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Eléments de synthèse :

A partir de la fin des années soixante, le monde universitaire se transforme. On assiste à une massification croissante des effectifs étudiants dans les universités, alimentée par un triple flux : densification de la population des enfants de cadres, démocratisation progressive et féminisation des populations étudiantes. Cette croissance des effectifs s’accompagne de transformations sociétales de fond, avec l’affirmation du second individualisme et le passage de la première à la seconde modernité. En écho à ces évolutions, le monde représentatif étudiant se transforme lui aussi, laissant apparaître des formes nouvelles d’organisations, elles-mêmes plus en phase avec les évolutions sociétales. Si cette période est pour le monde associatif étudiant une période de flou, de reconstruction, il reste qu’il préfigure par instant, même dans un tel contexte, les évolutions des formes d’engagements des individus dans le monde social.

Dans un premier temps, l’éclatement de l’U.N.E.F. laisse le monde étudiant sans véritable représentation politique structurée et crédible. A partir des années soixante-dix, deux groupes se font face et tentent de s’imposer comme acteur représentatif unique de la population étudiante : les groupuscules extrémistes, et les nouveaux syndicats étudiants d’un coté, la représentation corporatiste étudiante emmenée par la F.N.E.F. et de nouvelles associations étudiantes émergentes de l’autre.

La période allant de la fin des années soixante à la fin des années
quatre-vingt n’est pas, pour le mouvement associatif étudiant, une période faste et d’expansion. Engoncé dans les conséquences de la politisation du milieu étudiant, enfermé dans des schèmes conceptuels et d’organisation caractéristique du début de la société industrielle, le secteur associatif étudiant reconnaît difficilement les transformations sociales à l’oeuvre, et ignore le plus souvent les innovations sociales qui naissent en son sein. L’ensemble des structures vivote, en léthargie. Alors que les syndicats et groupuscules ont sur le terrain local et au niveau national un discours clair et fort, aisément reconnaissable et identifiable, les associations sont inaudibles et aphones.

A partir du début des années soixante-dix, le mouvement associatif étudiant tente toutefois de se reconstruire. Il est cependant scindé en deux entités distinctes :

  • un premier groupe, composé essentiellement des corporations étudiantes des filières de Santé et de Droit. Ces structures sont pour l’essentiel des associations étudiantes ayant survécu à la politisation du milieu étudiant, et qui sont empreintes d’une identité pré-professionnelle forte. Elles se regroupent pour l’essentiel au sein de la F.N.E.F.
  • un deuxième groupe, composé des associations qui apparaissent progressivement dans les nouvelles filières, les nouveaux lieux d’enseignement, au fur et à mesure du développement de la carte universitaire, ou qui renaissent dans d’anciens lieux universitaires désertés. Sans attache historique, il trouve son origine dans la population étudiante nouvelle qui accède à l’Université grâce à la démocratisation de l’enseignement.

Dans les premières années qui suivent sa création, la F.N.E.F. tente de rallier sous sa bannière le mouvement associatif étudiant dans son ensemble. Elle adopte en 1965 une charte d’organisation interne, qui se veut le pendant de la Charte de Grenoble. Cependant, derrière un discours apolitique, se cache quelques authentiques indépendants et une majorité conservatrice. Ses incohérences internes et son absence de neutralité politique, qui peu à peu apparaissent au grand jour, conduisent à un déclin massif de son audience à partir du début des années soixante-dix. La concurrence de groupements étudiants clairement politiques de tendances réformistes et modérées viendra achever un an plus tard la représentativité de cette organisation.

Sur la base d’un regroupement de quelques mono-disciplinaires, le C.L.E.F. émerge en 1974. Dans un contexte de prégnance de la valeur travail et une société en pleine expansion, cette organisation s’élabore sur la base des identités pré-professionnelles des cursus étudiants.

Dès ses origines, cette organisation s’implique dans la transformation de la société salariale en société capitaliste–industrielle. Ainsi, le C.L.E.F. se fait porteur d’un discours et de pratiques clairement libéraux, participant totalement du ralliement des élites au néo-libéralisme. Les corporations locales s’impliquent pour leur part fortement dans la création des mutuelles régionales, dont l’objectif est de concurrencer la M.N.E.F., dans une approche plus libérale et moins unitaire. Si le monde étudiant se plie dès cette époque avec une relative docilité à l’affirmation de la concurrence et du libéralisme, la quasi-totalité des autres organisations du tiers-secteur ne suivra cette tendance qu’à contre-cœur et de manière plus tardive, rarement avant le début des années quatre-vingt. Les collusions d’intérêts qui se développent alors entre certaines associations étudiantes et organismes bailleurs de fonds donnent à voir une préfiguration potentielle de processus similaire sur le monde social.

Cette organisation et le réseau qu’elle fédère s’impliquent de plus dans le renouveau des communautés, avec notamment la renaissance de la faluche, coiffe étudiante traditionnelle, qui devient signe d’appartenance distinctif. S’ils ne préfigurent pas l’émergence d’une nouvelle tendance sociétale, ils s’inscrivent cependant de plain-pied dans une dynamique qui renaît à cette époque et participent pleinement à sa diffusion.

Mais ce premier groupe passe à l’époque à côté des principaux changements dynamiques de cette période :

  • la création des filières professionnalisantes fait naître de nouvelles associations étudiantes au sein de celles-ci, dont le C.L.E.F. et les corpos étudiantes se désintéressent.
  • en outre, le monde étudiant a, en quelques années, fortement évolué, participant à l’affirmation dans l’ensemble de la société de dynamiques autonomistes, communautaires, et d’une manière générale, tendant à accorder plus de poids à l’individu, et moins aux structures. On assiste par exemple au cours de cette période à un basculement entre les formes d’engagement collectif ; les individus abandonnent progressivement le syndicalisme pour s’investir dans les associations. Sur ce processus, le secteur associatif étudiant montre là encore son antériorité par l’apparition de ce phénomène près de dix ans avant sa retranscription dans l’ensemble du monde social.
  • ces pratiques plus autonomes génèrent l’émergence de nouveaux projets d’associations étudiantes, marqués par l’individuation. Des associations thématiques, c’est-à-dire centrées autour d’un thème d’action transversal extérieur au cursus pré-professionnel, apparaissent à partir du début des années soixante-dix. Elles développent notamment des actions en direction de l’aide au développement, l’action sociale pour les plus défavorisés. Si un certain nombre de ces dynamiques existent déjà dans le monde social et disposent d’organisations de référence dans celui-ci cherchant parfois des relais dans le monde étudiant, rares seront les associations thématiques à s’inscrire dans cette démarche de réappropriation. Elles créent le plus souvent de nouveaux projets dont certains impactent par répercussion le monde social et le transforme : le réseau étudiant I.S.F. est ainsi l’un des cofondateurs de Max Havelaar France par exemple.

Dès lors, il se crée un fossé grandissant entre les nouvelles tendances d’action du mouvement associatif étudiant de cette époque et le C.N.E.F. Celui-ci connaît en outre rapidement les mêmes travers politiques que la F.N.E.F. Enfin, la crise économique qui éclate à partir des années 75 vient invalider rapidement la pertinence d’une structuration autour de la valeur travail et du corporatisme.

Face à ce constat d’échec, la F.N.E.F. et le C.L.E.F. se réunissent en 1982 pour créer la C.N.E.F. Si l’objectif est de dépasser les lacunes précédentes rencontrées, cette nouvelle organisation développe cependant rapidement les mêmes errements que ses prédécesseurs. Enfermée dans une hégémonie des mono-disciplinaires, un centralisme du pouvoir marqué, la C.N.E.F. n’apporte pas de réelles innovations dans les modes d’engagements des individus dans le monde social. A l’instar de ces deux prédécesseurs, cette nouvelle fédération se bâtit dans une forme exclusive d’organisation, empêtrant de fait son développement dès sa création.

A la suite du C.L.E.F., cette nouvelle organisation s’implique dans l’affirmation du libéralisme. Elle filialise ses activités économiques, et prend presque la forme d’une entreprise en réseau. A ce titre, elle laisse entrevoir avec près de dix ans d’avance l’entreprise maigre des années quatre-vingt-dix mis en évidence par Boltanski. Son positionnement sur la sélection en Université préfigure pour sa part largement les textes officiels de la décennie suivante (Arrêté Bayrou notamment).

Cependant, comme le C.L.E.F., la C.N.E.F. n’aperçoit pas les transformations à l’œuvre dans le monde associatif étudiant. Passant outre les lacunes du C.L.E.F., elle reste de plus aveugle au renouveau du dynamisme fédératif local qui s’exprime dans le monde étudiant dès le début des années quatre-vingt. Ce dernier va certes se nourrir du changement de posture des collectivités territoriales en direction de la vie étudiante : à partir du milieu des années quatre-vingt, avec notamment le développement du plan U 2000, celles-ci prennent acte de leur rôle dans ce domaine, et cherchent à développer leur compétence et leur savoir-faire en ce domaine. Ce fédéralisme local nouveau trouve cependant aussi et surtout son origine dans un attrait nouveau des structures associatives en direction du local, qui se couple à une volonté pour les associations de se structurer dans un but de partage et de mutualisation des expériences. Ainsi, par la construction de partenariats équitables avec les collectivités locales concernées, s’élaborent pour les fédérations et les associations étudiantes des pratiques partenariales institutionnelles nouvelles, où celles-ci sont pleinement reconnues dans leur rôle d’acteur du développement économique, social et culturel local. Cette plus grande prise en compte des associations étudiantes par les collectivités territoriales coïncide avec la décentralisation administrative qui elle-même permettra une profonde transformation des rapports entre associations du monde social et institutions locales.

Dès lors, cette nouvelle fédération nationale trébuche rapidement. Elle se heurte à l’inadéquation de ses statuts, qui confèrent aux mono-disciplinaires un poids et une représentativité hégémonique, quand l’essentiel des forces vives du mouvement associatif étudiant se trouve dans les associations locales et les fédérations de ville. Elle est en outre divisée sur les relations à avoir avec l’U.N.I. et le C.E.L.F., deux syndicats étudiants de droite avec lesquels certaines de ses instances souhaiteraient travailler lors des élections C.N.O.U.S. et C.N.E.S.E.R. A l’instar de ce que connaîtra le syndicalisme ouvrier, les attentes sociales de déconnection entre représentation syndicale et idéologie politique frapperont durement le potentiel de mobilisation de la C.N.E.F. Aussi, à peine cinq ans après sa création, cette organisation s’effondre et cesse de tenir Congrès.

Pour combler ce nouveau vide, les associations étudiantes, sous l’impulsion cette fois-ci des fédérations de ville, tentent la construction d’une structure alternative, « Défense des Etudiants ». Celle-ci n’est dans un premier temps qu’un sigle électoral, permettant aux organisations associatives de se présenter sous une bannière commune lors des scrutins étudiants nationaux. Cependant, la loi de d’orientation du 10 Juillet 1989 vient précipiter la création d’une structure officielle, en imposant désormais aux organisations étudiantes, pour être jugées représentatives au niveau national, de disposer d’élus, soit au C.N.E.S.E.R., soit au C.N.O.U.S.

Aussi, le 12 décembre 1989, la F.A.G.E., Fédération des Associations Générales Etudiantes, est créée. Cette nouvelle organisation vise à structurer le réseau associatif étudiant, avec cette fois-ci les fédérations de villes comme pierres de base. Les mono-disciplinaires, embarrassées par cette nouvelle construction dans laquelle elles ne disposent plus, à la différence des précédentes, de tous les pouvoirs, hésitent sur la position à tenir. Après avoir soutenues activement sa création, elles décident lors de la formalisation des statuts de ne pas être membres à part entière de cette organisation, mais simplement membres associés, pour quelque temps plus tard demander à intégrer pleinement celle-ci. Ce changement de statut fait, les mono-disciplinaires décideront finalement de rester à l’extérieur de la F.A.G.E. …

Sur toute cette période, et a fortiori lors de la création de ce nouveau réseau, le mouvement associatif étudiant se fait fortement participatif des transformations des modes d’engagement des individus dans le monde social, en même temps qu’en avance sur celles-ci dans un certain nombre de cas. L’émergence de projets davantage portés vers l’altérité, ainsi que la redécouverte de la force du local et la réappropriation par des bénévoles de cette dimension dans la création de leur projet associatif et fédératif sur le milieu étudiant, précéderont de plusieurs années des postures similaires dans l’ensemble de la société. En même temps, l’émergence d’une représentation politique nationale d’un groupe d’individus sur des bases associatives et politiquement indépendantes révèle, à partir du début des années quatre-vingt-dix, des formes nouvelles de représentation politique qui tendent aujourd’hui à apparaître (A.T.T.A.C. par exemple, même si les éléments constitutifs de la F.A.G.E. et de cette dernière ne sont pas similaires). Bousculant cette fois encore le consensus social, le mouvement associatif étudiant invente et promeut, avec la naissance de la F.A.G.E., des formes nouvelles d’engagement collectif, qui impacteront ultérieurement les autres secteurs du monde social.