Les similitudes/divergences avec les autres organisations du monde social :

Très nombreuses ont été les associations de l’ensemble du monde social à vivre et se développer à l’ombre des pouvoirs publics, jusqu’au début
des années quatre-vingt. La décentralisation et la crise économique reconfigurent cependant entièrement dès les années qui suivent les rapports associations/institutions et par là même, l’interaction entre associations et secteur privé.

L’environnement économique devient alors aléatoire pour une très large partie des structures du monde social, du fait des baisses de subventions. Ces organisations se voient alors contraintes d’aller en quête de nouveaux marchés pour assurer leur survie. Cette dernière tend à devenir davantage imprévisible, du fait de la courte durée des projets institutionnels, et complexe du fait des réalités sociales générant des besoins sociaux inédits. La prégnance croissante de l’économique questionne les projets et mythes fondateurs, qui dans un certain nombre de cas, ne résistent pas à cette nouvelle contrainte.

A contrario, le monde associatif étudiant reste peu impacté par ces changements, vivant depuis longtemps déjà sans réel financement institutionnel. La recherche de financements privés est une pratique ancienne, la création du Sanatorium par l’U.N.E.F. (cf. première partie) au cours des années Trente procédant déjà de ce fonctionnement.

Ces nouvelles contraintes conduisent à l’apparition de la culture d’entreprise dans le secteur sans but lucratif, avec notamment l’affirmation de notions nouvelles telles que la rentabilité, l’efficience. Le rapport salarial se transforme, et la mise en place d’objectifs quantifiés se développe pour les salariés. Les professionnels se spécialisent, processus souvent réalisé par le recrutement de nouveaux personnels, plus pointus et moins militants.

Ces transformations conduisent à un poids croissant des salariés dans les organisations, du fait de leur importante présence et de leur maîtrise grandissante des arcanes de la gestion et des réseaux. Plus qu’auparavant, des lignes hiérarchiques se forment dans les associations du monde social. Les C.A. et les visionnaires perdent peu à peu leur influence, au profit des gestionnaires et des techniciens professionnels. La nécessité de prises de décisions rapides accentue le phénomène : il n’est parfois pas possible d’attendre le prochain C.A. pour trancher. Dans un certain nombre d’organisations associatives, le C.A. passe de lieu de débat et de définition stratégique à chambre d’entérinement des actions réalisées par les salariés.

Sur le monde étudiant, l’existence de professionnels militants est beaucoup plus rare. La situation diffère notamment par la configuration des emplois proposés. En effet, le plus souvent, la faiblesse des ressources disponibles ne permet aux associations employeurs de recruter que sur des contrats précaires (C.D.D., temps partiels, C.E.S., …), et pour des fonctions de types aides administratifs, secrétariats. Rares sont les postes rémunérés d’encadrement ou à responsabilité dans les associations étudiantes : seules deux structures disposent à ce jour de postes de directeur, l’A.F.G.E.S. et la F.A.G.E.

En outre, la faiblesse des fonds publics octroyés aux structures associatives étudiantes les oblige à devoir financer largement ces postes sur recettes privées. Ainsi, le salarié de la Fédération des Etudiants Lyonnais fut longtemps financé par la S.M.E.R.R.A.

Le rapport salarial diffère donc totalement, les responsables bénévoles étudiants contrôlant largement les organisations. Ainsi, plusieurs directeurs de la F.A.G.E. ont été vers la fin des années quatre-vingt-dix successivement embauchés puis remerciés : anciens responsables associatifs étudiants, ils tendaient à empiéter, dans leurs pratiques, sur les prérogatives du bureau. Depuis, les directeurs ne sont plus d’anciens militants issus du « sérail » ; le bureau décide et assume avec sa propre vision stratégique. Il reste, sur ce milieu, un fort lien entre prise de position stratégique et bénévolat, constitutif à la fois du temps disponible dont disposent les étudiants, et des faibles ressources financières de ce secteur particulier du monde social.Ce lien permet de faire vivre une forte coexistence entre travail salarié et travail bénévole.

La professionnalisation des structures du monde social s’accompagne d’une responsabilisation accrue de tous les acteurs. L’organisation interne devient un enjeu d’efficience. La bureaucratisation, la rationalisation des processus, l’accentuation de la diffusion de l’information interne et des règles internes font leur apparition, tandis que s’estompe l’informel. Les structures, comme les acteurs, entrent dans une recherche croissante de qualité et d’efficience, accentuée par l’émergence de structures privées concurrentes.

L’apparition de ces contraintes économiques et le développement des politiques de ressources humaines par objectifs ont rendu plus délicat, pour un certain nombre d‘acteurs professionnels du monde social, la conciliation entre projet personnel et objectifs de l’organisation. Tandis que les anciens salariés militants se sont vus progressivement remplacés au sein des structures, ces dernières se transforment, l’éclatement entre bénévoles et salariés conduisant à l’adoption de modèles d’organisations plus bureaucratiques ou entrepreneuriales. Comme le montre notamment Sainsaulieu dans « Sociologie de l’association », celles n’ayant pas réussi cette transformation furent vouées à disparaître.

A la différence d’un certain nombre d’acteurs du monde social, les organisations associatives étudiantes ne connaissent pas de difficulté particulière de positionnement avec les organisations du privé. En effet, la dimension politique (au sens utopie du terme) reste, même pour les structures les plus importantes et les plus impliquées, très éloignée de l’action réalisée au quotidien. L’absence de fond idéologique particulier lui empêche toute prise de position trop pointue. Il existe en conséquence une forte pratique du sponsoring dans le milieu étudiant, avec une large gamme d’entreprises du secteur privé. La pratique des modèles d’organisation de type bureaucratique ou entrepreneurial se voit donc plus largement répandue, sur un panel de structures relativement faible cependant, rares étant les associations étudiantes à disposer de la taille critique suffisante.

Le secteur associatif étudiant évolue, à l’instar des autres organisations du monde social, sur le secteur tertiaire relationnel au sens de Sainsaulieu. Il existe cependant une différence profonde. L’association étudiante est aussi, pour les bénévoles, un outil permettant d’essayer de nouvelles idées, de nouveaux projets économiques : mise en place de services, d’activités culturelles, de loisirs, … La notion de rentabilité et d’efficience est donc, par contrainte, intégrée depuis longtemps dans les réalisations étudiantes, puisque celles-ci sont largement économiques : soirées, galas, services de photocopies, manifestations humanitaires, … Ces réalisations se font sans avoir recours le plus souvent à l’économie non marchande, marquant là encore une spécificité du monde étudiant par rapport à l’ensemble du monde social. Bousculant les pratiques habituelles de ce dernier, le modèle de fonctionnement des associations étudiantes rejoint en revanche celui partagé par une très large part des structures sans but lucratif dans le monde. Le modèle français actuellement en vigueur, basé sur un fort financement public, ressort en effet davantage du particularisme. Par l’orientation de leurs objectifs comme par la faiblesse de la strate salariée, les associations étudiantes se rapprochent davantage d’un fonctionnement de type entrepreneurial, en avance sur un certain nombre d’organisations du monde social en France.

A la différence des organisations du monde social, il n’existe quasiment pas de concurrence entre les structures pour les actions menées, de même qu’il n’existe pas de concurrence de structures privées sur les activités. Exceptés quelques organisateurs autonomes de soirées, le secteur privé intervient davantage comme prestataire que comme concurrent. Parfois, ce sont les associations étudiantes qui développent leurs activités à la marge du secteur privé. C’est le cas notamment de l’A.F.G.E.S., fédération des étudiants de Strasbourg qui gère depuis 1927 un restaurant universitaire (La Gallia, plus vieux R.U. de France), une cafétéria (le Minotaure), et depuis 1985, une salle polyvalente pour manifestations culturelles et festives. Outre le fait que ce cas reste une exception dans le paysage associatif étudiant français, ces activités demeurent orientées spécifiquement en direction des étudiants.

La tendance nouvelle de certaines sociétés à vouloir transformer les associations étudiantes en prestataires de service fait apparaître au grand jour un risque inédit dont l’ensemble du secteur sans but lucratif doit apprendre à se défier.

Les associations étudiantes s’apparentent au modèle d’auto-organisation selon le référentiel proposé par Sainsaulieu, c’est-à-dire des organisations où les créateurs développent des activités pour des individus dont ils estiment faire partie. Elles rejoignent les préoccupations de ces types d’organisation, notamment dans leurs difficultés à évaluer les résultats et leur absence de contrôle ou de règlement intérieur. Excepté un cas atypique, il n’existe pas de personnes iconiques, de grands référents, cette spécificité étant alimentée par la disparition rapide des cohortes étudiantes et l’important éclatement géographique du réseau. Les pratiques d’exclusion d’éventuels dissidents sont inusitées. Peu confrontées aux rapports hiérarchiques, aux pouvoirs de classes, les associations étudiantes restent aussi peu confrontées aux volontés individuelles de promotion sociale. Dans ces deux cas, lorsque les ambitions ou volontés se font trop fortes, les individus choisissent eux-mêmes de créer un projet alternatif, l’espace public étudiant étant suffisamment large pour les accueillir.

Les associations étudiantes forment donc une hybridation originale d’activités économiques et d’activités politiques développées. Elles créent à la fois du lien social et de l’économique. Le financier constitue un élément clé du but de survie de l’organisation étudiante à l’instar des autres organisations du monde social. Différence cependant, les ressources ne sont pas là pour rémunérer des permanents, mais sont des ressources liées aux projets. En conséquence, la croissance en ressources financières reste un objectif parmi d’autres pour une très large partie des organisations étudiantes. Les ressources doivent permettre de faire perdurer la structure tout en développant de nouveaux services aux étudiants, mais n’ont pas pour objectif principal de financer des emplois. Expérience pratique de gestion de structure et de projets, le financier constitue à la fois un but de système et un but de mission sans disposer de la primauté des objectifs pour ces organisations. La faiblesse ancienne de tout financement public dans ce secteur et son recours séculaire aux ressources du privé constituent les pierres de base de cette particularité fonctionnelle.