journée d’échange du 19 juin 2003 sur le thème de Mobilisation et participation et de la société civile aux démarches de développement local organisée par l’ARADEL, la difficulté à pérenniser la participation sans l’institutionnaliser a été soulevée : « La mobilisation des personnes s’obtient par un effet réseau et de capillarité de diffusion de l’information qu’il faut susciter au début (réunions publiques dans les conseils municipaux, associations, organisation de journées débats, utilisation de sites Internet dédiés : www.millenaire3.com…). L’objectif recherché est de permettre « l’exhaustivité » des opinions pour permettre « d’innover » sur certaines actions et réflexions. Cependant cette information descendante générée par le réseau ne suffit pas, et il faut également susciter un minimum d’intérêt à la base (presse, plaquette…) pour permettre le renouvellement de la participation et éviter de l’institutionnaliser (professionnels de la participation). Ce double effet descendant et ascendant doit être à l’origine de la multiplication des espaces de participation, y compris et surtout dans un cadre de proximité, afin de mobiliser le plus grand nombre. Ces différents espaces de participation s’emboîtent les uns les autres. Par ailleurs, reste à tenir compte des contraintes de bénévoles qui, en l’absence de reconnaissance de statut d’élu associatif, ne peuvent se libérer à loisir ce qui risque de renforcer cette institutionnalisation » 410 .

D’autre part, les taux de présence aux réunions, les défections au sein des commissions attestent la difficulté à recruter des membres actifs. Dans le Roannais sur les 83 membres du CLD, 30 en moyenne sont présents aux six réunions s’étant déroulées en 2005 et aux quatre qui ont eu lieu en 2006. Dans le Beaujolais, le CLD s’est réuni cinq fois en assemblée plénière entre 2002 et 2005. Il a été réanimé (au sens médical du terme !) en juin 2007. Lors de ces réunions les taux de présence ont été très élevés411 : huit membres sur dix pour le collège des élus, la moitié pour le collège socio-économique, un tiers pour le collège « famille, éducation, culture »412.

Enfin, le choix du président du CLD ne relève pas du hasard. Ce poste, dans une enceinte participative à la légitimité contestée par les élus, revient à une personne dont le dévouement est une caractéristique peu discutable. C’est aussi une personne représentant une entreprise, une association ou une institution qui joue un rôle socio économique territorialement reconnu. Par cette position, elle a affaire aux élus. Elle peut aussi être titulaire (ou avoir été) d’un mandat politique.

Dans le Roannais, le premier président du CLD était M Lucien DEVEAUX président de la CCI, président du premier groupe textile indépendant de France Groupe DEVEAUX DEVEAUX, 341ème fortune de France, ancien élu de Saint Vincent de Reins. Le président actuel du CLD est un commerçant en retraite, ancien élu qui a milité nationalement dans une association d’éducation populaire.

‘« R J’étais commerçant à Charlieu. C’est important de le dire parce qu’on fait partie du Pays, on le connaît. En dehors du travail, je me suis toujours investi dans le milieu associatif sous toutes ses formes que ce soit culturel, rural, sportif. Et j’ai même été conseillé municipal à un certain temps. J’étais trésorier national d’une association d’éducation populaire, c’était le C. M. R., Chrétien Monde Rural, c’est un mouvement à la fois chrétien dépendant des évêques, mais aussi pour moi, d’éducation populaire impliqué dans le développement local. Les adhérents étaient des gens qui réfléchissaient sur leur vie mais aussi militants sur le terrain, à la base. J’étais donc au niveau national, j’ai fait connaissance avec la loi Voynet. Cela m’a beaucoup intéressé. Je me suis dit : le jour où je ne serai plus au national, je m’impliquerai dans les Pays. Alors les mots, développement local, développement durable, CLD, cela voulait dire implication de la société civile auprès des élus, c’était ce qui m’a motivé. Alors ne voyant rien venir sur le Roannais, et j’avais même imaginé un Pays sur Charlieu et Belmond et aussi le Brionnais, le Charolais en Saône-et-Loire. D’autant plus qu’étant commerçant à Charlieu, je voyais le tiers de la clientèle venir de Saône et Loire. Voilà mes motivations de départ. Alors je suis allé voir le chef de projet de l’époque, M. Bernard JAYOL. J’ai fait une demande, un acte volontaire, je suis membre de la société civile, je suis venu voir le Pays pour m’y impliquer. Je ne représente pas forcément une association ou alors en ce moment, j’en représente une vingtaine. »
Entretien n°27 du 19 juin 2006’

Dans le Beaujolais, ce sont deux membres de l’association de chefs d’entreprises Beaujolais initiatives qui ont été désignés président du CLD. M. Jean François SOMMEREUX, premier président démissionnaire du CLD était Président directeur général de l’une des plus grandes entreprises du Beaujolais, la SOBECA entreprise de travaux publics qui lui a permis de nouer des relations d’affaires diverses et nombreuses avec les pouvoirs publics locaux.

M. SOMMEREUX est un chef d’entreprise en retraite qui a été élu président du CLD le 28/10/ 2002. Il démissionne lors de la troisième assemblée générale du CLD, le 16 février 2004, date de la validation de la charte.
Parallèlement à la direction d’entreprise, il participe en 1995 avec l’aide de la CCI de Villefranche sur Saône et l’intervention de banques et d’entreprises industrielles, à la création de l’association Beaujolais Initiatives qui encourage la création d’entreprises. Elle aide à la formalisation du projet d’entreprise, prête un fond d’amorçage, loue des locaux. Cette expérience est élargie par la suite aux plateformes d’initiatives locales avec le soutien du député Bernard PERRUT, président à l’époque de la Communauté de communes de l’Agglomération de Villefranche sur Saône
C’est libre de toute adhésion partisane mais en tant que président de Beaujolais Initiatives qu’il devient le Président du CLD à la demande de M CHARVET, président du comité de pilotage et soutenu par le député PERRUT.
Il décrit, désabusé, son entrée dans le monde politique. Selon ses propres termes, il s’agit d’une « nébuleuse », dans laquelle la « concurrence et le règlement de compte » relèvent plus de « Clochemerle » que de la volonté de construire. Outre le manque de moyens mis à sa disposition, pas de budget, un des agents de développement du Pays l’aide à ses temps perdus. Il pointe le manque d’implication des acteurs associatifs, politiques et autres institutions et la dilution du pouvoir de décision, ce qu’il appelle les « fameux tours de tables ». Il résume cette situation par une question : « A qui parler ? »
Il cite deux exemples qui marquent son expérience à la tête du CLD.
Le premier concerne une réunion sur l’emploi. Fort de son expérience personnelle d’entrepreneur qui a été amené à mettre en place des formations professionnelles, il déplore la « surreprésentation des fonctionnaires » et la « sous représentation des entreprises privées ». Deux approches différentes s’opposent sur les actions à conduire en matière de formation et d’emplois. Sur la compétence des politiques, il dit : « ils n’ont pas la mentalité pour piloter l’économie ».
Le second renseigne sur la difficulté à mobiliser « la société civile ». Lors de la réunion de constitution du bureau du CLD à Monsols, le recyclage des déchets et la transversale Est Ouest sont abordés. Il déplore que chacun vienne « défendre sa maison des Pierres Dorées » sans se soucier du développement économique, le syndrome NIMBY empêchant toute ambition collective.

M. FOROPON, deuxième président démissionnaire est Diplômé de Sup de co Paris, ancien directeur commercial, aujourd’hui à la retraite, du groupe DEVEAUX, leader national de production textile (145 millions de CA en 2004 et 624 salariés) installé à Saint Vincent de Reins dans le département du Rhône, à quelques kilomètres de Roanne, (Loire). Il est adjoint au maire de Cour la Ville chargé de l’habitat et des NTIC. A ce double titre, il est président de la société immobilière d’économie mixte de Cours la Ville au capital de 580 096 € qui gère le patrimoine immobilier de la commune, et trésorier de l’association Rhône sans fil qui vise à couvrir les zones enclavées du Département en haut débit.

M FOROPON est membre de l’association Beaujolais Initiatives, il est élu président du CLD du Beaujolais le 1er février 2005, en remplacement de M. SOMMEREUX. Il démissionne lors de la cinquième AG en mars 2006.
Souhaitant développer des initiatives concrètes, M FOROPON se penche sur la capacité opérationnelle du CLD, jusque là quasi nulle. Son interrogation porte donc sur l’efficacité des outils au service du développement économique au sein du Pays Beaujolais. Il déplore que le Pays ne soit pas un syndicat mixte, « une structure dure avec un budget et des moyens humains et matériels pour fonctionner », soit l’opposé de la convention entre EPCI comme c’est le cas du Beaujolais. Il pense que la société d’économie mixte est un outil opérationnel et efficace pour réussir les actions de développement territorial : « Ce que les politiques ne savent pas faire, il faut le laisser aux entreprises en créant les structures adaptées, comme la SEM ».
Président, il défend l’idée d’expérimentations locales pour les reproduire à l’échelle du Pays et projette la création d’une agence économique au niveau du Pays. Mais il se heurte aux chambres consulaires, en particulier la CCI de Villefranche qui bloque cette intrusion sur ses plates-bandes, au désintérêt des élus pour le CLD « qui n’a pas besoin de budget pour avoir des idées » considérant le Pays comme une « pompe à fric ».
Il participe activement à la promotion de l’idée d’une marque Beaujolais « Made in Beaujolais »pour les produits agricoles remarquables,les manifestations culturelles, expositions, voire les démonstrations des métiers de bouche.
Sur cette courte période, la vie du CLD s’est résumée à l’activisme de M FOROPON et d’un stagiaire en Master 2, à Université Jean Moulin Lyon III, au désintérêt des élus, à la multiplication des tours de tables, la mise en place d’ateliers techniques mixtes qui ne facilitent pas la prospective.
M FOROPON conclut : «  Le président du CLD est une marionnette, j’ai rempli une case. Sans moyens, sans statut, je n’ai jamais été saisi d’une mission ».

Aujourd’hui dans le Beaujolais, c’est la présidente de la communauté de communes Beaujolais Nizerand, membre du comité de pilotage du Pays qui préside le CLD. Cette nomination est révélatrice des difficultés que rencontrent les élus à faire émerger une pratique politique de participation au sein de la société civile. Participation qu’ils n’ont guère encouragée, puisque le rôle institutionnel du CLD a été réduit au minimum, avec des moyens réduits. Il a validé la Charte et le Contrat en 2004. Depuis, il se caractérise par son inaction. Comme l’écrit le président du comité de pilotage dans la lettre d’information n°1 du CLD de juin 2007 : « Comme bien d‘autres CLD, celui du Pays Beaujolais a connu des hauts et des bas ». D’ailleurs, la manière dont il en présente les missions, en comparaison du projet politique régional, éclaire l’importance que certains élus locaux peuvent accorder à cette enceinte et à participation de la société civile :

‘« La Région Rhône-Alpes a précisé dans sa délibération de novembre 2005, les missions qui incombent aux CLD, à savoir :
1. Accompagnement de la procédure liée aux Contrats de Développement des Pays de Rhône-Alpes en appui aux Comités de Pilotage (COPIL) :
♦ Avis lors du dépôt de candidature
♦ Propositions et avis obligatoire sur la charte, le contrat, les avenants
♦ Suivi et évaluation du contrat
2. Implication dans la pratique du développement durable pour la mise en œuvre du projet de territoire
3. Formulation d’avis sur les politiques territorialisées de la Région
4. Participation à l’information de la société civile
♦ Sensibilisation, information et consultation ».’

Le président du comité de pilotage précise également que le CLD peut être saisi ou s’autosaisir de certaines questions relatives au développement territorial, telles que le SCOT et les avenants au CDPRA.

Par contre, dans l’éditorial qu’elle livre en été 2007, la nouvelle présidente du CLD est plus explicite : « (.) Je souhaite, si vous en êtes d’accord, revoir le fonctionnement du CLD, afin que ce dernier soit actif et reconnu. C’est pourquoi, fin août vous recevrez un courrier vous demandant si vous souhaitez poursuivre votre engagement à nos côtés. Par ailleurs, afin que chacun d’entre vous trouve sa place au sein du CLD, nous voulons créer des commissions de réflexion en fonction des axes de travail que nous choisirons ensemble »413.

L’exemple du CLD du Beaujolais illustre les difficultés de mobilisation de la société civile quand les élus et certaines institutions économiquement dominantes, comme les CCI, sont rétifs à s’ouvrir publiquement et de manière formalisée à ses avis. Situation proche, mais moins paroxystique dans le Roannais. Dans les deux cas, on observe que la participation est une affaire de moyens mis à disposition des membres du CLD.

Notes
410.

Compte-rendu Matinée d’échanges du 19 juin 2003 sur les démarches participatives. Synthèse des débats p 5 sur www.aradel.fr . Consulté le 15 mars 2007.

411.

Nous devons ces chiffres à M. Florent DUNOYER étudiant en Master 2 professionnel « Politiques et Aménagement des Collectivités Territoriales » à Université Jean Moulin Lyon III. C’est de son rapport de stage intitulé Pour un Conseil Local de développement actif en Beaujolais dont nous tirons certains des éléments nécessaires à notre argumentation. Qu’il en soit ici remercié.

412.

Taux issus du Rapport d’activités du CLD du Roannais juin 2004-juin 2005.

413.

Lettre d’information n°2 du CLD, juillet 2007.