La Région structure l’ingénierie territoriale et réorganise ses services pour mieux contrôler les territoires

Jean Jack QUEYRANNE, président de l’exécutif rhônalpin, « s’étonne que la Région soit chargée de définir la stratégie de développement économique sans que la capacité d’analyse et d’expertise de l’État soit transférée. C’est pourquoi le Conseil régional a souhaité se doter d’une Direction de la Prospective dont le rôle est précisément de fournir les éléments d’analyse indispensables à la construction des divers documents stratégiques participant à l’élaboration des politiques régionales » 506 .

Cette aspiration politique se traduit par la délibération du Conseil régional Études et actions structurantes d’aménagement du territoire 507 des 15 et 16 décembre 2005. La Région passe subrepticement du développement territorial à l’aménagement du territoire. Cela signifie d’une part que la Région s’intéresse désormais à l’enjeu stratégique que sont les SCOT qu’elle avait délaissés jusqu’ici508. Participer à la réalisation de ces outils de planification territoriale, c’est entrer dans le jeu interinstitutionnel, disposer d’un levier supplémentaire pour renforcer les territoires infra régionaux, notamment les CDDRA superposés aux SCOT comme dans le Beaujolais. D’autre part, c’est une anticipation sur la recomposition de l’architecture institutionnelle locale à venir qui impliquera une réorganisation des compétences d’attribution.

Pour ce faire, il est essentiel d’accumuler de la maîtrise scientifique et technique. La création au sein de la direction des politiques territoriales du service « Ingénierie territoriale, Planification spatiale, et Grands Projets » est la réponse organisationnelle donnée par la Région.

‘« R C’est un service qui a été créé fin 2006, début 2007. Moi, je suis arrivé en février 2007. Dans l’ingénierie territoriale, il y a une délibération de décembre 2005. Une décision qui portait sur la mise en réseau des partenaires de la Région en matière d’ingénierie. On a appelé cela l’archipel des compétences. L’idée des créateurs de cet archipel des compétences : la Région aide un certain nombre de structures. À l’époque elle a repéré ces 27 partenaires plus les deux Clusters qui sont des universitaires rattachés à certaines prestations. Cela touche l’environnement, l’économie, le logement. Il y a eu un premier classement. Quand on analysait tout cela, cela montait à environ un million d’euros payés par la Région à ces différentes structures, sans compter les établissements publics fonciers qui touchent des aides spécifiques. Donc un million d’euros à différentes structures aidées à différents titres soit pour de l’animation régionale, ce que l’on met sur ARADEL, pour de la formation, pour la que qualification des acteurs locaux, de l’observation par exemple pour l’observatoire régional. Donc il y a un million d’euros sans l’aide aux Clusters qui ont un programme spécifique. Ce que l’on mettait là dedans, qui est en lien avec la délibération. La recherche-développement, avec les Clusters en haut de pyramide. L’aide à la décision, en disant, c’est de l’assistance à maîtrise d’ouvrage, notamment de l’aide aux maîtres d’ouvrages locaux pour les CDRA et autres contrats territoriaux, de la formation, et de la veille territoriale. Création d’observatoires et aide à l’observation. Une fois que l’on a dit cela, c’est quand même très ambitieux à l’échelle régionale, on est loin de faire tout cela. On en n’est pas non plus, on va dire, à la notion de réseau des partenaires. Certains partenaires se connaissent. Mais faire fonctionner en réseau tout cela, c’est autre chose, que nous, service interne de Région, on ait conscience de la coordination de ces différents acteurs dans les commandes, c’est une chose. On coordonne nos commandes, on peut faire quelques commandes croisées et c’est déjà un progrès par rapport à ce qui se faisait avant où il y avait des doubles comptes. C’est sans doute la logique de Nicolas Millet et de Bruno Cotte. L’intérêt c’est de dire  : une fois qu’on a mieux identifié ces acteurs, c’est de mieux cibler les aides à la décision. Les besoins de formation des acteurs locaux, les besoins d’aide à la décision, les besoins d’observation pour les actions territoriales. C’est cette logique dans laquelle on essaie de s’inscrire».
Entretien n° 45 du 21 juillet 2008’

Il s’agit de gérer un réseau régional composé de 27 partenaires, et de deux clusters de recherches, organismes publics associations privées reconnus pour la maîtrise d’une compétence technique et professionnelle nécessaires à l’action publique territoriale.

‘« R La Région voit émerger aujourd’hui un métier nouveau qui est le métier du management et de l’ingénierie territoriale au service des acteurs locaux. Avant, on avait la Région guichet, ont frappait à la porte. On n’est plus là-dedans. On est dans quelque chose qui essaie de construire des diagnostics, des projets, définir des priorités avec dotations à la clé, j’ai évoqué les 200 millions tout à l’heure. D’autre part, les éléments de management territorial qui permettent de recevoir cette délégation et de piloter la gouvernance, peut être même la pléistocratie. La Région dit : il faut avec les universités créer, alors ce n’est plus l’école des territoires, ça existe déjà à Rambouillet, mais l’université des territoires en réseau en Rhône-Alpes. C’est dans le Cluster du schéma régional de la recherche et de l’enseignement supérieur. Il y avait deux possibilités en matière d’ingénierie territoriale. Soit la Région reprenait la démarche effectuée par l’île de France sur l’institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France, IROIF, célèbre depuis 1964, sous une forme un peu particulière, qui est une fondation. Soit on créait un institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Rhône-Alpes, c’était tout à fait possible. Soit on observe effectivement où sont les compétences et on essaie de mutualiser, de fédérer ces compétences. C’est l’option qui à été choisie et on l’a appelé : l’archipel des compétences de Rhône-Alpes. Cet archipel, c’est quoi : ce sont les agents urbanistes, ce sont les CAUE, ce sont un certain nombre d’observatoires, ce sont des réseaux comme ARADEL, ce sont un certain nombre de structures centre de ressources, voilà. On en a identifié à peu près 25. Aujourd’hui on est en train pour la première fois de les rassembler, de faire des conventions en deux parties : une partie corps commun et une partie singulière. A partir de cela, lorsqu’un contrat territorial est en train de se constituer, on va mobiliser tel ou tel acteur de l’archipel pour aller soutenir le territoire. On mobilise des compétences en matière foncière, en matière d’ingénierie du développement, en matière d’implantation, en matière d’aménagement avec l’agence d’urbanisme de Grenoble, en matière de qualité architecturale.
Entretien n° 26 du 14 juin 2006’

Dans la concurrence institutionnelle existante et à venir, l’accumulation de compétences techniques est un avantage comparatif par rapport aux autres collectivités territoriales.

En s’improvisant agence de moyens, la Région fournit la maîtrise technique et les savoirs nécessaires au réseau de généralistes du développement et d’experts. Réseau tentaculaire tant les postes et les commandes de diagnostics se sont multipliés aux différents échelons administratifs et dans les associations.

‘« R On a un réseau d’experts souple, qui garde son autonomie en partie, avec lequel on passe des conventions et qu’on va capter dans des formations adaptées et différenciées en fonction de ce que rencontrent les territoires. Archipel des compétences, implication de la région dans les SCOT en tant que personne publique associée avec avis, notamment sur les enjeux gares, lycées, etc., assistance aux maîtrises d’ouvrage, financement de postes d’animateurs, ça aussi c’est un choix politique très fort pour l’ensemble de ces contrats territoriaux. La Région aurait pu dire, comme l’ont fait d’autres régions : nous prenons des agents de la Région et les mettons à disposition des territoires. La Région n’a pas dit ça. Elle a dit : nous finançons des agents de développement thématique, généralistes, etc. dans les territoires, employés par les territoires. Au total 200 agents sont effectivement affectés avec des employeurs des territoires aux différents contrats. 200 agents, il nous faut donc apprendre à animer ce réseau d’acteurs dans un partenariat, c’est plus compliqué. La bureaucratie, c’est plus facile que la pléistocratie. »
Entretien n° 26 du 14 juin 2006’

Dans le même mouvement, la Région réorganise ses services. A l’instar de ce qu’a réalisé le Département du Rhône, avec ses maisons du Département, elle ouvre des antennes régionales chargées d’animer les différents dispositifs qu’elle a initiés. Cette initiative que les chargés de mission régionaux appellent « la déconcentration » est une reconnaissance de l’inadéquation des formes organisationnelles de la Région aux stratégies politiques qu’elle met en place. Les services en tuyaux d’orgue de la Région ne sont pas en adéquation avec la souplesse nécessaire et la prise d’initiative individuelle des chargés de mission dans les CTEF et les CDPRA.

‘« R Je vais rester prudente. La réflexion ne fait que commencer. L’exécutif nous a envoyé un message au début de l’été selon lequel les politiques territoriales étaient concernées par la déconcentration. Je travaille en particulier sur les CDRA du Département de l’Ain, sauf le pays de Geix. Donc, je pourrais intervenir dans l’antenne régionale à Bourg-en-Bresse pour travailler plus étroitement avec les acteurs locaux. Mais tous ces éléments restent à définir et surtout les articulations avec les services. Si ça se trouve, cela ne se fera pas. La direction des politiques territoriales va se faire accompagner par un cabinet pour justement définir, préciser les missions dans ces antennes, l’organisation interne, la relation avec le responsable. (.)
On est un service qui en ce moment se pose beaucoup de questions. Il y a le problème de la déconcentration même si un certain nombre d’agents peuvent être intéressés à titre personnel. Et puis, il y a aussi les interrogations sur le contenu des missions. On est amené à intervenir dans les antennes locales mais pour faire quoi. Il y a une volonté forte de l’exécutif à ce jour. Il n’y avait peut être pas un travail préparatoire suffisant sur le contenu de ces missions. Et le troisième point d’interrogation c’est l’articulation avec tous les contrats territoriaux de la Région. C’est partagé par mes collègues. Quand je suis arrivé dans le service il y a un an, cela a vraiment été une interrogation forte. C’est vrai qu’une de mes motivations était de travailler de manière transversale en lien avec les autres directions pour élargir mon champ d’action. Est-ce qu’on est dans la transversalité ou dans la simple articulation avec d’autres contrats territoriaux ? A titre personnel, je pense que l’on est plus dans l’articulation avec les autres contrats territoriaux. »
Entretien n° 42 du 6 août 2007’

L’idée de créer une agence de l’ingénierie territoriale dans les prochains CDDRA court même dans les couloirs de la Région qui pourrait ainsi mieux contraindre les agents de développement qu’elle co-embauche avec les territoires.

Ainsi la refonte de son organisation administrative voulue par l’exécutif régional est d’abord une mesure de contrôle des territoires infra régionaux avant d’être une recherche de coopération. En mobilisant les acteurs locaux aussi divers que les associations, les entreprises, les partenaires sociaux au sein des CDPRA et des CTEF, elle les intègre dans une action collective large qui doit être structurée. Dans le même temps, en prenant une orientation gestionnaire, plus directive, elle réduit l’intégration des enjeux territoriaux dans la réalisation du projet de développement. Elle se fond dans l’objectif de rationalisation défini par l’État. Au risque de sa propre instrumentalisation.

Notes
506.

Cour des comptes. Rapport public thématique « Les aides des collectivités territoriales au développement économique » 28 novembre 2007, op.cit. p 97.

507.

Délibération du Conseil régional n° 05.07.922.

508.

« Schémas de cohérence territoriale : enjeux d’équilibre en Rhône-Alpes », Magazine de Rhône Alpes La citoyenne, Septembre 2007.