1) Le conflit avec l’institution génère une vie associative nouvelle. L’expression politique de la conflictualité sociale se transforme.

Selon Nonna Meyer et Pascal Perrineau, les associations profitent aujourd’hui d'une réorientation de la pensée collective, en matière de responsabilités collectives, plus que tout autre structure (partis,
syndicats, ...) ( 251 ). Avec la fin de l'Etat-providence, l'Etat a perdu son image symbolique de « défenseur naturel du Bien commun ». Il est de moins en moins perçu comme le protecteur des plus démunis. Face à ce vide qui s’étend, les associations concrétisent de plus en plus le devoir moral de solidarité, rôle théoriquement dévolu à l'Etat. Celui-ci se retraduit dans le monde universitaire par les abondantes actions de solidarité imaginées par les associations étudiantes, et que les pages des journaux « Décisions Etudiantes », « Génération Solidaire », « Factuel, la Revue », … présentent régulièrement.

Outre cet aspect de solidarité concrète, les associations vont aussi incarner une nouvelle forme de parole politique, notamment dans le conflit avec l’institution. Sur cette dynamique de nombreuses associations naissent au cours des années 80-90. Le processus est du reste explicité clairement sur le site de la F.N.E.S.I. ( 252 ) :

«  AU DEPART : LES MANIFESTATIONS ...

Le monde des étudiants infirmiers a été marqué en l'an 2000 par l'expression d'un mécontentement, par le biais de diverses manifestations dans plusieurs régions. Le 24 octobre 2000, ces manifestations ont été fédérées en un mouvement national coordonné par la F.N.E.S.I., pour un impact réel et efficace. C'est ainsi que près de 15 000 E.S.I. (Etudiants en Soins Infirmiers) défilèrent dans les rues de Paris … Pour se faire entendre, et pour apporter des évolutions au sein d'un système établit depuis plusieurs années, les manifestations ne suffisent pas et ne sont pas toujours nécessaires. C'est pourquoi, à l'initiative de quelques étudiants, les mêmes qui unissaient les voix dans les rues de Paris, la Fédération Nationale des Etudiants en Soins Infirmiers a vu le jour pour suivre l'application de ce protocole, et favoriser à travers le développement associatif, une cohésion entre étudiants en soins
infirmiers. … »
( 253 ). Ainsi, le conflit, l’opposition avec l’institution fait émerger la nécessité de se structurer et de formaliser organiquement la parole prise, afin de devenir un interlocuteur visible face à l’institution. Cette formalisation prend alors la forme de l’action associative.

Mon cursus étudiant en I.U.T. m’a amené à vivre totalement ce type de processus. En 1994, le C.I.P. mobilise contre lui les I.U.T., les B.T.S., ainsi qu’une partie des étudiants des universités et écoles d’ingénieurs. Le C.I.P est alors, selon Fischer, le déclencheur d’une prise de conscience chez les étudiants : le diplôme n’est plus l’assurance pour trouver un travail, il existe désormais au sein de la société salariale une déconnexion entre diplôme et emploi, diplôme et niveau de rémunération ( 254 ). Au sein de la filière I.U.T. entre autre, ce mouvement donne naissance dans les années immédiatement postérieures à nombre d’associations ayant pour objectif et fondement statutaire « la défense et la valorisation de la filière technologique et des I.U.T. ». C’est à cette époque qu’avec deux autres étudiants leaders des manifestations d’I.U.T. sur Lyon, j’ai créé l’A.G.I.L. (Association Générale des I.U.T. de Lyon).

Deux ans plus tard, je créai avec d’anciens étudiants associatifs d’I.U.T. la F.E.D.I.U.T. – Région Rhône-Alpes, avec comme premier objectif statutaire : « La F.E.D.I.U.T. a pour but de valoriser et de développer l’avenir des D.U.T., et d’une manière plus générale celui de la filière technologique. Elle développe à ce titre des relations avec notre Ministère de tutelle, les organismes représentatifs étudiants ou non, pour faire connaître et reconnaître la position et les idées des étudiants qu’elle représente. » ( 255 ). C’est aussi à cette époque qu’une fédération nationale des I.U.P. cherche à naître, sur des dynamiques similaires.

La contestation et l’opposition à l’institution génèrent donc l’apparition d’associations étudiantes, dont la taille et l’aire d’influence sera pour partie fonction de la dimension institutionnelle du conflit. On observe en outre une transformation profonde des engagements contestataires : tandis qu’au cours des années soixante-dix, ces derniers s’expriment dans le milieu étudiant au travers de groupuscules se situant souvent aux extrêmes bords politiques, les nouvelles modalités de l’engagement des individus se retraduisent dans une expansion de la pratique associative aux tonalités politiciennes neutre. Comme nous le disions alors à nos étudiants lors des manifestations contre le C.I.P., « on peut faire de la politique sans être politisé ». Bousculant le consensus social, les associations étudiantes sortent ainsi du domaine de l’assistanciel pour venir se positionner comme acteur de la contestation sociale. Cette transformation de leur rôle et de leurs modalités d’action induit par effet de diffusion comme par effet de l’exemplarité une transformation à venir des formes de l’engagement des individus dans le monde social.

Notes
251.

( ) MAYER Nonna & PERRINEAU Pascal, op. cité.

252.

( ) Fédération Nationale des Etudiants en Soins infirmiers.

253.

( ) Info@fnesi.org.

254.

( ) FISCHER Didier, op. cité.

255.

( ) Statuts de la Fédération des Etudiants et Diplômés d’I.U.T. – Région Rhône-Alpes déposés en préfecture le 14 janvier 1997.