La formation des professionnels du développement révèle les lignes de fractures traversant la définition de l’action publique. Schématiquement deux positions s’affrontent : d’une part la conception processuelle ouverte et pragmatique du développement territorial, d’autre part, la conception procédurale, normative du développent territorial.
Soit l’esprit et le contenu de la formation favorise la logique de relais, c'est-à-dire la capacité des agents de développement à établir des passerelles entre le monde scientifique, le monde politique et la société civile. Dans cette perspective, le savoir d’interface s’appuie sur une méthode d’analyse proche de l’enquête scientifique, qui crée de la connaissance sur le processus de développement territorial, défini comme ensemble de micros relations créatrices d’activité améliorant la situation existante. Chaque réponse est conçue comme une expérimentation, qui, si elle est efficace peut être étendue. Il ne s’agit donc pas de céder à l’idéologie du changement par l’application de normes qui ne garantiraient ni le progrès social, ni le progrès démocratique. Ici, les agents de développement créent les procédures à partir du travail concret des acteurs locaux. Leurs savoirs professionnels les affranchit relativement du contrôle des élus et de l’Administration parce qu’ils trouvent des relais dans la société civile qu’ils mobilisent dans le projet. Ils légitiment ainsi leur intervention et s’assurent face à une architecture institutionnelle locale à l’avenir incertain, mais dont la réforme qui la guide est claire : l’optimisation de la dépense publique et un renforcement du rôle de l’État contrôleur.
Soit la formation fait des agents de développement des administrateurs de procédures et des fonds publics qui les accompagnent. Dans ce cas, c’est l’embryon d’une régulation pragmatique qui est étouffée pour revenir à une logique purement mécaniste du développement territorial se traduisant par l’application de normes uniformes de l’Europe aux territoires infra régionaux. Les agents de développement perdent une autonomie fondée sur les savoirs d’interface en constante recomposition. En contrepartie, leur légitimité s’assoit sur la maîtrise de la dérive procédurière du développement territorial, la comitologie locale et la gestion des compétences d’attribution regroupées dans les EPCI qui devraient fusionner pour s’agrandir. Ils deviennent les secrétaires d’administration du développement territorial. Ce qui est de bonne stratégie professionnelle face à l’incertitude liée à la Révision Générales des Politiques Publiques, à la recomposition de l’architecture institutionnelle locale à venir et au régime d’agence qui s’impose sans coup férir.
Dans les deux cas de figure, la formation des professionnels du développement est un enjeu politique important. L’État modifie le régime de régulation en substituant la relation d’agence aux politiques constitutives. La compétitivité territoriale est un mode d’ordre européen repris aux différents niveaux de gouvernement de l’action publique. Elle mobilise différentes catégories de l’action comme les bonnes pratiques sur lesquelles la science politique reste discrète quant aux modalités de leur constitution et de leur appropriation par les acteurs infra régionaux chargés de les mettre en œuvre. Aussi semblerait-il pertinent de creuser empiriquement la portée idéologique et la définition des bonnes pratiques que les acteurs territoriaux doivent appliquer. Qu’est ce qu’une bonne pratique ? Comment sont agrégés et sélectionnés les savoirs qui la constituent ? Qui participe à sa production? A quelle fin ? Comment peut-elle être transférée d’un niveau de gouvernement à l’autre? Avec quels effets pratiques sur le gouvernement multi niveaux de l’action publique ? Quels circuits emprunte sa diffusion ? Finalement, ces interrogations sur les origines et les usages de cette catégorie de l’action publique territoriale relèvant autant de la sociologie politique que de la sociologie de l’action publique au travers de ses instruments, devraient renseigner sur les modalités de Gouvernement dans une société néolibérale513, dans laquelle, les bonnes pratiques semblent créer un espace de liberté aux acteurs pour qu’ils s’y conforment d’eux-mêmes.
Un second champ d’investigation, dans la continuité de notre thèse nous semble pertinent ; c’est celui de la recomposition de l’État local.
Avec la Révision Générale des Politiques Publiques, l'Administration est en chantier. Après la carte judiciaire et la réorganisation des tribunaux, le Gouvernement FILLON a redéfini les implantations militaires. Dans les Départements, où l’avenir des sous préfectures est incertain, la fusion de services de l'administration de l'équipement et de l'agriculture, d’une part, la fusion des services de l’administration du travail et de l'action sociale, d’autre part, sont rondement menées, sans publicité excessive.
Ces réformes, aveugles sur le repeuplement et le vieillissement des territoires ruraux514, suppriment les services publics alors que leur présence apparaît nécessaire, notamment en matière médicale et hospitalière, où la fermeture d’hôpitaux de proximité, la libre installation des médecins généralistes laisser planer le risque de déserts médicaux.
A priori, ces politiques ne semblent obéir qu’à l’impératif de gestion et de compétitivité, négligeant des principes comme l’intégration sociale et l’égalité des usagers devant le service public515. Aussi, semble-t-il opportun d’entreprendre l’analyse de la réforme de l’État local pour en extraire les fondements idéologiques, éclairer les relations entre État central, État local et collectivités locales, afin d’en montrer les effets concrets sur les sociétés locales, en particulier rurales.
DARDOT P., LAVAL C. La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, La découverte 2009, 498 p. Les auteurs s’inscrivant dans la perspective de la gouvernementalité de Michel FOUCAULT défendent la « thèse selon laquelle le néolibéralisme avant d’être une idéologie ou une politique économique est d’abord une rationalité, et qu’à ce titre il tend à structurer et organiser non seulement l’action des gouvernants mais jusqu’à la conduite des gouvernés eux-mêmes ». Voir p 13-21 pour l’exposé du projet scientifique des auteurs.
DIACT Une nouvelle ambition pour l’aménagement du territoire. La Documentation française, 2009, 81 p.
D’après ce rapport, près d'un tiers des départements avaient perdu des habitants entre 1990 et 1999. Ils ne sont plus que cinq à afficher une diminution entre 2000 et 2006 : la Haute-Marne, la Nièvre, la Creuse, les Ardennes, l'Allier et dans une faible mesure le Cantal.
On note que dans sa conférence de presse du 7 octobre 2009 portant sur « une nouvelle ambition pour les territoires », Michel MERCIER, Ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire parle, non pas de service public, mais de la création « d’un socle de services aux publics » dans les territoires ruraux et certains quartiers de villes. Texte de la conférence de presse sur www.diact.gouv.fr . Consulté le 8 octobre 2009.