Conclusion de la troisième partie

L’ingénierie territoriale est une fenêtre d’observation des règles du gouvernement multi-niveau de l’action publique. On y voit que l’Europe, l’État et la Région diffusent des représentations et les bonnes pratiques du développement territorial, qui ne sont pas autre chose que des règles impersonnelles de rationalisation de l’action publique à l’échelon infra régional. Ces règles de gestion cherchent à lier les décisions des élus et l’activité des agents de développement. En réduisant la part d’autonomie des pouvoirs locaux dans la définition des stratégies de développement par des mesures techniques qui réintroduisent les contrôles a priori de l’action publique, ce centre composite déplace les zones d’incertitude en sa faveur.

Avec les contrôles financiers de l’État, de la Région et de l’Europe sur les territoires, une hiérarchie s’établit entre les « financeurs conseils » et les collectivités territoriales d’une part, et une soumission des élus aux autorités administratives d’autre part. Une « nébuleuse technocratique » devient le centre de décision et le dispositif territorial évolue en segment territorial d’exécution, doté d’une autonomie relative de gestion, mais soumis à une double évaluation ex ante / ex post plus ou moins stricte de son action. Cette substitution du régime d’agence à la logique contractuelle marque la prééminence du contrôle hiérarchique central sur la coopération négociée entre niveaux d’actions.

La compétitivité territoriale et le contrôle financier qui caractérisent les contrats de projets, déplacent les zones d’incertitude au profit des financeurs par l’application de procédures venues d’en haut. Ces procédures sont cependant le fruit d’une sélection d’innovations et d’expérimentations locales établies sur la base de l’institutionnalisation de l’action collective. Recyclées et largement diffusées par le centre, elles sont la matière d’une politique d’appels à projets, qui sur des critères d’optimisation des coûts, fait de l’ingénierie un facteur de rationalisation de la carte institutionnelle locale et des politiques territoriales. Ce sont donc l’esprit et les conditions de mise en œuvre de la prochaine réforme des collectivités territoriales qui sont en question.

Finalement c’est la régulation de l’action publique qui change. Apparaît une hybridation de la régulation croisée et de l’institutionnalisation de l’action collective pour mieux contrôler le local.

Dans le modèle de régulation croisée, les ressources financières et juridiques sont les principales ressources de pouvoir. Dans l’application d’une politique qu’ils n’ont pas définie les notables essaient d’influencer la distribution des fonds venus du centre. Il y a politisation de l’action publique dans le sens où les fonctionnaires intègrent les intérêts du notable dans le programme national. Il y a technocratisation de la politique locale parce que le notable se coule dans les cadres cognitifs et normes définis par le centre. Or l’institutionnalisation de l’action collective dans les politiques constitutives et procédurales a appris aux territoires de projet à construire un début d’autonomie par les stratégies de développement. Ils ont développé des outils et savoirs d’action qui mobilisent une ingénierie territoriale garante de ce processus d’autonomisation. Mais la diffusion de schèmes et cadres cognitifs par la technocratie et ses relais place l’ingénierie territoriale sous influence. Celle-ci en vient à produire les conditions de son propre contrôle et de mise aux normes des territoires infra régionaux en se soumettant au régime d’agence.