2) Le conflit institutionnel participe au déclin de l’institution et à l’affirmation des identités individuelles.

Le conflit avec l’institution participe dans le même temps à l’affirmation d’identités individuelles. C’est le cas notamment pour la création de la F.E.D.E.L., fédération locale d’associations ( ²⁵⁶ ). Comme le relate Franck Dupenloux, membre fondateur de cette fédération, « L'aventure a débuté en 1989 en U.F.R. d'Histoire et de Géographie. Mon ambition : améliorer nos conditions de travail et représenter les étudiants et non des intérêts personnels ou extérieurs à la fac. Utopie ? Oui, selon mes détracteurs. Non ! Nos actions et avancées l'ont prouvé … Nous prenons les initiatives et lançons les mouvements de
protestation : amphis surchargés, notamment en Psycho, manque d'enseignants, locaux vétustes, …. Lors des mouvements de 1990, nous sommes leaders et devenons les interlocuteurs du Préfet et de la Région. L'année suivante, 1991, objectif n°2 : le C.R.O.U.S. Pour parvenir à nos fins, nous décidons de nous associer avec les corporations de Nancy I et de l'I.N.P.L. S'en suit un partenariat avec des étudiants messins : ainsi naît la F.E.D.E.L. ». De fait, l’apparition d’un conflit avec l’institution fédère des énergies et fait émerger des identités, qui vont peu à peu s’affirmer.

Ces conflits conduisent à une crise de légitimité de l’institution et de ses choix pour les étudiants et la construction de leur devenir. La contestation sociale portée par les étudiants dispose depuis 68 d’une certaine crédibilité aux yeux de la population. L’exacerbation des rapports étudiants/institution mène alors au déclin progressif de la légitimité institutionnelle, qui s’intensifie à mesure que l’Etat poursuit la défense de ses projets. Il s’ensuit, par effet induit, une perte générale de la légitimité institutionnelle, qui impacte alors l’ensemble des formes de l’engagement collectif des individus dans la société.

Cette crise de légitimité de l’institution centrale s’accompagne, nous l’avons vu, d’un développement des engagements associatifs étudiants. Ces derniers varient selon les établissements, les périodes et les projets, conduisant à une multiplication des modèles d’engagements. Par contrecoup, cette diversité induit une multiplication des modèles institutionnels, elle-même accentuant la perte de légitimité de l’institution.

En effet, l’observation des spécificités des actions réalisées par les associations étudiantes selon les cursus montre une évidente dichotomie entre engagements associatifs. Certaines filières d’enseignements se distinguent par une profusion d’activités réalisées, tandis que d’autres laissent apparaître d’importants déficits de réalisation (cf. graphique n°23).

Le tableau n°23 donne à voir d’importantes variations de rythme d’activités réalisées selon les cursus. Trois modèles semblent se dégager :

• un premier groupe, composé des associations étudiantes d’universités, toutes filières confondues ( ²⁵⁷ ), ainsi que des écoles. A la différence des autres modèles, elles se distinguent par une importante absence d’éléments distinctifs en excès ou en fort manque. En d’autres termes, les associations de ces cursus sont polyvalentes et non spécialisées.
• les associations des B.T.S. et des I.U.T. adoptent un fonctionnement différent. Elles se caractérisent par un nombre plus important d’activités hétérogènes, plutôt orientées sur le ludique. Elles introduisent de plus une identité plus forte dans leurs actions. Certaines d’entre elles sont typiques à un type de formation (le soutien scolaire et social), ce qui constitue un marqueur d’identité sur la population et les associations.
• les associations des I.U.P. et D.E.S.S. renforcent le trait du groupe précédent. Seuls quelques types de manifestations sont réalisés. Les objectifs de l’agir associatif sont très spécialisés, induisant un marquage identitaire fort pour ce type d’engagement.

Source : enquête personnelle. Ce tableau est la synthèse des résultats obtenus par le croisement des questions « type d’établissement d’implantation » et types d’actions réalisées par votre association ». Les résultats portent sur 1 619 observations. Le tableau de pourcentage, non présenté ici, fait apparaître un chi 2 élevé, le logiciel sphinx relevant sur ce croisement une dépendance très significative entre type d’activités et filières d’enseignement.

Ces différences marquées et revendiquées entre modèles d’engagements renforcent l’éclatement des modèles institutionnels et le déclin de l’institution. En cela, l’action associative étudiante participe du déclin général de l’institution en tant que modèle uniforme et en tant que norme. Les modalités de l’engagement actuel des étudiants s’en ressentent, et par incidence les modalités à venir de l’engagement des individus dans le monde social.