Eléments de synthèse :

La fédération des Associations générales Etudiantes (F.A.G.E.) qui naît
le 12 décembre 1989 est un assemblage nouveau, atypique, du milieu associatif étudiant. Cette structure fédérative nationale, de forme inclusive, succède à trois organisations de type exclusif, la F.N.E.F., le C.L.E.F. et la C.N.E.F., qui durant près de plus de vingt ans ont tenté sans succès de réunir ce milieu de plus en plus hétéroclite.

S’appuyant sur les fédérations des villes locales, cette organisation marque sa différence en prenant acte dans sa construction des dynamiques associatives qui se donnent à voir dans le milieu étudiant depuis quelques années déjà : force du localisme, multiplication des lieux d’émergence des associations, notamment dans les filières nouvelles et les filières professionnalisantes, formes d’associations elles aussi nouvelles, avec l’apparition des associations thématiques. Signe des changements sociétaux à l’œuvre, elle tranche en outre avec ses prédécesseurs en ne plaçant pas les mono-disciplinaires au centre de l’organisation, l’identité salariale ayant perdu, dans l’avènement de la société capitaliste-informationnelle, sa centralité antérieure.

Cependant ses fondateurs ne se départissent pas de l’aspect historique du mouvement associatif étudiant, le mythe de la grande U.N.E.F. se faisant fortement présent lors des débats introductifs à la naissance de cette organisation. Cette référence perdurera, les statuts de la F.A.G.E. comportant encore à ce jour une référence explicite à « l’Union Nationale ».

Cette construction nouvelle s’appuie sur une forte appétence du public pour l’engagement associatif, le milieu étudiant n’échappant pas à la règle. Ainsi, lorsqu’elle se crée, la F.A.G.E. peut s’appuyer sur un réseau d’environ
6 000 associations, soit environ 60 000 bénévoles répartis sur tout le territoire. Mais ce réseau est très hétéroclite, et fait se côtoyer structures institutionnalisées disposant de salariés, fédérations de villes, mono-disciplinaires, associations de filières anciennes et nouvelles, associations thématiques bâties autour de problématiques sociétales et structures fondées sur des micro-projets. Par cet aspect hétéroclite dans le regroupement opéré, elle préfigure certaines fédérations plus récentes, et notamment la Plate-Forme du Commerce Equitable ( 229 ), construite en 1997, soit près de dix années plus tard. Sa stature nationale lui permet d’institutionnaliser rapidement ce changement, impactant les formes ultérieures des engagements collectifs des individus dans le monde social.

Retraduction de la tension entre modalités d’engagements caractéristiques de la première et seconde modernité, les premiers pas de cette organisation se font dans une tension continue entre formes d’organisations caractéristiques des deux tendances. Les mono-disciplinaires, structures verticales de filières fondées sur l’identité pré-professionnelle des étudiants se disputent le contrôle de l’organisation avec les fédérations locales de ville, émanations horizontales qui retraduisent la prégnance croissante du local.

Fortes de leur dynamisme et de leur diversité, les fédérations de villes constituent l’ossature de la F.A.G.E. Ces structures sont elles-mêmes de compositions variées, accueillant en leur sein à la fois des associations de filières et des associations thématiques. Leur représentativité au niveau local est avérée, puisqu’elles regroupent en moyenne près de 55 % des associations étudiantes locales.

Le nouveau tissu associatif étudiant donne naissance à une forme organisationnelle novatrice, aux centres de décisions locaux et multiples, un
poly-système. Rompant avec les modèles de la société salariale, cette nouvelle organisation fédérative s’inscrit dans une logique d’enpowerment, de pouvoir par le bas. Les structures locales orientent l’organisation, cette dernière devenant davantage un lieu de synthèse qu’un lieu d’émergence d’une ligne politique.

La logique des liens réunissant le local et le national se construit désormais sous un angle plus partenarial et relationnel. Le pragmatisme, l’acte de service, l’identité locale et l’immédiateté, le concret des réalisations, l’interrelation constituent les piliers de cette multitude. En ce sens, ce réseau se fait particulièrement acteur du développement des formes nouvelles de l’engagement collectif des individus dans le monde social.

L’adéquation de ce nouveau modèle avec les attentes du terrain se retraduit rapidement dans les résultats électoraux des listes nationales présentées par la F.A.G.E. Ainsi, en 1994, la F.A.G.E. s’installe de manière appuyée dans le paysage représentatif du monde étudiant, en obtenant 25 % des sièges des deux instances nationales C.N.E.S.E.R. et C.N.O.U.S., là où les précédentes organisations associatives nationales n’en obtenaient que 7,5 % environ quelques années auparavant. Elle devient même pour un temps la première organisation étudiante en termes de représentativité, devançant l’U.N.E.F.-I.D. habituée du fait.

Cette reconfiguration du rapport électoral se fait dans une large mesure au détriment des organisations syndicales étudiantes de gauche. Entre 1983 et 2002, l’aire d’influence de ces dernières passe de 62,39 % à 44,6 % des voix étudiantes, celle des syndicats de droite étant peu impactée. Ces transformations bousculent les positions institutionnalisées. Elles invitent à penser l’émergence d’un nouveau rapport au politique dans le monde étudiant, de philosophie social/humaniste, construit sur des bases associationnistes.

Cette nouvelle organisation se trouve cependant confrontée cette même année 1994 à la crise du C.I.P. Ce décret procède d’une forte remise en cause des identités et devenirs professionnels des étudiants des filières I.U.T. / B.T.S. notamment, alors regroupées avec les C.A.P. / B.E.P. et les jeunes sans diplômes. Il mobilise contre lui un nombre important d’étudiants, attachés à la défense de la valeur de leur diplôme et de leur devenir professionnel.

C’est dans ce contexte de précarisation des identités professionnelles que la F.A.G.E. et le réseau associatif étudiant connaissent leur première crise interne. Trois mono-disciplinaires décident en effet de se regrouper et de construire une structure alternative, P.D.E. (Promotion et Défense des Etudiants).

Cette nouvelle organisation défend l’idée d’une structuration fédérative nationale fondée en premier lieu sur les identités pré-professionnelles des étudiants. Elle est aussi le retraducteur de la guerre de tranchée que se livrent les mutuelles étudiantes régionales depuis la création de la F.A.G.E. pour le contrôle de l’organisation. Chacune disposant de poulains lors de l’élection au Bureau National, les hommes-liges de la S.M.E.R.R.A., évincés lors du scrutin de 1994, décident de créer une organisation concurrente avec l’appui de cette mutuelle. Dès lors, deux modèles d’organisations associatives vont se faire face, chacune caractéristique de deux modèles d’engagements collectifs divergents.

Le monde associatif étudiant connaît dès lors une bipolarité institutionnelle : la F.A.G.E. s’appuie sur le local et sur son hétérogénéité, P.D.E. défend les identités pré-professionnelles et une sectorialité des questions de l’Enseignement Supérieur. Au fil des années, certaines mono-disciplinaires oscilleront de l’une à l’autre, fonction pour l’essentiel d’intérêts financiers et/ou personnels. Nous reviendrons cependant plus précisément sur ce point lors de notre deuxième partie. Il est à noter que ce type de scission, sur des bases essentiellement financières, n’a jamais eu à ce jour l’heur d’exister dans l’ensemble du monde social, tout type d’organisation confondu.

Malgré cette tension, le réseau associatif animé par la F.A.G.E. poursuit son inscription et sa participation active au développement de la société capitaliste-informationnelle, se faisant de plus en plus moteur dans le développement de celle-ci. A ce titre, une centrale d’achat nationale est créée, société de service à destination des associations étudiantes. Cette structure privée – F.A.G.E.-Assos-Service – construit son offre sur et autour du réseau animé par la F.A.G.E. Si cette entreprise ne vivra guère plus d’une année, son échec confirme cependant que le développement économique des associations étudiantes s’effectue pour une large partie au niveau local, l’essentiel des échanges marchands de ces structures se situant à cet échelon. Dans le cadre du développement de la société capitaliste-informationnelle et de la reconfiguration des modes d’engagement collectif dans le monde social, le réseau associatif étudiant s’impose au niveau local comme un acteur économique d’importance croissante.

Ce réseau se construit autour des dynamiques de la seconde modernité, participant à leur institutionnalisation. Indépendance, multiplicité, forte importance donnée au local et au terrain, variété des projets et des actions en sont les maîtres-mots. Il rejoint en cela des dynamiques visibles plus largement dans le monde social, et dont il se fait tantôt le reflet, tantôt le préfigurateur.

Dans le même temps, le réseau associatif étudiant tend à inscrire une part croissante de ses modalités de fonctionnement dans l’informel, la fuite des normes rationnelles et formalisées de la société moderne. Il est pour une part importante regroupé au sein de la F.A.G.E. (environ 1/3 des structures associatives selon nos calculs), dans une moindre mesure au travers des réseaux de P.D.E. et dans celui d’AnimaFac, l’essentiel des associations locales non partenaires de la F.A.G.E. se développant à l’écart de tout réseau fédératif. Elles inscrivent alors totalement leur action dans l’informel, l’autonomie et l’indépendance. Là encore, le mouvement associatif étudiant donne à voir tantôt des reflets, tantôt des exacerbations de modes d’agir visibles dans l’ensemble du monde social, les éléments excessifs de l’agir associatif étudiant d’aujourd’hui risquant fort de devenir la norme des engagements dans le monde social de demain.

Créée en 1994, P.D.E. se développe autour de quelques filières. Elaborée sur la base de fortes ambitions personnelles et financières ainsi que sur une philosophie corporatiste marquée, il apparaît cependant au fil des années que les mono-disciplinaires peinent à attirer les nouvelles associations étudiantes qui se créent. Construites sur un modèle d’organisation exclusif, ces structures verticales vivent de plein fouet la déconnection entre construction de l’identité individuelle et situation professionnelle, à l’instar des syndicats ouvriers quelques années auparavant. De plus, le milieu des années quatre-vingt-dix voit se développer en leur sein un processus d’éclatement des organisations sur la base d’une spécialisation croissante. Si l’on retrouve ici totalement les analyses de Jacques Ion en la matière, ces éclatements reproduisent aussi ceux qu’aura connu le syndicalisme ouvrier au début des années 1900.

Un troisième réseau émerge en 1996, AnimaFac. Fondée par des transfuges de l’U.N.E.F.-I.D. et appuyée par la Ligue de l’Enseignement, cette organisation cherche alors à regrouper autour d’elle les associations étudiantes qui le souhaitent. Elle se donne comme double objectif d’être une structure d’appui technique aux associations étudiantes, en même temps qu’une organisation de plaidoyer en faveur d’une reconnaissance par la société civile de l’engagement associatif étudiant. Organisation confédérale associative, ses contours sont volontairement flous, lui permettant de s’adapter le cas échéant aux évolutions des associations qui participent à son réseau. De manière assez novatrice en même temps que par obligation structurelle, la participation au réseau est privilégiée à l’adhésion. Si un tel processus a déjà été mis en évidence par Ion pour l’adhésion aux structures locales, il s’agit en revanche de la première forme d’organisation fédérative de dimension nationale à se réapproprier un tel process pratique. En 1998, AnimaFac revendique regrouper 5 000 associations ; il s’agit pour l’essentiel d’associations thématiques. Il assoit son existence au fil du temps comme un lieu de ressources et d’échanges entre associations.

La poursuite du développement de la F.A.G.E., dix ans après sa naissance donne une indication des modélisations futures possibles des réseaux du secteur sans but lucratif et des modes d’engagement des individus dans le monde social. A ses débuts dépendante de quelques financeurs privés, l’organisation s’émancipe rapidement de ces tutelles en multipliant et diversifiant ses partenariats. Dans la même dynamique, elle élargit la gamme de ses interlocuteurs institutionnels, afin de démultiplier son pouvoir de négociation. Elle adopte le plus souvent un positionnement conjuguant participation et indépendance, dans une attitude qui se veut à la fois pragmatique et modérée.

La F.A.G.E. se positionne en outre lors des élections du bureau de la M.N.E.F. en 1997, et défend l’idée d’une mutualité étudiante gérée par les étudiants. Mobilisant son réseau à cet effet, elle ne réussit pas à rallier à cette idée P.D.E., centrée sur les mutuelles régionales. L’échec est partiel, ces élections étant remportées aux deux-tiers par l’U.N.E.F.-I.D. Néanmoins, dès l’année suivante et la liquidation de la M.N.E.F. consommée, elle est à l’origine d’un partenariat avec la M.G.E.N. et la F.N.M.F., pour créer la L.M.D.E. Cette ouverture institutionnelle vers l’extérieur s’adjoint d’une entrée dans l’Intersyndicale. Elle revendique à ce titre le souci du résultat, loin des utopies et des dogmatismes.

Dans le même temps, les tensions nées des réticences des
mono-disciplinaires s’estompent : le modèle d’organisation qui prévalait lors de la société salariale disparaît peu à peu devant la montée des réseaux et du local. La F.A.G.E. intègre alors ces dernières de manière spécifique dans son organisation et dans sa répartition des pouvoirs, fondant un équilibre nouveau entre identités pré-professionnelles et identités locales. Emerge ici un système innovant, atypique et visible nulle part ailleurs, conjuguant communauté salariale et socialité locale.

Ce nouvel agencement permet dès lors à la F.A.G.E. de se positionner sur les problématiques de société avec un regard atypique par rapport aux autres acteurs du social. Elle s’affirme notamment dans les problématiques de relations internationales, en étant la première organisation représentative à œuvrer en faveur du commerce équitable, et à intégrer cette thématique dans ses actions propres. Elle est ici en plein dans la construction d’une conscience humaine internationale, élément fort de la seconde modernité, se faisant élément fortement moteur et précurseur de celle-ci.

P.D.E. se développe pour sa part après 1996 sur un contre-pied récurrent avec les positions, attitudes de la F.A.G.E. Tandis que cette dernière décide de participer à l’Intersyndicale, le réseau des corporations affirme de plus en plus durement des valeurs contraires, sous un discours fortement corporatiste et exclusif. Un jeu malsain s’instaure entre ces deux organisations depuis 1998, trois élus C.N.E.S.E.R. ou C.N.O.U.S. sur les listes F.A.G.E. changeant successivement d’étiquette, pour rallier P.D.E. sans démissionner de leur mandat. Au fil des années, en excluant ces transfuges, la représentativité de P.D.E. évolue cependant peu, stagnant à un siège dans chacun des grands conseils.

Niche identitaire traditionaliste, des liens très forts perdurent encore, dix ans après sa naissance, entre P.D.E. et les mutuelles régionales, et obstruant son développement. Ses instances dirigeantes restent sous contrôle proche de ces dernières. Son devenir sera celui des organisations faux-nez du secteur privé, qui n’ont d’existence que temps qu’elles restent utiles à l’entreprise qui les contrôle.

Depuis 1996, le réseau AnimaFac se développe en se concentrant sur des activités de formations à destination des associations thématiques. Privilégiant largement l’informel, il se fait encore plus flou et difficile à appréhender que les deux réseaux précédents.

Si le développement du mouvement associatif étudiant appartient à ces trois réseaux, la plus grande visibilité du réseau F.A.G.E. nous amènera lors de notre partie suivante à privilégier davantage les éléments de ce dernier. Nous amputant partiellement de réseaux sur lesquelles les données restent difficilement accessibles voire inexistantes, nous essayerons en revanche de mettre en lumière de manière plus pointue les éléments observables sur le réseau F.A.G.E., base de notre enquête.

Notes
229.

( ) Dont Ingénieurs sans Frontières, réseau associatif étudiant des écoles d’ingénieurs est un des fondateurs. La P.F.C.E. regroupe en son sein et sur un même pied d’égalité des organisations nationales comme Max Havelaar France, et des structures locales de commerce équitable comme Equisol, structure de commerce équitable présente sur Lyon et Grenoble. Plus que la taille de l’organisation, ce sont les projets et leur importance qui déterminent la pertinence de l’entrée des organisations dans la P.F.C.E.