Partie I
Le mouvement associatif étudiant,
acteur et précurseur des modes d’implications
des individus dans la société
au cours de la « première modernité ».

I-A) De l’unité à la dislocation

C'est entre 1877 et 1884 qu'apparaissent en France les premières « sociétés des étudiants », nom primitif que prennent les Associations Générales Etudiantes (A.G.E.). Ces associations se donnent pour objectif de regrouper les étudiants d’une même ville. Elles se présentent plutôt « comme des clubs de bon ton » ( 23 ), agrémentés d’un patriotisme certain, et d’un républicanisme bon teint. Ainsi, les A.G.E. défilent pour les grandes manifestations officielles, pour le 14 juillet. S’inscrivant dans la dynamique des groupements intermédiaires qui émergent à cette époque, elles s’envisagent comme les éléments structurants et régulateurs du milieu étudiant.

L’individualisme marqué des étudiants, joint à l’absence de soucis matériels de ces derniers conduisent les A.G.E. à développer essentiellement des activités récréatives. Elles entretiennent le folklore de la vie étudiante, et proposent divers services, conférences, bibliothèque, pratiques sportives, … Le corps professoral, comme le montre Hervé Le Goc, dispose au sein de celles-ci d’un poids moral important, fondant la relation professeur / étudiant sur un paternalisme bienveillant, dans la ligne du paternalisme social ( 24 ). L’ensemble des structures étudiantes reste volontairement éloigné de toute forme de participation et / ou d’action politique.

Ceci n’empêche pas pour autant les étudiants de prendre position dans ce champ, dès la fin du XIXème siècle. Ainsi, pour Christophe Charle, l’étudiant intellectuel et acteur politique autonome naît avec l’affaire
Dreyfus : « … l’étudiant des années 90 (1890) se détache des élites politiques traditionnelles, manifeste son autonomie c’est-à-dire son engagement, devenant ainsi un intellectuel donc une nouvelle forme d’élite : celle de la pensée. […] Désormais étudiants et intellectuels dans un parti en voie d’unification et grâce à l’affaire Dreyfus qui leur a permis véritablement de s’engager peuvent jouer un rôle fondamental dans la vie socio-politique » ( 25 ). Michelle Perrot note du reste cet événement comme le moment charnière du passage de l’ère de l’intervention à celle de l’engagement ( 26 ). En s’investissant désormais pour une cause et non plus uniquement pour une action précise, l’individu subordonne son existence à la mise en œuvre de la cause. L’intellectuel engagé, figure de l’engagement qui prévaudra tout au long du XX ème siècle prend pour partie ses sources dans l’action engagée d’étudiants dès cette période.

Cela n’empêche pas non plus l’apparition des premières contestations étudiantes sur leurs conditions d’exercices. Ainsi, dès 1902, des revendications étudiantes pour la gratuité des cours se font jour ( 27 ). L’amélioration des conditions matérielles d’enseignement, ainsi que l’admission des étudiants dans les conseils d’université sont aussi du nombre des revendications ( 28 ). A Paris, les étudiants de Médecine, Droit, et Beaux-Arts manifestent dès 1903 pour demander l’application de ce programme ( 29 ). S’il n’y a rien de novateur à ce que les étudiants manifestent, les ouvriers ayant depuis plusieurs décennies déjà une longue pratique contestataire pour l’amélioration de leur condition, l’implication des étudiants dans le processus de manifestation publique contribue à l’institutionnalisation de ce dernier. Ainsi, 1906 sera une des plus grandes années de grève : le 1er mai, près d’un ouvrier sur 16 est en grève, phénomène inédit jusqu’alors.

En mai 1907, au cours d'un congrès commun à Lille, les diverses A.G.E. existantes décident de se fédérer au sein de l'Union Nationale des Associations Générales d'Etudiants de France, communément appelée U.N.E.F. ou U.N. Cette organisation nouvelle, de type association Loi 1901, n’est en fait à sa création qu’un simple organe de liaison entre les A.G.E. Elle ne dispose de guère de poids ni d’emprise sur celles-ci. Ainsi, « cette association nationale n’aura que très peu d’influence jusqu’en 1914 […] Cela tient au particularisme local très vif qui sévit, et particulièrement à l’opposition entre Paris et la province qui paralysera longtemps l’U.N.E.F. On est fier de sa ville, de ses insignes, de ses blasons, et on méprise profondément tout produit d’une autre université » ( 30 ). Cette configuration reste celle de l’U.N.E.F. jusqu’au début des années 20. Elle évolue alors sur une population étudiante peu nombreuse – 29 000 étudiants en 1900,
45 000 en 1920 ( 31 ) - qui, si elle augmente, reste cependant largement issue des classes favorisées. Les associations étudiantes et l’U.N.E.F. vivent alors leur première phase, la phase folklorique ( 32 ).

Au sortir de la 1ère Guerre Mondiale, une nouvelle maturité étudiante se fait jour, qui s’exprime par un accroissement substantiel des pratiques de solidarité entre étudiants. Ces derniers, en tant que classe d’âge, ont en effet été fortement confrontés aux horreurs de la guerre. Outre les conséquences parfois physiques de la guerre, l’augmentation du coût de la vie génère un développement de la précarité financière chez un certain nombre d’étudiants ( 33 ). C’est la naissance de « l’étudiant pauvre ». Les premiers risques et difficultés se font jour sur la population étudiante : difficultés pour se loger, encombrements des carrières, crises psychologiques même parfois, « reflet de la crise intellectuelle provoquée par le conflit mondial et les difficultés d’établir la paix » ( 34 ). Fait nouveau, l’étudiant est désormais « hanté par l’avenir » ( 35 ). L’U.N.E.F. entre alors dans sa seconde phase, la phase corporatiste.

D’un point de vue macro-structurel, les structures poursuivent les orientations et modalités d’action de la période précédente. Ainsi, les A.G.E. et l’U.N.E.F. conservent leur comportement neutre et respectueux des institutions en place. Lorsque les associations étudiantes ont à formuler des demandes aux institutions universitaires locales ou nationales, elles émettent des vœux lors des réunions, congrès, … que les responsables transmettent ensuite aux autorités. Patriotisme et paternalisme restent les deux principaux guides des pratiques du mouvement associatif étudiant. Suiviste des gouvernements, il participe, à l’instar des autres groupements intermédiaires de son temps, à l’affirmation du modèle de l’Etat-Nation. Ainsi, comme le remarque l’un des journalistes étudiants du journal de l’association des étudiants de Rennes, (« l’A : le premier journal du monde (par ordre alphabétique) »), en 1920, « nous vivons encore à l'Association Générale sur le principe de l'Union sacrée. Les seules couleurs du nouveau Comité de l'U.N. sont les trois couleurs : bleu, blanc, rouge, qui flottent au-dessus de nos têtes à tous » ( 36 ).

Les structures associatives s’ordonnent dans une forte synonymie avec les institutions et l’Etat républicain dans leur modalité de présentation publique. Elles reproduisent ce dernier, à l’instar de l’ensemble des acteurs du monde social de l’époque. Elles disposent souvent d’un drapeau, que l’on ne sort que pour les plus grandes occasions, parfois d’armes héraldiques, et d’une devise. Les responsables d’activités sont dénommés des « commissaires », tandis que ces mêmes activités sont des « services techniques ».

Les membres responsables des associations participent eux aussi à ce parallélisme de forme avec l’Etat, à l’instar des autres structures du monde social. Lors des moments officiels comme lors des moments forts de la vie de l’association (bal annuel, congrès, …), les responsables associatifs paraissent seings d’une écharpe aux couleurs de leur discipline universitaire, et telles que les portent les professeurs de facultés sur leurs toges. La faluche, coiffe traditionnelle des étudiants, arbore elle aussi les couleurs universitaires de la discipline. Pour l’étudiant d’alors, le respect du passé et des traditions prime.

Philosophiquement, en regard des autres organisations intermédiaires de son temps, l’U.N.E.F. et les A.G.E., s’inscrivent au cours de l’entre-deux-guerres dans un relatif parallélisme avec les sociétés de secours mutuels, visibles par ailleurs depuis quelques dizaines d’années déjà dans le reste de la société. Elles se concentrent sur l’entraide sociale, mettant en œuvre dans le champ étudiant une logique solidaire, flirtant parfois avec le social-utopisme : entraide entre les membres, solidarité, mutualisation, fédéralisme.

Cependant, dans le même temps, elles organisent des actions, des activités au profit d'œuvres de bienfaisance, pratique de paternalisme social assez répandue à l'époque. Elles s’inscrivent en outre dans un rapport à l’autorité caractéristique des pensées développées dans l’encyclique Rerum novarum. Elles complètent leur corpus idéologique par un rapport synonymique à l’Etat, en affirmant leurs valeurs républicaines et laïques. Enfin, l’U.N.E.F. développe dès 1919 une forte politique internationale, en incitant à la création de la C.I.E. ( 37 ). Aussi, l’U.N.E.F. et les A.G.E. fondent le sens et les modalités de leurs actions dans cette diversité d’inspiration.

Dans l’ensemble du monde social, les associations et fédérations se construisent en référence à l’une ou l’autre de ces philosophies et/ou perspectives. C’est donc une voie originale que développent l’U.N.E.F. et les A.G.E., faisant se rejoindre une quasi-absence de prise de position politique, un parallélisme de forme avec l’Etat, une logique solidariste et internationaliste, alimentée par un folklore parfois chahuteur. Ce croisement réussi d’influences est à l’époque inédit. Les résultats atypiques et innovants du secteur associatif étudiant au cours de cette période tiendront pour partie de ce dernier. Le mouvement associatif étudiant bouleverse dès cette époque le consensus social en matière d’agir associatif, impactant par ricochet les formes de l’engagement des individus dans le monde social.

Au niveau local et au niveau des projets, les A.G.E. se transforment fortement, impulsant des dynamiques fortement émancipatrices des modes d’implication dans le monde social. Elles développent dès cette époque les premières pistes d’une innovation sociale inédite.

Dès le sortir de la guerre, les A.G.E. organisent l’entraide. Elles créent des restaurants universitaires, des bibliothèques, des bars, le plus souvent sous forme coopérative, offrent parfois des bourses et des prêts d’honneurs, comme le montre Le Goc dans le cas de l’A.G.E. de Rennes. Elles développent des services logements pour les étudiants, posent les premières bases de la cité universitaire de Paris, … Les A.G.E. entrent dans une gestion rationnelle des risques encourus par les étudiants, formalisant et structurant les dangers potentiels. Elles prennent dès lors une importance croissante au niveau local, tant en nombre d’adhérents qu’en terme financier. A cette croissance des activités répond un accroissement de la bureaucratisation des structures par une rationalisation des pratiques : création de services techniques spécifiques à une activité (sport, fête, journal, …) et développement des activités gestionnaires. C’est le début des premières grandes réalisations sociales, sous l’impulsion des A.G.E. Le monde associatif étudiant devance alors le monde social de près d’une quarantaine d’années : les Comités d’entreprises, premières véritables structures à vocations à la fois économiques et sociales sur une base peu éloignée du syndicalisme n’apparaîtront en France qu’en 1945. Les innovations du monde associatif étudiant transforment par leur institutionnalisation progressive les modalités de l’engagement des individus dans le monde social.

En tant qu’organisation fédérative des initiatives locales, l’U.N.E.F. se renforce considérablement tout au long de cette période. En effet, « [l’action sociale] tend à donner plus d’importance au bureau de l’U.N.E.F. et, au fur et à mesure qu’elle augmentera, on verra s’accélérer la centralisation du mouvement, […] rendue plus facile par l’atténuation des […] particularismes » ( 38 ). En regard des organisations syndicales de son temps, elle adopte une structuration en relative similitude. La C.G.T., malgré une organisation un peu confuse et un nombre d’échelons plus nombreux, dispose elle aussi d’une strate locale et d’un organe central fortement décisionnaire. L’individu reste absent des processus de décision, seule compte la masse des salariés. Il en est de même pour la C.F.T.C., fondée depuis peu. Les partis politiques de l’époque fonctionnent eux aussi sous cette forme pyramidale et un fort rapport au Nous, sans guère de regards pour le Je. Si tous les étudiants ne sont pas liés entre eux par des liens de famille ou de voisinage comme cela peut être observé dans les syndicats ou partis politiques de l’époque, conférant un sentiment d’unité protectrice aux individus, l’appartenance à une même classe sociale et le sentiment d’appartenir à une élite sociale (tout le monde ne peut faire des études) génère un sentiment d’unité entre étudiants comparable à celui existant au sein des organisations collectives. L’organisation structurelle générale de l’U.N.E.F. à cette époque se construit donc comme un écho des structures du monde social de son temps. En revanche, elle ne fonctionne pas en conglomérat, n’ayant pas d’organisation satellite à coté d’elle. Cette spécificité marque donc un biais par rapport aux autres grandes organisations du monde social.

Sous la pression des dirigeants de l’U.N.E.F., le Ministère de l’Instruction Publique inscrit dès 1921 à son budget un crédit pour les Œuvres sociales. Dans le même temps, l’U.N. s’empare de la création de projets d’importance en faveur des étudiants touchés par la guerre, non réalisables par les initiatives locales. L’U.N.E.F. lance ainsi en 1923 un projet de sanatorium en faveur des étudiants tuberculeux, qu’elle gère conjointement avec des universitaires et des techniciens. Cette formule d’association de gestion de projets est alors totalement inédite dans l’ensemble du monde social, confirmant le caractère novateur du mouvement associatif étudiant de l’époque. Les syndicats comme les partis politiques de l’époque restent avant tout sur le terrain rhétorique et n’entrent pas dans la construction de réalisations concrètes. Les coopératives et mutuelles de l’époque se mobilisent pour leur part autour de projets où chaque sociétaire est une partie prenante de la réalisation du tout. Il n’est jamais fait appel à des compétences exogènes pour œuvrer sur une réalisation ou en suivre la gestion. Enfin, les associations de l’époque s’inscrivent avant tout dans un rapport d’entraide de proximité affective et géographique, rendant très lointains des projets du type de ceux élaborés par l’U.N.E.F. La construction de ce sanatorium est aussi la première expérience de gestion sociale du handicap, l’Association des Paralysés de France n’étant créée qu’en 1933, soit près de dix années plus tard. Bouleversant le consensus social à l’œuvre, les associations étudiantes initient puis institutionnalisent progressivement une nouvelle place pour l’agir associatif, qui impacte par rebond les formes de l’engagement collectif des individus dans le monde social.

Dans le même temps, s’attaquant aux sources du mal et non uniquement à ses effets, l’U.N.E.F. joue de tout son poids institutionnel pour aboutir à la création de la Médecine Préventive Universitaire. Elle fonde en 1929 l’Office du Tourisme Universitaire (O.T.U.). Le rôle dynamique et moteur de l’organisation dans les évolutions sociales apparaît dès cette époque clairement. L’U.N.E.F. sera ainsi reconnue d'utilité publique en 1929. Elle est enfin, en 1937, à la création des Oeuvres, ancêtres des C.R.O.U.S., complétant ainsi l’action menée par les A.G.E. Cette complémentarité et cette démultiplication d’actions entre A.G.E. et U.N.E.F., dans un objectif général d’amélioration des conditions de vie et d’existence des étudiants, place dès cette époque le mouvement associatif étudiant à la pointe de l’engagement collectif. Il n’existe en effet pas à cette époque une seule organisation nationale, syndicale ou associative, capable de développer autant d’actions dans autant de sens différents, alliant à la fois projets locaux et nationaux, pratiques gestionnaires d’entraide et de service, et représentation institutionnelle d’un groupe social.

Un nombre certain des innovations mises en place par le mouvement associatif étudiant seront reprises quelques années plus tard par l’Etat, par la transformation d’un certain nombre de ces initiatives en services publics. Le changement de place du mouvement associatif étudiant dans la société est alors radical, ce dernier s’impliquant désormais beaucoup plus dans le développement de la société salariale, en même temps qu’il devient source d’évolutions sociales. Dès cette époque, le monde associatif étudiant commence à développer des initiatives innovantes. L’institutionnalisation progressive de ces dernières par l’Etat conduit alors à la transformation des modes d’engagement collectif, en même temps qu’elle confère un caractère préfiguratif à l’agir associatif étudiant.

Ses résultats importants dans l’action sociale de proximité en direction des étudiants mais aussi son rôle d’impulsion dans la transformation de l’action solidariste de l’Etat la place donc, dès la fin de la première guerre mondiale, dans une position de fer de lance des transformations des modes d’action dans le monde social.

Avec la société salariale et le développement de la société de consommation se développe le second individualisme. Ainsi, au sortir de la guerre, un vent d’intérêt nouveau souffle sur le sport, qui touche une part plus large de la population. Avec le sport, s’affirme un homme nouveau, sain et fier de son corps. Les associations étudiantes s’inscrivent comme élément moteur de cette dynamique nouvelle : « Notre corps, nous estimons qu’il fait partie de notre Moi … Le corps d’un athlète et l’âme d’un sage, voilà ce qu’il faut pour être
heureux » ( 39 ). Elles développent un discours promotionnel en faveur de la pratique sportive, conduisant à la reconnaissance et l’institutionnalisation de celle-ci. Elles prônent une réconciliation entre pratiques sportives et intellectuelles, posture très avant-gardiste pour l’époque. Dès 1919, l’U.N.E.F. se dote d’un service spécial sportif, le Commissariat général des sports. En 1923, relayant les nombreuses demandes émanant des A.G.E., elle demande la suppression des cours le jeudi après-midi dans les facultés, afin de permettre aux étudiants sportifs de s’entraîner. Processus de politisation de la vie privée, Beck n’entrevoit cependant l’expression de cette tendance dans le monde social qu’au cours de l’émergence de la seconde modernité. La relative liberté dont jouit le monde étudiant dès cette époque lui permet donc de faire s’exprimer des formes très avant-gardistes de l’affirmation du sujet, tout en jouant pleinement son rôle d’instituant en la matière.

Ainsi, cette demi-journée sportive sera accordée par voie de circulaire en 1925. Ce sera la seule organisation de représentation d’un groupe social à s’investir dans cette reconnaissance institutionnelle et donc politique de la pratique sportive ; il faudra attendre Léo Lagrange en 1936 pour qu’apparaisse une autre reconnaissance institutionnelle et politique de cette pratique. A titre de comparaison, si les syndicats et les organisations politiques de l’époque ont parfois dans leurs réseaux constellaires idéologiques des clubs sportifs depuis de nombreuses années, il n’y a pas de démarche revendicative de leur part pour une reconnaissance institutionnelle de ces pratiques. Toujours à titre de comparaison, l’Office du Sport Universitaire, ancêtre de l’U.N.S.S. n’apparaît qu’en 1934, sous la pression forte de l’U.N.E.F. Pour sa part, l'U.G.S.E.L. (Union Générale Sportive de l’Enseignement Libre), déclarée le 29 mars 1911 sous le nom de « Union gymnastique et sportive de l'enseignement libre supérieur et secondaire », fut jusqu'en 1932 une association parisienne, date à partir de laquelle elle devient réellement nationale. Ces quelques exemples montrent là encore le rôle précurseur du mouvement associatif étudiant dans la reconnaissance de nouveaux droits des individus, dans l’affirmation du sujet, l’institutionnalisation progressive de ces évolutions, et son action dans la transformation des modalités de l’engagement des individus dans le monde social.

Les associations étudiantes jouent aussi un rôle fortement dynamique et fer de lance dans la reconnaissance institutionnelle et politique des femmes. L’entre-deux-guerres voit en effet l’arrivée sur les bancs des universités d’une population féminine, qui en était auparavant éloignée. Dans le cas de l’A.G.E. de Rennes, les jeunes filles disposeront tout d’abord d’un local qui leur est uniquement réservé au sein des locaux de l’A.G.E. Puis, dès 1932, il est institué au sein de l’A.G.E. un droit de vote pour les jeunes filles à l’Assemblée Générale de l’A.G.E. A partir de cette année, le bureau sera constitué d’un président et d’une présidente. Il faudra en revanche attendre le 21 avril 1944 pour qu’au niveau de l’Etat français le droit de vote des femmes soit reconnu, confirmant le rôle là encore précurseur du mouvement associatif étudiant.

Pour les organisations françaises du monde social, l’accès des femmes à des postes de responsabilités ne se fera pas très aisément. Si la C.G.T. autorise
en 1911 la création d’une section syndicale féminine chez les employés, celle-ci reste distincte des autres sections. Les syndicats ouvriers ont longtemps entrevu l’emploi féminin comme un danger, de part la concurrence qu’elle induit sur les salaires entre ouvriers. Pour Proudhon, qui fut longtemps la principale référence idéologique des syndicalistes, la femme est avant mère, épouse et ménagère. Ainsi, le travail hors du foyer va à l’encontre de sa véritable nature. Il faudra attendre 1914 et l’expansion du syndicalisme féminin pour que les choses évoluent quelque peu. En 1921, pour la première fois, une femme est élue à la tête d’une organisation syndicale ( 40 ). En 1925, les partis politiques, notamment de gauche, présentent pour la première fois des candidates aux élections municipales. Il faudra cependant attendre 1935 et Pierre Mendès France pour voir des femmes être élues conseillères municipales et siéger … avec voix consultative. L’Assemblée Nationale se prononcera six fois de suite en faveur du vote des femmes entre 1919 et 1944, le Sénat invalidant à chaque fois les décisions des députés.

D’une manière générale, le monde de la politique français reste un univers, même encore aujourd’hui, très largement masculin. Dans le milieu associatif, les femmes se seront vues très longtemps cantonnées aux associations de bienfaisance et à l’entraide sociale. Leur accès à d’autres formes d’actions citoyennes reste même dans ce milieu relativement récent, et n’est souvent que la conséquence des mouvements de libération de l’individu des années soixante-dix.

Le mouvement associatif étudiant s’investit aussi dès cette époque dans les nouvelles technologies de communication (de l’époque …). Ainsi, dès janvier 1928, l’U.N.E.F. crée un Bureau Universitaire Français du cinéma scientifique, afin de promouvoir le Cinéma d’Enseignement et d’Education Sociale et d’aider notamment au développement des pratiques cinématographiques dans les écoles et les universités. Cette création est en phase avec celle de l’Institut International du Cinématographe Educatif initiée en novembre de la même année par l’Italie au sein de la S.D.N. Dans le monde social français, la première association s’intéressant au cinéma à voir le jour sera la Cinémathèque Française, créée en 1935. Le monde associatif étudiant devançait là encore le monde social de quelques années.

Enfin, la participation du mouvement associatif étudiant à l’affirmation du nouvel individualisme se donne à voir à cette époque par une recherche inhabituelle et nouvelle, la recherche d’authenticité. Ainsi, en 1936, ce cri d’un responsable associatif de Rennes, préfiguratif entre tous, enjoignant ses camarades : « Soyons nous-mêmes ! » ( 41 ). Contre l’émergence d’un nouvel étudiant ne se concentrant plus que sur ses études et son insertion professionnelle, la figure de l’étudiant chahuteur libre est convoquée, celle-ci étant alors la représentation traditionnelle de l’étudiant. Cet appel au bohémien comme figure authentique de l’étudiant n’est pas sans renvoyer à la figure de l’errant, du nomade comme nouvelle constante anthropologique de l’homme dans le cadre de la nouvelle société qui s’annonce pour Maffesoli. Sans forcément le suivre sur la voie du post-modernisme, il est cependant étonnant de retrouver dès l’agir associatif étudiant du début du XX ème siècle des dynamiques sociales caractéristiques de notre nouvelle modernité et des modèles de l’action collective actuelle. Si cette posture n’emporte pas avec elle une transformation immédiate du statut du sujet,elle bouleverse cependant le consensus social sur la place de celui-ci, conduisant à une redéfinition progressive de ses rapports à l‘institution et au collectif.

Le mouvement associatif étudiant s’implique aussi dans les règles et les modalités du travail afin de les faire se transformer. Même s’ils sont pour l’essentiel issus de familles aisées, les étudiants se trouvent, au cours de l’entre-deux-guerres, confrontés à des difficultés inédites : les premières difficultés d’insertion professionnelle touchent les étudiants. Ainsi, l’U.N.E.F. et les A.G.E. mettent en œuvre, dès cette époque, leurs premières actions en faveur de l’insertion professionnelle. En 1921, dans le journal des étudiants de Rennes on peut lire : « Les étudiants ont, en effet, compris que le temps de la folle insouciance était révolu et que, pour résoudre le douloureux problème de la vie, il leur fallait à leur tour, comme l'ouvrier ou le fonctionnaire, s'unir et s'organiser ». En 1922, l’A.G.E. de Rennes crée pour la première fois un bureau de placement, afin de permettre aux étudiants de trouver un petit boulot pour financer leurs études. Si l’action mise en œuvre par les associations étudiantes s’inspire certainement des services développés par les premières Bourses du Travail locales, elles s’éloignent résolument du rôle que ces dernières occupent à cette époque, cantonnées à n’être plus que le siège des syndicats. En avance sur le syndicalisme d’action directe qu’on ne verra refleurir en France qu’au cours des années soixante-dix, le mouvement associatif étudiant agit alors au quotidien pour transformer l’actualité. Elles préfigurent là encore largement les évolutions sociétales à venir, l’A.N.P.E. par exemple n’étant créée qu’en 1967.

Le mouvement associatif étudiant et les étudiants changent donc, leurs regards se faisant dès lors plus attentifs à l’avenir professionnel. Ainsi, dès mai 1933, les étudiants descendent dans la rue pour défendre leurs intérêts corporatistes. En effet, pour cause de difficultés financières de l’Etat, les décrets Boncour et Chéron suspendent les recrutements dans la fonction publique. Nombres d’étudiants sont de fait touchés par ces dispositions législatives. Après avis de l’office des étudiants de Droit, puis cinq mois d’attente des décrets de dérogation promis aux étudiants, l’U.N.E.F. et les A.G.E. entrent en action. L’U.N.E.F. s’occupe de l’envoi de pétitions, des démarches auprès des ministres compétents, les A.G.E. locales s’orientant vers des formes d’expression de leur mécontentement de leur choix. Dans une dynamique de syndicalisme d’action directe et à contre-courant des organisations politiques et syndicales de l’époque, le mouvement associatif étudiant fait montre ici d’une étonnante et inédite logique de réseau où chaque élément fonctionne en interdépendance et autonomie par rapport à l’organisation fédérale. Ce type d’organisation en réseau de structures fortement autonomes se retrouve aujourd’hui dans les manifestations autour d’idées telles que les O.G.M., les rapports Nord-Sud, …

Le mouvement de grève et les manifestations étudiantes publiques qui suivent tournent rapidement en une véritable démonstration de force. Il est permis de penser que les résultats positifs de ce mouvement ouvriront en partie des espoirs nouveaux pour le monde ouvrier : si aucune manifestation ouvrière d’ampleur n’eut lieu entre 1920 et 1933, des contestations ouvrières importantes suivront là encore trois années plus tard.

Face aux problématiques nouvelles liées à l’emploi des jeunes, les A.G.E et l’U.N.E.F. réagissent rapidement. En 1933, Alfred Rosier, ancien
vice-président de l’U.N.E.F. fonde le B.U.S. ( 42 ), premier bureau d’orientation des étudiants au monde. Ce bureau conseille les étudiants sur les débouchés professionnels des formations. Afin de compléter cet outil statistique, l’U.N.E.F. lance une large étude sur la situation du marché de l’emploi dans le but d’analyser, pour chaque profession intellectuelle, les besoins actuels et à venir du marché. L’objectif est d’éviter les sureffectifs dans certaines filières, qui conduisent à une diminution du salaire d’embauche. Sa réalisation sera cependant rendue délicate par le peu de coopération d’une large gamme de secteurs professionnels. Les institutions suivront là encore la dynamique étudiante. L’Etat, prenant progressivement conscience des nouveaux besoins des étudiants, transformera le B.U.S. en établissement public en 1954. Ainsi, « comme nombre d’organismes crées par ou avec les associations étudiantes, son développement et son succès ont amené à une professionnalisation puis à une étatisation ... » ( 43 ). L’Etat institutionnalise donc au fil du temps les innovations du monde associatif étudiant, conférant un caractère précurseur à ce dernier en même temps que transformant de façon rédhibitoire les formes de l’engagement collectif des individus dans le monde social.

Le B.U.S. reprend de manière très lointaine l’idée des premières Bourses du Travail initiées par les syndicats ouvriers à la fin du XIXème. A la différence cependant de ces structures, le B.U.S. dispose d’une dimension nationale et non locale. Il n’est pas non plus un lieu de formation syndicale, ni d’éducation populaire. Il reste distant de toute idéologie, se concentrant sur la dimension technique de sa mission. Par cette approche, il dépasse les limites rencontrées par les Bourses du Travail au cours de cette même période. Ces dernières seront du reste la seule incursion que feront les syndicats comme les partis politiques dans le traitement concret des problématiques d’accès au travail. Les coopératives comme les mutuelles ne se positionneront pas non plus sur celles-ci, de part la dimension politique de la question. Le mouvement associatif de l’époque ne dispose enfin quant à lui pas encore de la maturité suffisante pour se positionner sur le sujet. En ce sens, le mouvement associatif étudiant prend à cette époque une forte longueur d’avance sur les autres acteurs du monde social dans le traitement de l’accès au travail. Il bouleverse à ce titre le consensus social à l’œuvre quant à la place de l’agir associatif sur cette problématique, transformant par retour les formes de l’engagement collectif des individus dans le monde social.

Par incidence, le début des difficultés d’insertion professionnelle génère une transformation progressive du modèle d’engagement collectif chez les étudiants. Même si jusqu’à l’extrême fin de l’entre-deux-guerres et a fortiori pendant la 2nde guerre mondiale, le modèle corporatif et associatif prévaut, la perspective d’une analyse syndicale des problématiques étudiantes se fait jour dès le milieu des années vingt. En effet, confronté aux difficultés croissantes induites par le rapport salarial et mises en exergue avec la crise économique qui s’étend, c’est bien la transformation du mouvement associatif en un véritable syndicat étudiant qui se profile. Ainsi, cet article publié en 1926 dans le journal des étudiants de Rennes : « L'activité de l'Union Nationale doit être syndicale. Elle doit tendre non seulement à défendre les droits acquis, mais également à collaborer aux réformes nécessaires. Et nous ne saurions trop protester à ce sujet contre un certain autoritarisme qui exclurait la consultation des intéressés. […] Et la conclusion est toujours la même : SOUTENEZ VOS CORPORATIONS, VOTRE ASSOCIATION GENERALE, VOTRE UNION NATIONALE. Sans cela, ne vous plaignez pas ».

La prégnance du modèle pyramidal d’organisation transparaît ici de manière incidente, le monde étudiant se faisant l’écho de cette modélisation structurelle largement répandu à l’époque au sein des organisations et groupements intermédiaires. Les syndicats comme les partis politiques de l’époque se construisent et s’étoffent selon ces modalités, privilégiant l’unité du collectif à la singularité de l’individu. Le monde associatif étudiant ne fait pas exception, son particularisme et ses aspects préfiguratifs s’exprimant davantage au travers des réalisations concrètes qu’il met en œuvre.

Lors des grèves étudiantes de 1933, la perspective syndicale du mouvement étudiant s’affirme donc, et prend comme référent le syndicalisme des fonctionnaires. Les promoteurs de l’idée syndicale entrevoient celle-ci dans une perspective a-politique ( 44 ). Celle-ci doit permettre d’être l’interlocuteur de toutes les tendances politiques tout en sortant de la perspective paternaliste, en même temps qu’elle constitue un gage pour la continuité de la cohésion du mouvement associatif. Cette perspective syndicale signe enfin et surtout les prémisses de l’ouverture des étudiants à des problématiques extérieures au monde universitaire. Le modèle d’organisation syndicale étudiante qui émerge s’affranchit en revanche totalement des modalités d’action du syndicalisme ouvrier, engoncé dès cette époque dans une approche théorique et discursive de l’action syndicale. Il tente de faire collaborer action d’entraide sociale et action de représentation, modélisation atypique en France et à l’époque. Une forme nouvelle de l’agir collectif se dessine, positionnant l’agir associatif hors de ses cadres référentiels habituels.

Cependant, si un nouveau modèle de l’agir collectif émerge, ce dernier s’entrevoit toujours en référence à la figure archétypale du militant. Ainsi, les responsables de l’A.G.E. de Rennes n’hésitent pas à infliger des sanctions pouvant aller jusqu’à l’exclusion pour les délégués, représentants de corporations trop souvent absents ou trop peu assidus. Les rédacteurs - étudiants bénévoles - du journal étudiant de Rennes se font, une année, tancer vertement par voie de presse par des lecteurs, pour s’être payé en fin de mandat un repas au restaurant avec une partie des bénéfices du journal. Les responsables associatifs de l’U.N.E.F. sont parfois accusés de se servir de celle-ci comme d’un tremplin pour une carrière professionnelle ou politique. Ainsi, Moy, secrétaire général de l’U.N.E.F. sortant de 1933, se voit obligé de faire un démenti formel lors du Congrès de l’U.N.E.F., certaines allégations lui prêtant l’ambition d’accepter un poste au Ministère de l’Education Nationale. De fait, même dans un contexte d’accroissement des difficultés d’insertion professionnelle des étudiants, les responsables associatifs étudiants ne peuvent accepter une proposition d’emploi qui serait une conséquence de leur travail associatif. Les exemples sont donc nombreux, qui traduisent la prégnance de la figure du militant irréprochable sur le milieu associatif étudiant comme sur l’ensemble de la société, et la constance de celle-ci lors de l’entre-deux-guerres. Icône du groupe, le représentant étudiant fait le lien entre la communauté des étudiants et la perspective globale de l’organisation. En s’adjugeant des facilités personnelles, il se désolidarise du groupe, qui le déjuge alors.

Dans le monde syndical comme dans le monde politique, cette figure emblématique du militant sert aussi de guide et de référent. Il n’y a pas d’évolution en matière de structuration des rapports internes reliant individu et collectif entre les périodes de créations de ces organisations et celle-ci. L’identité individuelle se perd volontairement dans le collectif, seul un tel acte d’abnégation donnant un sens à l’engagement de l’individu. La vie privée est volontairement sacrifiée au profit de la vie publique. Dans ce rapport entre individu et collectif, le monde associatif étudiant reproduit les schèmes de fonctionnement des autres organisations sociales de son temps.

Néanmoins, des comportements nouveaux émergent, notamment sur la dimension politique de l’action associative étudiante. Ces tensions, autour d’une vision syndicaliste du mouvement, sont signes des changements à l’œuvre. Elles conduisent en 1932 à une première rupture au sein de l’U.N.E.F. Cette scission semble avoir deux sources principales : une politisation de l’A.G. de Paris, qui conduit à son exclusion de l’U.N.E.F. pendant un an, et des querelles de personnes pour l’obtention de postes au sein de celle-ci. Signe des temps ainsi que préfiguration des heures sombres à venir, on s’insurge (à tort ou à raison) contre les méthodes de pression « hitlériennes » utilisées par certaines têtes de files dissidentes ( 45 ). Deux groupes distincts émergent : les partisans de l’unité (cas de Rennes), et les partisans d’une expression politique du groupement, qui semblent rejoindre ceux poussés par des ambitions plus individuelles. Dans ce dernier groupe, se trouvent les A.G.E. de Paris, Toulouse, Lille, Nancy, Grenoble, Besançon, Amiens, Tours et Casablanca. Au sortir du congrès de 1932, la rupture est consommée. Elle ne conduit cependant pas à la création d’une structure alternative, et la réunification aura lieu l’année suivante, sur des bases consensuelles et neutres. Si l’on retrouve dans ce processus d’exclusion une similitude avec l’exclusion en 1921 des réformistes et révolutionnaires de la C.G.T., la réunification donne dans le même temps à voir celle de ces deux mêmes organisations en 1936. En condensé et en accéléré du fait de la durée de vie plus courtes de ses élites, le monde associatif étudiant, par sa fonction de représentation, vit et donne à voir dès cette époque des perspectives et les possibles du syndicalisme ouvrier.

La politique nationale fait dès cette époque son entrée dans le monde associatif étudiant, qui réagit fortement. Le rapport au travail n’est pas le seul domaine politique où le monde associatif étudiant s’implique. Ainsi, dès le milieu des années Trente, les étudiants s’investissent massivement dans des questions éminemment politiques, à l’initiative des associations qui les regroupent. La montée en puissance du mouvement des Croix-de-Feu du Colonel de la Rocque conduit en effet plusieurs A.G.E. locales à participer activement à des manifestations publiques d’opposition. A l’instar des syndicats ouvriers de l’époque, et a contrario des Ligues, elles se positionnent contre le fascisme qui s’étend à cette époque.

Cette place nouvelle des associations étudiantes et leur impact sur le terrain de la contestation sociale commencent donc à apparaître à plusieurs responsables associatifs de l’époque, les conduisant de fait à s’interroger sur le statut du mouvement. Vers la fin de cette période s’affirme pour plusieurs responsables associatifs étudiants la nécessité d’une transformation du mouvement vers un syndicalisme corporatif ( 46 ). La seconde guerre mondiale donnera un coup d’arrêt à ces perspectives nouvelles. L’U.N.E.F. et les A.G.E. s’endorment alors dans une passivité politique obligée et l’attente ( 47 ).

1945 : l'U.N.E.F. sort de la guerre amoindrie par sa politique de
non-engagement. Insignifiante durant le conflit et l’occupation, elle ne doit sa résurrection qu’à l’action énergique de quelques étudiants anciens résistants. Sous leur impulsion, elle se redéfinit comme un syndicat non politisé. Cette posture est totalement atypique pour l’époque, en regard des autres organisations syndicales.

Pour sortir de l’impasse créée par un apolitisme corporatiste traditionnel affaibli et sans prestige, et une Union des Etudiants Patriotes nouvelle ( 48 ), l'U.N.E.F. se lance dans une triple ambition : être un mouvement syndical revendicatif, le centre de la vie étudiante, et un organisme de gestion matérielle au service des étudiants. Les A.G.E. sont donc invitées à coupler actions gestionnaires et actions revendicatives, dans un but d'aide et de représentation des étudiants. Ce mode d’organisation ne s’inspire d’aucun modèle préexistant. Cette fois encore, si le modèle général de l’organisation est le reflet des autres organisations collectives (syndicats, partis) de son temps, ses modalités de fonctionnement pratique en sont fortement éloignées. Cette spécificité conduira cette fois encore l’organisation sur les voies de l’innovation pratique.

Afin d'affirmer clairement sa nouvelle orientation, l'U.N.E.F. se dote, au Congrès de Grenoble de 1946, d'une charte interne, qui sera très rapidement connue sous le nom de « Charte de Grenoble ». Sorte « d’utopie » interne, cette Charte servira, à partir de ce moment là, de programmatique et de référentiel d’action vers lesquels il convient de tendre. L’U.N.E.F. entre alors dans sa troisième période de vie, la phase syndicale (cf. annexe n°2 : « La notion de syndicalisme en milieu étudiant »).

La Charte de Grenoble s’appuie sur une référence explicite, la Charte d'Amiens, acte fondateur du mouvement ouvrier et de la C.G.T. Cette définition du syndicalisme étudiant résonne donc de forts accents ouvriers et de luttes sociales. A ce titre, le préambule affirme par exemple que « le monde du travail et de la jeunesse dégage des bases d'une révolution économique et sociale au service de l'homme ». Comment comprendre cette référence au monde ouvrier de la part d'une population étudiante à l'époque socialement favorisée ? Quel est le sens de cet attrait inédit pour une population ouvrière qui n’accède encore que trop peu au monde universitaire ( 49 ) ? Le mouvement étudiant cherche-t-il à cette époque à devenir suiviste du mouvement ouvrier ?

Il convient, pour répondre à cette question, de remarquer que nous sommes au sortir de la guerre. La C.G.T., les groupes communistes, mais aussi plus largement le monde ouvrier se sont fortement impliqués dans la Résistance. Le monde ouvrier jouit donc d’une double aura, l’une née de la période historique traversée, l’autre consécutive de la valeur travail, valeur phare dans une société française inscrite totalement dans le modèle salarial.

Les initiateurs de la Charte de Grenoble s’inspirent de ces deux dynamiques. Ainsi, le préambule de cette charte « l'étudiant est un jeune travailleur intellectuel », de même que son article 5 « en tant que travailleur, l'étudiant a le devoir d'acquérir la meilleure compétence technique » montrent bien, au-delà d'un vocabulaire à tendance quelque peu marxiste, l’implication de la nouvelle structure U.N.E.F. dans la société salariale. Dans le même temps, « la figure du militant, dévoué corps et âme au Parti, devient pour les jeunes gens
d’après-guerre le modèle le plus attractif, surtout quand ils éprouvent jusqu’aux remords le regret de n’avoir pas participé à la résistance » ( 50 ).

Cette Charte se conceptualise en outre dans le cadre de l’Etat-Nation, dans une schématique de présentation discursive fortement gaullienne ; elle ne peut du reste être pensée sans référence avec ce courant politique
d’après-guerre ( 51 ). Elle s’applique en effet exclusivement à la « jeunesse française », et plus particulièrement aux étudiants « fidèles à l’exemple des meilleurs d’entre eux, morts dans la lutte du peuple français pour sa liberté » (préambule). L’Etat, la France est alors à reconstruire. Dans la perspective de cette Charte, les étudiants font corps avec la Nation pour prendre part au travail de reconstruction, en fonction et avec les moyens spécifiques de leur condition particulière, mais dans une logique transcendante qui s'impose, la Nation. Ainsi, les étudiants « affirment leur volonté de participer à l'effort unanime de reconstruction ».

La Nation est aussi utilisée pour donner corps à une unité des étudiants dans la réalisation d’un effort collectif, dépassant toutes les conditions particulières, et unissant dans un même destin, pour un même avenir, tous les étudiants. Cette charte est en effet le lieu de la construction d'un archétype social nouveau, l'étudiant. Ce modèle à la fois unique et utopique de l'individu étudiant ne prend évidemment pas en compte la diversité des personnes. En posant le concept de l’étudiant, et non pas celui des étudiants, les responsables associatifs d’alors affirment une unicité des étudiants, de leurs comportements, de leurs quotidiens et presque de leur avenir. Une telle mise en forme retraduit la prégnance des référentiels de la société salariale tels que la mobilisation de masse, le nombre d'adhérents, l'unicité du nombre, en même temps qu’elle démontre la participation du mouvement associatif étudiant à ce modèle social. Sur la forme, le mouvement associatif étudiant est donc un reflet des autres organisations syndicales de son temps.

Le rôle nouveau de transformation sociale donné à l’étudiant s’inscrit en outre dans le cadre d’une perspective historiciste. Ainsi, tout au long de la Charte de Grenoble, restent constants l’idée générale de Progrès et le mythe du Progrès pour tous. Nombreuses sont les références tout au long de ce texte au sens de l’Histoire, à la révolution au service de l’homme, … S’exprime dans cette charte la croyance inconditionnelle dans un Progrès bon pour le développement de l’homme et de l’humanité.

Dès les premières années du sortir de l’après-guerre, l'U.N.E.F. développe ses premières actions revendicatives de masses. A partir de 1947, mais surtout en 1953, elle se mobilise et organise grèves et manifestations de rue contre les réductions du budget de l'Enseignement Supérieur. Son action s’inscrit dans la dynamique des rapports sociaux de la société salariale : mobilisation de masse d’un groupe économique et professionnel. Ses rapports avec l’Etat empruntent donc une large part des modalités d’action des syndicats ouvriers de son époque ; elle est à ce titre un reflet de celle-ci. La réussite de son combat fera d'elle le « grand syndicat unique de la classe estudiantine », selon le Figaro du 14 février 1956, aphorisme qui marquera durablement les mémoires.

Inscrits dans la société salariale en même temps qu’héritiers du passé de l’U.N.E.F., les nouveaux dirigeants l’U.N. se réapproprient l’idée déjà ancienne du pré-salaire étudiant. Ils la reconfigurent afin de l’adapter à l’urgence de la reconstruction nationale. Ainsi, pour les dirigeants de l’U.N., « le travail de l’étudiant doit recevoir rémunération si on le conçoit, non principalement comme un enrichissement personnel, mais comme une préparation à un rôle de futur cadre qui mérite salaire » ( 52 ). L’allocation d’études doit donc se comprendre comme « une part du revenu national, affectée à la formation des cadres, c’est-à-dire comme un investissement intellectuel » ( 53 ). Cette revendication hautement salariale s’il en est, s’accompagne de la revendication d’un régime de sécurité sociale spécifique aux étudiants. Obtenu en 1948, ce dernier permet dès lors aux étudiants d’entrer dans la logique assurancielle, modalité caractéristique du salariat. La vision syndicale de l’U.N.E.F. après-guerre s’accompagne donc d’une forte implication de cette structure dans les cadres du modèle de la société salariale. En obtenant de nouveaux droits pour les étudiants, elle joue un rôle similaire à celui que les syndicats du monde ouvrier incarnent pour l’ensemble des travailleurs.

Un journal « Unef-info » envoyé tous les quinze jours aux A.G.E. recense tous les textes de lois, toutes les modifications relatives à l’Education Nationale. Au niveau local, le comité directeur de l’A.G.E. s’adjoint le plus souvent d’un conseil consultatif des corporations, qui donne un avis préalable à toutes les grandes décisions (manifestation, grève, …). Cette volonté permet à la fois d’impliquer les associations de base dans la vie de l’A.G.E., en même temps que de mesurer « en direct » les rapports de force en présence et le degré de réceptivité de la base. Cette modalité d’action reste assez similaire avec ce que réalisent les autres organisations du monde social de l’époque.

Les marques de la modernité restent aussi prégnantes par une rationalisation des moyens humains dans le cadre même de l’organisation interne des structures : spécialisation des tâches, technicité, verticalité. Le C.A. se réunit seulement trois fois par an, pour contrôler l’application des motions votées lors de l’Assemblée Générale annuelle.Le juridisme et le formalisme régissent une large part des activités au sein de l’U.N.E.F. et des A.G.E., agissant comme outil du pouvoir et de conservation du pouvoir. Nous sommes ici encore dans une reproduction des formes de structuration des organisations du monde social, rendant les modalités d’agencement de l’U.N.E.F. somme toute assez similaires de celles mises en œuvre par les autres acteurs du monde social de l’époque.

Mais le suivisme avec les autres formes d’engagement des individus dans le monde social et le syndicalisme ouvrier plus particulièrement s’arrête là. Les « hommes de Grenoble », en prenant le contrôle de l’U.N.E.F. et d’A.G.E. importantes (Lyon, Grenoble, Strasbourg notamment), posent aussi les bases d’un syndicalisme novateur, inédit et puissant. Cette efficience ne sera pas sans se retranscrire dès les années suivantes dans d’autres éléments de la société civile, le monde étudiant diffusant ses innovations et transformant dès lors le social. Ce sera le cas notamment pour la C.F.T.C. Ainsi, « comme une minorité réforme l’U.N.E.F. en 1946, la C.F.T.C. connaît une pression interne identique de la part du groupe d’études et de réflexion « Reconstruction ». La nouvelle génération de dirigeants qui investit l’union départementale de l’Isère et en prend le contrôle en 1949 adhère à cette minorité syndicale » ( 54 ). Sous un angle parallèle, Bernard Delaire montre la forte influence du syndicalisme étudiant dentaire de cette époque dans le syndicalisme dentaire professionnel ( 55 ). Les modalités de l’engagement associatif étudiant mises en œuvre au sortir de la guerre au sein de l’U.N.E.F. impactent donc quelques années plus tard par leur institutionnalisation progressive celles de l’engagement des individus dans les syndicats professionnels. Se donne ici encore à voir la transitivité du message associatif étudiant sur le corps social.

Cette charte est aussi et surtout le signe qu’émerge un nouveau modèle de rapport entre individu, groupement intermédiaire de représentation et société. En effet, la perception que l’étudiant a de lui-même se transforme. Ainsi, la Charte de Grenoble fait de l’étudiant un individu social nouveau, désormais partie prenante de la société dans lequel il vit. La définition de l’étudiant ne centre pas ce dernier uniquement dans l’Université, mais l’intègre dans le monde. « Conscient de la valeur historique de l’époque, à l’heure où s’édifie le Statut pacifique des Nations », l’étudiant sort des murs protecteurs de l’Université. A l’instar d‘autres groupes sociaux qui dès cette époque affirment leur identité, les étudiants se positionnent désormais comme individus à part entière ( 56 ).

Cette place nouvelle de l’étudiant dans la société s’accompagne de droits, mais aussi de devoirs moraux importants. Ainsi, l’étudiant a le devoir de « définir, propager et défendre la vérité, ce qui implique le devoir de faire partager et progresser la culture et de dégager le sens de l'histoire
(article 7) ». C’est donc la définition d’un jeune responsable, conscient du monde et de sa place dans celui-ci que la Charte de Grenoble donne de l’étudiant.

Ce nouveau positionnement s’envisage dans une perspective claire de transformation du monde dans laquelle, « le monde du travail et de la jeunesse dégage les bases d’une révolution économique et sociale au service de l’homme ». Vingt-cinq ans avant Marcuse et « Vers la libération », les responsables étudiants « déclarent vouloir se placer à l’avant-garde de la jeunesse française », cette dernière se positionnant comme élément principal des transformations sociales (cf. le préambule de la Charte, annexe n°3). Dans cette perspective, il est du devoir de l’étudiant en tant qu’intellectuel, de « définir, propager et défendre la vérité, ce qui implique le devoir de faire partager et progresser la culture … ». C’est donc à la fois un rôle responsable de lui-même et du monde en même temps qu’une vision idéalisée de l’étudiant et de son potentiel de transformation sociale que promeut cette Charte ( 57 ).

Une telle conceptualisation du sujet constitue une alternative à celle en vigueur depuis la Révolution dans le droit français. A la différence des textes constitutionnels modernes, dans la Charte de Grenoble, l’individu a des droits comme il a des devoirs, clairement explicités. En même temps, si les droits sont très concrets, les devoirs se situent dans le registre subjectif, dotés d’une haute valeur morale. Si elle dispose à ce titre de certains accents du catholicisme social, elle dépasse cependant cette philosophie par l’universalité des devoirs de l’individu.

C’est donc d’un croisement d’influence et d’objectifs que procède la Charte de Grenoble (cf. graphique n°2). Elle est à la fois l’affirmation de l’étudiant en tant que sujet social, mais pas encore comme Sujet, même si quelques pistes semblent se révéler ( 58 ). L’action de ce dernier reste inscrit dans le cadre des valeurs et institutions existantes, et plus particulièrement le travail et la Nation. Elle affirme enfin le sujet-étudiant comme élément de l’Histoire, positionnant son action dans une perspective utopique de transformation globale du monde.

Graphique n°2 : l’étudiant selon la Charte de Grenoble
Graphique n°2 : l’étudiant selon la Charte de Grenoble

Le placement de l’étudiant au centre de ces diverses influences retranscrit la perspective syndicale souhaitée par ses rédacteurs. Cependant, c’est dans le même temps une approche alternative pour l’époque, et qui ne se confond pas ni avec le syndicalisme ouvrier, ni avec le catholicisme social, pas plus qu’avec l’Etat laïc et républicain ( 59 ). La Charte propose une synthèse entre une vision socialiste démocratique développée par la S.F.I.O., et une perspective gaullienne du syndicalisme. Elle doit donc être aussi comprise comme porteuse d’un modèle consensuel inédit, atypique et performatif.

Cette transformation du regard que portent les étudiants sur eux-mêmes au sortir de la guerre va de fait influer sur leur implication dans la société. Ainsi, l’U.N.E.F. pousse l’Etat à étendre dès 1948 le régime de sécurité sociale aux étudiants, faisant naître de nouveaux droits pour ces derniers. La gestion de celle-ci se voit entièrement déléguée aux étudiants, qui créent alors la M.N.E.F.

Les conquêtes de l’U.N.E.F. et des A.G.E. s’avèrent fortement en avance sur leur temps. En effet, aucune structure de service de type O.T.U. ou mutuelle n’a été jusqu’alors créée pour et par un autre groupe social d’âge identifié de la population. Ainsi, les premières mesures en direction du troisième âge n’interviendront qu’au cours des années soixante ( 60 ). Celles pour les jeunes des quartiers n’apparaîtront qu’au cours des années quatre-vingt.

Dans le même temps, comme le montre Pierre Gaudez ( 61 ), le discours et les prises de positions officielles de l’U.N.E.F. sont eux aussi très en avance. Ainsi, dès la fin de la guerre, elle développe une critique du mariage bourgeois. En dénonçant l’hypocrisie du système et la reproduction du schéma familial, elle préfigure dès cette époque l’une des bases de la critique étudiante et sociale de Mai 68. En outre, dès 1950, l’U.N.E.F. prend position en faveur des pays colonisés. Ainsi, elle reconnaît lors des Congrès d’Arcachon puis de Nice le droit des peuples « à l’autodétermination », position éminemment avant-gardiste pour l’époque ( 62 ). La C.G.T. n’apportera son soutien aux revendications des Algériens et à leurs aspirations nationales qu’à partir de 1954. Il faudra attendre 1956 pour que le Parti Socialiste Autonome, qui deviendra ensuite le P.S.U., s’implique et manifeste contre la poursuite des combats, puis pour le soutien aux négociations avec le peuple algérien. C’est donc une position éminemment avant-gardiste que développe le mouvement associatif étudiant sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, près de dix ans antérieur à ses homologues de l’ensemble du monde social. Bouleversant le consensus social ambiant, le mouvement associatif étudiant impose par son action le rythme des changements sociétaux, transfigurant dès lors les formes de l’engagement des individus dans le monde social.

Il faut dire que l’adéquation entre la pratique sociale, les besoins des étudiants, les réalisations, et les orientations de l'U.N.E.F. est à cet instant on ne peut plus parfaite. Ainsi, le nombre d’adhésions passe de 20 % de la population étudiante en 1945 à 42 % en 1962, tandis que dans le même temps, le nombre d’étudiants augmente fortement ( 63 ).Cette forte adhésion contraste fortement avec le reste des autres organisations de représentations publiques de l’époque. Ainsi, le monde syndical ouvrier ne représente à cette époque que 20 % du nombre de salariés, tous syndicats confondus.

Exceptés les petits sites universitaires, l'U.N.E.F. regroupe au local entre 30 % et 60 % des étudiants. Les A.G.E. parisiennes étant souvent plus politisées, plus enclines au débat d'idées et moins penchées vers des réalisations pratiques, ces dernières mobilisent en moyenne moins d’adhérents. L'U.N.E.F. est donc à cette époque majoritairement provinciale, fondant son élaboration sur une intégration des particularismes locaux et une forte action de services. Elle s’avère là encore en avance sur les autres organisations collectives de son temps, à cette époque davantage tournées vers des pratiques nationales uniformes.

En fait, l’U.N.E.F., par la pratique duelle de services aux étudiants et de réflexions politiques, développe un modèle inédit et alternatif d’organisation. S’il n’est pas sans rappeler le modèle syndical allemand ( 64 ), ce modèle d’action est davantage caractéristique de la social-démocratie. Représentatif d’une certaine élite sociale ( 65 ), elle est une organisation d’élite : son fonctionnement est efficace, et dans certains cas, anticipatif. A cette époque, seules la F.E.N. et la F.N.S.E.A. proposent en France des modèles organisationnels partiellement approchant ( 66 ).

D’un point de vue organisationnel, les A.G.E. sont doublées d'Offices Techniques, structures verticales de filières, qui sont, dans une certaine mesure, un peu les ancêtres des mono-disciplinaires étudiantes actuelles. Ils s’intéressent à la réforme des études et aux débouchés professionnels de leur filière. S’ils disposent chacun d’un président et d’un bureau, s’ils assistent de droit aux réunions du bureau de l’U.N.E.F., les Offices Techniques lui restent subordonnés : le président de l’Union dispose ainsi d’un droit de veto sur les décisions des Offices. Le bureau de l’U.N.E.F. est dans les faits avant tout une équipe de techniciens, qui s’appuie sur une reconnaissance et une valorisation en interne des compétences disciplinaires des bénévoles. Elle se situe à ce titre très en avance sur son temps. En effet, comme le montre notamment Sainsaulieu et Laville dans « Sociologie des associations », l’arrivée de techniciens aux postes de direction des associations ne se fera pas avant le milieu des années 70. Par sa posture, le mouvement associatif étudiant institutionnalise progressivement le changement dans les formes des engagements collectifs des individus.

En revanche, l’existence de fédérations ou de syndicats de branche est constitutive de la naissance du syndicalisme professionnel. C’est du reste sur le regroupement des différentes branches existantes que se fonde en 1895 la C.G.T. En cela, le mouvement associatif étudiant a reproduit partiellement le modèle syndical préexistant. Partiellement, car ce ne sont pas des fédérations de branches ou de cursus qui créent l’U.N.E.F., mais l’inverse. Ajoutons qu’à la différence du syndicalisme ouvrier, les Offices techniques de l’UN.E.F. ne disposent pas de véritables pouvoirs en interne, puisqu’ils restent totalement subordonnés au bureau et au président de l’U.N.E.F., sans pouvoir véritable d’opposition.

A l’orée de 1950, apparaissent en interne des « courants », qui se formalisent rapidement en deux groupes (cf. graphique n°3) :

  • un courant « mino », à tendance visionnaire et idéologique ( 67 ). Moins nombreux, il est cependant plus solide et structuré, essentiellement regroupé autour d’un réseau fort : la J.E.C. ( 68 ), et dans une moindre mesure l’U.E.C. ( 69 ). Il s’appuie sur une vision unitaire du groupe, qui doit agir comme un seul homme. Elle se croise avec la vision d’un étudiant pensé comme élément du monde qui l’entoure. Si cette perspective n’ouvre pas directement à la scission de l’individu avec le groupe, elle porte en elle l’expression d’un individualisme nouveau qui ne demande qu’à s’exprimer, prenant en compte l’altérité comme un égal.
  • un courant « majo », qui regroupe les « corpos » et les individus à tendance gestionnaire. Il est composé, dans les années cinquante, d'un éventail politique très large. On retrouve ici encore une vision unitaire du groupe, qui doit agir comme un seul homme. Cette approche se renforce par un appel à la Nation, entrevue comme référent indépassable. Transparaissent ça et là des perspectives présentant l’étudiant comme un élément de l’Université stricto sensu, un peu en retrait donc des perspectives tirées par la Charte de Grenoble. Au sein de ce groupe, se rejoignent d’authentiques apolitiques se retrouvant dans un attentisme centriste non engagé, et un apolitisme conservateur. Le groupe centriste, le plus nombreux mais indécis, rythme l’affrontement majo-mino.

Sans être cristallisée autour d'un débat droite/gauche, chaque tendance (majo/mino) reçoit des appuis et des soutiens parfois fortement marqués politiquement : l’U.N.E.F. est donc dans les années cinquante un groupe de pression, disposant d'attaches institutionnelles multiples et variées. Mais cette politisation interne reste encore à cette époque tempérée par la volonté unitaire et le principe d'indépendance à l'égard de l’Etat et des groupes politiques, qui demeurent la ligne directrice.

Cette volonté unitaire oblige les différents courants à une politique d’ouverture en direction des autres formations de tendances proches, tant au niveau local que national. Si une telle pratique est en vigueur au sein de l’U.N.E.F. dès 1946, elle ne fera son apparition sur le terrain politique qu’à partir des années quatre-vingt, avec le principe de cohabitation, puis le concept de « gauche plurielle ». Sur le terrain politique, les pratiques de l’U.N.E.F. préfigurent dès cette époque les formes de relations entre partis, telles qu’elles seront visibles dans l’ensemble de la société quarante années plus tard. Les syndicats comme les associations seront eux aussi très longs à mettre en œuvre une pratique similaire, la plus grande partie de ces structures ne s’y essayant tout simplement pas.

Graphique n°3 : Le placement à l’individu et au monde des différents groupes composant l’U.N.E.F. dans les années cinquante.
Graphique n°3 : Le placement à l’individu et au monde des différents groupes composant l’U.N.E.F. dans les années cinquante.

De part sa neutralité politique affichée malgré son positionnement syndical, les relations avec les autres acteurs institutionnels universitaires sont bonnes, et l'U.N.E.F. a pignon sur rue.

C’est dans ce contexte qu’éclate la guerre d’Algérie.

L’influence de la J.E.C. va alors peu à peu se faire sentir au sein de l’organisation. Pour cette organisation en effet, il n'y a pas de problèmes étudiants, mais des aspects étudiants de problèmes plus généraux ( 70 ).
Raoul Girardet entrevoit à l'époque ce positionnement de la place de l’étudiant comme une nouvelle forme d'engagement qui se dessine, « à replacer dans une évolution culturelle qui fait de la jeunesse une nouvelle classe d'âge en train de secréter des institutions qui lui sont propres. Désormais, en milieu étudiant, les grands débats de la conscience française contemporaine sont appréhendés à travers les problèmes propres à la situation étudiante » ( 71 ). Ainsi, dès 1954, l’U.N.E.F. propose la reconnaissance « de la pleine représentativité des associations d’étudiants d’Outre-mer », préambule institutionnel manifeste à l’échelle étudiante d’une reconnaissance entre Etats ( 72 ).

L’évolution culturelle des étudiants, telle que décrite par Girardet, est pour l’époque fortement novatrice : elle consiste en une réappropriation de dynamiques sociétales par des étudiants, en dépassant leur simple vécu objectif. La guerre d’Algérie servira pour la conscience étudiante de fil conducteur entre monde vécu et système. En même temps, la présence d’un fil conducteur retraduit celle d’une distance croissante entre les deux éléments, explicitant dès lors la présence d’une complexification sociale nouvelle. Le mouvement associatif étudiant s’en fait le révélateur.

Pour leur part, les syndicats et partis de gauche qui se positionnent peu à peu contre la guerre en restent essentiellement à une analyse fondée sur la fracture manifeste entre utopie de solidarité entre les individus et réalités de la guerre. Pour profonde qu’elle soit, cette perspective n’intègre pas véritablement la perspective de l’individu. Comme le montre en outre Laure Pitti dans son travail de thèse sur l’implication de la C.G.T. dans l’opposition à la guerre d’Algérie, celle-ci reste très ancrée dans les discours, mais reste peu suivi d’actions réelles sur le terrain. Par affinité idéologique, les ouvriers, et dans une moindre mesure les instances de l’organisation, ne souhaitent pas s’opposer trop ouvertement au gouvernement socialiste alors au pouvoir. C.G.T. comme P.C.F. se positionneront au final davantage pour la paix et moins en faveur de l’indépendance du peuple algérien ( 73 ). Les choses évolueront au fil du temps et l’arrivée de De Gaulle au pouvoir, le putsch des généraux, le vote des pleins pouvoirs deviennent autant de motifs à l’organisation de vraies mobilisations ouvrières et du peuple de
gauche ( 74 ).

En septembre 1955, le rappel en Algérie des premiers « disponibles » fait s’exprimer au grand jour les tensions sous-jacentes. Des manifestations étudiantes spontanées ont lieu dans les ports. L'U.N.E.F. éclate une première fois, entre courants « majo » et « mino », du fait des positions trop fortement divergentes sur la question. Un compromis est cependant rapidement trouvé dans l’expulsion des éléments internes trop extrémistes.

En 1956, « force montante au sein d'une force montante », fortement volontaire tant sur le monde étudiant que sur la guerre d'Algérie, la J.E.C. prend le pouvoir au sein de l'U.N.E.F., après avoir conquis la M.N.E.F. et diverses A.G.E. Il s’agit surtout de la prise de pouvoir en interne d’un groupe culturel structuré au sein d’un autre groupe culturel plus large, lui-même force montante dans la société. La J.E.C. se donne alors comme objectif de changer le regard des étudiants et de la société sur la guerre d’Algérie, à travers une description à la fois globale de la réalité (tous les individus sont confrontés à la problématique de cette guerre), et en même temps transversale (le respect inter-individuel, le droit de chaque individu à disposer de son propre devenir).

Cette conscientisation de l’U.N.E.F., des étudiants ainsi que de la société française peut s’appuyer sur quelques piliers, qu’il convient cependant d’étayer. La guerre d'Algérie pose en effet un problème de conscience au monde étudiant, tout d'abord en ce qui concerne les relations avec les étudiants nord-africains, auparavant très bonnes. De plus, la torture, qui semble être utilisée par l'armée, est ressentie comme fortement contradictoire avec les valeurs humanistes de l’Université. Plus largement, elle interroge une partie de la population française. Enfin, le régime strict des sursis et l'inflation du budget militaire (30 % du budget national en 1956) par rapport au budget de l'Education Nationale (9 %), conduisent les étudiants à s'intéresser aux problèmes politiques.

A cette date, l'U.N.E.F. regroupe 80 000 étudiants, soit la moitié de la population étudiante. Elle est donc un outil de revendication sociale et de communication au potentiel important, que la J.E.C. va utiliser pour diffuser le plus largement possible ses perspectives en faveur de rapports humains nouveaux fondés sur la reconnaissance de l’altérité et le droit de chaque individu à disposer de lui-même. Le monde associatif étudiant devance alors fortement ses homologues du monde social par son engagement en faveur des individus. Bousculant le consensus social à l’œuvre sur la guerre en cours, le mouvement associatif étudiant institutionnalise par son action à la fois la contestation sociale à celle-ci, en même temps que la reconnaissance sociale de l’individu. L’absence de collusion entre l’U.N.E.F. et le gouvernement en place renforce la liberté de ton et d’analyse dont est dotée à cette heure l’organisation étudiante.

L'U.N.E.F. rentre ainsi dans la seconde phase de sa troisième période, à la fois syndicale et politique. La participation du mouvement associatif étudiant aux transformations des modes d’engagement des individus au cours de cette période se concentre essentiellement sur l’évolution du rapport entre l’individu et l’institution. L’U.N.E.F. prend cette fois encore un rôle avant-gardiste. La « mino » se réapproprie les perspectives et avancées des « hommes de Grenoble », en leur donnant une impulsion nouvelle et une audience plus importante dans le réseau associatif étudiant. Les utopies centrées sur l’individu s’affirment. Ces transformations conduisent à la construction d’un nouvel agir associatif étudiant, lui même générateur de nouvelles modalités de l’engagement dans le monde social.

Dès début 56, les prises de position de l'A.G.E. d’Alger font ressurgir les tensions internes. La tension s’exacerbe entre l'A.G.E. d’Alger, composée d'européens, et l'U.G.E.M.A. de composition algérienne ; chacune des deux parties somme l'U.N.E.F. de prendre position. Refusant cette obligation, l'U.N.E.F. se coupe de ses A.G.E. d'Outre-mer. En interne, les débats sont houleux et passionnels. La J.E.C., au pouvoir, ne peut emporter le soutien total des A.G.E., pas plus que celui de l'U.G.E.M.A. Certaines A.G.E. « majos » souhaitent même s'organiser et pensent la scission. Pourtant le bureau « mino » en poste joue la prudence : les prises de position publique sont limitées à des protestations morales, et recentrées sur les problématiques étudiantes. Reflet des contradictions étudiantes et sociétales sur la question, le bureau de l'U.N.E.F. n'est guère soutenu publiquement.

Le 6 Mai 1957, malgré plusieurs jours de négociation et de retraits successifs de la tendance « mino » au pouvoir, 17 A.G.E. parmi les plus marquées à droite se retirent de l'U.N.E.F. et créent le M.E.F. ( 75 ). L'U.N.E.F. regroupe dès lors 42 A.G.E. sur 59 dont plusieurs des plus importantes, fortement syndiquées.

D'un point de vue sociologique, nous sommes ici à un point historique de transition. Le monde dans son ensemble termine sa sortie des conséquences de la Seconde Guerre mondiale. Mais cette sortie ne se fait pas dans un principe d’unité. De nouvelles aspirations se font jour, qui s’expriment par le biais d’une expansion des mouvements d’indépendance dans les pays colonisés. Ces derniers trouvent écho dans une bipolarité mondiale qui s’exacerbe, par l’apparition de plus en plus nette de deux blocs internationaux antagonistes. 1956 avait signé le début de la déstalinisation par Kroutchev, et le règlement conjoint par l’U.R.S.S. et les Etats-Unis de la crise du canal de Suez ; ces deux éléments pouvaient laisser augurer une coexistence pacifique entre les deux principales puissances. Pourtant, cette année est aussi et surtout marquée par l’intervention des chars soviétiques en Hongrie, qui noient dans le sang une tentative d’autonomie. Les deux grands redéfinissent de manière explicite la structure du monde et affirment leurs zones d’influence. Si une coexistence forcée entre ces derniers s’installe alors, elle n’élimine pas pour autant les affrontements. Que ce soit par la « doctrine Eisenhower » ou par « l’appel de Stockholm », chaque acteur dans le monde est désormais sommé de choisir un camp : la paix soviétique concurrence la liberté américaine.

La société commande dès lors une plus grande prise de risque des décideurs, un voyage plus à découvert. Les principes fondamentaux de la société moderne (principe de totalité, d’unité et de rationalité notamment) s’exacerbent et s’expriment dans une tension grandissante entre ces deux visions du monde absolues et totales. Les acteurs politiques comme les acteurs sociaux, et l'U.N.E.F. comme tous les autres, ont à se positionner, faire des choix. Nous sommes cependant, sur cet épisode, dans la confrontation de deux logiques ne se situant pas au même niveau : tandis que les A.G.E. corpos se positionnent autour d’une analyse contextuelle de type « ma Nation avant tout, et notamment contre le communisme », la J.E.C. propose une analyse de la société structurée autour des droits de l’individu et des Nations à disposer d’eux-mêmes. Dans cette opposition se joue l’affrontement de deux paradigmes, l’un en déclin, l’autre en devenir.

Car dans le même temps en effet, les dimensions identitaires et culturelles s’affirment dans le monde. De 1945 à 1956, de nombreuses colonies obtiennent leur indépendance : de l’Inde en 1947 à la Tunisie ou au Maroc en 1956, les indépendances se succèdent, octroyées ou obtenues par la violence. Ces volontés de souverainetés sont appuyées par les Etats-Unis et l’U.R.S.S., ainsi que par les principales églises : tous condamnent l’exploitation de l’homme par l’homme, et prônent la liberté des individus. La liberté individuelle, autre pilier de la modernité, telle qu’elle s’exprime dans l’aspiration à la liberté des peuples, vient ainsi s’opposer à la totalité moderne. Pour la première fois dans la modernité, les identités culturelles particulières supplantent une domination fondée sur la raison scientifique ( 76 ). De fait, cette époque de crise met notamment en exergue l’impossibilité qu’a la société moderne à fondre en un tout cohérent ses principes contradictoires.

Dès lors, les modalités précédentes de l’engagement étudiant
(cf. graphique n°3) se transforment : les appartenances se dichotomisent de manière plus fine. Tandis que la référence stricto sensu à l’Université s’estompe, le groupe et l’institution se séparent et donnent naissance à deux nouvelles références : la Nation et la communauté. Les identités se construisent et s’affirment, processus que subit l’U.N.E.F. avec la scission du M.E.F. Une nouvelle configuration apparaît, dans laquelle les référents de l’individu pourront être la Nation, la communauté ou le monde. Les différentes composantes du mouvement associatif étudiant se répartissent dès lors en trois entités principales différentes (cf. graphique n°4) :

  • Le M.E.F., qui privilégie une construction de l’individualité personnelle dans le strict cadre de la Nation et du respect des institutions ; c’est une dimension de tendance communautaire nationale qui se fait jour, sur une niche identitaire marquée. Ce modèle est caractéristique des associations et mouvements traditionnels et traditionalistes qui évolueront à partir de ce moment là dans la société.
  • La J.E.C., qui choisit pour sa part une approche de l’individu fondée dans une double appartenance au groupe et au monde, en s’éloignant du référent national. Les évolutions de ce modèle sont notamment celles que prendront ultérieurement les associations et syndicats formés sur la même base conceptuelle : C.C.F.D. créé en 1961, Peuples solidaires née en 1983, et d’une manière générale, les mouvements de solidarité en direction du tiers-monde qui naissent pour l’essentiel au cours des années soixante-dix.
  • Les associations gestionnaires, qui se retrouvent au croisement de ces deux perspectives opposées. Nous retrouvons ici le « ventre mou » de l’associatif, l’ensemble des structures n’adhérant à aucune des perspectives précédentes ou de manière épisodique.

L’U.N.E.F. vit alors de plein fouet la crise de l’identité de la fin de la première modernité. Avec la scission du M.E.F., s’expriment les premières affirmations du second individualisme, à la fois dans son aspect individualisation par l’émergence de niches identitaires nationales, et dans sa dimension individuation par la prise en compte du monde dans la construction de l’individu. Des divergences se font jour, à la fois autour de la fonction d’un syndicat, de son rôle et de sa place dans la société, ainsi qu’autour des formes de réponses à adopter face aux problématiques sociales qui touchent le quotidien des étudiants, donc des individus. La définition de la place de ces acteurs au sein de l’entité Nation est aussi sujet de dissension. Pour les syndicats et partis politiques de l’époque, l’existence de l’individu est cantonnée à son appartenance à la Nation. Exceptés pour la C.G.T. et le parti communiste qui intègrent aussi l’ouvrier dans la grande communauté internationale des travailleurs et prolétaires (mais qui, en dehors de cette condition sociale, n’intègrent pas ce dernier comme élément du monde à part entière), il n’existe pas d’organisation posant les termes explicites de l’équation reliant l’action ici et maintenant de ses membres et l’impact que celle-ci aura ailleurs et demain pour d’autres individus. La J.E.C., et par ce biais, l’U.N.E.F., oeuvrent en revanche à l’expansion de cette vision dans l’ensemble de la société, en mettant notamment en lien service militaire/exactions en Algérie/droits des individus à disposer d’eux-mêmes et de leur devenir.

Graphique n°4 : les piliers de la construction des structures associatives étudiantes dans les années 50-60.
Graphique n°4 : les piliers de la construction des structures associatives étudiantes dans les années 50-60.

L’intégration du monde dans la définition par l’U.N.E.F. de son action pourrait inciter à penser une similitude entre le nouveau syndicalisme étudiant qui émerge et le syndicalisme ouvrier vieux déjà de plus de cinquante ans. En effet, le syndicalisme ouvrier fait appel, dès ses premières heures, à une Internationale Ouvrière à construire. Cette communauté internationale d’hommes réunit par et autour de la condition ouvrière doit utopiquement être le vecteur principal de transformation du monde. Dans le syndicalisme ouvrier s’exprime donc aussi une perspective globale de l’action de lutte locale, un lien dialectique unissant la réalité du monde vécu par les individus et le système ( 77 ).

Cependant, signe de l’émergence du second individualisme dans la population étudiante et du caractère préfiguratif des transformations vécues par le mouvement associatif étudiant, il convient de remarquer que la conscientisation de l’U.N.E.F. et des A.G.E. prend sa source par la mise en débat public de problématiques ressortant de la sphère privée : la remise en question par des étudiants du service militaire obligatoire. Si ce dernier est une forme du monopole de la violence dont dispose l’Etat, il constitue aussi un élément participatif de la vie privée des jeunes hommes. Or, à cet instant, le service militaire, l’engagement sous les drapeaux se voit ouvertement remis en cause, débattu sur la place publique par le biais de questions touchant à la morale, la philosophie de l’action en cours. C’est donc tout d’abord une remise en cause de l’institution Etat qui s’exprime dans ce refus. Nous sommes dans le même temps ici dans un processus de politisation de la vie privée telle que l’a mis en évidence Beck, phénomène qui apparaît selon lui sur l’ensemble de la société dix à quinze années plus tard.

A cette même période, partis politiques et syndicats professionnels s’inscrivent davantage dans des perspectives plus salariales, en axant par exemple leurs revendications autour des conventions collectives, du S.M.I.G., des hausses de salaires et l’obtention de la troisième semaine de congés payés. Si toutes ces avancées sont d’importances, elles envisagent tout d’abord les individus dans une globalité, sans particularisme. Exceptées à la marge par leur dimension financière, elles n’impactent que peu la vie privée des individus. Enfin, elles sont davantage obtenues par une négociation avec l’Etat inscrite dans le rapport salarial que par une politisation de la vie privée des individus. La S.F.I.O. au gouvernement, et comme l’ensemble des organisations politiques de l’époque, s’implique davantage à gérer les incidences des mouvements en Algérie, tant sur le plan intérieur qu’extérieur. Pour l’ensemble des autres organisations du monde social de l’époque, les individus restent donc encore relativement absents des pensées collectives. Comme le remarque par exemple Ion dans « La fin des militants ? », la puissance du collectif reste toujours la norme, excluant pour un temps encore l’expression des singularités internes.

Le changement de discours et l’implication nouvelle de l’U.N.E.F. montre aussi qu’émergent de nouveaux idéaux dans le milieu associatif étudiant, plus immédiatement pragmatiques. Ainsi, même si la vision développée par les étudiants jécistes est loin d’être exempte d’utopie, celle-ci s’exprime dans le cadre d’un projet circonscrit - la guerre en Algérie - et le départ des étudiants pour des opérations militaires, pour la réalisation d’actions hors du champ humaniste. Cette pragmatisation du discours et des perspectives d’actions s’éloigne fortement des utopies syndicales et politiques à l’œuvre à l’époque, visant à des lendemains qui chantent au travers d’une grille historiciste. Elle rejoint plus en revanche par sa forme thématique et précise des thèmes d’action plus actuels comme peuvent le défendre A.T.T.A.C. ou les organisations de commerce équitable par exemple.

La scission du M.E.F. durera plus d’une année ; elle se place dans l’histoire associative étudiante comme l’antinomie de la scission des années Trente : au processus d’exclusion succède celui de départs volontaires des structures. Le M.E.F. qui se constitue à partir des scissionnistes pour développer une position divergente, peine cependant à trouver une audience. Le courant « mino » (c’est-à-dire à l’époque essentiellement le réseau J.E.C.) renforce dans le même temps sa position interne et externe au sein de l'U.N.E.F. Dans cette dynamique, le bureau s'oriente vers un positionnement syndical d'ensemble, visant un rapprochement avec les autres confédérations syndicales. En recherchant dès cette époque l’élaboration d’un front commun des organisations syndicales, l’U.N.E.F. pose les bases de la recherche pour une unité syndicale, telle qu’elle se donnera à voir notamment au cours des années soixante-dix.

La rentrée de septembre 1958 surimprime à ces mutations socioculturelles une période de transformation de l’Etat. Le 28 septembre 1958 signe en effet la fin de la IVème république et l’avènement de la Vème. Ce changement institutionnel place l'U.N.E.F. dans une position de méfiance. En effet, au-delà des positionnements politiques, l'Union perd par ce passage l'ensemble de ses repères et de ses habitudes ( 78 ). Désormais le centre du pouvoir n’est plus le législatif mais l’exécutif ; le pouvoir se personnalise, commandant une responsabilisation accrue de chacun des acteurs. A l’instar des autres groupements intermédiaires, la forme nouvelle du gouvernement conduit le bureau de l'U.N.E.F. à devoir abandonner son action de groupe de pression au profit d'une montée au créneau plus fréquente.

En Novembre 1958, M. Herzog, Ministre de l'Education Nationale de
De Gaulle, intervient personnellement pour faire réintégrer au M.E.F. les rangs de l'U.N.E.F. Dans l’idée syndicale gaullienne, l’unité est préférée à la diversité et la multiplicité : le syndicat doit être une organisation unitaire, collective, et représentative d’une large partie d’un groupe professionnel ; il doit représenter celui-ci au sein de la Nation et être un interlocuteur puissant et
responsable ( 79 ). S’il ne connaît pas bien le monde étudiant et s’il s’en méfie,
De Gaulle envisage cependant les organisations représentatives dans le cadre de l’unité et de la rationalité de la modernité. Or, si le modèle de représentation de l’U.N.E.F. est typique des organisations professionnelles voulues par De Gaulle, les militants du R.P.F. présents en interne ont, à la fin des années cinquante, dans leur grande majorité été remplacés par des militants du réseau J.E.C. Une philosophie alternative guide l’action de l’Union Nationale, en décalage avec les attendus gouvernementaux.

Avec le retour des associations du courant « majo » en son sein, l'U.N.E.F. cherche à se placer comme acteur étudiant construit et réfléchi, en adoptant une position de critique constructif. Elle se définit comme un acteur social responsable, participant à l’affirmation de la responsabilité comme nouvelle valeur sociétale. Elle s'oppose notamment au gouvernement en 1959 pour le budget de l'Education Nationale, fait spectaculaire pour l'ambiance de l'époque. Ce succès conduit alors plusieurs organismes politiques à s’intéresser à elle et à tenter de s'implanter au bureau. Toutefois, l'U.N.E.F. garde sa ligne apolitique et cherche à se définir un positionnement conciliant droite, gauche, laïc et chrétien, c’est-à-dire l’ensemble des mouvements qui l’anime en interne.

La réorganisation imposée par les changements sociétaux et institutionnels de l'époque nécessite toutefois un besoin croissant en compétence et technicité, avec le risque permanent de se désolidariser de la base. L’implication plus large du réseau J.E.C. dans l’U.N.E.F. résoudra partiellement et pour un temps cette problématique. La J.E.C., formant ses cadres dès le lycée fournit alors à l'U.N.E.F. des personnes compétentes dans la gestion d’organisation et de groupes. Revers de cette entrée de militants jécistes, l’U.N.E.F. accentue sa dépendance envers cette organisation ( 80 ).

C’est à cet instant de son histoire que le gouvernement créera les conditions du basculement de l’U.N.E.F. dans l’opposition ouverte à la guerre d’Algérie. Par l’instruction du 11 Août 1959, l’Etat bloque les sursis aux étudiants. Ces derniers prennent alors conscience de leur départ imminent pour l’Algérie. L’ensemble des étudiants et des A.G.E. de l’U.N.E.F. s’insurgent contre une telle décision.

Afin de ne pas apparaître comme défenseur d’intérêts uniquement corporatistes, la « mino » de l’U.N.E.F. amène rapidement l’ensemble des A.G.E. à se positionner ouvertement sur la lutte contre le colonialisme ( 81 ). Si cela oblige ces dernières à abandonner définitivement la façade de l’apolitisme, l’U.N.E.F. se retrouve en revanche en position de force pour rallier derrière elle une large part de la population ( 82 ). Dès lors, le 23 décembre 1959, un arrêt du Conseil d’Etat annule l’instruction du 11 août. La capacité de l’U.N.E.F. à dire le droit et donc à orienter les évolutions sociales se trouve par cet épisode à nouveau renforcée, « les textes finaux tenant compte de plusieurs des observations et propositions de l’U.N.E.F. » ( 83 ). Cette fois encore, l’Etat institutionnalise les initiatives du mouvement associatif étudiant, impactant les formes de l’engagement collectif des individus dans le monde social.

L'U.N.E.F. s'ancre alors dans une dénonciation de plus en plus marquée de la colonisation, des exactions et des faits de torture, qui sont désormais connus. Peu à peu, l'unité majo/mino se recrée autour de cet axe d’analyse, la guerre d'Algérie fédérant pour un temps les tendances internes. En 1959, l’U.N.E.F. passe à une pression offensive sur le gouvernement. Elle vote une motion pour une reconnaissance institutionnelle de l’objection de conscience, se faisant là encore moteur d’évolutions ultérieures ( 84 ). Brisant une fois encore le consensus social, le mouvement associatif étudiant impulse des évolutions qui impacteront ensuite les formes de l’engagement des individus dans le collectif.

Au début des années soixante, l'U.N.E.F. est devenue une force pour l'opinion, le gouvernement, les étudiants, et l'égale des grandes centrales syndicales ouvrières. « Organisation hégémonique » ( 85 ) selon Nicole de Maupéou-Abboud, elle se permet même de faire le médiateur entre
celles-ci ( 86 ). Elle renoue dans le même temps ouvertement avec l’U.G.E.M.A., proclamant le 6 juin 1960 la nécessité du dialogue et de l'autodétermination. Seule la F.E.N., en ayant notamment soutenu la création de l’U.S.T.A. (Union Syndicale des Travailleurs Algériens) en 1957, travaille sur une ligne relativement parallèle à l’action de l’U.N.E.F. L’ensemble des autres organisations du monde social, syndicats comme partis, campe sur des positions moins engagées et plus en retrait.

Cette prise de position forte sert d’électrochoc dans la conscience française. En effet, « c’est bien une conscience politique que les dirigeants étudiants ont développé, non un réflexe syndical » ( 87 ). Dans cette ligne, l'U.N.E.F. prend un positionnement volontairement avant-gardiste, refusant les jugements de fonds sur le régime gaullien tout en prenant de fait la tête de l'opposition à celui-ci ( 88 ). Le mouvement associatif étudiant constitue alors le principal initiateur des transformations sociales, tout en participant activement à la prise de conscience par l’ensemble de la société de la nouvelle figure de l’individu ( 89 ).

S’en est désormais trop pour le gouvernement de De Gaulle, comme pour les institutions catholiques de l’époque. Cette position avant-gardiste sur la place et le rôle de l’individu dans la société face aux institutions fait naître de la part de ces dernières une hostilité envers les groupes étudiants porteurs de ces idéaux. Ainsi, tandis qu’elle bénéficie sur la population d’une puissance et d’une aura inégalée, l’U.N.E.F. est désavouée par le gouvernement, de même que la J.E.C. par l'épiscopat.

Conséquence de ces nouvelles prises de positions, certaines A.G.E. « majos » parmi les plus marquées à droite, souhaitent rapidement affirmer publiquement leurs divergences. Elles décident de créer en interne le C.L.I.E.F. ( 90 ). Ce regroupement essaie alors de prendre le contrôle de l'U.N.E.F. ; mais ses accointances politiques trop marquées et trop visibles avec l'U.N.R. ( 91 ) l’empêchent de réussir. Néanmoins, sur cette base, le congrès de l'Union Nationale des Etudiants de Médecine de France crée la F.N.E.F. ( 92 ), rivale directe de l'U.N.E.F., le 29 juin 1961. Cette scission reprend les considérants de la scission précédente du M.E.F., et en adopte les mêmes conclusions.

Dans cette scission, il convient d’observer le signe sous-jacent qu’à cet instant, sur le monde étudiant, les idées de communion d’intérêts et d’identité collective déclinent au profit des identités particulières. Chaque acteur souhaite prendre son indépendance afin de faire reconnaître sa vision du monde. Les influences des cercles de socialités primaires comme la religion, l’appartenance à une même classe sociale, au même parti, ... s'estompent. Elles ne sont désormais plus suffisantes pour retenir les individualités dans une identité commune. L'U.N.E.F. se trouve confrontée de plain-pied à cette nouvelle réalité sociale dès le début des années soixante, quand elle ne s’exprimera sur le terrain du social qu’à la fin de celles-ci. Ainsi, la C.F.T.C. n’abandonnera sa référence au catholicisme et n’éclatera qu’en 1964.

La crise que vivent alors l’U.N.E.F. et le mouvement associatif étudiant retraduit par anticipation la transformation du rapport salarial à venir. Au cours du développement de la société salariale, l’étudiant jouit d’une aura importante, née notamment de sa rareté. Cependant, la fin de l’élitisme de la condition étudiante, à la fois par la démocratisation de l’enseignement, et par l’accroissement des difficultés liées à ce « métier » (isolement affectif, dépendance financière, difficultés de logement et d’insertion professionnelle, les constats successifs présentés par l’U.N.E.F. et la M.N.E.F. à cette époque démontrent tous la dégradation progressive de la situation étudiante) conduit à une dislocation de l’identité étudiante, entraînant une crise du métier d’étudiant. Dès lors, être étudiant n’est plus pour ces derniers un mythe dans lequel ils se retrouvent ( 93 ). A l’instar de l’utopie posant le monde ouvrier comme fer de lance de la transformation sociale (rôle éminemment grandissant et fédérateur) qui s’effondre au cours des années soixante-dix, la crise du métier d’étudiant entraîne la crise des potentialités transformatrices de ce groupe, née d’une perte interne de légitimité, une perte de croyance à changer le monde.

Aussi, le mythe de l’étudiant jeune travailleur intellectuel vole en éclat. Pour une certaine partie des étudiants parmi les plus marqués à droite, plus que jeune ou intellectuel, s’agit-t-il surtout de la fin du mythe du travailleur. En effet, si cette notion constitue le socle rhétorique du mouvement jusque dans les
années 62, elle ne dispose pas d’une réelle définition. Ce vide permet dès lors à chaque courant, chaque structure membre de l’U.N.E.F. d’y apposer la sienne. Il est clair en effet que ce terme ne revêt pas le même sens selon que l’on est membre étudiant sans attache politique particulière ou que l’on est membre de l’U.E.C. Avec l’arrivée progressive de populations plus ouvrières sur les bancs de l’Université à partir du début des années soixante, le consensus et l’artifice volent rapidement en éclats. Les identités s’exacerbent, et la recherche du même, de l’identique l’emporte sur l’utopie de l’unité.

Le gouvernement joue alors la carte F.N.E.F. contre U.N.E.F. Ainsi, dès sa constitution, cette nouvelle organisation est reconnue organisation la plus représentative par le gouvernement. Elle se voit attribuée sièges et subventions par le ministère, avant même d'avoir tenu congrès et vendu de cartes d'adhésion. Dans le même temps, les subventions à l’U.N.E.F. sont coupées. Cette scission signe la fin de l'unité du syndicalisme étudiant ( 94 ). Elle institutionnalise une nouvelle période pour la représentation étudiante : le mouvement associatif, même au travers d’une approche syndicale, n’incarne désormais plus à lui tout seul le mouvement étudiant, il n’en devient qu’une composante. D’autres identités s’affirment progressivement, qui multiplient les possibles et les sources du mouvement étudiant.

Organisation nouvelle, la F.N.E.F. se veut idéalement regrouper en son sein les partisans du non-engagement politique. Cependant, elle n'arrive guère à s'implanter qu'en Droit et Médecine, restant en cela catégorielle. Elle se construit sur la base d’un modèle exclusif d’organisation ( 95 ). Elle est elle-même divisée entre authentiques apolitiques et militants de droite et de l’Algérie française. En outre, elle ne s’avère pas en adéquation avec la Vème République, ses modalités de fonctionnement et de structuration s’apparentant plus à un modèle dépassé d’organisation. A telle enseigne, l’article premier de ses statuts fixe comme objectif à la structure « d’exprimer … les devoirs de l’étudiant » sans aborder seulement la question de ses droits. Cette dernière a aussi à charge « de maintenir les traditions », « de contrôler et de gérer les services communs à tous les étudiants français » ( 96 ). C’est en fait avant tout un habitus de classe qui s’exprime à travers cette structure, une idéologie fondée sur le respect de la tradition et de l’ordre établi, décalque parcellaire de l’U.N.R. La F.N.E.F. apparaît de fait comme l’incarnation de principes autoritaristes, presque paternalistes, en décalage à la fois avec les attentes de la population étudiante de l’époque et la société de son temps. Elle représente, à la suite du M.E.F., le renouveau des organisations de représentation collective à vocation plutôt traditionaliste.

La naissance de cette bipolarisation affirme l’expansion des identités dans la société. Parce qu’elle préfigure les éclatements ultérieurs du mouvement étudiant en un nombre grandissant d’organisations, elle s’apparente aux scissions qu’ont connus le syndicalisme ouvrier et la C.G.T. dès 1922. Parce qu’elle est davantage le signe d’une opposition entre le nouveau et la tradition, entre une vision humaniste et engagée vs une approche traditionaliste de l’action collective, cette scission préfigure surtout celle que connaîtra la C.F.T.C. quelques années plus tard.

La participation de l’U.N.E.F. et de ses dirigeants de l’époque aux transformations des modes de l’action collective sera à triple détente. Ils sont à la fois acteur et moteur de la construction d’un nouveau rapport entre l’étudiant et le monde, reconfigurant de fait le lien entre individu et société. S’inscrivant dans la société salariale et dans ses schèmes pratiques, ils n’en développent pas moins des modélisations de l’agir atypique qui par leur efficacité, contribuent à faire jouer au monde étudiant un rôle fortement dynamique dans la société. Ainsi, l’U.N.E.F. et les dirigeants étudiants de cette période impacteront significativement le Parti Socialiste français qui cherchera à reproduire le modèle. En effet, « après 1968, « le P.S.U. entreprend … une réflexion sur la construction d’un mouvement socialiste autogestionnaire », dont il fait « l’axe principal de son action en 1972. Comment douter qu’une partie de la gauche se soit trouvée impressionnée par la nature du syndicalisme étudiant de la décennie précédente et nourrie de cette conception par la pénétration d’anciens militants de l’U.N.E.F. en son sein ?  » ( 97 ). Jean-Yves Sabot montre à ce titre combien les anciens dirigeants de l’U.N.E.F. influenceront la ligne politique du P.S., cette influence et les redécouvertes du modèle de pensée de l’U.N.E.F. se faisant à partir du milieu des années soixante-dix.

Elles trouveront aussi leurs premières retraductions politiques en 1977, à la faveur d’une forte alternance politique locale où beaucoup de villes de droite basculent alors à gauche. « Cette alternance incomparable traduit un phénomène de génération : les moins de quarante ans – dont le militantisme remonte bien souvent à la guerre d’Algérie ou à mai 68 – prennent les rennes des municipalités » ( 98 ). Emerge alors sur le local une nouvelle élite politique, qui étendra parfois aussi son influence jusqu’aux plus hautes fonctions. Ainsi, « avec l’élection présidentielle de François Mitterrand, […] un nouveau personnel dirigeant a commencé à se mettre en place. D’emblée, les observateurs ont souligné l’importance […] des « profs barbus », catégorie fleurant bon l’archaïsme politique. Plus novatrice peut être, une autre composante semble en revanche avoir été relativement peu mise en valeur : les « anciens de l’U.N.E.F. » […] Au total, sur quelques cent vingt responsables nationaux qu’a connu le bureau de l’U.N.E.F. de 1956 à 1966, plus d’un dixième occupe des responsabilités politiques directes » ( 99 ). Le mouvement associatif étudiant fournira ainsi une vingtaine d’années plus tard une élite politico-administrative locale aux idées et aux potentiels de transformations puissants, ainsi qu’une élite pour le
Tiers-monde : un certain nombre des nouveaux dirigeants qui émergent à cette époque dans les anciennes colonies sont en effet d’anciens étudiants passés par le moule de l’engagement collectif étudiant au sein de l’U.N.E.F. ( 100 ). Toutes ces contributions individuelles contribuent à l’institutionnalisation progressive de l’agir associatif étudiant et aux transformations des formes de l’engagement collectif des individus dans le monde social.

La dimension préfigurative de l’action associative étudiante de cette époque se retrouve enfin dans l’analyse portée par un des anciens présidents de l’A.G.E. de Grenoble : « déjà à l’époque, (j’avais 20 ans en 1957) ma perception de la « politique » n’était pas politicienne. Elle était globale, planétaire, en tout cas pacifiste (puisqu’on ne parlait pas d’écologie) » ( 101 ). S’exprime ici une vision du rapport individu/monde qui n’apparaîtra que bien ultérieurement dans les organisations du monde social. Portés sur la sauvegarde de leurs droits et de leurs existences tout autant que par le conflit avec l’institution et la défense de valeurs humanistes, les étudiants de cette époque,et à leur tête le mouvement associatif étudiant, occupent donc un rôle décisif en faveur des transformations sociales ultérieures, faisant évoluer le consensus social. Il ne sera égalé depuis par aucun autre mouvement social.

Les années 62-63 sont à la fois des années de réussite pour l’U.N.E.F. et le début de son déclin. La fin de la guerre d'Algérie sonne pour l'U.N.E.F. comme une victoire, la fin d'une période de mobilisation sans précédent, en même temps que la disparition, tant au niveau du sens que de la portée, d'une dynamique tout entière. C'est la mort d'un idéal, anéantit par sa propre concrétisation.

La tâche que se donne alors le bureau de l'U.N.E.F. est immense : convertir ce potentiel de mobilisation, afin de pouvoir éventuellement l'orienter plus tard vers une ou des dynamiques nouvelles en faveur des étudiants, et surtout le transformer en acquis. Cependant, en regard du combat intellectuel que représentait la guerre l'Algérie, force est de constater le vide créé par la fin de la lutte. Il n'est pas une problématique sociale qui puisse, à cet instant, s'imposer comme un nouvel idéal mobilisateur. Moins impliqués, les syndicats et partis politiques du monde social ne connaîtront pas de telles difficultés.

La structure doit alors faire face à plusieurs contraintes. La création de la F.N.E.F. crée pour l’organisation une concurrence inédite, à laquelle elle n’est pas préparée. Le départ d’un certain nombre d’A.G.E. pour cette nouvelle organisation génère une hémorragie dans le vivier bénévole et les ressources réflexives de l’organisation. En outre, le dénie par l'épiscopat français de l'implication de la J.E.C. dans l'U.N.E.F. conduit progressivement à un tarissement de ce réseau au sein des instances dirigeantes du syndicat étudiant ( 102 ). Enfin, c'est aussi l'époque où disparaissent de l'U.N.E.F. nombres d’« anciens », avec la tradition et le savoir qu'ils transmettaient. Une nouvelle génération arrive à la direction, qui souvent ne connaît que peu le passé et le sens de la construction organisationnelle de l'U.N.E.F. ( 103 ). Sans pour autant dire que la compétence et l’expérience disparaissent de l’U.N.E.F. à cette époque, force est toutefois de remarquer que le changement de génération et surtout l’arrivée dans les instances dirigeantes d’étudiants moins expérimentés conduit l’organisation vers des chemins moins sereins.

L'autre contrainte est exogène. Par une position volontairement ignorante, le gouvernement cherche à limiter le pouvoir de l'U.N.E.F. et assurer celui de la F.N.E.F. Aux accords d'Evian, l'U.N.E.F. est pourtant un mouvement important (80 000 cartes), tandis que la F.N.E.F. ne fait que vivoter (20 000 cartes). Mais l'U.N.E.F. tend à se marquer de plus en plus ouvertement et officiellement à gauche, en opposition avec le gouvernement.

De fait, de nouvelles A.G.E. quittent progressivement l’Union Nationale. Ainsi, un peu comme par effet boule de neige, la raréfaction de l'axe associatif au sein de l'U.N.E.F. par le retrait de certaines structures et le tarissement des sources de nouveaux entrants associatifs conduit au départ de nouvelles structures associatives. La mainmise de l’U.E.C. et du P.S.U. ( 104 ) sur l’U.N.E.F. s’accentue dès lors par effet mécanique. D’une certaine manière, ces deux organisations reproduisent l’entrisme des militants communistes au sein de la C.G.T. du début du siècle.

En 1963, la direction de l’organisation tombe aux mains des étudiants de la gauche communiste. L'U.N.E.F. entre alors dans sa quatrième période, la période syndicale, politisée et partisane. L’étudiant est alors posé comme « frère d’arme » de l’ouvrier. Une adéquation des deux syndicalismes est recherchée dans le but d’une transformation totale de la société, dans le plus pur esprit du syndicalisme ouvrier.

Cependant, l’image du syndicalisme de revendication, d’avant-garde sociale, portant une réflexion critique sur les institutions, outre qu’il s’apparente à une remise en cause globale des autorités établies et des traditions auxquelles n’adhère pas forcément l’ensemble des étudiants, s’inscrit fortement dans une dynamique contestataire du rapport salarial.

Or, dans leur ensemble, les étudiants, de part les insertions professionnelles qu’ils escomptent et qui sont encore réalisables dans le cadre des Trente Glorieuses peuvent légitimement s’estimer favorisés. En outre, l’ouvrier est passé progressivement dans la société salariale du statut de fer de lance des transformations sociales à celui de situation plancher dans l’échelle sociale. Le peu d’attrait que connaît cette nouvelle orientation de l’Union Nationale auprès des étudiants fait écho à la distance croissante qui s’installera quelques années plus tard entre élites syndicales et population ouvrière.

La conjugaison de ces différents facteurs, alimentée par la croissance des individualités, amène alors à :

  • une perte progressive d’influence de l’U.N.E.F. qui en projetant aux étudiants une image à laquelle ils ne s’identifient pas (le travailleur prolétaire, en bas de l’échelle sociale), se coupe progressivement de sa base ;
  • une délégitimation du combat syndical, assimilé à une remise en cause générale de toute forme d’autorité ;
  • l’accroissement des volontés scissionnistes, où chaque groupe marqué par une identité particulière se sent désormais fondé à affirmer combien cette dernière porte en elle les vraies valeurs du « métier » qu’il occupe.

Ces dynamiques, qui vont impacter fortement le milieu associatif étudiant, se retrouveront à l’identique quelques années plus tard sur le syndicalisme salarial : baisse d’influence du syndicalisme, distance croissante entre les élites et la base, développement de nouvelles tendances scissionnistes.

Face à un Etat devenu sourd à toute parole de l’U.N.E.F., les nouveaux responsables étudiants choisissent peu à peu la voie de la poursuite de la mobilisation, par la recherche de nouveaux idéaux.

Après une période de doutes née de l’attitude gouvernementale, l’organisation se redéfinit tout d'abord comme syndicaliste marxiste, et cherche à se caler sur un mouvement ouvrier qui semble renaître. De fait, sa modélisation s’éloigne rapidement du mode de structuration interne jusqu’alors en vigueur (activités de services + activités représentatives). En peu de temps, plusieurs A.G.E. importantes passent aux mains de l'U.E.C. ou du P.S.U. L'U.E.C., qui s'est profondément réformée en interne par l’éviction des opposants au P.C.F., s'investit de manière plus approfondie dans l'U.N.E.F., et prend pour partie le contrôle de celle-ci. Les « corpos » et les associations s'effacent peu à peu du paysage interne de l’organisation.

Autant l’U.N.E.F. et ses représentants s’étaient remarqués dans la construction du nouvel individualisme lors de la période précédente, autant l’action de l’U.N.E.F. va à partir de cette heure se concentrer sur la place du mouvement étudiant dans le rapport salarial.

La place de l’étudiant change tout d’abord, passant du rôle d’élément cherchant à s’intégrer dans la société à celui d’acteur moteur des transformations sociales par le biais de la transformation de l’Université ( 105 ). Cette transformation trouve pour partie sa source dans l’augmentation importante du nombre d’étudiants ( 106 ). Outre la crise en matière de locaux d’enseignements et de logements étudiants qui en découle ( 107 ), il s’ensuit une perte progressive d’impact de la dimension élitiste de la « profession » d’étudiant. Se pensant désormais moins comme une élite sociale et culturelle, les dirigeants de l’U.N.E.F. ambitionnent de transformer le monde étudiant en une élite politique, une avant-garde contestataire. Les engagements politiques des étudiants deviennent dès lors plus radicaux, notamment en matière de refus du capitalisme et du stalinisme. Ils se font vecteurs de l’énoncé de problèmes nouveaux, touchant à l’adéquation entre démocratie et droits de l’homme dans une société où s’étend le productivisme, le capitalisme et la consommation tous azimuts. Une nouvelle conscience civique s’affirme, poursuivant à cet instant, sous des formes radicalisées et contestataires, les perspectives d’individuation tracées lors de la période précédente ( 108 ).

Les ambitions de la nouvelle U.N.E.F. deviennent donc syndicales-révolutionnaires ( 109 ). Elle se fait tout d’abord l’écho des revendications ouvrières de l’époque, en s’inscrivant dans un alignement offensif sur les positions du syndicalisme ouvrier. Ainsi, lors de la grève des mineurs de 1963, elle organise de nombreuses collectes pour leur venir en aide. A la suite des dynamiques impulsées par le Parti Communiste, elle cherche aussi à se faire le porte-parole des nouveaux mouvements étudiants essentiellement ancrés à gauche qui émergent et qui, sous des formes diverses, font de la lutte anti-impérialiste leur credo.Dans le même temps, elle se transforme fortement en interne. Rejetant les activités de services jugées trop bureaucratiques, elle oriente désormais son action vers des pratiques de propagande et de revendication ( 110 ).

Un nouveau discours se développe, qui se donne par exemple à voir dans les rapports de la M.N.E.F. sur la condition et la santé étudiante ( 111 ) : passivité obligée, individualisation subie, dépendance économique, incertitude professionnelle, … sont autant d’éléments relevés comme caractéristiques des conditions d’aliénations du quotidien de l’étudiant. Les discours de l’organisation étudiante se font l’écho des modes discursifs des syndicats ouvriers. « L’aliénation de l’étudiant dans l’Université [est] pensée par analogie avec celle de l’ouvrier dans l’entreprise » ( 112 ). La publication par l’U.N.E.F. en 1964 du « Manifeste pour une réforme démocratique de l’enseignement » formalise cette nouvelle orientation ( 113 ). Ses positions en matière universitaire reproduisent elles aussi les idées des centrales syndicales ouvrières : entière nationalisation de l’Enseignement Supérieur, suppression des Grandes Ecoles, ...

Enfin, les manifestations étudiantes reprennent les méthodes ouvrières et se radicalisent avec pour la première fois occupation des locaux et grève « sur le tas », tandis que la répression policière à l’égard des étudiants s’accentue.

Cependant, sur certaines thématiques, les analyses de l’U.N.E.F. préfigurent encore les changements sociétaux ultérieurs. Ainsi, elle met en lumière de nouvelles pistes de revendications, qui se veulent la synthèse entre monde étudiant et monde professionnel. Elle s’interroge notamment sur les conditions de travail dans l’Université, la place de l’étudiant dans celle-ci, mais aussi la nécessité d’une formation polyvalente théorique, base d’une éducation permanente dès lors rendue possible tout au long de la vie professionnelle. C’est au sein même de l’U.N.E.F. que prend forme le concept de « formation tout au long de la vie » développé par la gauche à partir des années 80. En outre, face à la montée des radicalismes étudiants et leur envie de participation active, l’U.N.E.F. réorganise sa structure en tentant de se caler au plus près du quotidien et du local, tout en essayant de donner un sens de lutte politique aux velléités d’action des étudiants.

Ces thèmes nouveaux retraduisent une approche novatrice de l’Université, et l’intégration du rôle social joué par cette dernière dans le rapport salarial. Elle confère un rôle central à l’Université dans la formation des élites. De fait, changer cette institution doit conduire à un changement de la société. Préfigurant mai 68, l’U.N.E.F. recherche pour ce faire la création d’un front syndical entre étudiants et ouvriers, une communauté d’exigences sur le rôle et la fonction de la formation, ainsi que sur la place du capitalisme dans celle-ci. L’objectif affirmé de l’U.N.E.F. est de recréer la dynamique mobilisatrice qu’elle a connue lors de la guerre d’Algérie. Dans le plus pur style anarcho-syndicaliste des débuts du mouvement ouvrier, les élites de l’U.N.E.F. placent le syndicalisme comme fer de lance des transformations sociales. Ils visent à faire perdurer son rôle d’avant-garde dans la révolution sociale, dans une perspective de transformation radicale.Pour cela, ils recherchent un affrontement permanent avec le pouvoir en mobilisant le milieu étudiant sur des objectifs de classe. Pour reprendre les termes de Monchablon, c’est une douce anarchie qui guide alors l’U.N.E.F.

Dans cette perspective, l’U.N.E.F. se mobilise en 1963 contre la réforme Fouchet. Face à la montée des effectifs, celle-ci pose la question de la finalité professionnelle des diplômes. Voulue comme une réforme de fond, elle se heurte à de violentes critiques de la part des étudiants, à la fois contre l’Université comme lieu de l’ordre établi jugé élitiste et contre l’entrée des chefs d’entreprises dans celle-ci. Pour les responsables de l’U.N.E.F., la réforme Fouchet s’inscrit totalement dans le cadre d’une Université institution technocratique dépendante du marché. Ils y voient dès lors la justification de leur approche théorique et pratique, et mobilisent massivement les étudiants contre cette réforme. Celle-ci ne touche au final que l’organisation pédagogique avec la suppression d’une large part des cours magistraux et leur remplacement par des travaux dirigés, heures complémentaires, … Elle n’aborde que peu la question les missions de l’Enseignement Supérieur, et ignore totalement celle de la transformation nécessaire des structures. Son projet phare réside principalement dans la création des I.U.T. ( 114 ). Aggravant la situation universitaire plus que solutionnant les problématiques, cette réforme génère un climat de crise qui perdurera sur le monde étudiant, et dont les années suivantes vont se faire l’écho.

En effet, les élites de l’U.N.E.F. trouvent matière à conforter avec cette réforme leur analyse critique du monde, et dès lors à justifier leurs approches et pratiques contestataires novatrices. Ainsi, dès le Congrès de 1965, l’organisation questionne la finalité de l’Université et de la Culture, thèmes inédits pour l’ensemble de la gauche française de l’époque, qui se les appropriera bien des années plus tard ( 115 ). Elle entre dans le même temps dans une critique du gaullisme qui n’est pas entrevue, à l’instar des partis de gauche de l’époque, comme l’exercice d’un pouvoir personnel, mais bien plus comme vecteur de transformation socio-économique en faveur du capitalisme et de la technocratie ; les conséquences des pratiques gaulliennes à l’orée des années 75 leur donneront raison. Enfin, l’U.N.E.F. s’ancre dans une dénonciation de l’Université dualiste et technocratique quand les autres syndicats en restent à une analyse en terme de moyen. Elle demande notamment la suppression des examens de fins d’année au profit d’un contrôle des connaissances tout au long de l’année, le contrôle critique de l’institution et des enseignements par les étudiants, propositions qui seront partiellement mises en œuvre quelques années plus tard. Ainsi, « une série de revendications […] ont […] été prises en considération par […] la loi d’orientation de septembre 1968 » ( 116 ).

C’est donc un rôle de précurseur, d’initiateur social dans les transformations de l’institution qu’incarnent encore par instant l’U.N.E.F. et les mouvements d’extrêmes-gauches qu’elle tente de fédérer. Les analyses de Marcuse qui suivront quelques années plus tard sur le sujet théoriseront cette antériorité. Celle-ci se trouvera confirmée peu à peu, au cours de travaux ultérieurs successifs. Ainsi, Olivier Fillieule n’est pas sans rappeler récemment qu’ « il semble bien que la contestation étudiante de la fin des années 60 ait fourni aux « nouveaux mouvements sociaux » un ensemble de ressources qui expliquent largement leur succès, par l’instauration d’un climat d’agitation permanente légitimé, par la mise en place de répertoires d’actions renouvelés et éprouvés, par la transmission d’un potentiel de mobilisation conséquent » ( 117 ).

Cependant, seul un nombre restreint d’étudiants participent à ce rôle d’avant-garde sociale. Peu dispose de la culture politique suffisante, qu’elle soit acquise antérieurement par adhésion à d’autres organisations (U.E.C., P.S.U. notamment), ou par traditions familiales. Dès lors, les dirigeants de l’U.N.E.F. manipulent une rhétorique politique et analytique de plus en plus complexe les éloignant rapidement de la masse des étudiants ( 118 ). De fait, dès 1964, la tendance représentative s'inverse : le nombre d'adhérents décroît et nombreux sont les délégués qui quittent les rangs de l'U.N.E.F. ( 119 ).

Ce déclin est encore accentué par l’effritement du front syndical né de la guerre d’Algérie : les revendications de l’U.N.E.F. en matière de contrôle de l’enseignement refroidissent sérieusement les relations avec le syndicalisme enseignant, tandis que la jonction avec le syndicalisme ouvrier ne prend pas véritablement corps. En 1965, l'échec de la vision proposée par l'U.E.C. est patent : l'U.N.E.F. a chuté tant en terme de représentativité (ventes de cartes) qu'en terme de pouvoir. L'U.N.E.F. peine à trouver une idéologie revendicative qui pourrait lui permettre un nouveau décollage.

Plusieurs A.G.E., dont celle de Paris, repassent alors aux mains des associations gestionnaires. De manière concomitante, des A.G.E. s’autonomisent progressivement de l’U.N.E.F. Ainsi, « une double rupture idéologique et géographique est en train de se produire au sein de l'U.N.E.F. » ( 120 ). S'ajoute à cela une division du bureau national, une absence de ligne directrice, d'où une baisse générale de l'autorité du bureau central. Ce processus, mis en évidence par Ion sur l’ensemble du mouvement associatif français, préfigure des transformations plus globales à venir. Le fédéralisme local prend peu à peu le pas sur les conglomérats. En d’autres termes, le pouvoir se rapproche peu à peu de l’individu et du local, même si pendant un certain nombre d’années encore, la strate fédérale locale reste la référence indépassable. Cette évolution ne se réalisera véritablement dans l’ensemble du monde social qu’au cours des années soixante-dix. Avec quelques années d’avance, le monde associatif étudiant donne donc à voir les processus à l’œuvre dans l’ensemble du monde social. En les institutionnalisant, le monde associatif étudiant transforme les modalités d’engagements des individus dans l’ensemble du monde social.

Chacune de ces deux dynamiques se doit d’être replacée dans le contexte social qui est le leur. L’autonomisation des structures locales par rapport à la fédération nationale donne à voir dans le monde étudiant une dynamique que Ion met en évidence sur l’ensemble des organisations intermédiaires. Il situe cependant cette sortie des réseaux au milieu des années soixante-dix. Corollairement, la perte des repères idéologiques dans le monde étudiant est un phénomène qui apparaît vers la fin des années soixante. Il s’affirme dans l’ensemble de la société à la fin des années soixante-dix et le milieu des années quatre-vingt. Le déclin du syndicalisme étudiant au cours des années soixante préfigure donc celui du syndicalisme ouvrier plusieurs années plus
tard
(cf. graphique n°5).

Comme le montre le graphique n°5, le syndicalisme étudiant connaît entre 1958 et 1968 un déclin massif. Cette période correspond à la politisation du mouvement et à la volonté des élites de l’U.N.E.F. de se caler sur le syndicalisme ouvrier. Du fait notamment de cette similitude voulue, la distance qui se donne à voir entre les étudiants et le syndicat préfigure parfaitement les difficultés que rencontrent l’ensemble des syndicats ouvriers quelques années plus tard. Le graphique n°5 montre ainsi que le syndicalisme ouvrier connaît lui aussi un déclin, mais seulement à partir des années 75.

La décrue du syndicalisme professionnel s’amorce, plus sûre et continue à partir de 1973, moins soutenue, il est vrai, que celle du syndicalisme étudiant quelques années auparavant. Cette différence dans les dynamiques s’explique principalement par le fait qu’un étudiant l’est pour une durée moyenne de trois à cinq années, les changements de génération militante s’opérant à cette échelle. Dans le salariat, l’activité professionnelle est plus longue, de l’ordre de trente-cinq à quarante années. Cette durée plus importante amortit de fait les chocs, les syndiqués convaincus restant présents sur une durée plus longue. Néanmoins, dans le long terme, c’est bien les mêmes dynamiques qui se donnent à voir.

Graphique n°5 : comparaison des taux d’adhésion syndicalisme étudiant / syndicalisme professionnel entre 1958 et 1995.
Graphique n°5 : comparaison des taux d’adhésion syndicalisme étudiant / syndicalisme professionnel entre 1958 et 1995.

Sources : FREMY Dominique & alii, Quid 2003, Editions Robert Laffont ; MONCHABLON Alain, Histoire de l’U.N.E.F., PUF, 1983 ; Les cahiers du GERME n°1, mars 1996.

En 1966, confronté à la fois à des difficultés financières, une perte d’audience importante, une inefficacité latente, et à l'absence criante de renouvellement, le bureau décide de revenir à une position plus centriste, abandonnant la position d'avant-garde de la révolution à venir : la perspective syndicale s’avère aux yeux des responsables étudiants, incapable de transformer la société. Le bureau réduit alors son action à une simple fonction de coordination et de propagande, tout en se donnant pour objectif d’être un lieu d’écoute des mouvements étudiants de gauche.

Pendant ce temps, le courant des associations gestionnaires se reconstruit peu à peu en interne, pour représenter rapidement 1/5ème de l'U.N.E.F. Ce courant, pour l’essentiel composé d’A.G.E. de province, pose comme principe une limitation de compétence du syndicat et propose que le mouvement étudiant se place désormais en précurseur théorique des problématiques sociales liées à l’Université, dans l’attente que des relais politiques se réapproprient l’idée. C’est une forme de présentation de l’action associative que l’on retrouve par exemple aujourd’hui dans le fonctionnement de structures qui oeuvrent sur des thématiques de développement durable (Fondation Hulot), de commerce équitable (Max Havelaar, Oxfam agir ici, …) Cependant, hormis cette programmatique, les A.G.E. gestionnaires n’ont pas de projet ni de perspective pour l’U.N.E.F.

Le terrain de la direction de l'U.N.E.F. devient dès lors rapidement vide. L'expérience syndicale de l'U.E.C. n'ayant pas démontrée son efficacité, l’organisation reste sans tête et sans projet. Elle doit en outre faire face à une absence criante de militants qui, face à une structure en déliquescence, préfèrent bâtir ailleurs d‘autres projets, le tiers-mondisme attirant plus que l’Université. D’un point de vue structurel, « la grande masse des A.G.E. est, à la fin de 66, coupée du Bureau National, indifférente à ses analyses politiques et à ses directives stratégiques, et s’est repliée sur des pratiques purement corporatistes » ( 121 ). L’U.N.E.F. tente alors de rebondir sur la problématique internationaliste, en accueillant notamment lors de son Congrès de 1966 plus d’une soixantaine de délégations étrangères, ou en créant le Comité Viêt-Nam national. Elle sera aussi à l’initiative des premières réactions politiques en France, à la suite de bombardement de Hanoï par les Américains, en avance sur toutes les autres forces de gauche ( 122 ).

Dans cet univers en déliquescence, le P.S.U. prend le contrôle du bureau. Il va tenter d'amener une conscience politique de masse au sein de l’organisation syndicale, reproduisant peu ou prou l’expérience de la C.G.T.U. L'U.N.E.F., désertée, se débat dès lors en interne dans une lutte rhétorique entre deux appareils : les étudiants du P.S.U. et les étudiants de l'U.E.C. ( 123 ). En marge de ces débats, le courant associatif apolitique affirme à nouveau sa présence, « la masse étudiante retournant peu à peu à des pratiques syndicales de type corporatiste » ( 124 ). Ne disposant pas encore de suffisamment de voix, il ne peut prendre le contrôle de la structure. Toutefois, signe avant-coureur, au congrès de 1967, l’U.E.C. et le P.S.U. s'allient pour invalider les pouvoirs de votes des associations. Dans le discours officiel de l'époque, cette exclusion des votes sera présentée comme une sanction pour cause de collusion avec la F.N.E.F. Dans les faits, il semble bien que ce soit plus pour éviter la reprise en main de l'U.N.E.F. par les associations. Cette dernière hypothèse est du reste confirmée par la suite des évènements : le 21 avril 1968, les associations restées au sein de l'U.N.E.F. prenant trop de pouvoir en termes de représentativité, une Assemblée Extraordinaire les excluent définitivement de l’organisation. Dès lors, « le syndicalisme étudiant cesse d’exister comme force sociale
[indépendante]
 » ( 125 ).

Pourtant, au printemps 1968, l'U.N.E.F. avait déjà cessé d'exister en tant que structure représentative. Ainsi, lorsque les mouvements éclatent, l'U.N.E.F. n'a même plus de Président. Elle ne regroupe plus qu’environ 40 000 étudiants, soit un étudiant sur dix. Ceux-ci ne comprennent pas les débats internes qui animent le syndicat. De plus, de nouveaux acteurs étudiants sont nés entre temps, dont le C.L.E.R. en 1961 ( 126 ), ou encore la J.C.R. ( 127 ) en mars 1966. Tous sont des mouvements fortement marqués à gauche, qui se placent dans une logique à la fois révolutionnaire face à l’Etat, et de contestation face au syndicat étudiant. Leur audience sur le milieu étudiant s’avère même par instant supérieure à celle de l’U.N.E.F., notamment dans l’organisation de manifestations. Adeptes des groupes autonomes coordonnés, ils préfigurent certaines des évolutions sociétales et organisationnelles dont 1968 est le révélateur. L’U.N.E.F. vit à ce stade de son existence une double difficulté : rupture avec les étudiants, dont elle n’arrive plus à se faire le porte-parole car engagée dans des débats politiques trop éloignés du quotidien des étudiants, et critique extérieure permanente développée par les « groupuscules » d’extrêmes-gauches pour sa forme institutionnalisée et son engagement trop peu marqué dans la lutte de transformation sociale.

La participation de l’U.N.E.F. aux mouvements de mai 68 retraduit pleinement ce délitement : son action au cours du mouvement est erratique, l’organisation est quasiment absente de la contestation. Cette dernière est le fait de groupuscules d’extrêmes-gauches qui, portés par le climat latent d’opposition à un libéralisme qui s’étend, trouvent par la rue une perspective de réponses aux problématiques existentielles des étudiants. Le mouvement est général, l’année 68 connaît une agitation étudiante exceptionnelle un peu partout dans le monde. Ainsi, « le village planétaire trouve sa concrétisation dans la contestation des jeunes et des étudiants » ( 128 ). Pour l’ensemble de ces groupes nés pour la plupart dans les années soixante, cette transformation du rapport de l’individu à la société passe par l’acte et l’utopie révolutionnaire, « Mai 68, dans l’esprit de bien des militants [devant] concrétiser les aspirations révolutionnaires d’une génération née à la politique entre 1961 et 1965 » ( 129 ).

L’U.N.E.F., engoncée dans ses luttes intestines, n’arrive pas à prendre la tête de la contestation, pas plus qu’elle n’offre aux étudiants des lieux d’investissement collectif à la dimension de leurs ambitions. Elle reste prisonnière des deux perspectives contradictoires qui animent ses dirigeants : la lutte avant-gardiste, qui impose un fonctionnement en groupuscule, et son rôle d’acteur institutionnel qui impose un fonctionnement plus administratif. Tout au plus lancera-t-elle avec retard le 3 mai des appels à la grève. Celle-ci aura lieu le 13 mai, et verront se réunir étudiants et ouvriers dans un cortège commun de très grande ampleur. La quête qui anime les acteurs de ces journées est avant tout la libération de l’individu de toute forme d’aliénation, au premier rang desquels le pouvoir, le système, la société, les formes instituées. La démocratie n’est plus l’affaire de quelques-uns, mais celle de tous. En bref, c’est le refus du monde ancien qu’exprime mai 68 : une nouvelle ère s’ouvre, dans laquelle l’individu souhaite prendre toute sa place. Et où l’U.N.E.F. n’a plus la sienne.

L’U.N. est sur l’ensemble du mouvement totalement dépassée. Elle tente de se redéfinir au Congrès de Marseille de décembre 1968, en entérinant la désyndicalisation de la structure au profit de la construction d’un mouvement politique de masse. Après avoir abandonné l'aspect gestionnaire de service et de soutien à l'étudiant dans son quotidien pratique, la nouvelle direction délaisse la représentation et la défense des intérêts spécifiques des étudiants, tentant dans une ultime décomposition de les faire devenir partisans des changements sociaux dans leur ensemble. Elle s’oppose à la tenue des premières élections des représentants étudiants dans les universités. Mais c’est une majorité d’étudiants qui participe à ces dernières (parfois plus de 60 % de participation), institutionnalisant de fait la rupture représentative entre l’U.N.E.F. et les étudiants. Regroupement de groupuscules reposant sur une majorité interne fragile et sur une analyse erronée des changements sociétaux à l’œuvre, en décalage avec sa population de référence, l’U.N.E.F. ne pouvait survivre encore très longtemps.

En 1971, la structure se disloque complètement, notamment sur la question de la position à tenir face aux élections universitaires. Les restes moribonds de l'U.N.E.F. se séparent alors en deux tendances :

  • l'U.N.E.F. « Unité Syndicale », proche du P.S.U., et qui devient par la suite l'U.N.E.F.-I.D. Cette tendance est à l'époque appuyée, au sein du corps professoral et syndical, à la fois par F.O. et la F.E.N.
  • et l'U.N.E.F. « Renouveau », d’orientation communiste, qui donnera naissance ultérieurement à l'U.N.E.F.-S.E. Cette structure est soutenue dans sa démarche par la C.G.T. et le S.N.E.S.U.P.

Cependant, au cours du procès qu'elles se font mutuellement, si toutes deux revendiquent l’ancienneté de l’U.N.E.F., le tribunal de Paris estime en Juillet 1971 qu'aucune de ces deux organisations n'est légalement l'U.N.E.F., et qu'« en droit comme en fait, il n'y a plus d'U.N.E.F. ». Après l'hallali de 1968, le glas juridique sonne donc, enterrant définitivement après 56 ans d'existence, l'U.N.E.F. Noyée par la politisation exacerbée de ses instances, l’organisation de 1907 disparaît définitivement, signant dans le même temps la fin d'une époque.

En effet, la société a pris depuis quelques années déjà un nouveau visage, un nouveau virage, que les dirigeants de l’U.N.E.F. n’ont pas su analyser. « Nous lisions les événements à travers nos archaïques bésicles léninistes » conclura du reste Henri Weber, ancien dirigeant de l’U.N.E.F. de l’époque ( 130 ). Et de fait, la mort de l’U.N.E.F. signe bien, au-delà d’une vision léniniste de l’histoire, la fin d’un mode de construction des rapports sociaux. Le principe d’unité de l’organisation né de la modernité se trouve ici détrôné de manière institutionnelle par celui de la diversité, qui s’affirme dans l’expression de l’individu, lui-même né de la modernité.

Notes
23.

( ) MONCHABLON Alain, Histoire de l’UNEF, Coll. Les chemins de l’Histoire, PUF, 1983.

24.

( ) LE GOC Hervé, L'Association Générale des Etudiantes et Etudiants Rennais de 1919 à 1940. Un exemple du corporatisme estudiantin de l'entre-deux-guerres, Mémoire de Maîtrise d’Histoire, Université de Rennes, 1999.

25.

( ) CHARLE Christophe in SABOT Jean-Yves, Le syndicalisme étudiant et la guerre d’Algérie, L’Harmattan, 1995, p 123.

26.

( ) PERROT Michèle in WIEVORKA Michel et alii, Raison et conviction, engagement, Editions Textuel, 1998.

27.

( ) Si la gratuité dans les écoles maternelles est effective depuis la loi du 16 juin 1881, elle n’est annoncé pour les collèges que par la circulaire n°77-184 du 24 mai 1977. Elle reste encore aujourd’hui posée en lycée. C’est dire l’utopie ou l’aspect futuriste et préfiguratif, c’est selon, d’une telle revendication sur le milieu estudiantin.

28.

( ) Ces revendications laissent apparaissent très tôt chez les étudiants carabins la volonté de cogestion des universités, soit plus de quarante années avant le décret Capitant instituant les premières représentations étudiantes dans les Conseils. C’est dire leur caractère préfiguratif.

29.

( ) KESSLER Thierry, Regard sur l’engagement étudiant et l’exemple de la faculté de médecine de Rennes, Thèse pour le Doctorat en Médecine, Université Rennes I, 2002, 85 p.

30.

( ) DE LA FOURNIERE Michel, BORELLA François, Le syndicalisme étudiant, Editions du Seuil, 1957, p 36.

31.

( ) SABOT Jean-Yves, Le syndicalisme étudiant et la guerre d'Algérie, L'Harmattan, 1995. ERLICH Valérie, Les nouveaux étudiants, un groupe social en mutation, Armand Colin, 1998. Cf. annexe n°10, « Evolution du nombre d’étudiants en France ».

32.

( ) Le phasage de l’histoire de l’U.N.E.F. que nous prenons ne reprend que partiellement les perspectives de Jean-Yves Sabot (une première période allant jusqu’à 1946 où l’U.N.E.F. et les A.G.E. font du folklore et de l’entraide tout en étant soumises au pouvoir public, une seconde période allant de 1946 à 1963 où l’U.N.E.F. se bâtit sur un mode syndical unitaire, enfin une troisième période allant de 1963 à 1971 où l’U.N.E.F. s’émiette). Si nous rejoignons en partie cette périodicisation, elle a cependant pour nous le défaut de privilégier le rapport aux institutions (soumission/ non soumission), ne se plaçant en outre pas suffisamment au cœur de l’action collective menée, et au sens donné à ce dernier, qui varie fortement selon les périodes. De même, nous ne participons pas totalement du modèle proposé notamment par Michel de la Fournière, envisageant l’histoire du monde étudiant selon trois périodes, une période allant jusqu’à la fin de la 1ere Guerre Mondiale dite période folklorique, une période s’étalant sur tout l’entre-deux-guerres, période corporatiste, et une période postérieure à 1946 appelé période syndicale. Il nous semble que sont ici mélangés deux approches fortement différentes de la représentation étudiante après 1946, celle mise en ouvre par une U.N.E.F. unitaire et jusqu’en 1962, puis une période plus politisée démarrant à partir de 1963, où même les « anciens » présidents de l’U.N.E.F. (Jacques Freyssinet, président « mino » de l’U.N.E.F. en 1959) ne se reconnaissent plus dans l’organisation U.N.E.F. de 1964 (« l’extrême politisation qu’on a connu plus tard [au milieu des années 60] nous était étrangère »). Freyssinet Jacques in SABOT Jean-Yves, op. cité, p 189. Nous partirons pour notre part sur une périodicisation en quatre temps qui reprend celle de Jean Claude Bachy (BACHY Jean-Paul et Claudine, Les étudiants et la politique, Armand colin, 1973) : une première période allant de la construction des A.G.E. (fin XIXème) à la fin de la première guerre mondiale, période folklorique. Une seconde période couvrant toute l’entre-deux-guerres, que nous qualifierons période corporatiste. Une troisième période, qui part de 1946 jusqu’à la fin de la guerre d’Algérie, qui sera une période syndicale. Enfin, notre dernière période part de 1963 et se termine en 1971 avec la mort de l’U.N.E.F., période politisée. Pour notre part, nous pensons que ces quatre périodes fusionnent en fait deux à deux, la première et la dernière de part leurs approches à la fois excessives et totalement oublieuses de la parole de l’Autre ; la seconde et la troisième période se rejoignent dans l’action d’entraide et le projet social.

33.

( ) Du fait notamment de la diminution du capital financier des familles bourgeoises dûe à la guerre, comme le montre Piketty dans ses travaux. PIKETTY Thomas, Les hauts revenus en France au XX ème siècle, Hachette littérature, 2006.

34.

( ) DE LA FOURNIERE Michel, BORELLA François, op. cité, p 39.

35.

( ) DE LA FOURNIERE Michel, BORELLA François, op. cité, p 39.

36.

( ) Citations issues du travail de recherche historique de Hervé Le Goc, op. cité. Celui-ci s’appuie notamment sur les archives du journal de l’Association Générale des Etudiants de Rennes, l’A, qui couvrent toute cette période. Nous réutilisons ici certains passages des articles cités.

37.

( ) Confédération Internationale des Etudiants. Créée dès novembre 1919, cette organisation se construit en parallèle de la S.D.N. née quelques mois seulement avant.

38.

( ) DE LA FOURNIERE Michel, BORELLA François, op. cité, p 42.

39.

( ) Revue des Universités de France, n°1, mai 1928, p 8, B.D.I.C., F.D. 1081/22, www.cme-u.fr.

40.

( ) Cette année-là, une femme est élue secrétaire générale de la fédération C.G.T.U. de l’alimentation. GUILBERT Madeleine, Femmes et syndicats en France, Sociologie et société, volume 6 n°1, 1974.

41.

( ) Ainsi cet article publié dans le journal des étudiants de Rennes en 1936 : « Partout en France, il y a quelques années à peine, primait le béret de velours aux rubans multicolores et aux nombreux insignes ! Aujourd'hui, tout cela tend à disparaître. Pourquoi ? Par le manque d'intérêt que l'étudiant porte aux manifestations de la vie estudiantine. Aujourd'hui, l'étudiant veut se donner un genre " sérieux ", en faisant abstraction du genre " Bohême " qu'il porte inné en lui, puisqu'il est jeune. Nous aimons tous voir sur l'écran les bohémiens tziganes ivres de leur liberté. Pourquoi ne serions-nous pas des bohémiens à notre façon, des bohémiens étudiants ? Remettons en honneur notre vieux béret, adjoignons-lui même des cannes en bambou si nous le voulons. Etudiants, rigolons et chantons. Soyons nous-mêmes. ». in LE GOC Hervé, op. cité.

42.

( ) Bureau Universitaire de Statistiques.

43.

( ) COME Thierry & MORDER Robi, sous la direction de, op. cité, p 53. Ce dernier deviendra ensuite l’O.N.I.S.E.P.

44.

( ) Ainsi, cet auteur d’un article du journal des étudiants de Rennes qui souligne la nouveauté du mouvement en précisant que les étudiants ont suivi l'exemple des fonctionnaires. Et s'il se justifie c'est qu'il sait « bien que certains pensent peut-être que les procédés de grève sont indignes des intellectuels ». « Il ajoute : « Des intellectuels du dix-neuvième siècle peut-être. Mais nous ne sommes pas responsables des conditions de vie qui nous poussent à adopter des moyens plébéiens. Et, pour ma part, je ne crois pas que ce soit un mal, même faute, que d'affirmer la vigueur du syndicalisme universitaire et de développer le sentiment d'association chez les intellectuels. » in LE GOC Hervé, op. cité.

45.

( ) Journal Université de France, juillet-octobre 1932, B.D.I.C. F.D. 1081/22, www.cme-u.fr.

46.

( ) En 1937, l’U.N.E.F. compte environ 20 000 adhérents, pour près de 75 000 étudiants.

47.

( ) Cependant, même au cours de cette période, les étudiants et certains dirigeants de l’U.N.E.F. font par instant figures de préfigurateurs. Ainsi en est-il par exemple de l’épisode du 11 novembre 1940 sur la place de l’Etoile à Paris, où « ce jour-là, les étudiants apparurent comme les premiers résistants et furent les premiers déportés ». DE LA FOURNIERE Michel, BORELLA François, op. cité, p 48. Si l’U.N.E.F. comme organisation reste très en retrait voir se fait par instant collaboratrice, un certain nombre des responsables et d’A.G.E. qui la composent s’investissent dans la Résistance et payent parfois un lourd tribut pour leur engagement.

48.

( ) Mouvement étudiant issu de la Résistance très fortement marqué à gauche, et qui s'oriente très rapidement vers des combats d'ordre idéologique.

49.

( ) Baudelot montre ainsi que jusqu’en 1959-1960, 94 % des jeunes sont exclus de l’Enseignement Supérieur. Parmi ceux y accédant, le taux d’accès des enfants d’ouvriers, personnels de services et salariés agricoles est très faible, environ 0,5 %. La population étudiante se compose essentiellement d’enfants de patrons d’industrie et de commerce (20 %), de cadres supérieurs et de professions libérales (30 %) et de cadres moyens (20 %). BAUDELOT Christian et alii, Les étudiants, l’emploi, la crise, Petite collection Maspero, 1981, p 24. Néanmoins, la guerre et les restrictions qui la suivent font aussi arriver sur les bancs des universités des étudiants aux ressources moindres, obligés de travailler en plus de leurs études pour se loger, se nourrir, donnant naissance à un nouveau type étudiant, l’étudiant pauvre.

50.

( ) PERROT Michèle in WIEVORKA Michel et alii, op. cité, p 72.

51.

( ) Cette similitude s’explique notamment par le fait que, comme le montre notamment Fischer, jusqu'en 1956, la majorité des bureaux de l’U.N.E.F. furent composés de militants R.P.F. ou de sympathisants, bien que ces derniers ne disposèrent que de deux présidents reconnus. Ils seront cependant dans nombre de cas à la tête ou aux vice-présidences d’A.G.E. de province. FISCHER Didier, L'histoire des étudiants en France de 1945 à nos jours, Flammarion, 2000.

52.

( ) DE LA FOURNIERE Michel, BORELLA François, op. cité, p 78.

53.

( ) DE LA FOURNIERE Michel, BORELLA François, op. cité, p 96.

54.

( ) SABOT Jean-Yves, op. cité, p 131.

55.

( ) DELAIRE Bernard, Apports, contributions du syndicalisme étudiant au syndicalisme des professions libérales de 1939 à 1955, Paris VII, Thèse de Chirurgie Dentaire, directeur Guy Penne, 1976, 98 p.

56.

( ) A l’inverse de la Charte d’Amiens, la Charte de Grenoble n’en appelle pas au syndicat et à une classe sociale comme vecteur de la transformation sociale, mais à l’Etudiant. Devenu sujet, l’Etudiant acquière aussi une centralité dans les transformations sociales.

57.

( ) A la différence de l’approche marcusienne toutefois, cette place de minorité active revendiquée pour les étudiants par les concepteurs de la Charte de Grenoble ne s’entrevoit pas dans une perspective de contestation radicale. C’est une version quelque peu policée de la transformation sociale qui est ici proposée dans l’affirmation des devoirs sociaux de l’étudiant.

58.

( ) En effet, derrière ces devoirs sublimés de l’étudiant comme sujet, semble transparaître déjà pour partie l’ombre du Sujet, dans sa dimension « conscience du monde » et dans l’ouverture vers l’Autre. On retrouve aussi chez Touraine une description du Sujet où ce dernier dispose de hautes caractéristiques morales et d’un rôle social de toute première importance : s’il relève la faiblesse du Sujet, il pointe dans le même temps fortement la force de ses convictions et surtout de ses solidarités. A la dimension dramatique du Sujet, s’ajoute une centralité de celui-ci, pour ne pas dire une vision idéaliste de celui-ci. Pour Touraine en effet, le Sujet se caractérise par une fermeté et une constance dans sa conduite, et dispose de vertus morales importantes : courage solitaire, capacité de mener des actions solidaires notamment. Ce qui ne peut empêcher de penser un parallélisme de formes, même si dans le cas du Sujet, cette centralité s’exprime plus particulièrement par le conflit intérieur permanent de l’individu avec lui-même, le marché et le communautarisme, éléments différenciateurs importants qui sont inexistants dans la Charte.

59.

( ) A telle enseigne, une telle présentation du sujet, de ses droits et de ses devoirs ne se retrouve notamment pas dans la Constitution de la IVème République.

60.

( ) Jusqu’aux années 1960, l’intervention de l’Etat en direction des personnes âgées ne visait guère que le montant des pensions et l’âge de la retraite. Les interventions caritatives et les politiques d’assistance étaient quasiment identiques à celles du siècle passé. Il faudra attendre le rapport de la Commission Laroque en 1962 et sa mise en application dans le Vème, VIème et VIIème Plan pour que des aides à domicile, des foyers résidences, des clubs et universités, … voient le jour. Rapport Vieillir demain, http://infodoc.inserm.fr .

61.

( ) GAUDEZ Pierre, Les étudiants, Editions Juillard, 1961.

62.

( ) Dans la Charte d’Arcachon notamment, il est précisé que « les étudiants français [de l’U.N.E.F.] s’engagent à soutenir la lutte des peuples coloniaux pour leur indépendance ». TCHAPTCHET
Jean-Marc, Quand les jeunes africains créaient l’histoire, Tome 2, l’Harmattan, 2006, p 117.

63.

( ) SABOT Jean-Yves, op. cité. Le nombre d’étudiants en métropole passe en effet sur la même période de 130 000 à 244 000.

64.

( ) IG Metal existe notamment sur cette base depuis 1949. Il est notamment composé de l’association allemande des métallurgistes, association créée en 1891 et qui constitue la principale composante du syndicat.

65.

( ) En 1949-1950, selon les sources du Ministère de l’Education Nationale citées par Erlich, la France compte 136 700 étudiants environ. Soit, si l’on couple ces résultats avec ceux produits par Baudelot, moins de 5% de la population des 20-24 ans scolarisables. ERLICH Valérie, Les nouveaux étudiants, un groupe social en mutation, Armand Colin, 1998. BAUDELOT Christian et alii, op. cité.

66.

( ) F.E.N. (Fédération de l’Education Nationale : créé en 1930 sous l’appellation F.G.E. (Fédération Générale de l’Enseignement), cette fédération fut jusque dans les années soixante la seule organisation syndicale enseignante, disposant d’une position hégémonique. Elle fait alors cohabiter en interne des militants aux tendances politiques divergentes, tout en maintenant un fort taux de syndicalisation frôlant parfois les 70%. La F.E.N. s’implique aussi dans la constitution d’activités économiques de services en direction de ses adhérents : M.G.E.N., M.A.E., C.A.M.I.F., … Ce couplage d’activité de services et syndicales rapproche la F.E.N. du modèle de l’U.N.E.F., qui lui est fortement antérieur. La F.N.S.E.A. naît pour sa part en 1946. Cette organisation fut longtemps le seul interlocuteur et représentant du monde paysan, à l’instar de la F.E.N. pour les enseignants, et de l’U.N.E.F. pour les étudiants. Comme ces deux autres organisations, la F.N.S.E.A. développe elle aussi tout un panel d’activités économiques et de services en direction de ses adhérents (carte Moisson, offrant de nombreuses réductions partout en France dans un certain nombre de magasins, de restaurants, activités culturelles et de loisirs notamment). La F.E.N. comme la F.N.S.E.A., tout en se construisant et s’étoffant sur un modèle proche de celui de l’U.N.E.F., lui sont cependant largement postérieures, confirmant l’idée d’une antériorité du monde associatif étudiant sur certains aspects de formes engagements des individus dans le monde social.

67.

( ) Pour De la Fournière comme pour Sabot, s’ils ne se rattachent pas à une entité particulière de la « mino », les « repreneurs » de l’U.N.E.F. de 1945 sont cependant à classer dans ce groupe. Ces dirigeants, prônant la posture syndicale de l’U.N.E.F., s’imposent par leur dynamisme et leur aura d’anciens résistants pendant cinq années consécutives sur des A.G.E. restées pour l’essentiel traditionalistes, avant que ces dernières ne renversent en interne Gérard de Bernis, le remplaçant alors par un dirigeant plus traditionaliste, militant M.P.F., Jean Sarvonnat.

68.

( ) Jeunesse Etudiante Catholique. La J.E.C. sera présente dans l'U.N.E.F. de 1945 jusqu'a 1965. C’est un courant chrétien progressiste, conjuguant morale chrétienne et politique morale. Cette organisation regroupe ses adhérents autour d’une dynamique de socialité primaire : la religion. Elle trouve dans l’U.N.E.F. un vecteur de mise en œuvre de sa vision du monde. Ces membres sont à l’époque peu nombreux, environ 2000 - 2500, mais fortement unis par le lien spirituel. Ils disposent d'une longue formation au bénévolat, dès le lycée. L'orientation oecuménique est plutôt proche de Saint Paul et des jésuites.

69.

( ) Union des Etudiants Communistes. Un courant laïc, écho de la gauche laïque, ainsi que quelques éléments de l’extrême-gauche achèvent de constituer ce groupe.

70.

( ) Ainsi Michel de la Fournière, premier président « mino » de l’U.N.E.F. (1956) critique vivement la période corporatiste précédente : « Mis en face de problèmes sociaux, on cherche à les résoudre mais sans remonter aux causes du mal. On se refuse […] à poser le problème d’ensemble, c’est-à-dire celui de la situation de l’étudiant dans le pays et de son statut. […] L’U.N.E.F. n’imagine pas qu’elle ait son mot à dire sur les rapports du monde étudiant avec le reste de la Nation, ni sur le devenir de l’Université ». DE LA FOURNIERE Michel, BORELLA François, op. cité, p 43.

71.

( ) GIRARDET Raoul in FISCHER Didier, op. cité, p 79. L’orientation prise par la J.E.C. à partir du début des années 50 préfigure à ce titre la transformation que vivra plus tard la C.F.T.C., qui en 1974 se transforme en C.F.D.T. Ainsi, « la tendance mino s’est développé avec la radicalisation des milieux syndicaux chrétiens qui fit évoluer la C.F.T.C. vers les positions actuelles de la C.F.D.T. ». SABOT Jean-Yves, op. cité, p 42.

72.

( ) DE LA FOURNIERE Michel, BORELLA François, op. cité, p 147.

73.

( ) Ce relatif non-engagement nourrira en sourdine l’expansion d’une distanciation entre ouvriers et O.S. syndiqués algériens, et organisations politiques et ouvriers syndiqués français, permettant au F.L.N. de progresser dans la population ouvrière algérienne résidant en France.

74.

( ) PITTI Laure, sous la direction de GALLISSOT René, Ouvriers algériens à Renault Billancourt de la guerre d’Algérie aux grèves d’O.S. des années 70. Contribution à l’histoire sociale et politique des ouvriers étrangers en France, Thèse pour l’obtention du grade de Docteur,Université Paris VIII, 2002.

75.

( ) Mouvement des Etudiants de France. Cette scission fait suite à un projet de lettre au Président de la République abordant les conséquences de la guerre en Algérie sur l’Université lors du Congrès de 1957. Après de nombreuses discussions et concessions du bureau et des A.G.E. mino, le projet fut retiré. Les 17 A.G.E. majos exigèrent alors l’approbation d’une charte d’apolitisme, sinon elles se retiraient de l’U.N.E.F. Le Congrès comme le bureau refusa de céder au chantage. La scission était faite. Cependant, la plupart réintégreront l’U.N.E.F. rapidement.

76.

( ) Les peuples colonisateurs appuient en effet leur domination sur une maîtrise scientifique et technique, leur assurant à la fois une domination physique sur les peuples colonisés, en même temps que leur fournissant des raisons objectives et rationnelles à cette même domination, dès lors exercée dans le but d’éduquer et d’aider les peuples colonisés à se développer.

77.

( ) En outre, la division U.N.E.F. / M.E.F. n’est pas sans faire penser à celle que connue la C.G.T. en 1921 entre réformistes et révolutionnaires, à la différence notable que les deux groupes en présence sont alors réformistes et traditionalistes. Néanmoins, les deux extrêmes (révolutionnaires de la C.G.T.U. et traditionalistes du M.E.F.) se rejoignent par leurs absolutismes et leur très forte collusion avec un parti politique de gouvernement. L’existence conjointe d’éléments de la première et de la seconde modernité confirme que nous sommes alors, pour le monde étudiant, dans une phase de transition.

78.

( ) L'U.N.E.F. avait gardé depuis sa création une habitude du « corpolitisme » (selon la définition de Paul Bouchet, président de l’U.N.E.F. au sortir de la 2nde Guerre Mondiale) : travail de lobbying, fréquentation des couloirs des assemblées, auprès des institutions pour promouvoir et défendre au mieux les dossiers, relations avec des députés pour défendre politiquement et nationalement les projets. Les manifestations de rue, les grèves n'étaient guère de mise, ... Ainsi, Fischer montre bien que malgré le discours syndical, la charte de Grenoble, et les ambitions syndicalistes affichées, dans les faits, « la tradition du lobbying constitue le fond de pratique de l'U.N.E.F. jusqu'en 1958 ». FISCHER Didier, op. cité, p 56.

79.

( ) Pour Rosanvallon à l’époque, le modèle gaullien est ce qu’il appelle une « démocratie corporative ». Cela rejoint ce que Lagroye nomme le néo-corporatisme. Selon Lagroye, « le néo-corporatisme peut être précisément défini comme une tendance générale des sociétés contemporaines à l’association institutionnelle des instances politiques et administratives (l’Etat) et des organisations représentatives d’intérêts qui chacune dans son secteur, jouisse d’un véritable monopole de la représentation des travailleurs concernés ». LAGROYE Jacques, Sociologie politique, Presses de Sciences Po et Dalloz, 1997, 3eme édition, p 444.

80.

( ) En effet, l'U.E.C., autre tendance du courant « mino » de l'U.N.E.F., malgré une réelle existence sur le monde étudiant, se débat dans le même temps en interne sur l'adéquation de son positionnement avec le P.C.F. En crise permanente, ce courant ne peut accéder à aucune fonction dans l'U.N.E.F. tout au long de ces années. Les étudiants proches du R.P.F., uniquement présents dans les filières de Médecine et de Droit, ne peuvent en outre plus s’implanter véritablement dans la structure.

81.

( ) Dans son article « Ethos collectif et Rhétorique de polarisation : le discours des étudiants en France pendant la guerre d’Algérie », Eithan Orkibi parle d’une reconfiguration de l’Ethos collectif des étudiants, mis en œuvre par les membres de la J.E.C. présents au sein de l’U.N.E.F. Ce travail de fond s’attache à donner une image nouvelle de l’étudiant, plus responsable, majeur, davantage inscrit dans la société. La construction de ce nouvel Ethos impacte alors tant les organisations membres de l’U.N.E.F., que les étudiants et les autres acteurs de la société. Elle permet de faire adhérer l’ensemble des acteurs ainsi que la masse des étudiants à la politisation de l’organisation. ORKIBI Eithan, Ethos collectif et Rhétorique de polarisation : le discours des étudiants en France pendant la guerre d’Algérie, Argumentation et Analyse du Discours, n° 1 | 2008, Université de Tel-Aviv, ADARR, http://aad.revues.org/index438.html.

82.

( ) Cette configuration d’extension du mouvement ne s’apparente ni au modèle du courtage (transfert d’information entre des sites non connectés au départ) ni à celui de la diffusion (transfert d’information le long de chaînes établies d’interactions) mis en évidence par Doug MacAdam dans « Le désengagement militant ». L’U.N.E.F. s’appuie ici à la fois sur un élargissement rapide de son propre message, passant d’intérêts corporatistes à une opposition de conscience, une diffusion auprès du message des organisations parallèles, et une communication élargie (expositions, articles de journaux, …). MAC ADAM Doug in FILLIEULE Olivier, Le désengagement militant, Belin, 2005.

83.

( ) MEYNAUD Jean, Les groupes de pression sous la Vème république, Revue française de Science politique, 12 (3), 1962 pp 672-697 in SABOT Jean-Yves, op. cité, p 192.

84.

( ) La traduction de l’objection de conscience dans le droit français ressortira ensuite de l’action de Louis Lecoin, militant libertaire pacifiste, qui en 1962 entamera une grève de la faim à l’age de 74 ans pour en obtenir la promulgation. Plusieurs intellectuels ainsi que le Canard Enchaîné s’impliqueront dans sa démarche, afin de la faire aboutir. Militant à la C.G.T., il n’obtint pourtant pas le soutien de cette organisation, pas plus que d’aucun autre syndicat ou parti politique.

85.

( ) MAUPEOU-ABBOUD, Nicole de, Ouverture du ghetto étudiant, Editions Anthropos, 1974, p 16.

86.

( ) Ainsi, fin janvier 1960, l’U.N.E.F. invite les trois principales centrales syndicales et la F.E.N. dans les locaux de la M.N.E.F. Une grève nationale du travail en découlera, le 1er février 1960. Dans le même sens, le 27 Octobre 1960, l’U.N.E.F. organise à la Mutualité à Paris un immense meeting auquel participent les grandes centrales syndicales excepté la C.G.T., en faveur de la paix négociée et pour l’autodétermination. « Malgré la défection de la C.G.T., c’est devant plus de 10 000 personnes que Pierre Gaudez, président de l’U.N.E.F., prend la parole au nom des 4 organisations participantes (U.N.E.F., F.E.N., C.F.T.C., F.O.), alors que dehors se massaient des milliers d’étudiants qui n’avaient pas pu trouver de place dans la salle, ainsi que de nombreux militants de l’U.E.C. dont le parti communiste avait interdit la présence et qui manifestaient contre cette interdiction ». FISCHER Didier, op. cité, p 236.

87.

( ) SABOT Jean-Yves, op. cité.

88.

( ) Ainsi, à l’A.G.E. de Grenoble, « au terme d’une discussion qui tranche, par rapport au AG précédentes par sa longueur et son sérieux, les étudiants adoptent … une longue motion qui souligne « le caractère absurde et anachronique de la guerre d’Algérie », reconnaît « la réalité d’une Nation algérienne, regrette que « les nouvelles déclarations gouvernementales rendent de plus en plus aléatoires les perspectives d’une paix prochaine, estime que des négociations doivent être entreprises dans « les plus brefs délais », et mandate le comité pour soutenir et promouvoir toute action, sur le plan local comme national, « pouvant conduire vers une solution de ce problème ». Journal Grenoble Université, n°46, novembre 1960, p. 1, in SABOT Jean-Yves, op. cité. Dès lors, l’U.N.E.F. s’implique plus avant dans le processus de contestation sociale. Ainsi, « la politique de « front syndical » se concrétisa […] dans un rapprochement (sur l’initiative de l’U.N.E.F.) avec les syndicats de travailleurs et d’étudiants algériens (U.G.T.A. et U.G.E.M.A.), auquel se rallièrent les syndicats français, rapprochement qui aboutit aux déclarations du 21 février 1961 : les signataires étaient d’accord pour réclamer des négociations directes […] sur le cessez-le feu et les conditions […] de l’autodétermination […] ». MAUPEOU-ABBOUD Nicole, op. cité, p 27.

89.

( ) Ainsi Waldeck-Rochet s’insurge-t-il dans l’Humanité contre cette organisation « qui vise à faire [du] parti une force d’appoint et à placer ainsi si possible la classe ouvrière à la remorque de la bourgeoisie dite de gauche ». L’U.N.E.F. commet alors « un crime de lèse-majesté, celui de voler au PC son trésor, … son rôle d’avant garde ». MONCHABLON Alain, Histoire de l’UNEF, PUF, Coll. Les chemins de l’Histoire, 1983, p 117.

90.

( ) Comité de Liaison et d’Information des Etudiants de France.

91.

( ) Union Nationale Républicaine, le parti de De Gaulle.

92.

( ) Fédération Nationale des Etudiants de France, sous la direction de Liapasset. Dès Mars 1961, l’Office des étudiants de Médecine de France avait modifié ses statuts pour être indépendant de l’U.N.E.F.

93.

( ) En effet, comme le montre Giraud dans « L’intelligibilité du social » en reprenant les propos de Bruno Milly, derrière une profession, un titre, et de ce fait une formation, il y a davantage une dimension de mythe mobilisateur qu’unicité des pratiques. Chaque individu, chaque groupe de spécialistes au sein d’une même profession dispose de pratiques différentes, qui permettent le cas échéant, l’émergence d’identités plus spécifiques, elles-mêmes sources potentielles d’indépendances. Si les individualités ne prennent pas leur indépendance, c’est parce que le mythe de l’identité professionnelle unitaire est préférable à la démonstration de réalités différentes, qui conduirait alors à déclassifier de manière globale le groupe, par la cassure de la représentation mythique. Tous les membres du groupe ont donc intérêt à estomper leurs divergences internes tant que le groupe jouit dans les mentalités collectives extérieures d’une aura forte. Si le groupe venait à éclater, il perdrait de fait cette aura. A l’inverse, le fait que le groupe éclate signifie que le mythe n’est plus suffisamment signifiant pour au moins une partie des membres. Ces derniers préfèrent alors ne plus jouir de l’aura du groupe, pour privilégier la construction d’une identité nouvelle, à leur sens plus porteuse de sens.

94.

( ) Dans le même temps, l’expansion du nombre d’étudiants depuis 1945, a reconfiguré entièrement le rapport entre les disciplines, et les jeux de pouvoir au sein d’une seule organisation, ce qui explique aussi cette scission. Les facultés à forte densité de classes supérieures et libérales (Droit, Médecine), auparavant majoritaires, se reconnaissent de moins en moins dans une organisation où les Sciences et les Lettres, de recrutement plus ouvrières, prennent un poids grandissant du fait de l’expansion continue de leurs effectifs.

95.

( ) Nous reprendrons ici la modélisation exposée par Verta Taylor dans son article « La continuité des mouvements sociaux – la mise en veille du mouvement des femmes » intégré dans l’ouvrage collectif « Le désengagement militant ». Son travail sur le mouvement féministe aux Etats-Unis des années 45 aux années 60 lui permet de mettre en évidence une continuité de l’activisme militant, ce dernier passant cependant par des phases d’expansion, des phases de déclin puis de résurgence et de renouveau. Durant les phases de déclin voire de sommeil, la survie du mouvement est assurée par la transformation de celui-ci en organisation exclusive : un noyau de fidèles fortement homogènes et attachés à la cause pour une temporalité longue, des critères d’entrée qui se resserrent, parfois une purge des éléments divergents, une centralisation du pouvoir et de la structure, le développement d’une culture propre et identitaire. A l’inverse, lors des phases d’expansion, les organisations se font plus inclusives, intégrant un grand nombre de personnes diverses, décentralisant le pouvoir, … Le mode d’organisation mis en œuvre sera fonction du climat politique et des opportunités que ce dernier offre ou pas, la capacité de survie d’un mouvement dépendant de sa capacité à se transformer d’une forme en une autre pour faire perdurer l’utopie fondatrice. TAYLOR Verta in Fillieule Olivier, sous la direction de, Le désengagement militant, Belin, 2005.

96.

( ) Ainsi, la fédération des étudiants de Grenoble affiliée à la F.N.E.F. éditera un nouveau journal, « le Dahu », dans lequel le folklore tient une place prépondérante. SABOT Jean-Yves, op. cité.

97.

( ) SABOT Jean-Yves, op. cité, p 131.

98.

( ) ANDOLFATTO Dominique, Etienne Jean Lapassat. De flamme et de raison, textes réunis et présentés par, Romans, édité par l’association « Avec Etienne-Jean Lapassat », 1993, in Sabot
Jean-Yves, op. cité, p 154.

99.

( ) MONCHABLON Alain, op. cité, p 7.

100.

( ) Parmi les plus célèbres, on pourra retrouver notamment Ferhat Abbas, premier Président de la République Algérienne, vice-président de l’U.N.E.F. en 1930 ; Mongi Ben Hamida, ancien ministre tunisien de la Santé Publique fut vice-président chargé des Œuvres en 1952-1953 ; Abdoulay Wade, actuel Président du Sénégal, fut membre du bureau de l’A.G.E. de Besançon en 1955. Nombres d’autres membres des A.G.E. et/ou de l’U.N. jalonnent l’histoire des anciennes colonies françaises d’Outre-mer.

101.

( ) ANDREVON J.P. in SABOT Jean-Yves, op. cité, p 154.

102.

( ) Pour les étudiants de la J.E.C., il y a « un lien entre mission éducative et mission politique », ainsi que le montre Fischer. FISCHER Didier op. cité, p 312. Pour l'Eglise et les évêques, en revanche, ces deux dynamiques sont à déconnecter l’une de l’autre. Le rôle de la J.E.C. est d’exercer sa mission chrétienne auprès des étudiants, mais elle ne doit pas s’interroger sur les conséquences politiques qu’induit une telle mission. Cette divergence amènera une crise interne au sein de la structure, dont les évêques sortiront vainqueurs. Les étudiants catholiques, qui souhaitent conserver leur liberté de manœuvre et continuer d’agir au sein de l’U.N.E.F. quittent alors la J.E.C., qui s'étiole très rapidement.

103.

( ) Comme l'énonce à ce titre Daniel Baggioni quelques années plus tard, « au syndicalisme quasi-professionnel de la grande époque, qui étudiait les dossiers pour négocier avec l'administration dans les organismes de cogestion, au gestionnaire technicien à la tête des services administratifs importants succèdent des orateurs brillants, méprisant ouvertement les problèmes de gestion, d'administration et de négociation avec le gouvernement (...) » BAGGIONI Daniel, Le discours syndical étudiant, Recherche en sociolinguistique, in DESANTI Raphaël, L’invention permanente du syndicalisme étudiant, Mémoire de D.E.A. de Sciences Sociales, Nantes , 1997.

104.

( ) Union des Etudiants Communistes et Parti Socialiste Unifié.

105.

( ) Selon Fischer, «  pour l’U.N.E.F., au milieu des années soixante, l’intégration de l’étudiant dans la société n’est plus la priorité. Au contraire, ce dernier est désormais chargé de la transformer à travers la réforme même de l’institution universitaire  ». FISCHER Didier, op. cité, p 301.

106.

( ) Selon Baudelot, le nombre d’étudiants entre 1955 et 1965 est multiplié par trois. BAUDELOT & Alii, op. cité.

107.

( ) Fischer rappelle ainsi que parfois, les TDs se faisaient de 21h00 à minuit dans certaines universités. FISCHER Didier, op. cité.

108.

( ) Cette radicalisation entraînera une véritable rupture entre les générations dirigeantes antérieures à 1962, et celles qui prennent la tête de l’organisation à partir de cette date, les « anciens » ne se retrouvant plus dans la forme nouvelle que prend alors l’U.N.E.F. Ainsi, « après mon service militaire, j’ai découvert à Grenoble des étudiants de la deuxième moitié des années 60. Ils étaient […] beaucoup plus politisés que nous, au sens étroit du terme politique (formation et militantisme partisan). Pour notre part, nous positionner en faveur de la démocratisation de l’éducation nationale […] et contre la guerre d’Algérie était un tronc commun suffisant. […] L’extrême élaboration du discours politique qu’on a connu plus tard nous était étrangère ». FREYSSINET Jacques, président de l’U.N.E.F. 1959-1960, in SABOT Jean-Yves, op. cité, p 189.

109.

( ) En 1963, l'U.N.E.F. se définit comme révolutionnaire et anticapitaliste, à optique marxiste. MONCHABLON Alain, op. cité. Cependant, dans le même temps, se développe un mouvement plus « anti-institutionnel » chez les étudiants, qui s’observe clairement au sein des mouvements confessionnels étudiants, et de manière plus diffuse sur l’ensemble du monde étudiant. Rejetant les hiérarchies, les dogmatismes, remettant en cause le système de délégation de la parole au profit d’une démocratie plus directe, les attentes des étudiants ne rencontreront que très partiellement les réponses que formule l’U.N.E.F. Tandis que celle-ci s’enferme dans des luttes rhétoriques alimentées par des dogmatismes forcenés, les étudiants construisent peu à peu une identité nouvelle qui s’éloigne de l’Union, tout en donnant dès cet instant à voir certaines formes du nouvel individualisme. L’invention sociale est ici directement mise en œuvre par le milieu étudiant, sans référent structurel surplombant.

110.

( ) Cependant, dès 1956, une circulaire interne de l'U.N.E.F. avait montré que d’expérience, les structures les plus gestionnaires étaient aussi celles qui disposaient d'un pouvoir revendicatif plus fort, tant au niveau des étudiants qu'au niveau institutionnel. La réorientation proposée s'amputait dès le départ des moyens de réussite.

111.

( ) D’où venons nous, que sommes-nous, où allons-nous ?, in Recherches universitaires, J.C POLACK, n°2, 1963. Cette transformation dans le discours, en direction d’une vision critique de l’Université enserrée dans un rapport capitaliste, sera relevée par Nicole MAUPEOU ABBOUD dans « Ouverture du Ghetto étudiant », et de manière plus large par Raphaël Desanti dans son mémoire de D.E.A. sur la continuité des thèmes de revendications tenus par l’U.N.E.F. DESANTI Raphaël, L’invention permanente du syndicalisme étudiant, mémoire de D.E.A. de Sciences Sociales, Nantes, 1997.

112.

( ) MAUPEOU-ABBOUD Nicole, op. cité, p 152.

113.

( ) Auquel va répondre le « Manifeste pour la défense de l’Université » du S.N.E.S.U.P. L’U.N.E.F. cherche à cette époque à s’éloigner du syndicalisme universitaire pour se rapprocher du syndicalisme ouvrier, ce qui n’est pas sans induire quelques tensions. Lutte étudiante en vue d’une prise de pouvoir de l’Université pour transformer celle-ci en une structure en phase avec les besoins des étudiants et les travailleurs, convergences des forces syndicales en vue d’instaurer une alternative socialiste au néocapitalisme qui se développe fondent les thèmes principaux de l’analyse de l’U.N.E.F. Une coupure s’opère alors entre syndicalisme étudiant et syndicalisme enseignant, sans que l’U.N.E.F. ne trouve de véritable écho de la part des syndicats ouvriers. L’U.N.E.F. s’enfonce alors dans l’isolement politique.

114.

( ) Instituts Universitaires de Technologie.

115.

( ) Ainsi l’U.N.E.F. rentre dès 1964 dans une vision fortement critique de l’Université, celle-ci étant alors entrevue comme un vecteur d’aliénation, de façonnement des individus pour les besoins de continuité du système de domination économico-politique en place. L’analyse développée répond comme en écho à celle de Bourdieu dans « Les héritiers », ouvrage qui sort à la même époque. Dans le même temps, les élites de l’U.N.E.F. changent la définition qu’ils donnent au « travail » étudiant. Tandis que la charte de Grenoble l’envisage sous un angle économique et inscrit dans le cadre du salariat, l’U.N.E.F. de 1964 développe dans son « Manifeste pour une réforme démocratique de l’Enseignement Supérieur » une vision culturelle du travail de l’étudiant, comme appropriation par l’étudiant de la culture et du savoir. Une telle perspective préfigure l’importance qui sera donnée à l’information dans le cadre de la seconde modernité.

116.

( ) MAUPEOU-ABBOUD Nicole de, op. cité, p 117.

117.

( ) FILLIEULE Olivier et PECHU Cécile, Lutter ensemble, L’Harmattan, 2008, p 172.

118.

( ) Bourdieu aura à ce titre une analyse salée à propos des leaders étudiants sur leurs propensions à l’époque de penser « leurs petits drames […] comme universels », et leur « illusion de débutant [de poser] une réflexion à prétention universelle sur l’enseignement ». BOURDIEU Pierre et PASSERON Jean-Claude, op. cité, p 74. La suite de la charge, pour amusante qu’elle est, montre bien toute la distance qu’il existe alors entre leaders étudiants, le reste des étudiants et le monde enseignant, c’est-à-dire avec une large part de la communauté universitaire.

119.

( ) Cependant, Nicole de Maupéou-Abboud note qu’à la même période, le milieu étudiant dispose d’un potentiel important de mobilisation. Forts de l’expérience de la lutte contre la guerre d’Algérie, les étudiants ont pris goût aux interventions en amphi, à la participation active. Il existe une forte volonté de participation à la base, sur des éléments concrets. Mais les étudiants ne se reconnaissent pas dans les propositions et revendications syndicales avant-gardistes de la tête de l’U.N.E.F. Les premières formes de remise en cause des institutions et le début de l’affirmation des individualismes constituent les vecteurs principaux de cette distanciation entre étudiants et organisation collective, i.e entre individu et collectif.

120.

( ) FISCHER Didier, op. cité, p 326.

121.

( ) MAUPEOU-ABBOUD Nicole de, op. cité, p 209.

122.

( ) Sans que cela soit clairement explicite dans les documents et analyses sur le mouvement étudiant de l’époque, il est possible d’envisager cette implication des étudiants sur le tiers-mondisme et le Vietnam en particulier comme une volonté de répétition de l’implication étudiante lors de la guerre d’Algérie, la volonté de montrer qu’eux aussi auraient fait « le bon choix ».

123.

( ) Celle-ci, fortement réformée par le parti communiste par l’éviction des tendances divergentes, n’est plus que l’ombre d’elle-même. En même temps, les exclus créent de nouvelles organisations, que l’on regroupera sous l’intitulé de groupuscules d’extrêmes gauche, et qui viennent concurrencer encore un peu plus l’U.E.C., ainsi que ce qui reste de l’U.N.E.F.

124.

( ) MAUPEOU-ABBOUD Nicole de, op. cité, p 189.

125.

( ) MAUPEOU-ABBOUD Nicole de, op. cité, p 168.

126.

( ) Comité de Liaison des Etudiants Révolutionnaires qui deviendra la Fédération des Etudiants Révolutionnaire en avril 1968.

127.

( ) Jeunesse Communiste Révolutionnaire.

128.

( ) FISCHER Didier, op. cité, p 388.

129.

( ) FISCHER Didier, op. cité, p 417.

130.

( ) WEBER Henri, Que reste-t-il de mai 1968 ?, Points-Seuil, Paris, 1998, p 42.