Chapitre V De la logique contractuelle au régime d’agence

Dans les années 90, la contractualisation de l’action publique478 est un vecteur de changement dans les modalités de sa conception, de son financement et de sa mise en œuvre. Elle permet à la Région en particulier de faire sa place dans le cadre institutionnel local. Pour Jean Pierre GAUDIN, « la dynamique politique de la décentralisation et la pratique des financements « croisés » font que, de génération en génération de CPER, les Régions se sont d’abord positionnées en complément sur des compétences classiques de l’État, puis ont proposé des initiatives propres ou des contributions nouvelles, et qu’elles ont fini par revendiquer et conquérir des compétences supplémentaires… Ce qui ne déplaît pas forcément à un État qui cherche de son côté, à garder des marges de manœuvre financières et à alléger ses engagements (surtout en période où il annonce des réductions d’impôt). Le contrat de plan est donc une démarche qui a attiré ou orienté vers les régions des compétences élargies» 479 . Cette évolution se traduit par la déclinaison territoriale du CPER dans des contrats territoriaux comme les CGD et les CDPRA.

Ce qui importe dans ces dispositifs, c’est la manière dont ils organisent la division du travail. Idéalement, ils visent à substituer la logique de projet territorial à la logique sectorielle de compétences administratives divisées entre les collectivités territoriales et les services déconcentrés de l’État. En s’appuyant sur l’expérience de l’intercommunalité, la définition et le respect de l’intérêt collectif dans les structures porteuses –syndicat mixte ou conventions entre EPCI-, ils posent la question du territoire au sens du développement local plutôt que la territorialisation entendue comme application locale d’une politique sectorielle nationale.

La Région joue un rôle central dans la gestion contractuelle de ces dispositifs. Elle les initie, contribue de manière déterminante à leur financement, sans s’imposer comme chef de file. Ce numéro d’équilibrisme peut être lu à l’aune d’une subsidiarité naissante. La forme contractuelle du développement territorial, expression juridique de la coopération480 qui s’applique dans les Pays est une esquisse de subsidiarité qui renforce « une culture de la négociation permanente et de la recherche de compromis » 481 .

Mais depuis quelques années, qui sur le plan institutionnel correspondent à la création de la DIACT fin 2005, l’État, sous couvert de compétitivité territoriale, érige la concurrence entre territoires en principe du renouvellement de la politique de développement territorial. Peu présent dans les politiques contractuelles de Pays, l’État les supplée par les appels à projets, comme les pôles d’excellence rurale et les pôles de compétitivité. Parallèlement, les CPER et leur volet territorial sont remplacés par des Contrats de Projets État Région qui répondent à des objectifs définis par le centre. Sous l’effet de la Révision Générale des Politiques Publiques, la gestion des fonds structurels européens qui cofinancent les projets de territoire sous la responsabilité des Préfets de Région exerçant les fonctions d’autorité de gestion et de paiement, devient l’affaire d’agences nationales482.

Cette application des préceptes du « New Public Management » et de la théorie de l’agence483 se précise avec la logique de projet, de bonnes pratiques, d’évaluation, de « benchmarking », d’externalisation, d’audit. Mais elle signe une moindre prise en compte des enjeux territoriaux. Ces évolutions ont des conséquences très pratiques sur le travail de l’ingénierie territoriale. D’une modalité de gestion publique territoriale à l’autre, on passe d’une logique de guichet à une logique d’audit. L’ingénierie territoriale est instrumentalisée pour concentrer les moyens et rationaliser l’architecture institutionnelle locale. Dans ce contexte, la Région, au rôle ambigu, s’organise pour combler les insuffisances des services déconcentrés de l’État.

Notes
478.

GAUDIN J.P. Gouverner par contrat : l’action publique en question.- Paris : Presses de Sciences Po, 1999, 233 p. L’auteur définit la logique contractuelle de la manière suivante : « Pour mieux approcher les contours spécifiques de ces démarches contractuelles qu’on peut aussi appeler des contrats d’action publique, on retiendra toutefois ici trois critères de forme, qui une fois réunis, permettent déjà de préciser les modalités procédurales de la contractualisation et de cerner le champ d’investigation : d’abord, la présence d’un accord négocié sur des objectifs mêmes d’action; puis l’engagement sur un calendrier de réalisation qui s’inscrit, dans un terme moyen, entre l’annualité budgétaire et l’horizon lointain de la planification ; enfin, des contributions conjointes des parties prenantes à la réalisation des objectifs (en termes de financement ou de compétences humaines et techniques) ; le tout inscrit dans un texte d’engagement cosigné par différents participants ».

479.

GAUDIN J.P. L’action publique. Sociologie et politique. Paris Presses de Sciences Po et Dalloz, 2004, 242 p.

480.

DURKHEIM E. De la division du travail social, Livre I, Chapitre III, § II (1897),. Paris. Presses Universitaires de France, 8e édition, 1967, 416 pages. Collection: Bibliothèque de philosophie contemporaine :« Le contrat est par excellence, l’expression juridique de la coopération (..).L’engagement d’une partie résulte ou de l’engagement pris par l’autre ou d’un service déjà rendu par cette dernière. Or cette réciprocité n’est possible que là où il y a coopération, et celle-ci, à son tour ne va pas sans la division du travail. Coopérer en effet, c’est se partager une tâche commune »

481.

FAURE A. (dir), Territoires et subsidiarité, L’action publique locale à la lumière d’un principe controversé L’Harmattan, collection Logiques politiques 1997 p 10 et suivantes sur la définition.

482.

EPSTEIN R. « Après la territorialisation : le gouvernement à distance » dans VANIER M. (dir.) Territoires, territorialité, territorialisation. Controverses et perspectives Presse universitaire de Rennes 2009 p 131-139.

483.

Le modèle du principal/agent est une analyse économique des relations hiérarchiques fondée sur les choix rationnels. Il a été appliqué au gouvernement d’entreprises pour décrire le lien entre l’actionnaire (principal) et le manager (agent). Autrement dit, sachant que chaque individu cherche à maximiser son utilité dans le cadre « d’incomplétude des contrats », ce modèle décrit les dispositifs de contrôle et d’incitation qui lient les intérêts de l’agent à ceux du principal.

Pour une approche complète de la théorie de l’agence. GABRIE H., JACQUIER J.L. La théorie moderne de l’entreprise. L’approche institutionnelle. Préface de H.A. SIMON, Economica, 1994, 329 p. Notamment les pages 247-250 et 30-305 sur la relation et les coûts d’agence.