I-B) La difficile transition de la première à la seconde modernité.

La fin des années soixante jusqu’au milieu des années quatre-vingt est une période de transition, riche en évolutions sociétales. La place de l’individu dans la société se transforme, induisant un changement du rapport salarial. Les utopies qui ont guidé la première modernité s’effacent, conduisant à l’émergence de nouvelles modalités d’action collective. Ce sont ces bouleversements auxquels nous allons à présent nous intéresser, en tentant dans un premier temps de prendre la mesure des transformations du monde étudiant sur cette période où émerge la seconde modernité. Puis, nous analyserons la participation du secteur associatif étudiant aux transformations des modes d’engagement des individus dans la société.

La fin des années soixante, puis toute la décennie soixante-dix voit tout d’abord un accroissement spectaculaire du nombre d’étudiants : les jeunes souhaitent plus largement accéder à l'Enseignement Supérieur. Le nombre d’étudiants explose, passant de 309 000 en 1960 à 850 000 en 1970
(cf. annexe n°10 : « Evolution du nombre d’étudiants en France »). Cette progression se poursuivra encore, ce chiffre passant à 1,175 million en 1980, puis à 1,7 million en 1990 ( 131 ). Ils seront 2,1 million à la rentrée 2000. L’Université prend au cours de cette période un caractère de masse, absorbant l’essentiel des bacheliers, les effectifs des Grandes Ecoles évoluant pour leur part beaucoup plus lentement.

Dans le cadre de la société industrielle, l’Université représente pour l’ensemble des étudiants un « ascenseur social », c’est-à-dire le moyen pour des enfants d’accéder et de dépasser la situation professionnelle de leurs parents. Cette position privilégiée se délite cependant avec le développement de la société capitaliste-informationnelle, sans que l’accroissement du nombre d’étudiants ne fléchisse pour autant.

Cette augmentation trouve pour partie sa source dans un accès plus large de la population féminine à l’Enseignement Supérieur. L’inégalité filles-garçons se résorbe au cours de la seconde moitié du siècle, le pourcentage de filles passant à 40,0 % en 1959-1960, à la moitié au début des années quatre-vingt. Cette tendance s’accentue encore après 1980, conduisant à un renversement : les étudiantes représentent 53,1 % de la population étudiante en 1989.

Cependant, cette augmentation du nombre d’étudiants n’est pas synonyme d’une démocratisation de l’accès de l’Enseignement Supérieur. Sur la période 60-70, l’essentiel de cette progression provient d’une très forte poussée des enfants de cadres, « les couches sociales les plus intéressées à la scolarisation universitaire » ( 132 ). En 1975-76, 72 % de ces derniers poursuivent des études supérieures, ce pourcentage représentant alors vraisemblablement la totalité des enfants intéressés et concernés par une scolarisation de ce niveau. A cette date, 95.7 % des enfants d’ouvriers restent exclus de l’Université, même si entre 1960 et 1975, la part des enfants d’ouvriers dans la population étudiante a progressé, passant de 0.5 % à 4.5 % (cf. graphique n°6).

Comme le montre le tableau page suivante, la massification des effectifs étudiants durant la période allant de 1960 à 1975 trouve deux origines sociales différentes :

Chacune de ses populations fera montre d’un comportement particulier dans son appréhension de l’expérience étudiante, qui se retraduira dans l’émergence de formes différentes de constructions de l’engagement collectif étudiant.

Graphique n°6 : Evolution du nombre d’étudiants entre 1959 et 1975
Graphique n°6 : Evolution du nombre d’étudiants entre 1959 et 1975 en fonction des origines sociales

Sources : informations statistiques, octobre-novembre 1961 et enquête détaillée 1975-1976. Document 4694, S.E.I.S.-M.E.N. tiré de BAUDELOT Christian, Les étudiants, l’emploi, la crise.

L’éclatement de l’U.N.E.F. consommé, la représentation étudiante peine tout d’abord à se reconstruire. Au début des années soixante-dix, deux grands types d’acteurs se font face dans le champ de la représentation étudiante, chacun étant lui-même constitué de différents sous-groupes. Le premier groupe d’acteurs regroupe les syndicats étudiants et les groupuscules politisés, que nous n’aborderons pas dans ce travail. Le second groupe, objet de cette recherche, se compose des structures de type corporatiste fédérées au sein de la F.N.E.F., et des structures de type associatif et gestionnaire hors de cette fédération. Tandis que la F.N.E.F. vivote dans quelques filières d’enseignements typées (Droit et Santé) et s’installe dans une perspective traditionaliste de l’étudiant et des organisations étudiantes, des structures de type associatif et gestionnaire sans attaches précises tentent de survivre à la politisation du milieu étudiant des années soixante, ou se construisent dans de nouvelles filières.

Pour l’ensemble du secteur associatif étudiant, la période allant de la fin des années soixante à la fin des années quatre-vingt est une période incertaine et floue, sans que s’impose une réelle dynamique transformatrice, tant sur le plan des modalités de l’action collective que sur le sens donné à cette même action. Il se débat dans une opposition entre des méthodologies, des discours, caractéristiques de la société salariale, et l’émergence de modalités d’actions collectives nouvelles. Il vivra un divorce croissant entre ses élites et le monde étudiant, conduisant à une autonomisation claire du monde étudiant et du monde associatif étudiant.

Dès 1968, il n’existe plus une seule structure associative au sein de l'U.N.E.F. Les associations ne disposent donc plus de lieu, d'organe centralisateur. Elles sont de plus séparées idéologiquement. Le mouvement associatif de l’époque se compose tout d’abord d’associations qui ont cru jusqu'au bout en l'U.N.E.F., acceptant pour cela de travailler avec l'U.E.C. et le P.S.U. A l'autre bord, se trouvent les associations initiatrices du F.N.E.F., essentiellement les corporations de Médecine et Droit, responsables tout autant que victimes de l'explosion de l'U.N.E.F. Enfin, en dehors de ces deux groupes, émergent et se développent progressivement de nouvelles associations.

Il n’existe guère aujourd’hui de traces de l’action de terrain des associations étudiantes entre le début des années soixante-dix et la fin des années quatre-vingt. Ce vide trouve son origine dans les bouleversements de la fin des années soixante. Nombre d’associations étudiantes ont, au cours de la décennie 1960-1970, été noyautées puis prises en main par des militants U.E.C. ou A.J.S. Le cas de l’A.F.G.E.S., fédération des associations de Strasbourg est caractéristique des bouleversements de l’époque : récupérée par un bureau « situationniste » dans les mois de mai et juin 1968, l’association ne doit sa survie qu’à sa mise sous administration judiciaire par l’Amicale des Anciens pendant près de six ans, de 1968 à 1974. Sur les vingt sections corporatives de Grandes Ecoles ou de Faculté de l’A.G.E. de Nantes des années soixante, seules sept fonctionnaient encore dans les années soixante-dix ( 133 ). L’hécatombe de ces années dans le milieu associatif étudiant est donc sérieuse. A l’inverse, la période des années 60-70 constitue pour le monde social une forte période d’expansion. Tandis que les fédérations locales s’affirment face aux conglomérats, de nombreux groupements nouveaux apparaissent. Le cadre de vie, l’accès à la culture, les loisirs sont autant de thèmes qui mobilisent derrière eux de nouvelles couches de population militante. Une spécialisation croissante des organisations nourrit alors une sortie progressive des réseaux constellaires. Dans cette dynamique, l’individu prend peu à peu de poids dans les modalités de l’engagement collectif, cette période étant en quelque sorte une transition avant l’avènement des réseaux d’individus.

Sur la période 1961-1968, la F.N.E.F. tente de se développer et d’élargir son audience. Ainsi, elle pousse à la création au niveau local de fédérations générales des étudiants, qui viennent concurrencer les A.G.E. restées aux mains de l’U.N.E.F. En 1970, elle peut ainsi revendiquer 50 000 adhérents. C’est donc une organisation plutôt puissante. Pourtant, la F.N.E.F. se cherche, tant dans son programme politique que dans sa définition. Elle adopte en 1965 une charte, la charte d’Angers (cf. Annexe n°3 : « La Charte de Grenoble / La Charte d’Angers »), qui reste cependant sans véritable dimension face à la Charte de Grenoble. Tandis que cette dernière définit le rôle et la place de l’étudiant dans la société (cf. chapitre précédent), la Charte d’Angers tente de définir l’organisation, son rôle, sans aborder à aucun instant la place de l’individu ou des étudiants.

Le peu d’articles et la vague portée de ces derniers présente une organisation plutôt libre et fluide, qui affirme représenter le courant apolitique étudiant. Si elle souhaite se battre contre « le carcan toujours plus lourd de l’administration universitaire » et se présente comme défendant « la générosité de l’idéal », comme « le prolongement d‘une éthique » ( 134 ), elle adopte cependant en 1969 une résolution de discipline syndicale affirmant l’homogénéité du mouvement.

Ainsi, derrière un discours officiel apolitique, responsable et modéré se cache une organisation aux nombreuses zones d’ombre ( 135 ). En interne, des groupes plus novateurs font face à des adhérents en majorité conservateurs, certains ralliant même Ordre Nouveau où le G.U.D ( 136 ). La difficile conciliation des intérêts antagonistes entre différents courants de droite et authentiques apolitiques sur la participation aux élections universitaires fera apparaître au grand jour au sein de la F.N.E.F. la vacuité de son positionnement.

A partir de 1968, elle se prononce pour une «  participation expérimentale  » tout en critiquant la loi d’orientation de 68 ( 137 ). Face à l’importante audience des groupuscules et de l’extrême-gauche étudiante, elle déclare vouloir redevenir un syndicat de combat, dans le but d’abolir la loi Faure, supprimer les U.E.R., et contractualiser les enseignants. En 1969, elle revendique entre 600 et 750 élus dans les conseils d’U.E.R., sur un total d’environ 1900.

Mais, en mai 1969, affirmant un bilan négatif de la participation, elle retire tous ses élus, et refuse de participer aux élections de 1970. Elle revendique alors incarner un « syndicalisme d’opposition ». Un tel revirement conduit au déclin massif de l’audience de l’organisation qui n’aligne plus en 1971 que 26 000 adhérents.

Face à une telle perte d’audience, la F.N.E.F. abandonne sa ligne oppositionnelle pour se présenter à nouveau aux élections en 71. La ligne politique est redéfinie, et l’organisation se présente alors comme le regroupement « de ceux qui veulent que soit maintenue une ligne syndicale dans la représentation étudiante » ( 138 ). La reconnaissance officielle du syndicalisme étudiant devient l’un des nouveaux créneaux de la F.N.E.F., qui s’affiche comme mouvement critique et de proposition. Elle réclame en 1972 l’autonomisation des universités dans le cadre d’une régionalisation des institutions ( 139 ), ce qui n’est cependant rien d’autre qu’une reprise des thèmes de campagne du candidat Pompidou lors des élections présidentielles de 1969 ( 140 ).

Rattrapée à partir du début des années soixante-dix par ses incohérences internes, subissant la disparition de De Gaulle, la F.N.E.F. voit rapidement sa légitimité sur le milieu étudiant décliner. A partir de 1970, elle pratique le grand écart permanent en alliant autoritarisme avec une certaine forme de populisme, tout en tentant de se réapproprier des termes en vogue (syndicalisme de combat, position de mouvement critique, …). Sa crédibilité chute de façon vertigineuse. En 1971, elle ne regroupe plus que vingt-cinq fédérations locales sur une soixantaine de villes universitaires. Au congrès de 1972, si les rapports proposés sont adoptés à une très large majorité, « six associations [décident] de se retirer de la Fédération. [Elles] refusent la politique suivie par leurs dirigeants qui […] ne peuvent pas promouvoir un « authentique syndicalisme de combat » ( 141 ).

De fait, lorsque l'on observe la représentation nationale étudiante de l'époque au C.N.E.S.E.R. ( 142 ), le manque d'attrait des associations étudiantes pour l’action politique de représentation nationale que propose la F.N.E.F., ainsi que le divorce entre les élites associatives étudiantes et le monde étudiant, apparaissent flagrants. En 1971, cette organisation, alors seule structure associative de dimension nationale se présente aux élections C.N.E.S.E.R. Elle obtient 2,42 % des voix soit 0 siège.

Cependant, depuis quelques temps déjà des propositions alternatives se sont faites jour, qui trouvent leur retranscription lors de ces mêmes élections par l’émergence d’une autre liste associative appelée L.I.D.I.E. Celle-ci est une création de circonstance de l’A.N.E.M.F. et de la F.N.A.G.E. Composée uniquement d’élus associatifs des filières Médecine et des Grandes Ecoles, elle obtient lors de ces élections 18,73 % des voix, soit trois sièges ( 143 ) (cf. graphique n°7). L’échec du bureau de la F.N.E.F. est patent.

La F.N.E.F. ne se relèvera pas de cet échec, pas plus que de sa trop grande collusion avec le gouvernement. Abandonnée par les mono-disciplinaires qui lui préfèrent une organisation plus verticale, désertée par les courants de droite qui se replient sur des organisations plus facilement contrôlables (A.M.R.U. notamment), boudée par les associations étudiantes nouvelles qui émergent sur le milieu étudiant, la F.N.E.F. décline et disparaît pratiquement totalement du paysage représentatif étudiant après cet épisode.

Graphique n°7 : Tableau récapitulatif des résultats des élections C.N.E.S.E.R., nombre de sièges obtenus.
Graphique n°7 : Tableau récapitulatif des résultats des élections C.N.E.S.E.R., nombre de sièges obtenus.

Source : Archives de la F.A.G.E.

Sur la base de la liste L.I.D.I.E., les mono-disciplinaires décident de fonder une nouvelle organisation, le C.L.E.F. ( 144 ). Cette structure émerge en 1974. Dans le même temps, le C.L.E.R.U. et l’A.M.R.U., s’ils rencontrent un certain écho du fait de leur localisme, restent aussi boudés par les associations étudiantes à mesure que leur affiliation politique se fait plus nette. L’émergence de ces nouveaux syndicats étudiants, plutôt classés à droite sur l’échiquier politique, renforce le divorce entre organisations associatives de base et représentation nationale, ainsi qu’entre étudiants et structures de représentation. Face à cet échec, les effectifs du C.L.E.R.U., plutôt fauristes et réformistes passent progressivement à l’A.M.R.U., gaulliste. Mais cette organisation elle-même s’étiole rapidement, un certain nombre de ses membres se répartissant ensuite au sein du C.L.E.F. ou de l’U.N.I.

Trois modes d’actions collectifs divergents sont dès lors en présence sur le monde associatif étudiant à partir du début des années soixante-dix :

Cette diversité des approches et des regards ne sera cependant pas source d’innovations et de rencontres fructueuses.

Le C.L.E.F., en tant que structuration nationale des corporations étudiantes, représente pourtant à l’époque un véritable espoir pour le mouvement associatif étudiant. En s’appuyant sur l’identité pré-professionnelle, il rompt dans sa structuration avec le modèle commun U.N.E.F. / F.N.E.F. qui s’appuyait sur des fédérations de villes. Pour sa part, le C.L.E.F. se développe autour d’Unions nationales de filières, les mono-disciplinaires ( 146 ). A une époque où le monde du travail est encore en pleine expansion, où la formation joue un rôle marqué d’ascenseur social, dans une société fortement tournée vers la valeur travail, ce mode de construction fédératif avait toutes les chances de s’avérer pertinent. Il n’en sera plus rien quelques années plus tard, l’ensemble des pré-requis se trouvant fortement remis en cause par la crise et son expansion. Si les concepteurs du C.N.E.F. ne pouvaient être devins, ils n’ont cependant pas donné les moyens à cette organisation de se réformer en cas de besoin.

En effet, le C.L.E.F. s’enferme dans une vision parcellaire du monde associatif, autour de l’addition exclusive de deux valeurs : le corporatisme et l’identité pré-professionnelle.

Cet ostracisme s’explique par la forte présence en son sein de corporations étudiantes anciennes et puissantes issues des filières Santé, Pharmacie, Droit. Ayant résistées à la vague de politisation du milieu étudiant des années soixante, elles sont souvent les seules structures associatives encore en activité dans les campus au début des années soixante-dix. Elles estiment donc les espérances de pérennité des associations à l’aune de leur propre fonctionnement.

Or, les corporations offrent un modèle d'organisation historiquement daté, proche de l'organisation syndicale de la fin du XIXème ( 147 ). Le modèle corporatiste se développe essentiellement dans des secteurs professionnels d’indépendants dans lesquels les rapports de sujétion, de domination effective d’un individu sur un autre sont moindres. La pratique d’entrée dans le groupe tient de la cooptation ; la relation s’établit ensuite entre confrères. Caractéristiques des modèles d’organisations du social héritées, les corporations étudiantes inscrivent leur action dans une dynamique très autocentrée autour d’une profession.

Cependant, cette époque voit l’arrivée sur les bancs de l’Université d’étudiants ne disposant pas d’une tradition familiale de pratique de l’Enseignement Supérieur. Population nouvelle, cette dernière ne dispose pas des codes culturels liés à l’Enseignement Supérieur, et n’a pu a fortiori hériter de la culture traditionnelle du corporatisme étudiant.

En outre, au même moment, les formations et les métiers possibles se multiplient. Ces nouveaux cursus ne disposent ni d’une histoire, ni d’une identité marquée. Ainsi la filière A.E.S. emprunte ses enseignements à la fois aux Sciences Juridiques, aux Sciences Economiques, aux Lettres et aux Sciences Sociales. Or, le principe de la corporation ne peut fonctionner que dans le cadre d’une filière fortement intégrée et intégratrice, ce qui ne peut être le cas pour ces filières nouvelles et/ou transversales, comme le montre tant nos précédents travaux que ceux de Lebart et Merle ( 148 ). De facto, le C.L.E.F. se distancie dès sa création des nouvelles organisations, du terrain et de l’innovation.

Cette chance sera donc noyée par les philosophies qui guident la création de l’organisation : exclusion de la différence et traditionalisme du fonctionnement. Le C.N.E.F. apparaît ainsi rétrospectivement comme une structure figée,
arque-boutée sur des principes parfois rétrogrades. A l’instar de la F.N.E.F., cette nouvelle fédération donne à voir un modèle d’organisation de type exclusif selon la classification de Verta Taylor.

Le C.L.E.F. se structure en effet dès ses origines sur la base de l’exclusion. Ainsi, « le C.L.E.F. se compose limitativement de l’A.N.E.F., l’A.N.E.M.F, l’A.N.E.P.F., la F.N.A.G.E. et l’U.N.E.C.D. » ( 149 ). Certaines associations devront changer de nom pour pouvoir adhérer à cette organisation, comme l’ancienne A.G.E. de Toulouse ( 150 ). Dans sa globalité, cette logique d’exclusivité conduit à renforcer la différenciation entre étudiants quand le but d’une organisation à ambition nationale serait de faire émerger des liens de reconnaissance entre tous les étudiants. La posture du C.L.E.F. est assez atypique en regard du fonctionnement des autres organisations représentatives présentes dans le monde social. En effet, l’ouverture à tout individu constitue pour celles-ci un moyen d’accroître leur aire d’influence sociale en même temps que leur représentativité.

En se positionnant sur une logique d’exclusion, le C.L.E.F. s’apparente moins à une organisation représentative qu’à une communauté fermée, un bastion identitaire. La similitude ou les divergences avec d’autres typologies d’organisation du monde social est donc davantage à rechercher en direction d’organisations identitaires voire communautaristes. En effet, les valeurs de référence de cette organisation sont essentiellement traditionnelles, construites sur la base d’un passé idéalisé érigé en mythe. La grille d’analyse de cette organisation pose l’individu indétachable de son histoire et de son appartenance, processus tout à la fois survalorisant, enfermant et excluant. Or, pour Pierre André Taguieff, « le communautarisme … désigne … toute forme d’ethnocentrisme ou de sociocentrisme, toute autocentration de groupe, impliquant une autovalorisation et une tendance à la fermeture sur soi, dans un contexte culturel dit « post-moderne » ou « l’ouverture » et plus particulièrement l’ouverture à l’autre, est fortement valorisée … » ( 151 ).
Sous une forme édulcorée et néanmoins préfigurative, cette organisation donne à voir certains aspects d’une forme d’organisation du collectif dont l’émergence sur l’ensemble de la société française date du début des années quatre-vingt.

Le C.L.E.F. adopte un modèle organisationnel typique de la période industrielle et des syndicats de branche, et se caractérise par trois dynamiques : un pyramidage structurel, l’importance du groupe au détriment de l’individu, et l’importance du nombre d’adhérents.

La persistance du pyramidage structurel du C.L.E.F., s’il diffère de celui des organisations précédentes U.N.E.F. et F.N.E.F., n’en est pas moins réelle : les corporations locales se regroupent au sein d’une organisation nationale de filière, qui est elle-même fédérée au sein du C.L.E.F. A l’instar des syndicats de branche, le message politique et organisationnel est créé à la tête du réseau, puis il redescend via les mono-disciplinaires au niveau des associations de base.

Ces dernières n’ont que peu de pouvoir et de marge d’action au sein de l’organisation. Ainsi, l’article 8 des statuts du C.L.E.F. précise que « l’Assemblée générale … entend les rapports … approuve les comptes, vote le budget, délibère … et pourvoit au renouvellement des membres du Conseil
d’Administration » ( 152 ). Chambre d’enregistrement de l’exercice passé plus qu’organe de construction et de proposition, l’Assemblée générale et les associations de terrain sont confinées à des rôles d’écoute et de soumission.

Cette soumission des organisations de bases est clairement affirmée dans les statuts. Ainsi, ces derniers autorisent le C.L.E.F., par la voie de son bureau directeur, « à prendre des décisions concernant chacune des associations membres » ( 153 ), ces dernières étant alors consultées dans le cadre du Bureau ou du Conseil d’Administration. Dans le même sens, l’article 9 autorise le président « à donner législation » au sein de la structure. La dimension centralisatrice en même temps que quasi-paternaliste est ici explicite. Enfin, au sein du C.L.E.F., il est impossible à une association de base de proposer un point particulier à l'ordre du jour d'une quelconque réunion. Ce n’est tout simplement pas envisagé dans les statuts. Le seul cas où les associations de terrain peuvent interpeller le Bureau ou le C.A. se fait par convocation d’une Assemblée Générale Extraordinaire, « en cas de circonstances exceptionnelles, … sur la demande notifiée … du tiers des associations membres actifs » ( 154 ). Le bureau, une fois élu, gère et contrôle entièrement le système, et aucune remontée, intervention ou influence ne peut provenir du terrain. En cela, cette organisation ne propose pas de modèle différent ou innovant par rapport aux modes de fonctionnement alors répandus dans l’ensemble du monde social. Le centralisme reste largement répandu au sein des organisations syndicales et politiques de cette époque. Dans le monde associatif, le fédéralisme local s’impose peu à peu, mais la structuration en filière du C.L.E.F. et l’absence de fédérations locales fortes dans le milieu étudiant l’empêchent totalement de prendre une quelconque part à la diffusion de cette évolution.

Le C.L.E.F. s’inscrit en outre totalement dans des dynamiques de représentation de la totalité du groupe par une unité, le militant ou le représentant, caractéristiques du process de délégation de pouvoir et de l’effacement du Je devant le Nous. Il est ainsi remarquable que dans ces constructions fédératives, de l'U.N.E.F. jusqu'à la C.N.E.F. en 1982, il soit fait référence dans le titre aux « Etudiants de France », tous regroupés en une seule unité, une seule masse.

Troisième caractéristique du modèle associatif français relevée par Ion, la forte prégnance du nombre. A l’instar de la grande U.N.E.F, la représentativité des différents membres des Assemblées Générales de cette organisation se bâtit sur le nombre d'adhérents que chaque mono-disciplinaire possède. Cette approche est particulièrement caricaturale pour le C.L.E.F. : les statuts précisent que les juristes disposent de 1400 voix pour l'A.G., les Pharmaciens de 400, les Médecins de 400, ... ces nombres étant calculés au prorata du nombre d'adhérents dans les structures mono-disciplinaires.

Ainsi, si le mouvement corporatiste étudiant a bien pris acte de la spécialisation croissante des formations universitaires et des devenirs des étudiants, il n’a su en revanche ni créer une identité commune nouvelle à tous, ni voir que la société opérait un passage d’un modèle salarial à une société de consommation, où le travail n’est plus le marquage central de l’identité pour l’individu. Du point de vue du sens donné à l’action collective, de même que sur les modèles d’organisations envisagées, le mouvement corporatiste étudiant devient donc après 1975 un frein aux transformations des modalités de l’agir collectif en milieu étudiant et dans le monde social.

En effet, au cours des années 60-70, la société et les étudiants évoluent fortement. La population nouvelle qui occupe les bancs de l’Université exprime de nouveaux besoins, de nouvelles envies. Les jeunes souhaitent accéder à un Enseignement Supérieur plus professionnalisant, en même temps que se fait sentir au niveau sociétal un besoin croissant en compétences variées de bon niveau.

De ce fait, la palette des formations post-bacs se diversifie fortement, et multiplie les types et le nombre des formations professionnalisantes. Ainsi, les I.U.T. et les B.T.S., créés au milieu des années soixante, prennent rapidement leur essor, intégrant au départ une population aux origines plutôt ouvrières. La loi du 16 juillet 1971 relative à l’Enseignement Technologique définit les contours de l’enseignement au sein cette filière, les homologations, les places respectives de la voie scolaire et universitaire, celle de l’apprentissage et de la formation continue. Elle s’accompagne d’une loi sur la participation des employeurs au financement de la formation professionnelle et technologique. Des arrêtés portant création des M.S.T. (Maîtrise de Sciences et Techniques) et
M.S.G. (Maîtrise de Sciences et de Gestion) complètent cette loi. Ces formations nouvelles visent à former des cadres d’entreprises polyvalents, en associant enseignements théoriques et formations pratiques. Enfin, la propédeutique est abandonnée, et se voit remplacée par la création d’un diplôme spécifique nouveau, le D.E.U.G. On assiste ainsi à une prolifération des formations de niveaux bac+2 / bac+3 dans tous les secteurs de l’Enseignement Supérieur, qui accompagnent la tertiairisation de la société.

La pluridisciplinarité des enseignements, forte revendication des mouvements universitaires de 1968 conduit à l’émergence de nouvelles filières d’enseignements. Des diplômes particuliers comme le Certificat Spécial de Biologie et Médecine Appliquée du Sport se développent, s’inscrivant eux aussi dans une démarche d’interdisciplinarité. Cette dernière s’accompagne d’une forte spécialisation des filières d’enseignement, avec l’apparition de nouveaux
cursus : Psychologie, Histoire de l’Art, Sociologie, Sciences de la Vie et de la Terre ou Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives. Ainsi, le D.E.U.G. S.T.A.P.S. (Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives), première étape de la création d’une véritable filière universitaire Sport, est créé en 1975 (la licence S.T.A.P.S. suivra, dès 1977).

La multiplication des filières d’enseignement s’accompagne enfin d’une création de nouveaux sites universitaires. Ceux-ci répondent à deux logiques principales : désengorger les centres universitaires historiques, en construisant à la périphérie des grandes villes de nouvelles universités, et offrir de nouvelles possibilités d’accès à l’Enseignement Supérieur pour les jeunes de province, en rapprochant les sites universitaires des lieux de vie. En 1955, 40 % des étudiants se concentrent à Paris ; ils ne seront plus que 33 % en 1973, et ce reflux sera constant tout au long des années qui suivront ( 155 ).

Ces filières et diplômes nouveaux répondent au final à quatre objectifs :

Une reconfiguration générale de l’Enseignement Supérieur accompagne donc la transformation de la composition sociale du monde étudiant.

Celle-ci va être la source d’une transformation en profondeur de l’ensemble du champ de l’engagement collectif étudiant. Ainsi, dès le début des années soixante-dix, des associations étudiantes nouvelles apparaissent au sein de ces filières nouvelles, transformant le visage de l’engagement associatif étudiant
(cf. graphique n°8).

Graphique n°8 : Année de création des associations
Graphique n°8 : Année de création des associations en fonction des types de filières

Source : enquête propre. Les valeurs du tableau sont des pourcentages en ligne, établis sur 1095 citations.

Comme le montre le graphique ci-dessus, alors que la part des associations au sein des filières professionnalisantes n’était que de 6.3 % du secteur associatif étudiant à la fin des années soixante, celle-ci ne cesse de progresser à partir du début des années soixante-dix, supplantant même parfois la représentation des associations d’écoles ou d’universités. Son expansion sera rapide jusque vers le milieu des années quatre-vingt, pour se stabiliser ensuite aux environs de 20 % de l’ensemble des créations d’associations étudiantes.

Cet accroissement du nombre d’associations au sein de ces nouvelles filières, s’il est un signe révélateur des incidences de l’action de l’Etat dans l’agir collectif étudiant, montre dans le même temps la participation du monde étudiant aux transformations des modes de l’engagement collectif dans la société. Ainsi, comme l’explique la D.A.R.E.S. dans ses études sur le monde syndical, le nombre de structures syndicales s’est fortement développé depuis 1992. Plus petite, plus locale, la représentation syndicale fleurit au sein d’un nombre grandissant d’entreprises ( 157 ). A l’instar des associations étudiantes mais postérieures là encore d’un certain nombre d’années, la représentation collective s’étend par un essaimage des structures sur des unités plus spécifiques, plus réduites et particulières. Sans pour autant dire que le phénomène visible sur la représentation syndicale est due en totalité au processus initié dans les filières professionnalisantes à partir des années 75, il est néanmoins convenable de penser à l’influence du second sur le premier, par l’entrée et l’installation dans la vie active d’anciens responsables associatifs étudiants volontaires pour poursuivre une expérience d’action collective, et par transitivité du message associatif étudiant.

Dans le même temps, les engagements étudiants qui émergent à cette époque tendent à prendre des formes plus instantanées, plus orientées sur la réalisation immédiate. La coordination, l'auto-organisation, modalités d’action collective développées par les groupuscules d’extrêmes-gauches des années soixante-dix, proposent un engagement plus immédiat, personnel, sans attache. Dans le cas de manifestations, elles répondent au besoin sociétal émergeant d’une affirmation nouvelle de l’individu. Leur caractère explicitement a-politique exprime la volonté d’indépendance des étudiants à l’égard de tout partisanisme, tout réseau idéologico-politique hérité, ce qui en explique leur succès. En situation plus calme et quotidienne, ce refus se retraduit notamment par un accroissement des pratiques associatives (cf. graphique n°9).

Graphique n°9 : Evolution comparée du nombre d’étudiants, du nombre de création d’associations et du nombre de syndiqués, sur la population totale et le monde étudiant.
Graphique n°9 : Evolution comparée du nombre d’étudiants, du nombre de création d’associations et du nombre de syndiqués, sur la population totale et le monde étudiant.

Sources : enquête propre ; Edith Archambault, Le secteur sans but lucratif ; FREMY Dominique & alii, Quid 2003, Editions Robert Laffont.

Note sur le graphique :

Les courbes bleues et vertes foncées (symboles carrés) caractérisent l’ensemble de la société, les courbes bleues et vertes claires (symboles ronds) le secteur étudiant. Le graphique est à double échelle : les courbes de créations d’associations sont à lire à partir de l’échelle de gauche, celle des pourcentages de syndiqués avec l’échelle de droite. Cependant, plus que les valeurs, c’est ici l’évolution de la forme des courbes, et la comparaison de celles-ci qui priment. A ce titre, pour des commodités de lecture, le nombre des créations d’associations étudiantes par an, issu de notre enquête, aura été multiplié par 20000 afin de partir sur une situation numérique identique pour 1939. Un tel artifice nous permet de rendre la comparaison plus aisée entre situation du secteur associatif étudiant et évolution de l’ensemble du secteur sans but lucratif, en même temps que d’analyser les évolutions comparées.

Les évolutions des formes de l’engagement collectif étudiant entre 1939 et 1995, telles que présentées sur le graphique ci-dessous, montrent bien le caractère préfiguratif de ce dernier. Les courbes vertes claires et bleues claires montrent ainsi que l’engagement collectif étudiant passe au cours de cette période d’une forme de participation syndicale à une forme de participation associative. Le basculement s’opère au cours des années 60-65, et l’engagement associatif étudiant « supplante » définitivement l’engagement syndical au cours de la période 75-80 ( 158 ). Ce processus de reconfiguration des modalités de la participation citoyenne retraduit pleinement les analyses portées par Fillieule en matière de désengagement et de « crise de la participation politique » ( 159 ).

Le graphique n°9 nous montre dans le même temps que ce processus, loin de se restreindre au seul monde étudiant, se diffuse sur l’ensemble de la société. Le syndicalisme ouvrier décline entre 1939 et 1956, et s’il se redynamise quelque peu jusqu’au cours de la période 70-75, il chute à nouveau de manière continue depuis. Dans le même temps, le secteur associatif, peu existant, prend son essor au cours des années 70-75, processus continu depuis. Sur ce point encore, les évolutions du monde étudiant, et notamment le secteur associatif, préfigurent avec une dizaine d’années d’avance environ les évolutions des modes d’engagement des individus dans le monde social. Le secteur associatif étudiant génère des transformations dans les formes d’engagements collectifs, qui se répercutent et s’institutionnalisent ensuite sur le monde social.

Les étudiants, comme d'une manière plus large l'ensemble des individus, souhaitent désormais être acteurs de la vie sociale, et s'inscrivent dans cette dynamique nouvelle. Ils désirent voir naître par elle plus de réalisations, et moins de « grands soirs ». La transformation du sujet se traduit ainsi sur le champ du collectif par une extension du nombre de structures associatives locales, dans lesquelles chaque individu se donne les ouvertures pour être l’acteur de sa propre vie. L’individualisme nouveau qui émerge trouve comme retranscription une expansion du nombre de structures associatives étudiantes indépendantes.

Outre sa participation à l’expansion de la vitalité associative dans l’ensemble de la société, le mouvement associatif étudiant va prendre une part active aux développements du néo-libéralisme.

En effet, à partir de 1974, le cercle vertueux de la croissance est brisé. Commence alors un recul de la production industrielle, en même temps qu’une période de doute dans l’ensemble de la société. L’inflation, ou plutôt la stagflation qui se développe, apporte au quotidien son lot de questions supplémentaires. Dans le même temps, la mondialisation des économies prend un caractère irréversible. En 1971, la production des multinationales représente 20 % du produit national brut des économies capitalistes. Il se dessine une phase nouvelle du capitalisme, un néo-libéralisme accéléré.

S’inscrivant totalement dans la critique sociale de l’époque qui prône une libéralisation des mœurs, une valorisation de l’individu et de ses actions, la philosophie capitaliste trouve sur l’ensemble de la société française un écho de plus en plus favorable. Comme le relève en effet Crozier dans les débuts d’« Etat modeste, Etat moderne », l’intelligentsia française se transforme, se ralliant peu à peu au libéralisme. Dans une perspective plus large, Boltanski montre qu’aux critiques sociales qui expriment l’enfermement des individus dans une société qu’ils n’ont plus l’impression de contrôler, répond une affirmation de la liberté de l’individu dans une pratique libérale. Evacuant du même coup toute la dimension critique contre l’accumulation du capital comme facteur d’accroissement des inégalités, le libéralisme se fond dans l’affirmation de l’individu pour s’en réapproprier la force. L’individu libre est alors celui qui construit sa société, la développe comme il l’entend, … Le nouvel héros social devient désormais l’entrepreneur, et l’ouvrier un modèle dépassé de la mobilisation sociale ( 160 ).

Les corporations étudiantes anciennement implantées vont pour certaines d’entres elles se faire actrices de cette conjonction d’intérêts entre la libération de l’individu et la libéralisation de l’économie, en même temps que participer activement de l’expansion du capitalisme libéral dans les modalités de l’engagement dans le monde social.

Elles s’impliquent tout d’abord sous l’impulsion de l’Etat dans la création de structures entrepreneuriales à vocation mutualistes. Elles cherchent alors à concurrencer une M.N.E.F. bureaucratisée, qui à l’époque semble financer largement les deux U.N.E.F. Ainsi, plusieurs associations membres de
l’A.N.E.M.F. ( 161 ) s’investissent à partir du milieu des années soixante-dix dans la création de nouvelles mutuelles étudiantes sur des bases régionales. Ces dernières trouvent leur source dans la pensée libérale en vigueur chez une large partie des responsables associatifs de Médecine de l’époque ( 162 ). En 1970, la S.M.E.R.R.A. ( 163 ) vient couvrir la région de Lyon et de Grenoble. Les années qui suivent voient la création de huit autres structures similaires sur les régions du Nord, du Nord Ouest, …

La forme que prennent ces structures ne trompe pas : elles s’inscrivent, et la M.N.E.F. à leur suite, dans une vision capitaliste libérale du monde étudiant. A tel enseigne, le rapport de 1999 sur la mutualité étudiante s’interroge sur le rôle de « vache à lait » qu’endosse l’étudiant dès cette époque dans ce système. Ainsi, comme l’a souligné Olivier Spithakis, ancien directeur général de la M.N.E.F. devant la commission d’enquête chargée de ce rapport, « nous sommes confrontés à une situation de concurrence quasi-unique dans le système de sécurité sociale accentuée de surcroît par le taux de renouvellement de ses représentants et de ses affiliés qui est le plus élevé de France. Il s’agit du seul régime qui affronte une situation concurrentielle et qui renouvelle chaque année l’ensemble de ses affiliés. En votant la loi de 1948, le législateur n’a pas cru bon de préciser qu’un étudiant qui a choisi un centre de gestion doit y rester pour toute la durée de ses études » ( 164 ).

Une concurrence âpre se développe donc dès le début des années
soixante-dix entre les sociétés mutualistes et la M.N.E.F. Le monde associatif étudiant, par le biais des corporations fondatrices des mutuelles régionales, s’inscrit alors de plain-pied dans la nouvelle dynamique sociétale d’exaltation de la concurrence, de promotion du libéralisme et de l’initiative individuelle.

Elles précèdent en cela l’ensemble des autres secteurs du monde social, tout en rompant dans le même temps le consensus social en place, en matière de relations économiques tiers-secteur/secteur privé. L’entrée de l’ensemble du
tiers-secteur sur les chemins de la concurrence sera en effet plus tardive. La contractualisation entre organismes publics et associations apparaît véritablement avec la décentralisation de 1982. Les financements sur appels d’offres interviendront avec le développement de l’Europe économique, soit une décennie plus tard. Dans le secteur associatif de la santé, une telle relation au marché ne se développe timidement que depuis le milieu des années quatre-vingt. Les syndicats et partis de l’époque ne prendront absolument pas part au développement d’activités économiques, hormis par le biais des Comités d’Entreprises.

Dans le même temps, les rapports entre associations étudiantes et mutuelles changent. Tandis qu’au cours des années soixante, l’U.N.E.F. et la M.N.E.F. entretenaient des liens certes proches mais néanmoins relativement indépendants, les aspects stratégiques et financiers prennent le pas au cours de la décennie suivante. Cette collusion d’intérêts entre mutuelles et organisations étudiantes ira s’aggravant au fur et à mesure du temps. La M.N.E.F. confirme sa position de bailleur principal de fonds des deux U.N.E.F., tandis que le réseau des mutuelles régionales devient le partenaire financier principal du réseau des corporations étudiantes. Certaines d’entres-elles deviendront presque des structures sous-traitantes des mutuelles. Ainsi se tissent entre associations et organisations commerciales des relations nouvelles, davantage fondées sur une dimension capitaliste et financière, et moins sur une problématique de sens. Le monde associatif étudiant se fait alors pleinement participatif de la société capitaliste-informationnelle.

Le mode de fonctionnement des fédérations nationales étudiantes retranscrit lui aussi cette expansion de la place du capitalisme dès le milieu des années 75, tout autant qu’il y participe. Ainsi, les statuts du C.L.E.F. sont-ils caractéristiques de cette dynamique. La référence à l’économique est courante, et nombre d’articles des statuts y sont consacrés, sous des formes diverses. L’article 7 s’attache à la présence d’agents rétribués par l’organisation, et à leurs rôles dans les Assemblées Générales et aux Conseils d’Administration. Les salariés de l’association « peuvent être appelés par le Président à assister, avec voix consultative » ( 165 ) aux séances de ces deux organes de décision. Cette ouverture, si elle existait aussi pour l’U.N.E.F., est surtout à mettre en regard avec l’impossibilité pour les associations de terrain de faire entendre leur voix, si ce n’est en passant par le biais d’une mono-disciplinaire ( 166 ). Les articles 13 et 16 de cette même organisation sont eux aussi entièrement consacrés à l’économique, et définissent les relations entre associations membres et structure fédérale nationale au travers de ce filtre. Ainsi, à l’instar d’une structure mère avec ses filiales, le C.L.E.F. « s’engage à reverser la part de l’enveloppe globale (c’est-à-dire les subventions d’Etat) leur revenant respectivement ». Il prend aussi « à son compte le passif des Associations Nationales membres » qui adhèrent à l’organisation si elles fournissent « la preuve de l’absence de revenus et de subventions notamment » ( 167 ). De telles spécificités confèrent à la structure une dimension entrepreneuriale. La figure qui se dégage de l’organisation ressemble ainsi davantage à un squelette d’entreprise un peu souple, agissant par le biais de ses différentes filiales (les mono-disciplinaires et les associations fédératives locales), sur une population d’associations consommatrices et passives.

Sur le local, la prégnance des dynamiques capitalistes se donne aussi à voir au travers des projets de constructions associatives. Ainsi, naissent à partir du début des années quatre-vingt les premières « junior-entreprises » et les associations de marketing direct. Inclassables dans le champ de l’associatif étudiant, ces associations thématiques d’un nouveau type répondent à une autre logique que la logique de lien social qui peu ou prou animent l’ensemble des associations. Celles-ci ne sont plus dans une perspective de construction du lien social, mais dans la logique du marché. Sortes de « sociétés d'intérim » étudiantes, elles font se rejoindre les attentes d'entreprises en terme de main d'oeuvre occasionnelle pour des tâches ponctuelles, et les besoins financiers des étudiants. Elles servent d'intermédiaires en proposant des petits boulots et en rétribuant les étudiants. Mais il n'existe bien souvent pas de projet autre que la gestion et le développement de la structure. C'est une expérience à part entière de gestion d'entreprises de services, sous une forme et un statut associatif.

Représentant aujourd’hui un peu plus de 8 % des associations thématiques (source : enquête propre), ces structures sont ainsi conceptualisées, construites et vécues au travers d'une orientation économique. Leur projet fondateur est d'abord celui de la gestion d'une quasi-entreprise. Nous sommes ici à la frange de la structure associative et de l'institution quasi-financière (structure dont plus de la moitié des ressources viennent de la vente de leur production ou de service, selon la classification S.E.C.N.) type P.M.E. Le statut associatif sert de base juridique avant d'être un projet d'ambition sociale. Ces structures retraduisent et expriment les transformations de la société salariale dans le champ étudiant. En même temps, elles sont une forme d’expression du rapport anxiogène qu’entretiennent désormais les étudiants avec l’insertion professionnelle au sortir des études.

Outre son action en faveur du développement du capitalisme, le secteur associatif étudiant des années 70-85 participe aussi à l’expansion de pratiques communautaires au sein de la seconde modernité. Maffesoli défend l’idée d’un renouveau du tribalisme, s’exprimant notamment par l’accroissement des communautarismes ( 168 ). Le secteur associatif étudiant, et notamment les organisations héritées mettent en oeuvre de tels processus, participant à la continuité de la dynamique communautaire dans la société capitaliste-informationnelle. Les communautés constituent alors un lieu de repli, de réassurance pour des individus de plus en plus abandonnés au sein d’une société où les tensions s’exacerbent de toute part. Résurgences du passé, celles-ci sont convoquées aujourd’hui par les individus à l’instar d’autres éléments d’héritages, d’histoire, lorsque tout va mal. Elles retraduisent une vraie dépression globale de la société, plus que l’invention d’une nouvelle modalité d’action collective.

Ainsi, la présence d'un Nous identitaire fort au sein de quelques filières d’enseignement existait bien avant l’émergence de la 2nde modernité. Il s'affirmait notamment lors de moments festifs, paroxystiques, lors des galas de certaines corporations (Médecine, Droit, Pharmacie) qui pendant de très nombreuses années restèrent les seules soirées étudiantes d’envergure. Ces galas se tenaient à l'intérieur même des locaux des facultés concernées. Le Nous disposait donc d’une institutionnalisation forte, s’appuyant à la fois sur la représentation symbolique du lieu, et sur la dimension administrative de celui-ci. Dans le cadre de l’activité associative, ce Nous s’appuyait sur des rites d'entrée, forme de confirmation de l'identité collective née de la filière : carte d'adhésion, port de la faluche, …. ( 169 ).

Tout au long du développement de la modernité cependant, à mesure que le process d’individuation du sujet se fait plus prégnant, ces symboles perdent peu à peu de leur audience. A la fin de la société industrielle, cette dimension d’un Nous globalisant ne correspond plus aux attentes des étudiants. En effet, comme le montre Guy Daniel au cours de ses recherches sur la faluche, celle-ci « disparut presque totalement des amphithéâtres durant les années post-soixante-huitardes, [se maintenant] sur la tête des étudiants membres des bureaux des associations corporatives de certaines villes universitaires Lille, Montpellier, Toulouse, Bordeaux, Strasbourg, Lyon » ( 170 ). Baisse d’audience comme le laisse comprendre les propos de Guy Daniel, rappel d’un temps révolu, signe parfois assimilé à un groupe extrémiste de droite (Jean-Marie le Pen était un faluchard, tout comme la quasi-totalité des responsables associatifs de son temps), la faluche n’est plus le symbole des étudiants de France à l’heure de l’avènement de la seconde modernité.

Les suites de l’histoire de la faluche sont intéressantes, comme exemple caractéristique d’expression de la renaissance des communautés dans le monde étudiant, préfigurant un processus similaire sur l’ensemble des modes d’engagement collectif dans le monde social. Tandis que ce symbole de l’identité étudiant tombe en désuétude, apparaissent les premières formes instituées d’un Code faluchard. Alors qu’auparavant, celui-ci se transmettait essentiellement oralement, une première synthèse nationale se fait au cours des années 75. Cette institutionnalisation est initiée par les mono-disciplinaires de Médecine et Droit appuyées par le C.L.E.F. Ce dernier se charge alors de faire circuler le Code à travers son réseau d’associations.

A partir de cette époque, la faluche change de sens. Elle devient le signe distinctif non pas de l’ensemble des étudiants de France, mais des responsables associatifs du réseau C.L.E.F. Comme l’analyse notamment Segura, « à partir du moment où la faluche n'est plus réellement le symbole des étudiants, elle devient petit à petit le lien qui forme un nouveau Nous : les faluchards. La faluche devient ainsi la forme de sociabilité de certains étudiants »( 171 ). En ce sens, la perte progressive sur le terrain de l’audience des « corpos » et des fédérations nationales conduit ces derniers acteurs à bâtir, par opposition au délitement qui les gagne, une nouvelle barrière, barrière symbolique qui s’ancre dans la tradition.

Outil de formalisation des pratiques coutumières dans un objectif de sauvegarde de celles-ci, le Code retranscrit et glorifie des usages du passé. C’est une démarche similaire qui anime les mouvements communautaristes des
années 75, prônant un retour à la tradition afin de retrouver la pureté d’avant les dérives de la société de consommation. Signe distinctif d’une communauté d’appartenance, la faluche construit une niche identitaire comme les années soixante-dix ont su en produire de nombreuses autres. Comme nous l’avons évoqué lors des pages précédentes, le modèle structurel mis en œuvre par le C.L.E.F. dispose de fortes synonymies avec les formes d’organisations du collectif mises en œuvre par les groupes communautaires qui naissent à partir du début des années quatre-vingt.

En faisant appel à la faluche, auparavant symbole de l’engagement associatif étudiant et de l’époque de la grande U.N.E.F., les « corpos » tentent de se réapproprier un vecteur symbolique de communication qui pourrait concurrencer le nom « U.N.E.F. ». En effet, face à l’importance de l’audience institutionnelle de l’U.N.E.F.-R.E. à l’époque, le mouvement associatif étudiant est inexistant ( 172 ). Il est de plus séparé entre partisans de la F.N.E.F., du C.N.E.F et les associations indépendantes. Il s’avère donc primordial pour le mouvement de faire réémerger et d’affirmer des valeurs communes, des valeurs identificatrices permettant à un réseau d’exister nationalement, même de manière informelle. Par cette démarche, le mouvement associatif étudiant va s’inscrire totalement dans la reconstruction des communautés d’appartenance. Se faisant, il participe de la renaissance de cette forme d’agir collectif.

Outre sa participation à la redécouverte du modèle communautaire, le mouvement associatif étudiant participe aussi à la transformation de la place de l’individu dans la société. En effet, l’individu affirme au cours des années 70-80 un besoin d’autonomisation croissant, processus auquel participe pleinement le monde associatif étudiant.

Les associations thématiques, nouvel acteur du secteur associatif étudiant des années soixante-dix, mettent doublement en lumière les transformations des formes de l’engagement collectif dans le monde social. Ces structures proposent des formes de constructions collectives novatrices, aux modalités d’action plus immédiates, plus précises, plus communautaires aussi. Elles sont surtout fondées sur des micro-projets portés par des individus, donnant la part belle à ce dernier au détriment du collectif. Ces structures et ces projets spécialisés connaissent une croissance inédite à partir du début des années soixante-dix
(cf. graphique n°10).

Graphique n°10 : la mise en œuvre de la spécialisation des projets associatifs.
Graphique n°10 : la mise en œuvre de la spécialisation des projets associatifs.

Sources : enquête. Les valeurs du graphique sont établies sur 1619 citations. Les courbes sont réalisées sur une échelle logarithmique, afin de pouvoir observer de manière plus accentuée les effets des progressions.

Comme le montre le graphique ci-dessus, les associations thématiques vivent à partir de 1970 une phase de croissance comparable à celles des associations de filières. A la différence de ces dernières cependant, cette croissance reste constante, lui permettant au fil du temps de supplanter toutes les formes alternatives d’engagements.

Petites associations autocentrées, ces structures nouvelles se développent autour de la réalisation d’un projet unique, transversal à plusieurs filières. Elles s'engagent dans la défense d’une culture, l'environnement, l'écologie, l'humanitaire, les droits de l'homme, une pratique sportive, ou sur des loisirs. Ces causes dépassent dans un certain nombre de cas le cadre national, participant du développement de l’individuation.

Comme le montre le tableau ci-dessous (cf. graphique n°11), les années antérieures à 1985 se caractérisent, pour les associations thématiques, par une prédominance des projets centrés sur la valeur du diplôme, l’insertion professionnelle. Un test de Chi 2 - mis en évidence par le cadre bleu - révèle une forte dépendance entre cette période et ce type d’objectifs.

Ces associations nouvelles cherchent à apporter une réponse aux difficultés d’insertion professionnelle des étudiants qui apparaissent dès cette époque. Sans qu’il soit possible de juger de l’efficience des associations de filières ou des fédérations locales et nationales de l’époque sur cette thématique et dès lors de la pertinence de ces projets, la genèse de ces derniers retraduit par effet induit le processus de spécialisation croissante des organisations mis en évidence par Ion pour l’ensemble du monde social. Elle traduit dans le même temps la volonté exprimée par les individus de prendre en main leur propre destin, sans recourir à des organisations, fédérations lointaines.

Graphique n°11 : le développement des associations thématiques
Graphique n°11 : le développement des associations thématiques selon les thèmes, et au cours des années.

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établies sur 542 citations. Le tableau est construit sur la strate de population « thématique », comprenant 681 observations et défini selon le filtrage type = thématique. La dépendance est très significative. Chi2 = 109,7 ; dll = 12 ; 1-p => 99,9 %. Les chiffres entre parenthèses correspondent aux effectifs. Les cases encadrées en bleu sont celles pour lesquelles l’effectif réel est nettement supérieur à l’effectif théorique.

Les contraintes structurelles figées du C.L.E.F. l’empêcheront de séduire ces nouvelles associations bâties pourtant elles aussi autour de la valeur du diplôme et de l’insertion professionnelle. Le C.L.E.F. et ces associations évoluent alors dans une relative ignorance les unes des autres.

Cette prise en main presque personnelle de son devenir professionnel par l’étudiant sur une base locale préfigure en partie l’émergence de nouveaux thèmes d’engagement des individus dans le monde social. En effet, la première organisation véritablement créée pour et par des chercheurs d’emplois autour des questions d’insertion professionnelle sera le M.N.C.P. (Mouvement National des Chômeurs et Précaires), en 1986. Cette organisation développe elle aussi des services de proximité, des actions d’entraide entre les membres, ainsi qu’un objectif de représentation. S’il s’agit maintenant d’un réseau national, il s’appuie cependant sur de nombreuses organisations locales défendant les mêmes objectifs. Par l’initiation de cette forme inédite d’engagement, puis son institutionnalisation progressive au cours des années, le mouvement associatif étudiant impacte donc l’agir collectif des individus dans le monde social.

Outre ces associations à vocation d’insertion professionnelle, la période antérieure à 1985 voit aussi l’apparition de nombreuses associations sur des thématiques culturelles, sociales, humanitaires ou sportives (cf. graphique n°11). Des dynamiques sociétales nouvelles émergent, autour de valeurs telles que l’ouverture à l’altérité, un rapport plus responsable au monde. A travers elles, l’individu s’affirme et s’émancipe des identités pré-professionnelles imposées par les filières d’enseignements. Il s’ouvre dans le même temps à des vecteurs de définition de son individualité non inscrits dans le rapport au travail.

Dans le monde social, la fin des années soixante-dix et le début des années quatre-vingt fait apparaître assez nettement le déclin des organisations revendicatives, et le développement croissant d’associations de loisirs. Ces dernières, fondées par quelques personnes, cherchent à répondre à des besoins avant tout personnels. Les équipements socio-culturels hérités de la période précédente abandonnent progressivement toutes références politiques pour se concentrer sur des services spécialisés aux personnes. Les liens entre associations et fédérations se distendent, tandis que les individus accentuent leur emprise sur les organisations et leur devenir. Sur la forme prise par les organisations, le monde associatif étudiant reproduit donc somme toute assez fidèlement celles visibles dans l’ensemble du monde social. Les thèmes des engagements divergent en revanche quelque peu, davantage organisés autour des réponses à apporter à la crise du travail pour le monde étudiant. Les questions de l’insertion professionnelle apparaîtront dans le monde social plutôt au cours du milieu des années quatre-vingt, la décentralisation amenant les collectivités territoriales à sous-traiter cette problématique aux acteurs de l’économie sociale. Sur cette dimension technique, le monde associatif étudiant se fait donc là encore préfigurateur des transformations à venir dans les engagements collectifs des individus sur le social.

Les années 1990 à 1995 laissent ressortir une forte croissance des associations social/humanitaire. Un test Chi 2 révèle une forte dépendance entre cette période et ce type de projet, représentée par un encadrement en bleu sur le graphique ci-dessus. Si ce vecteur d’action n’est pas une invention étudiante, le C.C.F.D., Amnesty International, Oxfam, … existant par exemple depuis le début des années soixante, Anne-Marie Dieu note dans son ouvrage « Valeurs et associations » un changement général de style, un redimensionnement des activités pour une large part des Organisations Internationales de Solidarité au cours de cette période ( 173 ). Communication accrue vers l’endogène et l’exogène, renforcement et professionnalisation des permanents, bureaucratisation, expertises renforcées dans les activités menées sont autant de dynamiques qui impactent fortement ces dernières.Dans un certain nombre de cas, ces organisations vont avoir à cœur de recruter de nouveaux bénévoles et/ou des permanents disposant d’un bon niveau universitaire.

Cependant, rares sont les associations étudiantes social/humanitaires qui se réapproprient ces thématiques. Au contraire, les projets qui émergent se regroupent autour des réseaux I.S.F. ( 174 ), Etudiants et Développement ( 175 ) pour l’humanitaire, ou le réseau A.C.C.E.D.E. ( 176 ) pour l’action sociale de proximité. Si certaines associations étudiantes participent aux grandes dynamiques du monde social (Restos du cœur, Téléthon, actions contre le
Sida, …) l’essentiel d’entre elles se tournent avant tout vers la création de projets et l’innovation sociale. Une large partie de ces projets étudiants n’ont pas trouvé encore de retranscription dans le monde social, ce dernier ne s’étant pas encore réapproprié les dynamiques qui les ont fait naître.

Ces divers processus d’affirmation des individualités percutent de plein fouet les modes d’agirs collectifs des fédérations nationales corporatives étudiantes alors en place (F.N.E.F. et C.L.E.F.). Ces organisations s’appuient sur des schèmes à la fois communautaires et fortement inscrits dans le rapport au travail, quant les associations thématiques fondent leur action sur une approche communautaire et d’ouverture. Tandis que les corporations se bâtissent sur l’exclusion de la différence, les associations thématiques s’ouvrent à l’altérité. Cette fracture forte sera une des difficultés supplémentaires du secteur associatif au cours de la période associative allant de 1960 à 1990.

Devant l’absence de suivi par la base, la F.N.E.F. noue en 1979 des contacts avec le C.L.E.F., après leur participation commune aux élections C.N.E.S.E.R. et C.N.O.U.S. Ces contacts ouvrent la porte à une réunification en mars 1982, sous l'étiquette commune C.N.E.F. ( 177 ). Cette structure nouvelle tente alors de dépasser les lacunes de la F.N.E.F. et du C.L.E.F., en s'appuyant cette fois-ci sur les associations de base.

Toutefois, cette nouvelle organisation se trouve rapidement confrontée aux mêmes limites structurelles et conceptuelles que ses deux immédiats prédécesseurs. Elle reproduit dans son ensemble les mêmes erreurs. Ainsi, si la C.N.E.F. cherche à appuyer son développement sur les associations de bases, elle n’entrevoit ses relations avec ces dernières qu’au niveau des cotisations. En fait, la structure s’enferme dans la seule représentation des mono-disciplinaires, à l’instar du C.L.E.F., et ignorant les fédérations de ville. La lecture des P.V., compte-rendus de conseils d’administrations, ou encore des tracts diffusés par cette organisation nous donne à voir un modèle d’organisation caractéristique de la société industrielle, fortement dépassé.

Ainsi, l'Assemblée Générale de la C.N.E.F., bien que composée des associations de terrain, ne dispose d'aucun pouvoir sur le Bureau National. Sa seule fonction est d’entériner le budget précédent, sans latitude pour voter le budget prévisionnel suivant ( 178 ). Cette construction était celle des statuts de la F.N.E.F.

En outre, la répartition des sièges au Conseil d’Administration de la C.N.E.F. consacre l’hégémonie des mono-disciplinaires : 18 sièges pour ces dernières, 1 pour les associations non affiliées à celles-ci, 1 pour le président. Il existe une réelle déconnexion entre les bastions fortifiés que sont les mono-disciplinaires, et les réalités du terrain.

Cette inadéquation est le sujet d’intenses débats internes. Ainsi, Christophe Meykiechel, président de la C.N.E.F. en 1985 relève « l’ambiguïté fondamentale de la C.N.E.F. : les statuts n’impliquent que les Unions
Mono-disciplinaires nationales, or ce sont les associations locales qui représentent l’ensemble des étudiants de France. Donc, les associations locales cotisent individuellement, les mono-disciplinaires siègent au C.A., et le bureau n’est en fait uniquement composé que des représentants des mono-disciplinaires. Ce problème a déjà été évoqué à plusieurs reprises depuis deux ans. La situation actuelle génère un rejet de plusieurs Unions nationales
 » ( 179 ). Bien qu’une quasi-totalité des responsables associatifs étudiants soient conscients du problème, la prise en compte des associations de terrain se heurte aux volontés hégémoniques des mono-disciplinaires. Dans le même sens, si l’on note bien la réapparition d’un budget prévisionnel présenté à une instance décisionnelle, il s’agit du Conseil d’Administration et non de l’Assemblée Générale ( 180 ). De fait, là encore, les associations de terrain ne peuvent guère se faire actrices de l’orientation de la structure.

Enfin, pour cette organisation, une relation d’ordre moral lie l’étudiant à la société. Ainsi, ce dernier se doit de « ne pas abuser de la confiance que la société a placée en lui ». Ces accents paternalistes rappellent fortement ceux qu’employait la F.N.E.F. près de quinze ans auparavant. L’étudiant doit se comporter comme un bon fils, dont le sens des responsabilités n’a d’égal que son investissement personnel et son abnégation dans le travail. Le responsable d’association est là pour lui donner l’exemple, car « en représentant les étudiants dans les instances universitaires, et en gérant les moyens de financement autonomes de leurs associations, les corporatistes développent leur sens des responsabilités ». Ils garantissent de « délaisser la politique politicienne et partisane au profit de leur objectivité comme de leur efficacité ». Ainsi, cette nouvelle organisation s’inscrit dans un rapport social et un mode de l’action collective en réels décalages avec leur époque. D’un point de vue organisationnel, la C.N.E.F. n’apporte donc pas de réelles innovations au monde associatif, ni sur les modes d’engagement des individus dans le monde social.

Dans le même temps pourtant, cette organisation s’inscrit de plain-pied dans certaines dynamiques transformatrices du social. L’affirmation du néo-libéralisme trouve ses premières applications concrètes en Angleterre avec l’élection de Margaret Thatcher, mais aussi en France à partir des années 82-83, avec la mise en œuvre d’une politique de rigueur. L’Etat se recentre sur ses missions régaliennes, laissant le marché réguler un ensemble plus large de relations.

Dans une perspective clairement libérale, la C.N.E.F. filialise l’ensemble de ses activités économiques en les confiant à des associations créées pour gérer des services spécifiques. Voyages, sorties ski, vente d’insignes pour les faluches,… sont autant d’activités qui se voient confiées à des associations autonomes. Ces dernières reversent en fin d’exercice une partie des bénéfices à la C.N.E.F. Celle-ci se concentre pour sa part dans la représentation des étudiants.

Une telle formalisation de l’activité de la fédération nationale n’est pas sans faire penser à la gestion d’entreprise en réseau, firme horizontale de Castells. La firme horizontale s'accompagne en effet d’une décentralisation des unités, d’une autonomie croissante de celles-ci, voire d’une mise en concurrence de ces dernières. Si le modèle de construction de réseau de la C.N.E.F. diffère quelque peu de celui des entreprises (il n’y a pas de mise en concurrence des associations entre elles), il est indéniable que son mode d’organisation s’apparente fortement au « modèle de production sous licence / en sous-traitance sous l’égide d’une grande entreprise » mis en évidence par ce même auteur : travail à façon sur des petites quantités de production, spécialisation de chacun des sous-traitants sur un coeur de métier spécifique, lien de confiance ou d’obligé entre ces derniers et l’organisation mère ( 181 ). Castells comme Boltanski dans « Le nouvel esprit du capitalisme » s’accordent cependant pour affirmer le développement de ce modèle au cours des années quatre-vingt-dix. Ainsi, « les dispositifs proposés par les auteurs des années 90 … [se] forment autour de quelques idées clés : des entreprises maigres travaillant en réseau avec une multitude d’intervenants, … » … « Elle (l’entreprise maigre) s’est … séparée d’un grand nombre de fonctions et de tâches en sous-traitant tout ce qui ne faisait pas partie de son cœur de
métier
 » ( 182 ). Avec près d’une dizaine d’années d’avance sur le monde social, le secteur associatif étudiant initie donc au cours des années quatre-vingt dans ses rapports à l’économique certains prémisses des évolutions ultérieures du monde économique.

Dans sa manière de se présenter et de présenter ses activités, la C.N.E.F. adopte un langage clairement publicitaire, se plaçant dans une logique d’acteur au sein d’une économie concurrentielle. Ainsi, « la C.N.E.F. regroupe plus de 90 associations réparties sur l’ensemble du territoire national, chacune augmentant chaque année le nombre de services qu’elle offre aux étudiants et améliorant sans cesse ceux qu’elle propose déjà ». Elle est en outre « constituée d’étudiants … véritable vivier d’initiatives, de dynamisme et de réussite » ( 183 ). L’ensemble du discours, par ses accents redondants, excessifs et clinquants s’intègre totalement dans la dynamique capitaliste « du toujours plus » sans limite qui s’affirme dans la société capitaliste-informationnelle, comme l’a notamment mis en évidence Gorz ( 184 ). Tant au niveau organisationnel qu’au niveau présentation, la C.N.E.F. se place donc en acteur volontaire du modèle économique capitaliste néolibéral. Par son action et les modalités de celle-ci, elle participe pleinement de son implantation dans la société.

L’approche libérale se fait encore clairement sentir lors des positionnements de la C.N.E.F. en matière de chômage des jeunes. En effet, si la C.N.E.F. rejette la sélection par l’échec, elle « prône la sélection fondée sur le travail et sur l’aptitude de chacun ». Pour cette organisation, « la sélection est positive par elle-même mais n’est efficace que si l’Etudiant qui se voit fermé l’accès à une formation, peut en trouver une autre plus en rapport avec ses capacités ». C’est notamment le sens de la réforme Bayrou d’avril 1997, avec le développement des possibilités de réorientation « à la fin du premier semestre, et lorsque l’étudiant le souhaite, des changements d’études pendant ou à l’issue du D.E.U.G. » ( 185 ).

Sur la question des modalités de distribution des bourses, la C.N.E.F. défend là aussi une approche libérale. Ainsi, « les aides directes comme indirectes dont bénéficie l’Etudiant doivent lui être remises non à partir du critère des revenus familiaux mais du critère de réussite ». Ce discours méritocratique trouve en écho l’affirmation d’une pensée sociale inégalitaire au sein de la société française au cours de la décennie suivante. Cette pensée s’appuie notamment sur l’expression d’une dissociation culturelle croissante entre les individus, légitimant une rupture du principe d’égalité entre les individus. La commission Minc sous le gouvernement Balladur se fera l’apôtre d’une telle posture ( 186 ). Elle caractérise la pensée des classes dominantes de cette époque, qui elle-même influe sur les modalités de construction de la société. L’attitude adoptée par la C.N.E.F. participe pleinement de ce processus, en le précédant de dix années environ.

La réémergence d’un pseudo-nationalisme régressif en France à partir du milieu des années quatre-vingt laisse observer un phénomène identique. Ce dernier s’associe au, en même temps qu’il prend appui sur le, mouvement de fragmentation culturelle né de la fragmentation socio-économique du pays ( 187 ). Dans ses plaquettes de présentation, la C.N.E.F. se propose de « défendre une certaine image de l’Université Française ». Une telle ambition n’est pas sans similitude avec la phrase de De Gaulle affirmant incarner « une certaine idée de la France » ( 188 ), renvoi des plus explicites à un traditionalisme certain accompagné d’une dimension historiquement datée de l’image de la France, un retour sur un passé pourtant révolu.

Les débats au sein des instances décisionnelles de la C.N.E.F. retraduisent le poids de la question nationale. Ainsi, le refus du président de l’époque de chanter le chant des « majos » génère une crise interne forte ( 189 ). Il conduit à l’échange de propos suivant :

« - Fabrice M (ndlr : le président de la C.N.E.F). « rétorque qu’en chantant l’hymne des majos, nous rendons hommage à nos anciens morts pendant la guerre d’Algérie … ». Il explique ensuite que, pour honorifique que cela puisse être, le monde associatif étudiant n’a plus à être un lieu de prises de positions sur cette période de l’histoire de France.

- Patrick G. (administrateur de la C.N.E.F.) « pose le problème de savoir si il [le président] a été élu pour suivre les méthodes de certains leaders politiques, c’est-à-dire d’être élu par des gens pour ne plus s’occuper d’eux, faire de la C.N.E.F. un parti « attrape-tout » et ne plus s’occuper que des étrangers »

Le rappel de ce passage de l’histoire de France et de la période de décolonisation, auquel s’ajoute cette référence somme toute assez négative aux « étrangers », pose d’évidentes questions sur la teneur et l’indépendance politique de certains membres du bureau de la C.N.E.F. ( 190 ). Cette allusion douteuse confirme la présence des débats vifs en interne, en phase avec ceux présents dans l’ensemble du corps social. En 1985, le Front National est un parti en pleine expansion, jouant sur les mêmes craintes. Acteur politique et de la politique des étudiants, la C.N.E.F. participe donc totalement à l’expression publique des problématiques sociétales de l’époque.

Dans le même temps, sur le terrain, le mouvement associatif étudiant évolue, loin des instances de représentation parisiennes. Une nouvelle dynamique de structuration émerge, qui se concentre sur le local. Ainsi, à partir des
années 75, l'investissement militant étudiant se porte de manière plus accentuée sur cet échelon, au plus proche du terrain, tandis que les réseaux nationaux déclinent fortement. Des dynamiques nouvelles impactent les modalités d'engagement des étudiants : immédiateté et liberté dans l'action, apolitisme, instantanéité de l'engagement comme du retrait, … Elles génèrent des constructions novatrices, qui retranscrivent dans leur organisation et leurs relations avec l'extérieur les attentes sociales et les contraintes de leur temps. L’échelon fédératif local prend de l’importance (cf. graphique n°12), alimenté par les créations de nouvelles associations en premier cycle de Sciences Exactes, de Sciences Humaines et Lettres et en I.U.T.

Graphique n°12 : Dynamique de création des fédérations locales
Graphique n°12 : Dynamique de création des fédérations locales au cours du temps.

Ce graphique est la réponse à la question « année de création de votre structure », appliquée à la strate « fédération locale ». Il est construit sur 36 observations. Sources : enquête. La courbe bleue retranscrit les résultats bruts de l’enquête, tandis que la courbe rouge est une courbe de tendance polynomiale élaborée à partir des résultats bruts. Cette dernière permet d’observer les résultats obtenus sous un angle dynamique. La courbe polynomiale est de degré 3, c’est-à-dire qu’elle autorise 2 points d’inflexion. Le fait que la courbe rouge ne connaisse pas une régression mais simplement un tassement à partir de la période 1990-1995 malgré des résultats bruts plus faibles sur la période postérieure permet d’affirmer une tendance générale à la croissance.

Comme le montre le graphique ci-dessus et plus particulièrement la courbe de tendance, le fédéralisme local connaît à partir des années 1975 une progression forte, adoptant une croissance presque exponentielle (courbe rouge). Elle tranche en cela avec la période précédente, marquée par un déclin de ce type de construction.

Il existe donc à partir des années quatre-vingt une véritable dynamique de création de fédérations d’associations de ville. Celle-ci est en contradiction avec les sorties des réseaux associatifs mises en évidence par Ion pour cette même période. La croissance du nombre de fédérations locales à partir des années 1985 interdit de penser à la « perte d’influence très nette de l’échelon local ».

Il convient cependant de remarquer que cette croissance du nombre de fédérations locales provient surtout des villes de 100 000 à 300 000 habitants, un fort lien de corrélation existant entre expansion du fédéralisme associatif étudiant et cette taille de ville (cf. annexe n°4 : « Fédérations locales et taille de villes »).

Ce dynamisme local accompagne la nouvelle orientation des collectivités territoriales en direction de la vie étudiante. Tandis qu’au cours de la période précédente, les universités et les villes se développent dans une relative indifférence mutuelle, les communes investissent fortement à partir des premières lois de décentralisation dans la vie étudiante, donnant ainsi un véritable visage aux études réalisées sur leur territoire. Les étudiants sont désormais compris et envisagés comme ressource importante de la ville, et passent du statut de trublion du sommeil des bourgeois à celui de consommateur et d’animateur de la vie d’un quartier, voire de la ville ( 191 ). Cette nouvelle orientation s’accompagne de l’émergence d’un véritable dialogue / partenariat avec les responsables étudiants locaux. Ainsi, lorsque l’on interroge les élus de l’Association des Villes Universitaires de France sur leur relations avec ces derniers, ils sont 63 % à estimer celles-ci « assez suivies », voire
« très suivies » ( 192 ).

Le mouvement général de désengagement des structures à l’égard du fédéralisme local noté par Ion sur l’ensemble du secteur sans but lucratif peut dès lors être envisagé selon deux avancées complémentaires nouvelles :

  • il rejoint sur la forme le déclin du fédéralisme local qu’a connu le milieu étudiant au cours des années 1965 à 1975. Durant cette période il est en effet possible de remarquer un processus similaire dans le monde étudiant, le déclin de cet échelon fédéral étant certainement alimenté par la désaffection des associations envers les réseaux fédéralistes locaux. La décrue du phénomène fédéraliste relevé par Ion se produit donc sur le milieu étudiant avec presque vingt années d’avance.
  • la croissance du fédéralisme local, née avec l’émergence de fédérations nouvelles, n’a pas à ce jour trouvé de véritable retranscription dans l’ensemble du secteur sans but lucratif. Cette piste laisse suggérer dès lors la naissance de fédérations locales nouvelles sur l’ensemble du monde social, ayant chacune à charge de représenter un pan particulier du secteur associatif. Cette hypothèse est partiellement renforcée par notre expérience personnelle actuelle sur les associations lyonnaises ayant trait au commerce équitable. Tandis que plusieurs associations locales coexistent depuis plusieurs années sur ce terrain, un comité de regroupement s’est créé en 1986, le C.A.D.R. (Collectif des Associations de Développement en Rhône-Alpes). Plus récemment encore, s’est créé en 2005 le CLACE, Collectif Lyonnais des Acteurs de Commerce Equitable. Ces derniers essaient de coordonner et de donner du liant à l’action de la plus large partie des associations locales de cette thématique. Cette hypothèse confirme là encore le rôle participant voire préfiguratif du secteur associatif étudiant dans les évolutions des formes d’engagement des individus dans le monde social.

Cette forte présence de l’échelon fédératif local dans le milieu étudiant trouve en partie sa source dans la construction d’un partenariat équilibré, « gagnant-gagnant », entre certaines collectivités territoriales et responsables étudiants. Ainsi, l’A.V.E (Association Valentinoise des Etudiants) tire notamment son dynamisme d’un partenariat fructueux avec les collectivités locales environnantes et la mairie de Valence. Depuis 1984, elle assure l’organisation de nombreux évènements culturels et festifs importants dans la ville, donnant à celle-ci un rayonnement qui dépasse très largement son aire d’influence géographique. Elle fédère depuis sa création l’ensemble des associations étudiantes de filière de Valence et de la Drome-Ardèche, soit aujourd’hui 16 associations. Celles-ci sont regroupées par le biais d’une charte à travers laquelle « ces associations s'engagent à suivre une dynamique commune permettant de mener à bien des projets pouvant toucher l'ensemble des étudiants » ( 193 ). Envisagée par les collectivités comme acteur de développement local à la fois dans ses composantes sociales, culturelles et économiques, cette fédération de ville met en œuvre une dynamique encore peu explorée sur l’ensemble du secteur sans but lucratif.

En outre, la force du local, c’est-à-dire la dimension identitaire qui naît d’un territoire particulier, transforme depuis quelques années déjà le social et crée de nouvelles forces mobilisatrices. Ainsi, Pecqueur relève en 1999 que « depuis une vingtaine d’années, on a vu apparaître une théorie dite du « développement par en bas ». Elle oppose au capitalisme dominant le potentiel local d’organisation. Face à une logique du profit qui impose, soumet et détruit, les adeptes du développement par en bas proposent une logique d’autonomie ; c’est-à-dire un mode alternatif de développement endogène et localisé où l’on compte sur ses propres forces » ( 194 ). Sans forcément se placer dans une perspective ouvertement et explicitement antilibérale, les associations étudiantes se regroupent localement dès le début des années quatre-vingt afin de créer, d'animer et de représenter une identité particulière, centrée autour de cette dynamique localiste. Partie prenante de ces évolutions, le monde associatif étudiant se positionne ici comme acteur des changements dans le monde social.

Cette identité locale se concrétise autour d’un lieu d’appartenance et de vie. Elle s’appuie sur un lien avec la vie de l’individu marqué dans le présent, sans référence obligée à l’histoire. Ainsi, pour un nombre important de responsables associatifs, la ville des études n’est pas celle de leur naissance, ni même celle où habite leur parent. Majoritairement étrangers dans la ville de leurs études, comme le montre le graphique suivant, ils n’en sont pas moins acteurs de l’émergence des associations locales (cf. graphique n°13).

Comme le montre le graphique ci-dessous, près de 60 % des associations étudiantes sont animées par des équipes comportant plus de 75 % d’étudiants non-originaires de leurs villes d’études. Moins de 20 % des associations sont animées par des bénévoles majoritairement locaux (de 10 % à 25 % de bénévoles non autochtones). Cette identité associative locale dépasse donc la simple appartenance géographique, fondée sur une histoire commune entre le citoyen et sa ville. Nous sommes plus ici dans une logique de réappropriation culturelle d’un lieu de vie par la population étudiante, processus duquel émergent un discours et des actes fondateurs, dont la création éventuelle d’une fédération locale.

Graphique n°13 : pourcentage d’étudiants bénévoles dans les associations étudiantes, nés hors de leur ville d’études.
Graphique n°13 : pourcentage d’étudiants bénévoles dans les associations étudiantes, nés hors de leur ville d’études.

Source : enquête propre. Les valeurs du graphique sont des pourcentages en ligne établis sur 1619 observations, non réponses exclues.

Cette dernière se donne alors pour but de faire reconnaître à la fois son existence et les spécificités de sa ville comme lieu de vie et d’enseignement. Ces fédérations deviennent acteurs du dialogue institutionnel local et national. Ainsi, un certain nombre de fédérations étudiantes locales se sont mobilisées dans l’élaboration des Contrats de Plan Etat-Région de 1998, ou lors de la mise en œuvre locale d’U3M. Leur implication permet de mettre en débat et d’apporter des réponses à des besoins généraux mais spécifiquement étudiants, comme par exemple le logement ou la restauration. Elles font dans le même temps émerger des problématiques plus larges en termes d’impact sur la population, comme l’offre culturelle locale, l’accès aux commerces, la qualité des bibliothèques, …

L’importance croissante de cette dimension qu’est le territoire d’appartenance s’observe notamment par les évolutions des sites délocalisés et les antennes universitaires. Sur ces sites, les étudiants optent de plus en plus pour la création de structures fédératives nouvelles et identificatrices, au détriment de la possibilité d'adhésion simple aux fédérations déjà existantes dans les villes dont elles dépendent. Une telle solution leur assurerait pourtant un poids institutionnel plus important. La faculté de négociation de la fédération d’Avignon, forte de ses 6 000 étudiants, antenne universitaire d’Aix-Marseille, face au rectorat de Marseille, gérant 72 000 étudiants (dont 66 000 sur Aix-Marseille même) est par exemple toute relative. Pourtant, il n'est pas rare de voir les associations de ces sites universitaires, auparavant rattachées à des fédérations associatives des villes universitaires avoisinantes, s'émanciper et créer leur propre fédération locale. Cette dernière affirme alors sur le terrain national une identité indépendante.

L’affirmation de ces territoires d’appartenance s’observe encore au travers des projets mis en œuvre par les fédérations locales. L’animation du territoire et la dimension festive - Hauriou et Louraud ont largement démontré le rôle instituant de la fête ( 195 ) - contribuent à faire émerger et reconnaître des identités locales caractéristiques. De fait, un nombre croissant de projets émerge, et vise à donner une spécificité, une identité caractéristique aux villes étudiantes : le Challenge de Valence, la rabelaisienne de Tours, … Plus que la dimension numérique et l’importance du nombre d’étudiants présents sur le site universitaire, l’appartenance géographique commune, lieu de vie partagé pour quelques années par un regroupement local d’étudiants, est facteur d’émergence de projets d’ampleur.

Cependant, Sylvain Pasquier note que « si les années quatre-vingt ont vu l’émergence des discours sur le local, dans lequel on a pu voir le fait d’un pouvoir politique » … « ces discours semblent être aujourd’hui le fait d’une réappropriation par les acteurs qui s’inscrit dans une réappropriation plus générale du « cadre de vie » et des lieux de vie. » ( 196 ). Daté de 1998, ce discours prend acte de transformations visibles à cette date sur l’ensemble du secteur associatif à cette époque. D’après ces analyses, la réappropriation du local et de la ville par les individus est un phénomène récent dans le monde social, datant de la fin des années quatre-vingt-dix. Or, nous venons de voir précédemment que ce processus fut à l’œuvre dans le monde étudiant au cours des années quatre-vingt. Là encore, le mouvement associatif préfigure de toute évidence les transformations des modes d’engagements des individus dans le monde social.

Cependant, la C.N.E.F. ne saura pas prendre la réelle mesure de ces transformations. Elle s’affirme en outre progressivement comme une organisation politiquement marquée. Ceci conduira à son implosion : lors des élections C.R.O.U.S de 1987, le vice-président de la C.N.E.F. de l’époque
M. Delmas prend des accords avec l’U.N.I. et le C.E.L.F., syndicats étudiants de droite, « visant à faire bénéficier ses candidats des voix des élus C.E.L.F. et U.N.I. » ( 197 ). Ce rapprochement officiel d’intérêts et de pensée s’avère incompatible avec les valeurs apolitiques du mouvement associatif étudiant. A l’instar de ce que vit le syndicalisme ouvrier, il s’opère dans les consciences l’attente d’une véritable déconnection entre syndicalisme de représentation et idéologie politique. Longtemps dans la trajectoire du Parti Communiste Français, la C.G.T. passera par exemple de 2,4 millions d’adhérents revendiqués en 1975 à 634 000 en 1997, notamment sur la base de sa trop forte et trop longue collusion avec le P.C.F. C’est un processus similaire que connaît le syndicalisme étudiant, de manière plus foudroyante.

Ainsi, aux élections C.R.O.U.S. de 1989, l’A.F.G.E.S. (Fédération des Associations Etudiantes de Strasbourg, structure fédérative locale importante et traditionnellement fortement a-partisanne) crée une liste associative indépendante, avec quelques autres fédérations locales, Nantes, Montpellier et Lille Catho sous l’intitulé « Défense des Etudiants ». Ces fédérations locales sont sur le milieu étudiant les associations les plus solides et imposantes ( 198 ). Elles bénéficient en outre toutes d’un poids historique, parfois plus conséquent que celui des mono-disciplinaires. Déniant désormais toute légitimité à la C.N.E.F., la liste « Défense des Etudiants » refuse son soutien. Faute de candidat et de légitimité, cette organisation ne peut présenter de candidats.

La C.N.E.F. tentera de participer aux élections suivantes de 1991 : pour le C.N.E.S.E.R., elle n’obtiendra que trente-deux voix sur 1200 votants ; elle ne se présentera pas au C.N.O.U.S. A partir de cette date, la C.N.E.F. n’existe plus en tant que structure représentative du mouvement associatif étudiant.

Défense des Etudiants n’est dans un premier temps qu’un sigle, une association de fait, c’est-à-dire non déclarée en préfecture. Elle n’a pas en effet vocation à se pérenniser, et est entrevue avant tout comme une organisation de transition.

La loi d’orientation du 10 Juillet 1989 viendra transformer la dimension institutionnelle de cette structure, précipitant la construction d’une nouvelle organisation fédérative nationale des associations étudiantes. Dans son
article 13, cette loi oblige, pour être jugé représentatif nationalement, à avoir des élus soit au C.N.E.S.E.R., soit au C.N.O.U.S. Si les associations étudiantes souhaitent pouvoir continuer à se dire représentantes d’une partie de la population étudiante, il leur faut donc siéger au sein de ces grands conseils. Fortement présentes dans les conseils d’université et les C.R.O.U.S., l’absence d’existence sur le plan national leur interdit en effet le statut d’organisation représentative des étudiants. Outre la baisse d’influence importante qu’une telle perte de statut peut entraîner pour les élus associatifs étudiants, elle ferme la porte pour les fédérations locales aux subventions pour la formation de ces derniers.

« Défense des Etudiants » se dote alors d’une dimension plus institutionnelle et devient la structure de formation des élus associatifs étudiants. Ses statuts sont déposés en préfecture début 1990. Organisation « light », elle doit permettre d’assurer institutionnellement une transition entre la C.N.E.F. et une nouvelle organisation à inventer.

Depuis début 1988 en effet, la construction d’une nouvelle fédération est à l’étude dans les rangs des responsables associatifs étudiants. Plusieurs rencontres ont lieu entre 1988 et 1989. Elles opposent deux visions de l’associatif étudiant. La première, essentiellement emmenée par d’anciens responsables de la C.N.E.F., propose la création « d’une pluridisciplinaire nationale forte qui exprime la voix des corpos ». Elle n’est ni plus ni moins que la construction d’une organisation similaire à la C.N.E.F. ou au C.L.E.F., donnant un poids maximum aux mono-disciplinaires ( 199 ). Une seconde vision, emmenée au départ uniquement par l’A.F.G.E.S., propose de faire cohabiter au sein d’une même structure les fédérations de villes locales et les mono-disciplinaires, en donnant un véritable poids décisionnel aux fédérations locales. Ainsi, deux approches sociologiques de l’engagement se confrontent :

  • une approche verticale, où les mono-disciplinaires disposent du poids prépondérant. Les identités pré-professionnelles des étudiants nées de leur filière d’enseignement servent de piliers à l’organisation, fédération de mono-disciplinaires.
  • Une approche horizontale, où les fédérations de villes servent de base à la construction d’une perspective étudiante pluridisciplinaire. Cette approche permet alors de s’ouvrir aux associations thématiques.

Après près de deux ans de débats, l’organisation qui émerge semble tourner le dos au modèle syndicalo-corporatiste industriel, pour entrer dans une ère nouvelle de la structuration du mouvement associatif étudiant. La Fédération des Associations Générales Etudiantes (F.A.G.E.) est créée le 12 décembre 1989, emportant avec elle de nouvelles ambitions représentatives et organisationnelles. Les membres actifs sont désormais les associations générales étudiantes,
c’est-à-dire les fédérations de ville, tandis que les monos-disciplinaires sont membres consultatifs. Un consensus inattendu a été trouvé : la nouvelle organisation est désormais uniquement gérée par les fédérations de ville, ce qui en assoit considérablement sa stabilité. Les mono-disciplinaires quant à elles, se voient conforter dans leur volonté de conserver leur indépendance, puisqu’elles sont désormais membres consultatifs au sein de cette nouvelle organisation. Si elles sont invitées permanentes de toutes les instances décisionnelles de la nouvelle organisation, elles ne disposent au sein de celle-ci que de voix consultatives.

Les monos-disciplinaires seront promptes à s’apercevoir qu’une telle position les dessert plus qu’elle ne les sert. Elles se retrouvent rapidement face à une réalité cruciale que l’écran des précédentes fédérations leur avait cachée : la dynamique véritable des associations étudiantes à l’orée du XXIème siècle n’est pas dans l’appartenance à une culture pré-professionnelle. Ce modèle, caractéristique de la société salariale, peut tout à fait survivre et se développer au sein de certains cursus fortement typés, comme Santé ou Droit. Mais pour un nombre toujours plus grand de disciplines, l’existence persistante d’un chômage de masse chez les jeunes rend l’identification à une professionnalité future déconnectée des réalités sociales. Si le travail sert bien toujours à exister socialement, il ne définit plus à lui seul l’identité personnelle. D’autres facteurs entrent désormais en compte, tels que les passions, les projets, …

Les responsables des mono-disciplinaires reviennent alors sur leur position de neutralité. Dès l’année suivante, ils demandent une modification des statuts, afin d’être intégrés eux aussi comme membres actifs. Un compromis est trouvé en 1991, avec la création de la F.A.G.E.M. ( 200 ). Les fédérations de villes accèdent aux exigences des mono-disciplinaires : si ces dernières n’ont pas de véritable capacité d’organisation à elles seules, elles disposent en revanche d’un réel pouvoir de nuisance et de blocage, que certaines d’entre elles se font fort de mettre en œuvre.

Cette nouvelle entité ne durera guère. Quelques mono-disciplinaires refusent de s’intégrer dans celle-ci, et préfèrent, malgré leur demande précédente, rester en dehors de la F.A.G.E.M. Cette idée est donc, un an après son élaboration, abandonnée, et l’organisation reprend le nom de F.A.G.E., qui ne la quittera plus.

Notes
131.

( ) Source : Ministère de l’Education Nationale. Cette rapide progression des effectifs n’est pas une spécificité française, l’U.N.E.S.C.O. relevant en 1969 la généralité du phénomène à l’échelle planétaire. BACHY Jean-Paul et Claudine, Les étudiants et la politique, Armand Colin, 1973.

132.

( ) BAUDELOT Christian, op. cité.

133.

( ) Archives de la F.A.G.E.

134.

( ) Congrès extraordinaire F.N.E.F. Toulouse, 1968, Rapport d’orientation, in BACHY Jean-Paul et Claudine, op. cité, p 148.

135.

( ) Ainsi, Jacques Meunier, président d’honneur de la F.N.E.F. en 1968, expliquera doctement dans le journal de cette organisation que « l’essentiel des lois sociales en France, fraternelles et généreuses, à été préparé et appliqué par des hommes de droite : Le Play, La Tour du Pin, le Maréchal Pétain ». S’ensuit alors une rapide démonstration sur le non-sens politique de la dichotomie droite/gauche. Ainsi, « on peut légitimement se poser la question de savoir ce qui fondamentalement différencie la droite et la gauche : la réponse est réponse : rien ». Les valeurs mises en avant sont avant tout la reconnaissance du sacré, le respect de ce qui est, le patriotisme et le sens du devoir civique, tous ces ingrédients fondant au final pour l’auteur l’apolitisme le plus pur. Article « Notre morale », journal de la F.N.E.F. spécial congrès, Poitiers université, p 5, mars 1968.

136.

( ) G.U.D. : Groupement Universitaire de Défense. Cette organisation constitue, avec Ordre Nouveau, les tendances les plus extrémistes de la droite nationaliste sur le milieu étudiant. N’hésitant pas à recourir à la violence, ces deux organisations seront successivement interdites et dissoutes par voie de jugement. Une partie de ses membres rejoindra alors le Front National Jeune.

137.

( ) La F.N.E.F. abandonne alors son positionnement apolitique pour adopter des thèmes plus engagés. Elle se positionne pour la création d’universités autonomes régionales, « universités autonomes par leur financement et le choix de leurs enseignants, en liaison étroite avec la vie culturelle économique et sociale de la région ». Elle revendique l’instauration d’une prestation d’études (pendant de l’allocation d’étude de l’U.N.E.F.), tandis qu’elle refuse la sélection à l’entrée de l’Université au profit d’une « orientation pratiqué au sein de collèges universitaires regroupant les classes terminales des lycées et les premiers cycles de l’Enseignement Supérieur ». Elle prône la création d’instituts délivrant à chaque niveau de formation « des éléments de culture professionnelle ». CLERC J.P., « Les élections universitaires », Le Monde, 9 décembre 1971, in BACHY Jean-Paul et Claudine, op. cité, p 148.

138.

( ) Option F.N.E.F. n°10, avril 1971 in BACHY Jean-Paul et Claudine, op. cité, p 147. Ces volte-faces successives retraduisent le malaise que ressentent les associations étudiantes classées à droite face à la loi Faure. En effet, la représentation étudiante par système électif dans les conseils d'universités est une des conséquences des manifestations de Mai 1968, manifestations auxquelles ces structures n’ont pas pris part, et ne se sont pas identifiées. Mai 68 s’est fait à l’encontre d’un gouvernement que les corpos de droite soutiennent. Pourtant l’institution de représentants étudiants dans les conseils d’université est une avancée objective qu’elles peuvent difficilement dénier. Dans le même temps, celles-ci sont issues de propositions faites par Mr. Faure, qui tendra peu à peu vers le pompidolisme, au détriment du gaullisme. Tensions supplémentaires qui s’ajoutent pour les corpos de droite. Leur vision partisane les empêche alors de se définir une ligne d’action claire, générant des revirements successifs au gré de l’influence conjoncturelle des tendances internes et des évènements.

139.

( ) DAHU, le journal de la F.N.E.F., n°spécial « le scandale de la M.N.E.F. », mars 1972.

140.

( ) http://www.ina.fr/archivespourtous/ index.php?vue=notice&from=fulltext&full=pompidou&cs _page =64&cs_order=3&num_notice=449&total_notices=942

141.

( ) Le Monde, 30 mars 1972, in BACHY Jean-Paul et Claudine, op. cité, p 159.

142.

( ) Conseil National des Etudes Supérieures et de la Recherche.

143.

( ) L.I.D.I.E : Liste Indépendante de Défense des Intérêts des Etudiants (A.N.E.M.F. et F.N.A.G.E.). Cette liste est en fait un sigle électoral et constitue la base de ce qui deviendra dans les années suivantes le C.L.E.F. Histoire des associations étudiantes françaises, F.A.G.E.

144.

( ) Comité de Liaison des Etudiants de France, présidé par Alain Marié, issu de l’A.G.E.M.P. (Association Générale des Etudiants de Médecine Paris).

145.

( ) Ainsi, lors des élections étudiantes de mars 1969 à Lyon, cette organisation doit se contenter de 2,9 % des voix et de 2,1 % des sièges. Historique du mouvement syndical étudiant à Lyon et en France, Archives de l’U.N.E.F.-R.E. de Lyon.

146.

( ) Le C.L.E.F. regroupe à sa création l’Association Nationale des Etudiants en Lettres, Droits, Sciences Economiques et Technologie de France (A.N.E.F.), l’Association Nationale des Etudiants en Médecine de France (A.N.E.M.F.), l’Association Nationale des Etudiants en Pharmacie de France (A.N.E.P.F.), l’Union Nationale des Etudiants en Chirurgie Dentaire (U.N.E.C.D.), la Fédération Nationale des Grandes Ecoles (F.N.A.G.E.). Histoire des organisations Etudiantes, document interne de formation, P.D.E.

147.

( ) Par corporation, nous entendons une « association constituée par les membres d’une même profession, afin de défendre et de promouvoir des intérêts communs ». FERREOL Gilles, Dictionnaire de sociologie, Ed. Armand Colin, mai 1996, article corporation. Cette définition rejoint du reste celle qu’en donne Manuel Segura dans sa recherche historique sur les associations étudiantes : « Par corporatisme, nous entendons l'activité des étudiants consistant à défendre leurs intérêts (dans les études, dans les activités sportives, dans leurs loisirs) avec les instances universitaires et civiles ». SEGURA Manuel, La faluche, une forme de sociabilité estudiantine, Mémoire de maîtrise en Histoire Poitiers, 1994.

148.

( ) LICHET Thierry, Du mouvement associatif comme acteur de développement local, mémoire de D.E.S.S. de Sociologie appliquée au développement local, Université Catholique d’Angers, 1997. LE BART Christian, MERLE Pierre, La citoyenneté étudiante, P.U.F. février 1797.

149.

( ) Respectivement les mono-disciplinaires de Lettres et Droit, de Médecine, de Pharmacie, des Grandes Ecoles, et de Chirurgie Dentaire.

150.

( ) MORDER Robi, article sur www.transfac.fr/quotidien/histoire.htm.

151.

( ) TARGIEFF Pierre-André, in Le Figaro, 17 juillet 2003.

152.

( ) Statuts du C.L.E.F., article 8, archives de la F.A.G.E.

153.

( ) Statuts du C.L.E.F., article 11, archives de la F.A.G.E.

154.

( ) Statuts de la F.N.E.F., article 17, archives de la F.A.G.E.

155.

( ) ERLICH Valérie, op. cité.

156.

( ) www.montaigne.u-bordeaux.fr.

157.

( ) Présence syndicale : des implantations en croissance, une confiance des salariés qui ne débouche pas sur des adhésions. Premières synthèses, Avril 2007, n°14.2. Cet accroissement du nombre de structures et de représentants syndicaux s’observe sur toutes les strates d’entreprises, même si elle est un peu plus marquée pour les structures de 100 à 499 employés.

158.

( ) Nous comparons ici des pourcentages d’adhésions et des nombres de créations de structures. Si nous ne pouvons donc affirmer mathématiquement par ce graphique la domination numérique du secteur associatif étudiant (impossibilité de trouver un dénominateur commun à ces deux facettes du tiers secteur), la forme des courbes nous renseigne très explicitement sur les processus sociaux à l’œuvre.

159.

( ) FILLIEULE Olivier, sous la direction de, Le désengagement militant, Belin, 2005.

160.

( ) BOLTANSKI Luc & CHIAPELLO Eve, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 2001.

161.

( ) Association Nationale des Etudiants de Médecine de France.

162.

( ) Les statuts de l’A.N.E.M.F., structure dont sont issus nombre des fondateurs de ces sociétés mutualistes, sont à cette époque explicitement en faveur de l’option libérale. Ainsi, l’un des but affirmé dans les statuts fondateurs de cette organisation est « d’assurer l’avenir libéral de la profession médicale … d’entretenir de bons rapports avec les autres organisations professionnelles ayant le même idéal qu’elle afin d’assurer l’avenir libéral de la Médecine ». In statuts de la F.N.E.F., 1975. Archives de la F.A.G.E.

163.

( ) Société Mutualiste des Etudiants de la Région Rhône-Alpes.

164.

( ) Rapport n° 1778 du 6 Juillet 1999, Le Régime Etudiant de la Sécurité sociale, Président M. Alain Tourret, Assemblée Nationale.

165.

( ) Statut du C.L.E.F., article 7, archives de la F.A.G.E.

166.

( ) C’est-à-dire, d’un point de vue procédural, de faire remonter l’information au niveau national par une structure pyramidale à plusieurs échelons, pour qu’elle redescende ensuite lors d’une Assemblée générale ou d’un C.A.

167.

( ) Statut du C.L.E.F., articles 13 &16, archives de la F.A.G.E.

168.

( ) Pour Maffesoli, une communauté est « un petit groupe fonctionnant sur la proximité et qui ne s'inscrit qu'en pointillé dans un ensemble plus vaste » MAFFESOLI Michel, Le temps des tribus, Editions La Table ronde, 3eme édition, 1988, p 152. Giraud propose pour sa part la définition suivante, qui reste peu éloigné : « Le communautaire est la forme prise par un ensemble social qui se structure autour d’une autorité charismatique dans une logique d’autosubsistance et de clôture sur soi renforcée par des règles rituelles visant le sacré quel qu’il soit … » GIRAUD Claude, L’intelligibilité du socialChemins sociologiques, L’Harmattan, Logiques sociales, 1999, p 21.

169.

( ) Ce symbole de la vie étudiante restera tout au long du développement de la modernité fortement présent dans certaines corporations, les associations des filières Médecine, Droit notamment. Introduite dans la ville de Montpellier au début du XXème siècle, « il y eut [à cette époque] une véritable "épidémie". Ainsi lycéens, clercs d'huissiers, garçons coiffeurs et bien d'autres adoptèrent à leur tour un couvre chef. Le même phénomène se produisit à Paris » La fonction symbolique de cet objet, son rôle fédérateur ainsi que sa forte incidence sur la constitution et la perdurance d’un nous collectif ont notamment été analysées par Manuel Segura, dont nous citerons ici in extenso l’analyse : « Il est toujours possible d'unir les uns aux autres, par les liens de l'amour, une plus grande masse d'hommes, à la seule condition qu'il en reste d'autres en dehors d'elle pour recevoir les coups". (Freud : Malaise dans la civilisation). C'est sur ce principe que se sont formées les associations étudiantes. Elles ont permis d'instaurer un Nous, les étudiants, par rapport à l'Ouvrier, par rapport au Bourgeois. Le lien "être étudiant" qui construit ce groupe, ce Nous est une forme de sociabilité. Mais ce Nous est renforcé, voire n'est rendu possible que par le symbolisme. C'est en tant que symbole des étudiants que la faluche est adoptée, car le symbole réunit, il signale l'appartenance en incluant et excluant ». SEGURA Manuel, op. cité. Nous retiendrons de cette analyse le rôle fortement symbolique et communicationnel de la faluche comme élément structurant au sein du secteur étudiant en général, et surtout associatif. Du reste, « l a faluche représente l'irrationnel de tout l'étudiant ». DANIEL Guy, La faluche, Histoire, Décryptage et Analyse, Thèse pour le Doctorat en Médecine, Lille1990. Une telle analyse montre bien la forte prégnance de cette identité collective qui animait les associations.

170.

( ) DANIEL Guy, op. cité.

171.

( ) SEGURA Manuel, op. cité.

172.

( ) Forte de son implantation idéologique et d'un capital symbolique important, l'U.N.E.F.-R.E. domine le monde de la représentation étudiante lors des élections universitaires jusque dans les années 1980. Elle se présente en effet officiellement comme la succession de la grande U.N.E.F. et restera le premier syndicat étudiant au C.N.E.S.E.R. et au C.N.O.U.S. pendant près de dix ans.

173.

( ) DIEU Anne-Marie, Valeurs et associations. Entre changements et continuité, l’Harmattan, 1999.

174.

( ) Ingénieurs sans Frontières. Fédération de groupes locaux d’associations étudiantes d’écoles d’ingénieurs s’investissant dans la solidarité internationale. Créée en 1982, l’idée française a fait son chemin et a essaimé en Belgique et en Espagne notamment. Cette organisation est aussi cofondatrice de Max Havelaar France et de la Plateforme Française pour le Commerce Equitable.

175.

( ) Réseau des associations étudiantes de solidarité internationale, créé en 1994.

176.

( ) Aide et Conseil à la Création d’Entreprise et au Développement de l’Emploi. Créé en 1987, ce réseau spécifiquement étudiant propose des études de marchés, business-plans, conseils juridiques aux porteurs de projets n’ayant pas les ressources suffisantes pour s’offrir les conseils d’un cabinet de professionnels. L’objectif est d’aider ces derniers à rendre leur projet crédible et viable face aux investisseurs privés, publics, associatifs.

177.

( ) Confédération Nationale des Etudiants de France.

178.

( ) Article 8 : « L’assemblée générale de la C.N.E.F. est l’organisme souverain, il a pour fonction principal : d’entendre tout rapport sur la situation financière et morale de la Confédération, et de se prononcer sur les quitus des membres du bureau sortant ; de discuter et de se prononcer sur toutes les questions à l’ordre du jour, et de prendre toutes décisions utiles à ce sujet ; de procéder au renouvellement du Comité Directeur dont le mandat est arrivé à expiration ». Statut de la C.N.E.F., Archives de la F.A.G.E.

179.

( ) Procès Verbal de l’Assemblée Générale de la C.N.E.F. du 10/11/1985, archives de la F.A.G.E.

180.

( ) « Un budget prévisionnel est soumis chaque année par le président et son trésorier au comité directeur » article 16, statuts de la C.N.E.F., archives de la F.A.G.E.

181.

( ) CASTELLS Manuel, op. cité.

182.

( ) BOLTANSKI Luc et CHIAPELLO Eve, op. cité, p 116.

183.

( ) Plaquette de présentation de la C.N.E.F.

184.

( ) Ainsi, « aucune quantité, dès lors qu’elle sert à mesurer une performance, ne peut être trop grande ; aucune entreprise ne peut gagner trop d’argent ni aucun ouvrier être trop productif ». GORZ André, Métamorphoses du travail, p 144.

185.

( ) Arrêté du 9 avril 1997, article 14. Arrêté communément appelé « arrêté Bayrou ».

186.

( ) Comme le montre cependant Todd dans « L’illusion économique », une telle vision du monde vise davantage à théoriser pour les classes dominantes un anti-populisme qui ne dispose pas de véritable base anthropologique en France. TODD Emmanuel, L’illusion économique, Folio, 1999.

187.

( ) « Dans toutes les sociétés développées, la hausse du niveau culturel a conduit à un étirement de la stratification sociale. La rupture de l’homogénéité entraîne, d’une même mouvement, la remise en question du principe d’égalité et de l’idéal national ». TODD Emmanuel, L’illusion économique, p 184.

188.

( ) Phrase introductive à « Mémoires de guerres ». On retrouve ce concept encore aujourd’hui dans les documents du mouvement néo-gaulliste de Nicolas Dupont-Aignant, « Debout la République ».

189.

( ) Archives de la F.A.G.E., P.V. du C.A. élargi de la C.N.E.F. du 28 Avril 1985. Ce chant fait une référence explicite aux étudiants morts en pays d’Outre-mer et notamment d’Afrique du Nord pour sauvegarder la présence de la France. Il a depuis été retiré des paillardiers et autres recueils de chants qui animent les soirées étudiantes ou faluchardes pour ses connotations trop particulières.

190.

( ) L’utilisation du terme « parti » par le rédacteur du compte-rendu de l’époque pour qualifier la C.N.E.F. interpelle tout autant. Il n’est pas sur que les plus hauts responsables de cette organisation disposent tous d’une analyse apolitique de leur rôle. L’avenir et les déboires ultérieurs de cette organisation confirmeront ces orientations.

191.

( ) Même si cette vision se fait parfois quelque peu utopique, les villes universitaires nouvelles comptent tout autant sur le dynamisme d’une population jeune que sur les perspectives sociales et professionnelles d’une implantation d’un équipement d’Enseignement Supérieur en leur sein. Ainsi, comme le cite Fischer, « à Valence, on croit pouvoir affirmer que les 6 000 étudiants que la ville recense ont permis le maintien de douze écrans de cinémas commerciaux, la publication d’un guide iconoclaste des lieux et des commerces de la ville, ou des soirées musicales dans plusieurs bars à l’atmosphère contemporaine ». Développement universitaire et développement territorial. L’impact du plan U 2000 (1990-1995), D.A.T.A.R., La documentation française, 1998, in Fischer, op. cité, p 487.

192.

( ) Collectivités territoriales et vie étudiante, Observatoire de la Vie Etudiante, mars 2002.

193.

( ) http ://ave.valence.free.fr/assoce.php.

194.

( ) PECKEUR Bernard, Le développement local, 2eme édition, Syros, octobre 2000, p 38.

195.

( ) HAURIOU Maurice in LOUREAU René, L’analyse institutionnelle, Les Editions de Minuit, 1991.

196.

( ) PASQUIER Sylvain, Une seule solution, l’association ?, Revue du MAUSS, n°11, 1er semestre 1998, p 261.

197.

( ) Courrier de protestation de l’A.F.G.E.S., 24 Septembre 1987, archives de la F.A.G.E.

198.

( ) Lille Catho et l’A.F.G.E.S. gèrent les derniers restaurants universitaires restés sous tutelle étudiante, la fédé de Montpellier et celle de Strasbourg disposent de leurs propres bars, de leurs boites de nuit, la fédération de Strasbourg gère même un centre de vacances. Ces structures emploient toutes un nombre parfois important de salariés. L’A.F.G.E.S. emploie à cette époque près d’une vingtaine de salariés. Elle dispose d’une implantation considérable sur le plan local, tant au niveau des étudiants qu’au niveau institutionnel. Elle entretient des rapports privilégiés avec des représentants politiques de toutes tendances, qui sont le plus souvent d’anciens associatifs étudiants venus à la vie politique.

199.

( ) L’écroulement de la C.N.E.F. est assimilé « à des différences entre personnes et mono-disciplinaires, qui ont fait que l’action de ce bureau [de l’époque] à été un échec ». Dossier n°4, création de la F.A.G.E.M - Compte rendu de réunion interdisciplinaire, archives de la F.A.G.E.

200.

( ) Fédération des Associations Générales Etudiantes et Mono-disciplinaires.