Face au contexte concurrentiel et au faible taux de subventions publiques disponibles pour les associations étudiantes, la professionnalisation apparaît pour un certain nombre de structures comme une étape obligée pour pérenniser le développement. L’impact de l’embauche de salariés est du reste réel sur la dimension économique de l’organisation. Ainsi, au sein des associations étudiantes, il convient de séparer les structures disposant d’un budget inférieur à 250 000 frs/an (environ 38 000 €) et celles dépassant ce seuil. Ce dernier sépare les structures qui n’ont pas de salariés de celles qui ont la potentialité d’en embaucher un (cf. graphique n°18).
Source : enquête. La dépendance est très significative. chi2 = 331,39, ddl = 3, 1-p = >99,99 %. Les cases encadrées en bleu (rose) sont celles pour lesquelles l'effectif réel est nettement supérieur (inférieur) à l'effectif théorique. Le chi2 est calculé sur le tableau des citations (effectifs marginaux égaux à la somme des effectifs lignes/colonnes). Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 1218 citations. Les valeurs entre parenthèses correspondent aux effectifs.
Comme le montre ainsi le graphique n°18, il existe un fort lien de dépendance entre croissance du budget et présence de salarié. S’il est évident que le développement de la masse salariale d’une organisation entraîne celle de son budget, la place croissante du salariat dans les associations étudiantes au fur et à mesure de leur développement économique doit aussi s’entendre comme une réponse aux attentes et exigences des partenaires privés et institutionnels de la structure.
Il existe en effet des requêtes de conformité de la part des institutions dans le travail partenarial qu’elles mettent en œuvre avec leurs interlocuteurs. Comme l'Etat et ses agréments, tout un système de régulation régit les rapports entre institutions locales et associations. Budget prévisionnel, compte de résultats, ..., « l'administration n'a cessé de régler de manière diffuse mais efficace le droit des associations » ( 233 ). Sous la contrainte exogène des administrations, les associations doivent alors professionnaliser certaines parties de leur activité.
Des requêtes similaires émanent de la part du secteur privé. L’accès aux ressources du sponsoring ou de la publicité commande une exigence d’efficacité professionnelle dans les prestations offertes. Les partenaires privés des associations étudiantes exigent désormais des résultats concrets sur la rentabilité de leur engagement.
Or, comme l’a montré le graphique n°17, l’agir associatif étudiant se développe essentiellement sur la base de financements privés. Ces derniers assurent, plus que pour toute autre organisation du tiers-secteur
(cf. Archambault), une part importante du budget des organisations, a fortiori celles disposant d’un certain volume d’activités. Dès lors, cet appui tend à devenir davantage équivoque.
Plus que lors des périodes précédentes, les partenaires financiers des associations étudiantes souhaitent être fortement associés au projet. Désormais, les sponsors d’une association ne se contentent plus d’un logo à leur effigie sur les affiches de soirées ou d’une publicité lors des manifestations de celle-ci. De nouvelles relations se tissent entre associations et entreprises privées, dans lesquelles ces dernières cherchent à s’impliquer plus fortement dans l’activité de l’association. Ainsi, les entreprises souhaitent désormais être présentes sur la communication de l’événement tout autant que pendant l’événement. Cette présence physique se réalise par le biais d’hôtesse, de stands de démonstration, une distribution de produits publicitaires, … . Les sociétés d’alcool sont largement présentes lors des divers évènements auxquels elles sont associées, en proposant des stands et animations qui leur permettent dans le même temps de vendre leurs produits. Lors des diverses journées de formation que notre association a montées entre 1995 et 1999, notre financeur mutualiste intervenait une heure et demi sur la santé étudiante et le rôle des mutuelles.
De façon similaire, certaines entreprises, afin d’observer de manière rationnelle la rentabilité du partenariat mis en œuvre, transforment les actions des associations étudiantes, en leur ajoutant une composante qui leur est immédiatement spécifique. Ainsi, la subvention octroyée par certaines banques ou certaines mutuelles étudiantes est fonction du nombre de comptes ouverts ou du nombre d’étudiants nouvellement affiliés. Comme le rapporte par exemple le « Décisions Etudiantes » n°23 de janvier 1997, « les entreprises sont plus attentives et sélectives quant à leurs insertions publicitaires. Concrètement, elles attendent plus qu’un encart pub … ». Elles préfèrent bénéficier dans les journaux étudiants de publi-reportages décrivant leurs produits, pouvoir mettre en œuvre des coupons-réponses pour apprécier le résultat de l’encart et se constituer un fichier de prospects, ou encore des coupons de réduction permettant de se donner à la fois une image positive et d’augmenter les ventes, voire d’engager avec l’association un échange de services (encart-pub contre des produits gratuits ou moins chers). En d’autres termes, le soutien financier à une association s’apparente moins à une subvention qu’à un investissement qui se doit d’être rentable. La mise en relation ne suffit plus, et certaines sociétés tendent à transformer le partenariat d’une obligation de moyen en une obligation de résultats.
De fait, l’association est moins vue par le secteur privé comme un acteur de lien social que comme un prestataire de service. Ainsi, certains partenaires n'hésitent pas à faire pression de leur participation financière pour utiliser les associations à leur guise. Ces partenariats peuvent être parfois trop contraignants, conduisant alors à leur non-renouvellement. La logique commerciale développée par ces partenaires trouve ses limites dans l'absence de leur part d'une stratégie relationnelle forte avec les associations étudiantes, nécessaire à l'accomplissement réussi d'un partenariat d'expansion mutuelle.
Outre leur plus forte implication dans le fonctionnement des associations, les sociétés privées imposent de plus en plus leur mode de fonctionnement concurrentiel aux associations étudiantes avec lesquelles elles travaillent. Ainsi, par le biais notamment de concours, elles n’hésitent pas à mettre en concurrence les structures associatives entre elles, pour l’obtention de financements. La promotion des nouvelles technologies s’est ainsi faite par le biais de cette dynamique. En 2000, la F.A.G.E. et la société Multimania organisent un concours ouvert à toutes les associations étudiantes, visant à la fois à l’encouragement de projet d’associations de quelque ordre que ce soit, en même temps que la promotion d’internet auprès des étudiants par l’ouverture de comptes gratuits. Les 100 000 frs (soit environ 15 000 €) de prix seront fournis en totalité par la société Multimania, la F.A.G.E. ouvrant son réseau pour la diffusion et la promotion de ce message.
Sous ce faisceau de contraintes, les associations étudiantes ont, à l’instar d’autres acteurs associatifs de la société civile, intégré ces dynamiques dans leurs modes de fonctionnement. Ainsi, les associations étudiantes tendent à professionnaliser davantage leurs activités afin de pouvoir accéder à des ressources nouvelles et se développer. Les fonctions administratives et commerciales sont alors les premières impactées. Comme le souligne notamment Anne-Marie Dieu pour le cas des O.S.I., l’existence d’un secrétariat fonctionnant avec des permanents rémunérés fait passer l’organisation d’une période artisanale à une stature professionnelle.
C’est dans cet esprit que la F.A.G.E. embauche dès 1995 son premier salarié, pour arriver rapidement à une dizaine d’employés en 1998. Ce développement lui permet de multiplier les partenariats avec des interlocuteurs des secteurs privés et publics. Le processus mis en œuvre est ici similaire à celui vécu par une large part des associations et que Wievorka décrit notamment dans « Raisons et convictions – l’engagement ».
Cette requête de professionnalisation se retrouve désormais jusque dans les journaux étudiants. Ainsi, les fiches techniques du « Décisions Etudiantes » sur le montage de projets culturels ou la recherche de subventions rappellent à de nombreuses reprises la nécessité de faire apparaître de manière explicite l’intérêt pour le sponsor de participer à l’opération. Le n°52 (novembre 2000) de ce même journal comporte un article intitulé « Chacun cherche des sous », dans lequel sont présentées les différentes étapes et techniques pour monter un dossier de demande de subvention. Sur un ton très didactique, tout un panel de conseils très professionnels est donné aux responsables associatifs étudiants qui souhaitent se lancer dans ce montage de dossier. On y trouve le plan général d’un dossier de demande de subventions (description de l’évènement, pourquoi être sponsor, plan de communication du projet, budget, annexes), des explications sur ce que doit comporter la couverture, des trucs et astuces techniques (le nom et les coordonnées d’un contact du projet, l’insertion d’un mot de soutien d’une personnalité, …). Un article similaire est présent dans le n°64 (février 2002), tandis que les n°60 (octobre 2001) et 72 (janvier 2003) s’intéressent à la rédaction d’un dossier partenaire. La multiplicité des articles et dossiers sur ce sujet montre bien la volonté de maîtrise technique dans la recherche de financements qui anime les associations étudiantes ( 234 ).
Elles sont en cela en avance sur une large partie des acteurs du monde social, peu habitués à la négociation avec des partenaires privés. En effet, si la plupart de ces techniques sont déjà utilisées par les structures importantes du monde associatif et notamment celles disposant de salariés, l’essentiel des organisations de taille moindre n’est pas du tout usager ni même connaisseur de celles-ci. Il en est de même pour les structures locales de type syndicales et/ou politiques, peu impactées par la recherche de financement. Cette importante capacité de diffusion de connaissances techniques rend le secteur associatif étudiant davantage performatif que ses consoeurs, générant par incidence un caractère innovant à ce dernier. A titre personnel, il m’a été donné à plusieurs reprises dans ma carrière professionnelle de réutiliser ce type d’apprentissages pour obtenir des financements, là où d’autres acteurs n’en obtenaient aucun.
( ) TANGUY, in Sainsaulieu Renaud & Laville Jean-Louis, op. cité, 1997.
( ) Cette dynamique de la professionnalisation des activités associatives étudiantes est du reste relevée par certains anciens responsables d’associations étudiantes comme une nécessité, influençant par leur discours les pratiques des nouvelles organisations. Ainsi, selon David Vincent, ancien responsable d’association étudiante sur Paris X et chargé de mission relations extérieures chez Max Havelaar en 2001, « les associations étudiantes doivent faire un effort pour se professionnaliser et être davantage en phase avec les réalités du monde contemporain ». Décisions Etudiantes n°62, décembre 2001.