2 Pouvoir et savoir participer 

Dans le Roannais, le manque de ressources humaines, techniques et financières est parfois compensé par la présence de l’IUT qui met ses moyens logistiques, pédagogiques et scientifiques pour faire vivre cette expérience participative. L’organisation commune d’un colloque sur la démocratie participative en 2007 en témoigne. Mais cette organisation ne se substitue pas au CLD.

Le CLD du Beaujolais dispose d’une animation provisoire jusqu’à l’été 2006 fournie par le syndicat mixte du SCOT au nom du comité de pilotage : un ordinateur, une ligne téléphonique, une connexion Internet, une photocopieuse et quelques salles de réunions sont mis à disposition. En outre, la présence d’avril à octobre 2006, d’un étudiant stagiaire en Master 2 professionnel « Politiques et Aménagement des Collectivités Territoriales », à l’Université Jean Moulin Lyon III  permet de travailler sur l’hypothèse de l’autonomisation du CLD. Saisissant l’opportunité de la délibération du Conseil régional qui formalise l’organisation des CLD414, le président du CLD souhaite étudier sa transformation en association de type 1901. La reconnaissance en association aurait l’avantage de renforcer son fonctionnement et à terme de mutualiser différentes formes de financement (cotisation des membres, dotation du comité de pilotage, subvention régionale…).

Deux options se présentent : la création d’une association ex nihilo ou le réveil de l'association pour le développement du territoire Beaujolais – Plaine de Saône porteuse de l’ancien CGD éponyme. Mise en sommeil depuis la signature du CDPRA, en 2004, mais non dissoute, la refondation de ses statuts et de son conseil d'administration aux mains des élus du Beaujolais Val de Saône permettrait d’attribuer rapidement le reliquat de ses fonds de fonctionnement au CLD. Cette contribution locale étant la condition première de l'attribution de la subvention régionale au fonctionnement du CLD, celui-ci disposerait dans un court délai des moyens de son animation autonome jusqu'à la fin du contrat.

Mais les membres du comité de pilotage, consulaires et élus ne souscrivent pas à cette option. Y voyant une structure supplémentaire, peut être concurrente, de surcroît entre les mains d’une personne au caractère bien trempé et qui veut agir, ils rejettent cette proposition :

‘« Pourquoi un budget : Pour qu’il y ait des idées, il ne faut pas d’argent, pour le secrétariat on peut, nous au niveau de la chambre de commerce, mettre à disposition une secrétaire ». «Pas d’association, on a qu’à voir avec le budget du syndicat mixte » s’est écrié un autre et néanmoins important membre du comité de pilotage, alors qu’aucun syndicat mixte n’a jamais porté le Pays »415.’

Cet épisode montre que la participation de la société civile au développement territorial ne supporte pas le dilettantisme416. Pour peser face aux élus dominants du territoire, aux chambres consulaires qui fournissent des services et conseils économiques aux collectivités locales et dans ce cas précis, organisent sciemment le manque de moyens de ces enceintes, les « participants » doivent légitimer leurs interventions par la production de savoirs solides et utiles au développement. Ils ont intérêt à professionnaliser leurs méthodes de travail et leurs productions d’avis. Onn'a effectivement « que le choix entre la « bureaucratisation » et la « dilettantisation » de l'administration. (.)De même que les gouvernés ne peuvent normalement se défendre d'une domination bureaucratique donnée que par la création d'une organisation contraire propre également exposée à la bureaucratisation » 417 .

En somme, la participation de quelques membres de la société civile au développement du territoire en même temps qu’elle réduit la citoyenneté, droit universel, à une fonction liée à la maîtrise d’un savoir, les fait entrer dans un jeu institutionnel qui les dépasse.

‘« R Oui c’est une étape d’information, quand les gens ne sont pas au courant comment peuvent-ils donner leur avis ? C’est un sacré fatras, communautés de communes, les contrats, les Pays, les subventions, quelqu’un qui débarque doit comprendre tout ça dans un premier temps. Je pense que les gens qui sont là depuis un certain temps commencent à comprendre les mécanismes. Et comment ils peuvent intervenir. Mais quand ils interviennent pour la première fois, avec des demandes complètement irréalistes, c’est bien, on bavarde mais on n’aboutit à rien. Donc la première étape c’est l’information on ne peut pas la nier. »
Entretien n°27 du 19 juin 2006’

Les notables veulent contrôler ce qui se passe sur leur fief. Les élus municipaux veulent encore exister dans les projets de développement. Les chambres consulaires défendent leur mission de conseils auprès des collectivités locales et des entreprises. La Région qui structure le réseau des CLD leur donne les moyens financiers et documentaires de leur mission, assure des sessions de formation à leurs membres, consolide par la même ses relais et soutiens dans la société civile. Les agents de développement animateurs des CLD dont les postes sont cofinancés par la Région jouent un rôle central dans la diffusion de la thématique et de « la culture du projet territorial participatif ». Pour eux, la formalisation des missions des CLD et leur animation devient un enjeu du renouvellement et de maîtrise de leur domaine d’intervention. Autrement dit, la professionnalisation de la participation renforce leur rôle d’acteur pivot.

Il faut aussi garder à l’esprit que pour les agents de développement, pour les associations et les élus, il est impératif de maintenir la ressource contractuelle sans réelle évaluation de l’efficacité des procédures. Sans condamner une expérience politique et un outil avant qu’il n’ait durablement fonctionné on peut quand même s’interroger sur l’utilité des CLD en matière de création d’emplois et de formation adaptée au marché du travail.

‘« R1 Non, non. Quand j’assiste aux réunions de bureau du CLD où j’ai des relations très sympathiques et où je les aime bien tous, mais quand il faut que je fasse un compte-rendu, j’en suis bien incapable.
Q Pourquoi ? Ça vient de quoi ?
R2 Je ne sais pas.
Q Pourquoi avez-vous des difficultés ?
R Parce que parfois, on n’aboutit pas à une décision, à quelque chose de concret, moi j’appelle ça du concret.
Q C’est-à-dire ?
R1 Bien on dit on va faire ça, une action avec un programme. Ça a tendance à évoluer. Les dernières fois, certaines personnes dans le bureau, je dirais que ça tient beaucoup aux personnes qui sont là, il vous est arrivé de me dire, ce n’est pas important, l’important c’est qu’on discute. Pour moi c’est important, mais il n’y a pas que ça. C’est vrai que parfois on repart sur une autre réunion, et on n’aura pas forcément produit quelque chose.
Q Très concrètement, quand vous êtes saisie sur le CTEF, vous avez un rapport à rendre, une étude.
R1C’est différent ici. On a une demande précise, on rend un travail précis. Cela ne me pose pas de problème sauf un problème de temps, parce que c’est deux groupes de travail de plus. Alors à chaque fois qu’on multiplie les commissions, les groupes de travail, c’est de la logistique, c’est de la présence. A la limite, ça ne pose moins de problèmes parce que ça se gère, je peux ou je ne peux pas que d’essayer, c’est quoi notre but ?
Q Donc la finalité du CLD ?
R1 Bien oui, moi ça se tient à ça. C’est-à-dire faire un compte-rendu, poser des actions, définir des objectifs. C’est vrai que j’ai un rôle de proposition aussi. Je vous ai dit qu’il me semble important de renforcer la connaissance que les gens ont des un des autres, on avait parlé de méthode de travail, de prises de parole, de connexions Internet que les gens puissent communiquer entre eux. S’ils se connaissent mieux peut-être qu’il y aura plus de propositions. Bon il y a le bureau, puis quand on est en plénière il y a parfois des injonctions, des critiques. Après il faut faire la synthèse de tout cela, ce n’est pas facile. Voilà par rapport à mon rôle, je ne sais pas ce qu’en pense M. Carlier même si on en a déjà discuté.
R2 Dans le CLD, nous ne sommes pas des élus, nous ne sommes pas des techniciens, nous sommes simplement des bénévoles. On vient, pour certains du monde associatif, pour d’autre du monde économique, on a chacun nos expériences de vie, nos motivations, et on essaie de rassembler tout ça pour l’avenir de pays roannais. On est en train de trouver notre second souffle. On n’est pas appelé pour donner un petit avis, désormais on est appelé pour produire du travail. Personnellement je me sens incapable de réaliser cette production tout seul. On a besoin à la fois d’autres personnes, éventuellement du CLD, et on a besoin également des techniciens ».
Entretien n°27 du 19 juin 2006’

Dans les dispositifs territoriaux, compte tenu de la légèreté de la structure d’animation et de leur incapacité juridique à maîtriser les ouvrages, ce sont de nombreuses associations ou petites entreprises locales qui vivent de la manne publique territoriale en tant que sous-traitants de l’action publique. Les appels d’offre sont devenus monnaie courante. Pour une bonne partie de leurs compétences, les collectivités territoriales ne font plus, elles font faire via les procédures de marchés publics. Se constitue un noyau d’intervenants locaux consultés sur le projet territorial et sa mise en œuvre qui apportent techniques et méthodes de travail qui différent de la culture du service public. D’ailleurs, un syndicat comme la CGT même s’il soutient la territorialisation des politiques de l’emploi en cours dans les CTEF n’a de cesse de dénoncer les conséquences des appels d’offres en matière de formation et d’insertion. L’organisation syndicale déplore que « les missions locales perdent leur caractère spécifique d’accompagnement des jeunes en difficultés et se retrouvent en concurrence avec des organismes dont la mission est tout autre et c’est le sens de leur mission qui est remis en cause. ». Elle précise : « Depuis que l’ANPE et le Conseil régional ont choisi d’appliquer la procédure des appels d’offres aux actions d’insertion, d’accompagnement et de formation professionnelle, les demandeurs d’emplois sont les premières victimes d’un bouleversement incompréhensible des prestations qu’ils reçoivent, les formateurs, les gestionnaires d’associations subissent une instabilité qui réduit à néant des années de travail sur le territoire visant à créer un tissu social de proximité pour accompagner efficacement des parcours de formation souvent difficiles. Le système des appels d’offres met en effet en concurrence sans distinction des organismes importants avec des petites structures, des associations locales implantées sur un territoire avec des sociétés nationales voire européennes qui vont ensuite sous-traiter les actions sur place. » 418

En d’autres termes, aucun acteur du développement territorial n’échappe à cette mise en tension de l’action publique qui est une technique de gouvernement initiée par l’État, renforcée par la Région, relayée par les EPCI et les agents de développement dans les territoires infra régionaux. Les CLD viennent en appoint de légitimation de cette politique qu’ils entérinent plus qu’ils ne la co-construisent.

Notes
414.

Délibération n° 05.07.805 du 9 et 10 novembre 2005 sur laPolitique régionale des Contrats de Développement de Rhône- Alpes : Soutien aux CLD

Si les CLD prennent le statut d’association, le Conseil régional leur alloue une subvention de fonctionnement s’échelonnant de 21.000 à 42.000 euros à condition d’assurer les moyens d’une animation pérenne, de définir clairement un mode de fonctionnement, de remplir différentes missions et de créer un plan d’actions pour l’année.

415.

DUNOYER F. op.cit., p 19.

416.

C’est le terme que choisit WEBER en opposition au professionnalisme des politiques et des administrateurs dans le Savant et le politique, op.cit..

417.

WEBER M. Économie et société. Les catégories de la sociologie, op.cit., p 298.

418.

La position de la CGT Rhône-Alpes sur le recours aux appels d’offres en matière de formation est présentée dans la publication FORMATION PROFESSIONNELLE et INSERTION : Les appels d’offres font des ravages, ils ne sont pas obligatoires ! Revenons à une logique de service public !sur www.cgtra.org . Consulté le 12 avril 2007.