Chapitre IV La recentralisation par la doctrine : une logique d’influence de la diact et de ses relais

Le lieu et les modalités de définition des normes de l’action sont un enjeu dans le contrôle de l’action. Ils traduisent les mouvements de balanciers qui définissent les relations de pouvoir entre le centre et la périphérie. Par exemple, Anne Cécile DOUILLET montre comment les lieux de définition des normes du développement local se sont déplacés dans le temps. Elle relève que si dans les Plans d’Aménagement Ruraux (PAR) de la fin des années 60, l’expertise du développement était pour l’essentiel à l’intérieur de l’administration d’État, dans les Pays issus de la LOADDT de 1999, la DATAR au niveau central, les Régions et les Départements au niveau local, diffusent les normes de ce type d’action publique territoriale. Non sans remarquer un fort mimétisme d’un projet territorial à l’autre. Elle précise en effet que « les acteurs locaux répondent à une procédure plus qu’ils n’élaborent un projet territorial »430.

Le pluralisme des acteurs dans la définition des normes est un fait. Mais ce constat ne suffit pas à montrer l’asymétrie des ressources d’expertise. En effet, l’influence de la DATAR, puis de la DIACT dans la normalisation des représentations et des méthodes d’action est remarquable. Les stratégies territoriales se moulent dans les scénarios qu’elle a prévus. Faute d’une ingénierie suffisante, les collectivités locales n’ont d’autre issue que de s’inspirer de la substance des schémas prospectifs et des modes opératoires qu’elle diffuse par ses nombreux relais.

La prospective définie de manière générique est une technique d’orientation de l’action et de mobilisation des acteurs. Elle parie sur le temps long en dessinant un avenir souhaitable. En matière de développement territorial, elle est au cœur de la démarche de projet.

La démarche de projet entretient une relation singulière au temps. Le projet mêle présent et futur, temps court et temps long. Dans les politiques publiques locales et européennes, Marc ABELES affirme que «nous sommes projetés dans un univers où le présent se confond avec la toute puissance du projet »431. Or il s’agit d’un présent pluriel. Le temps présent de l’économie n’est pas le temps présent de la persuasion rationnelle dans la démocratie représentative. Le temps du débat, de la concertation, du tour de table rallonge le temps de la décision politique, quand le temps de la décision économique se réduit notamment grâce à la dématérialisation de l’économie et les flux connectés d’information. Cette pluralité du temps présent va de pair avec l’ouverture de l’action publique à une multiplicité de logiques d’actions. Face à un présent chaotique et incertain, les projets et la prospective ont pour fonction d’aménager ce chaos afin de mobiliser les acteurs du territoire autour d’un processus politique qui prend forme dans un périmètre, une charte de développement et un appareil de gouvernement chargé de l’appliquer. Mais ce temps là, ce temps paradoxal, c’est la technocratie, qui le contrôle à distance, en laissant infuser lentement les schémas cognitifs qui imprègnent les acteurs locaux.

Autrement dit la prospective n’est pas une technique neutre. Elle produit de l’information et des représentations abondamment diffusées. Comme des évidences, les conceptions réticulaire et organiciste du territoire s’imposent aux acteurs locaux.

Notes
430.

DOUILLET A.C. « Les élus ruraux face à la territorialisation de l’action publique », Revue française de science politique, vol 53, n°4, août 2003, p 602.

431.

ABELES M. « Du local à l’Europe. Itinéraire d’un anthropologue », dans BALME R., FAURE A., MABILEAU A. (dir) Les nouvelles politiques locales op.cit. p 145.