Subrogation de l’institution, les associations étudiantes deviennent les nouveaux services publics locaux :

Le déclin généralisé de l’institution amène à un désengagement progressif de l’Etat de ses responsabilités antérieures. Ainsi et pour exemple, sur le plan universitaire, la participation de l’Etat au financement de la médecine préventive stagne, tandis que la part demandée aux étudiants est en constante augmentation.

Face à l’absence croissante de services publics locaux, les associations développent des réponses aux besoins sociaux des étudiants. Certaines des missions s’apparentent alors à des missions de services publics : accueil des nouveaux étudiants, accueil des étudiants étrangers, soutien scolaire, gestion de restaurants universitaires, formation des responsables d’associations à la citoyenneté, … Ces missions, du fait de leur abandon ou leur absence de prise en charge par les institutions, sont alors réalisées par les associations étudiantes. Un rapport nouveau entre institutions et associations s’établit donc, passant progressivement du travail partenarial à un remplacement complet de l’action institutionnelle par celle des associations étudiantes. Sans forcément de contrepartie directe.

La réalité de ces missions de service public se concrétise tout d’abord dans la multitude de services de proximité que proposent au quotidien les associations étudiantes. Ainsi, comme le résume le « Décisions Etudiantes », « offrir des services adaptés à la filière de l’étudiant, c’est lui donner la possibilité de lui apporter une aide tout au long de son cursus mais également de lui offrir des pistes pour son insertion professionnelle » ( 261 ). De fait, par le biais de ronéos, de polys de cours, d’annales, … mais aussi par le biais de bibliothèques spécialisées comme par exemple Arthotem à Bordeaux, spécialisée en Histoire de l’Art, ou Culture PX à Nanterre, les associations étudiantes cherchent à combler les vides laissés par les abandons successifs de l’institution en matière de service au public.

Nombreuses sont aussi les associations à animer chaque année des bourses aux livres, à offrir des réductions sur le matériel indispensable à la filière (rotring, blouses, …), à mettre en œuvre des pratiques de parrainage, voir d’organisation du tutorat dans certaines filières comme en médecine. L’administration en arrive ainsi à confier le tutorat officiel à certaines associations bien implantées. Un certain nombre d’associations étudiantes offre aussi une large gamme de services essentiels pour les étudiants en matière de logements, de cafétéria, de gestion de coopérative, … activités ressortissant pour une large part de missions de service public. Certaines fédérations locales comme la FACE 006 à Nice, ou la FELIX à Lille éditent des agenda-guides de la ville et des études pour les nouveaux étudiants. Toutes ces activités, qui dans d’autres secteurs sont ou étaient réalisées par les services institutionnels, se voient désormais prises en charge par les associations étudiantes locales. Ces dernières remplacent alors peu à peu l’institution dans ses missions de service public. L’expérience acquise par les bénévoles a toute chance de se voir reproduite par ces derniers ou par effet de diffusion d’ici quelques années dans le monde social.

Depuis près d’une quinzaine d’années, elles sont en outre nombreuses à s’investir dans les problématiques de l’insertion professionnelle des étudiants. Le secteur associatif étudiant, par le biais de la F.A.G.E., a notamment été à l’initiative de la création de l’A.F.I.J. en 1994. Cette organisation, gérée de manière associative, est devenue en quelques années une institution oeuvrant de manière parallèle à, et en partenariat avec, l’A.N.P.E., dans le domaine de l’insertion professionnelle des jeunes diplômés. Recherchant et diffusant en permanence des offres d’emploi spécifiques à ce public, elle produit un service similaire aux services publics de l’emploi. Se donne ici à voir une forme de sous-traitance des problématiques sociales par l’institution en direction du réseau associatif étudiant.

Sur cette même thématique, les associations locales sont nombreuses à organiser, le plus souvent seules, des forums des métiers, pour permettre et multiplier les rencontres entre étudiants et professionnels de la filière. Certaines d’entre elles éditent des guides et annuaires d’anciens, développent des services d’offres de stages, voire d’emplois. Les mono-disciplinaires se sont lancées depuis plusieurs années déjà dans l’édition de guides des études, de programmes des études, ou encore dans le recensement de stages possibles, et des débouchés professionnels de la filière ( 262 ). L’A.N.E.M.F. édite chaque année le Carabook, guide de l’externe, ainsi que le guide des urgences médico-chirurgicales.Toutes ces activités sont autant de missions dépendant en première instance des C.E.L.A.I.O. ou des S.C.U.I.O. Elles sont, depuis un certain nombre d’années déjà, entièrement réalisées par les associations étudiantes. Ainsi, le secteur associatif étudiant prend peu à peu une place grandissante dans le rapport au travail, remplaçant par endroit l’institution. Il ouvre de fait un champ des possibles nouveau pour les engagements des individus dans le monde social, que ce soit par report d’expérience ou par effet de diffusion, par transitivité du message associatif étudiant.

Outre ces multiples activités de services au public, les associations étudiantes s’investissent de plus en plus dans les dynamiques de santé publique. Cet investissement n’est pas récent puisque l’U.N.E.F. avait en son temps financé la création d‘un sanatorium pour les étudiants. Cependant, les projets portés par les associations étudiantes ne sont plus désormais de dimension nationale, mais s’inscrivent dans une perspective d’action locale et immédiate, dans des problématiques de moyen terme. Cette prise de conscience des associations étudiantes et leur implication dans cette thématique de santé publique s’observent au travers de sujets d’articles, d’interrogations portées dans les journaux étudiants. Conséquences de l’obésité et de ses risques ( 263 ), importance de l’alimentation, de la pratique régulière d’un sport, mises en garde contre les psychotropes ( 264 ), les associations étudiantes sont bien souvent précurseurs des prises de conscience liées à ces risques, ces questions ne commençant à trouver une oreille attentive sur l’ensemble de la société que depuis le début 2004. On observe ici une transitivité du message associatif étudiant et des formes de l’agir associatif étudiant, qui impactent concrètement les formes de l’engagement collectif des individus dans le monde social. Dans le même temps, cette action de formation et d’information réalisée dès 2000 par la F.A.G.E., ressort davantage de l’autorité publique, confirmant l’effacement de cette dernière et son remplacement par les associations étudiantes.

Dans ce même esprit, partant du constat public que près d’un quart des étudiants ne prennent pas de petit déjeuner le matin, nombreuses sont les associations étudiantes à s’être lancées depuis un certain nombre d’années dans des opérations « petit déjeuner » ( 265 ). Organisées dès la rentrée, celles-ci proposent aux étudiants un petit déjeuner gratuit, composé des éléments nutritifs essentiels à une matinée de travail. Elles deviennent dans un certain nombre de cas des activités régulières, comme pour l’A.F.G.E.S. ou la F.A.P.  VI. L’objectif affiché est clair : il s’agit de faire prendre conscience aux étudiants des bienfaits pour l’organisme d’un petit déjeuner équilibré. Certaines associations tentent ainsi de montrer aux étudiants que l’on peut se constituer un petit déjeuner équilibré pour le prix d’un café en machine. Ces opérations montrent le rôle d’acteur que prennent désormais les associations étudiantes dans la construction de la connaissance par l’individu de son corps, de ses besoins, ainsi que dans l’apprentissage par l’individu à prendre soin de lui-même. Elles participent ainsi totalement de l’affirmation des dynamiques de l’individualisation dans la société en même temps que de la responsabilisation de soi. Elles s’impliquent en outre de manière forte dans des dynamiques de santé publique, dépassant largement l’action des institutions universitaires dans ce domaine.

Sur ce point encore, les associations étudiantes sont préfiguratives de dynamiques visibles ultérieurement sur des strates plus larges de la société. Ainsi, des opérations « petits déjeuners » similaires se mettent en place depuis 2004-2005 dans certains collèges ou des classes primaires, visant à apprendre aux enfants l’importance d’un petit déjeuner équilibré. Les associations étudiantes, à l’origine d’actions de transformations sociales innovantes au sein de l’institution, ouvrent à une plus grande prise en compte de l’individu, et impulsent par effet de diffusion l’apparition de pratiques nouvelles dans l’ensemble de la société. Là encore, des formes pratiques d’engagements transitent entre monde associatif étudiant et monde social, avec quelques années de décalage.

Nous l’avons déjà évoqué, l’A.N.E.M.F. s’est fortement impliquée dans le montage et le développement de l’opération « fac sans tabac ». Celle-ci consiste notamment en une large campagne anti-tabac dans les campus, avec pour objectifs d’attirer le regard sur le tabagisme passif et d’orienter les fumeurs qui souhaiteraient arrêter vers des structures adéquates. Ce concept de campus sans tabac est mené en France en relais à l’action internationale développée par l’I.F.M.S.A., organisation mondiale des étudiants médecins, qui réalise une campagne internationale sur les méfaits du tabac, ainsi qu’une sensibilisation à l’automédication, …

Ces nouvelles actions des associations étudiantes s’inscrivent dans une dynamique générale de mutation des réponses apportées aux problématiques de santé des individus. L’institution se désengageant de plus en plus de ses responsabilités en la matière, les associations étudiantes prennent désormais à leurs charges d’apporter une réponse à ces questionnements. En même temps, l’expérience acquise par les bénévoles étudiants comme par les utilisateurs de ces services en matière de subrogation des services publics par le secteur associatif a toutes les chances de se retranscrire dans les années à venir dans l’ensemble de la société, et sur les modes d’engagements des individus dans le collectif. Il existe en effet peu de chances pour que l’Etat redevienne Etat-Providence …

Expression de l’institutionnalisation des services au public proposés par les associations étudiantes, la F.A.G.E. a créé il y a quelques années le réseau Jeune et Prévention, banque de données de projets « prévention » pour les associations étudiantes. Ce réseau propose des opérations « clé en main » dans des domaines variés, et des formations sur la santé publique. Son action s’apparente fortement à une action institutionnelle qui pourrait tout à fait être réalisée par une cellule administrative, un comité d’action ministériel ou une délégation, confirmant le remplacement progressif de l’institution par le monde associatif.

Ce basculement des responsabilités se donne à voir jusque sur des sujets éminemment sensibles, comme peut l’être par exemple la lutte contre le Sida. Ainsi, outre les soirées au profit d’associations oeuvrant pour cette cause, des associations étudiantes s’impliquent dans la formation et l’information des publics jeunes. Depuis plusieurs années, les bénévoles de l’association corporative des étudiants en médecine de Lille se déplacent chaque semaine dans les lycées environnants pour intervenir sur ce sujet et faire de la prévention. Dans le même sens, les étudiants Pharmaciens se sont engagés dès 1995 au travers de pharm-aids, ainsi que via la « charte des Pharmaciens contre le S.I.D.A. » ( 266 ). Cette dernière prônait à l’époque la vente des préservatifs à 1 franc, celle de seringues à un prix abordable, ainsi que la diffusion d’informations sur le sida par les Pharmaciens signataires. Aujourd’hui, un certain nombre de Pharmacies ont repris, au moins partiellement, ces propositions d’actions. Ici encore, il est possible d’observer que les engagements associatifs étudiants impactent les modes d’engagement futurs des individus dans le monde social.

Des associations étudiantes parmi les plus importantes initient enfin des actions visant à informer de manière large les étudiants sur ces questions de santé publique. Ainsi, la Fédé B (Fédération des Etudiants de Brest) organise chaque année un forum « Santé et Prévention ». L’objectif de ce dernier est d’informer et de prévenir les jeunes sur la sécurité routière, le suicide, les conduites addictives, les M.S.T. Sur ce forum, sont présents à la fois les institutions et les professionnels des questions abordées. Le retournement des responsabilités est ici saisissant, les institutions intervenant en tant qu’acteurs parmi d’autres, tandis que les associations sont pour leur part devenues organisme centralisateur, maître d’ouvrage, mettant en œuvre avant l’heure une sorte de guichet unique informatif à destination du public. Là encore, l’expérience acquise, tant par les bénévoles que par les utilisateurs, sur le rôle nouveau des associations a toutes les chances d’impacter les formes des engagements futurs des individus dans le collectif, dans leurs rapports avec les institutions comme dans la définition du projet collectif. En même temps, les réalisations des structures étudiantes institutionnalisent les changements à l’œuvre, impactant de fait les formes futures des engagements collectifs des individus.

Notes
261.

( ) Décisions Etudiantes n°63, janvier 2002, p 5.

262.

( ) Décisions Etudiantes n°60, octobre 2001.

263.

( ) Décisions Etudiantes n°16, mars 1996.

264.

( ) Décisions Etudiantes n°62, décembre 2001.

265.

( ) Décisions Etudiantes n°49, novembre/décembre 1999.

266.

( ) Décisions Etudiantes n°11, octobre 1995.