Méthodologie

a) Les limites des publications existantes.

Vouloir comprendre actuellement le monde associatif étudiant et, a fortiori en expliciter les formes d’action, n’est pas chose aisée. Les quelques données disponibles actuellement sur le monde associatif étudiant restent au niveau des formes structurelles de l’engagement collectif, et apportent un décryptage parcellaire des grandes lignes de la participation étudiante à la vie collective. Elles permettent, le cas échéant, d'observer qu'au cours des années, les étudiants s'investissent moins dans des structures syndicales, et plus dans des structures associatives, ou des activités sportives. Le raisonnement et l'analyse sont alors basés sur les masses, le nombre et la quantité.

Or nous sommes dans une ère de changement. Les grilles d'analyse et de conceptualisation de la société industrielle explosent, deviennent inopérantes pour comprendre aujourd'hui le réel et notre quotidien. Avec elles, s'envole le pouvoir du nombre et de la masse, remplacé par celui de la diversité, de la multiplicité, et de la fluidité.

Des auteurs comme Ion, mais aussi de manière plus large les différents membres du M.A.U.S.S., ont pu montrer comment se sont transformées, sur l'ensemble de la société, les raisons, les orientations des engagements collectifs des individus. De manière globale, la baisse continue du syndicalisme et des formes d'engagements idéalistiques trouve comme corollaire une croissance du poids des associations dans la société, par le développement notamment de micro-projets. Des valeurs nouvelles se font jour, privilégiant l'identité, l'affectif, la responsabilité inter-individuelle et le relationnel à l’échelle de chaque individu.

Ces évolutions ont dans le même temps, transformé profondément les formes des associations qui hébergent et supportent ces nouveaux types d'engagement. A ce titre, les travaux de Sainsaulieu et Laville, ainsi que dans une moindre mesure, les recherches d'Archambault sous un angle plus économique, donnent une vue assez exhaustive des nouvelles formes les associations dans leur ensemble.

A l'instar des transformations observées sur l’ensemble du monde social, les évolutions sociétales ont aussi influé sur les modes et les modalités de participation des étudiants à la vie associative.

Sur le champ étudiant, il n'est cependant à ce jour guère d'études réalisées sur ce sujet. Si un certain nombre d’écrits existent sur les jeunes en général, plus rares sont déjà les écrits sur les engagements étudiants. Comme le note à ce titre le rapport 2009 de l’O.V.E. ( 16 ), « peu importe les champs scientifiques, le nombre de travaux - qu’ils soient publiés sous forme de livres ou d’articles, ou non comme les mémoires ou les thèses – qui traitent du sujet restent faibles ». Ainsi, sur les questions de l’engagement des étudiants, « c’est souvent un véritable désert qui s’offre au chercheur » ( 17 ). Les rares travaux existants sont alors tournés sur les engagements politiques des étudiants dans leur généralité, sans spécificités particulières accordées aux activités associatives. Souvent celles-ci ne sont qu’effleurées.

Abordant la question associative de manière un peu plus précise, une thèse aura été soutenue en 2001 à l’Université de Caen, portant sur les pratiques associatives bénévoles dans les universités ( 18 ). Son auteur s’interroge plus particulièrement sur les articulations entre métier d’étudiant et métier de bénévole. Quelques articles sur les engagements associatifs existent aussi, essentiellement centralisés au sein du G.E.R.M.E. Ils sont alors dans leur immense majorité tournés autour d’une approche historique des phénomènes. Michel Le Bart et Pierre Merle ont pour leur part produit, il y a quelques années, un ouvrage traitant des modalités de participation des étudiants aux différentes formes d'engagements collectifs en fonction des filières d'enseignements. Toutefois, l'analyse aura fait l'impasse sur la nature des structures, leurs formes et leurs actions, ainsi que les modalités de l’action individuelle. Ainsi, comme le note le C.N.V.A. en 2003, « rares sont les études qui portent sur les jeunes et la vie associative » ( 19 ). C’est dire si elles sont donc d’autant plus rares concernant les étudiants et la vie associative.

L’O.V.E. réalise pour sa part périodiquement une enquête quantitative sur le monde étudiant. Envoyée à toutes les universités et bénéficiant d’importants relais institutionnels, cette enquête constitue un indéniable succès dans l’exercice d’éclaircissement de ce milieu. Par le biais de certaines parties des questionnaires, il est possible de disposer de résultats relatifs aux activités associatives étudiantes. Ces résultats sont alors publiés sous forme de rapports, que nous utiliserons en partie au cours de ce travail.

Cependant, les écrits de l’O.V.E. restent à l’usage très descriptifs, fortement centrés sur des chiffrages globaux. Ils se composent d’analyses chiffrées des tableaux de résultats, et ne comportent guère d’ouvertures sur les impacts de ces engagements, pas plus pour les individus militants que pour l’ensemble du corps social. Il reste donc à la charge des lecteurs et chercheurs à produire les éléments interprétatifs de ces résultats.

En conséquence, l'analyse des nouvelles formes d'associations et surtout l’impact de l’engagement associatif étudiant sur le reste du monde social participent actuellement du domaine de l'inexploré.

Le monde associatif étudiant et leur agencement structurel est à ce point inconnu, qu'Archambault, dans son ouvrage « Le secteur sans but lucratif - Associations et Fondations en France » ( 20 ) n'hésite pas à regrouper les associations étudiantes dans un seul secteur d'activité. Ainsi, toutes les structures associatives étudiantes sont envisagées comme élément du secteur « Education et Recherche ».

La première remarque formelle que nous pouvons faire sur un tel regroupement tient à la nature même des activités de certaines associations étudiantes. Celles-ci sont diverses, allant de la représentation dans les conseils d'université, qui rentre bien dans le cadre proposé, à l'animation d'ateliers d'écriture pour des enfants de milieu modeste, qui lui n'y est plus. Plusieurs activités associatives étudiantes débordent à ce point du strict champ universitaire qu'il apparaît par trop simplificateur de les y insérer.

De plus, dans la classification proposée lors du programme John Hopkins, les associations étudiantes sont regroupées avec les associations des parents d'élèves (F.C.P.E. et P.E.E.P.), les écoles professionnelles ou techniques, les associations de formation continue et d'éducation permanente, les oeuvres laïques, les coopératives scolaires, et les organisations éducatives à objet multiples. Se trouvent ainsi mises côte à côte dans un même ensemble, l'association gérant l’Université catholique de Lyon et l'association des étudiants de l'I.U.T. S.R.C. ( 21 ) de l'Isle d'Abeau. Regroupées dans le bloc des associations périscolaires, les associations étudiantes sont, de facto, noyées dans une masse de structures, qui pour une bonne part ne correspondent que très peu aux orientations que se donnent les structures d'engagements collectives étudiantes.

D'une manière générale, les associations étudiantes ont été courtement résumées dans cette analyse du secteur sans but lucratif, pourtant l’une des plus importantes à ce jour réalisée. Pour l'essentiel, elles sont envisagées comme inspirées des mouvements religieux comme le scoutisme, le plus souvent regroupées au sein de la Ligue française de l'enseignement et de l'éducation permanente. En outre, le développement associatif qu'a connu le monde étudiant ces dernières années participe presque de l'a priori. « Au cours des dernières années, de nouvelles associations dont le but est d'établir des relations
écoles-entreprises se sont développées ; leur objectif est de trouver des stages et des emplois pour les élèves et les étudiants et de rapprocher les programmes des besoins réels des entreprises
 » ( 22 ). En quatre lignes se trouve ainsi résumés le monde associatif étudiant et son évolution, sa recomposition.

Si d'un point de vue strictement économique, dans une analyse des volants budgétaires des structures, une telle analyse peut tenir (budget du secteur sans but lucratif pour Education - Recherche : 53 725 millions de francs), la pertinence d'un tel regroupement risque en revanche de se poser de manière totalement différente lorsque l'on observe le bénévolat. En effet, l'enquête John Hopkins relève que la part de bénévolat, ainsi que le temps donné aux structures pour l'ensemble de ce secteur d'analyse reste relativement faible.

En outre, pour ce secteur, Archambault se base sur le fichier SIRENE pour élaborer son analyse, c’est-à-dire les associations qui emploient au moins un salarié et/ou qui payent la TVA. Premier soucis, le fichier SIRENE ne répertorie que 150 000 associations sur les 700 à 800 000 estimées. De plus, nous le savons de manière empirique, si les associations étudiantes sont nombreuses, en revanche peu d'entre elles disposent de salariés. En conséquence, le fait d'envisager 33 536 associations pour le secteur Education - Recherche, nous parait donc sous évalué.

Enfin, l'enquête du CREDOC utilisée et citée par Archambault montre un déclin continu entre 1978 et 1992 du nombre d'étudiants adhérant à une structure associative. Nous nous interrogeons pour notre part sur une telle proposition, qui ne nous semble guère en adéquation avec les études plus spécifiques sur ce secteur menées entre autre par l'O.V.E.

Un grand flou entoure donc actuellement le monde associatif étudiant, et l’un des objectifs de ce travail sera d’éclairer quelque peu l’obscurité qui règne en ce domaine.

Dans le même temps, le monde associatif étudiant semble être un secteur mouvant, retranscrivant rapidement les évolutions sociétales, parfois les précédant. C'est donc cet aller-retour permanent joué au quotidien par les associations étudiantes, entre participation aux changements sociétaux et action d'impulsion des transformations sociales que nous allons tenter de comprendre tout au long de cette recherche. Nous nous concentrerons plus particulièrement sur la participation du mouvement associatif étudiant aux transformations des formes d’engagement collectif des individus dans le monde social et sur la transitivité du message associatif étudiant sur ce dernier.

Notes
16.

( ) Observatoire de la Vie Etudiante.

17.

( ) COME Thierry & MORDER Robi, sous la direction de, Rapport pour l’O.V.E., Les engagements des étudiants, formes collectives et organisés d’une identité étudiante, Etat des savoirs, juin 2009, p 8 et 10.

18.

( ) BECQUET Valérie, Fondements et dimensions de la participation associative des étudiants à l’Université, Thèse de doctorat de Sciences de l’Education, Université de Caen, 2001.

19.

( ) Conseil National de la Vie Associative, L’engagement syndical et associatif des jeunes, Paris, L’Harmattan, 2003, p 216.

20.

( ) Cet ouvrage est issu des conclusions d'une des plus importantes enquêtes à ce jour sur le secteur sans but lucratif, le programme John Hopkins. Ce programme international d’études du tiers secteur regroupait 13 pays : 7 pays industrialisés (Allemagne, Etats-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni et Suède), un pays en transition (Hongrie), et 5 pays en développement, représentatifs des grandes aires géographiques et culturelles (Brésil, Egypte, Inde, Ghana, Thaïlande). Cette recherche s'est déroulée de 1990 à 1995. L’exposé de ses résultats pour la France se trouve dans le l’ouvrage d’Edith Archambault. ARCHAMBAULT Edith, L e secteur sans but lucratif, Editions Economica, 1996.

21.

( ) Institut Universitaire de Technologie Services et Réseaux de Communications.

22.

( ) ARCHAMBAULT Edith, op. cité, p 144.