Les processus de création des associations divergent, selon que l’on est sur le milieu étudiant et sur l’ensemble du monde social. En effet, il est peu d’associations ou d’organisations du monde social qui se créent désormais à la suite de mouvement de contestation sociale ou d’opposition à l’institution. Les structures revendicatives ou à vocation de transformation sociale sont, dans le monde social, la conséquence d’une attente intellectuelle autour d’une question lancinante qui fait sens (remise en cause des règles de commerce internationale générant des mouvements comme A.T.T.A.C. ou de commerce équitable, déficit de qualité dans les produits alimentaires générant le mouvement bio, critique du nucléaire amenant à la création de mouvements opposés, interpellation sur les Droits de l’Homme générant des organisations concomitantes, …).
A contrario du monde étudiant, l’initiative des mouvements revient le plus souvent aux structures dans le monde social. Lorsque des coordinations d’individus se réalisent dans le cadre d’un conflit particulier avec l’institution, elles ne trouvent que rarement une suite structurée à la fin des mouvements. Sur le monde étudiant, l’impulsion part avant tout des individus, qui cherchent ensuite à construire une forme institutionnelle à leur engagement.
Les formes nouvelles que prend parfois la contestation sur le milieu étudiant décloisonnent en outre les rapports antérieurement existant entre associations, assistance, syndicat et contestation sociale. Désormais, le monde associatif se fait lui aussi acteur de la revendication et des manifestations, transformant de manière rédhibitoire les formes de l’engagement collectif des individus dans le monde social. Le monde associatif étudiant est ici clairement préfiguratif.
Pour l’ensemble des structures du secteur sans but lucratif, la période 1980-1990 est une période de profonde mutation en matière de rapports économiques avec les institutions. Tandis que sur la période précédente, les associations élaboraient des projets et négociaient avec les pouvoirs publics pour faire se rencontrer projets et attendus institutionnels en matière de bonne redistribution des moyens, les institutions octroient désormais des subventions en contrepartie de prestations, réalisations d’actions clairement et préalablement définies. Les associations du monde social sont désormais largement cantonnées dans un rôle de réponse aux appels d’offres institutionnels.
En effet, la décentralisation conduit les élus locaux à s’investir sur leurs nouveaux champs de compétence. Ils deviennent de plus en plus techniciens, et dès lors plus exigeants avec les associations. La culture du contrat et de la concurrence entre structures se développe, et tandis que l’Etat se désengage du social, les associations deviennent des outils parmi d’autres pour assurer la relève du service public. En résumé, l’action sociale des institutions se restreint, elles sous-traitent celle-ci par le biais d’une mise en concurrence des associations, et se font plus exigeantes en matière de rendus des résultats.
Comme nous l’avons déjà vu, il existe donc à partir de cet instant une obligation d’hybridation des logiques pour les associations du monde social : à la logique de sens vient s’adjoindre la professionnalisation. Ces structures se retrouvent de plus en plus à devoir rendre des comptes sur les crédits alloués ainsi que sur les résultats obtenus. Il s’ensuit une modélisation progressive des formes des associations par les institutions. L’obtention de subventions oblige en effet les organisations à entrer dans une démarche bureaucratique, afin de répondre aux attentes des institutions en matière de comptes rendus.
Le secteur associatif étudiant connaîtra moins ces difficultés, le rapport avec les institutions ayant toujours été partiel. Ainsi, même à l’époque de l’U.N.E.F., les associations étudiantes étaient obligées de trouver des financements privés pour financer leurs activités. Lors de mes présidences successives à la tête de la F.E.D.I.U.T. Région Rhône-Alpes, les subventions publiques de fonctionnement ne représentaient que 5 % de notre budget annuel. Les prestations en nature offertes par l’institution (mises à disposition de locaux), soit 15 % de notre budget, peuvent être ajoutées à cette participation institutionnelle. En conséquence, 80 % de nos ressources provenaient du secteur privé, nous conférant de facto une forte autonomie face aux transformations du secteur public. Notre organisation fédérant 56 associations,
soit 12 000 étudiants, disposant d’élus dans différents conseils et commissions ministériels, pouvait de fait se construire un discours propre et exempt de toute influence. L’expérience de l’indépendance institutionnelle acquise, les bénévoles étudiants s’investissant ultérieurement dans le monde social tendront alors à vouloir reproduire des conditions de fonctionnement similaires.
Quelques fédérations étudiantes vécurent cependant elles aussi difficilement les exigences croissantes du secteur public. L’A.G.E.M., fédération des associations étudiantes de Montpellier de taille sensiblement équivalente à l’A.F.G.E.S. n’y survivra pas. Au milieu des années quatre-vingt-dix, confrontée à des difficultés financières importantes, elle est dissoute. Deux fédérations successives tenteront de lui succéder, sans succès. Néanmoins, ce phénomène connut moins d’ampleur sur le milieu étudiant, l’absence de coûts salariaux et le renouvellement rapide des élites dirigeantes ouvrant la porte à de promptes transformations des organisations le cas échéant.
Particularisme du monde social, certains secteurs d’activités peuvent se prévaloir d’une oreille attentive de la part de cadres institutionnels ou gouvernementaux. Ces derniers partagent avec les associations du secteur les mêmes vues, voire les mêmes sous-cultures professionnelles et administratives. Ce phénomène a notamment été mis en évidence par Kramer, qui parle de symbiose démocratique ( 267 ). Un tel processus reste nettement moins visible dans le monde associatif étudiant. En premier lieu car les expériences collectives étudiantes ressortent au bout d’un certain temps d’un passé révolu. Elles ont en outre plus souvent pris la forme d’un engagement syndical lors de la période 1960-1990.
Comme le montre Anne-Marie Dieu, les organisations du monde social sont animées par plusieurs buts, dont notamment celui de contrôle de
l’environnement ( 268 ). Elles oeuvrent à une modification de leur environnement proche afin que ce dernier soit favorable à la réalisation de leur mission. Elles interviennent dès lors auprès des autorités publiques, et visent à faire évoluer le comportement, les approches de ces dernières sur les problématiques traitées. Le contrôle de l’environnement par les organisations du monde social se retraduit par l’adoption d’orientations publiques, de règles institutionnelles plus favorables.
Les associations étudiantes fonctionnent à l’instar des autres organisations du monde social. Lorsque j’étais élu étudiant au Conseil d’Administration de l’Université Lyon I, j’ai notamment assisté aux négociations puis à la concrétisation institutionnelle des revendications de plusieurs associations étudiantes bien implantées en matière de gestion des fonds F.A.V.E. (devenu F.S.D.I.E.). Afin de tenter de limiter le pouvoir des syndicats étudiants dans l’Université, un groupe d’associations étudiantes fit voter en C.E.V.U. puis en C.A. le conditionnement des aides F.A.V.E. à un statut exclusivement associatif des structures. Les fonds F.A.V.E. étant à l’époque les seules subventions universitaires disponibles pour les structures étudiantes, la contraction des ressources financières pour les syndicats devaient dans l’esprit des concepteurs de cette proposition amener à une disparition rapide de ces structures sur l’Université. Ainsi, à l’instar d’autres organisations du monde social, les associations étudiantes sont donc vecteurs des évolutions de l’institution. La différence entre monde étudiant et monde social s’établit surtout dans la dimension novatrice des thèmes de l’engagement et donc de la mobilisation en faveur d’une transformation de l’institution. Par ce biais, les formes à venir des engagements des individus dans le monde social s’en trouveront transformées.
Les transformations du rapport des organisations du monde social avec les institutions s’observent enfin dans le rapport qu’entretiennent ces dernières avec les médias. Comme le montre notamment Michel Wievorka dans « Raisons et engagement », les organisations publiques utilisent de plus en plus les associations comme nouveaux outils communicationnels. Tandis que les institutions apportent le crédit de leur position à la cause défendue, les associations humanisent les premières et les rapprochent du citoyen. Un processus identique s’observe dans le milieu étudiant. Particularisme cependant sur ce dernier, les associations sont aussi entrevues comme « agent de promotion commerciale » dans un certain nombre d’instituts, écoles.
( ) R.M. KRAMER, in DIEU Anne-Marie, op. cité, p 275.
( ) DIEU Anne-Marie, op. cité. Pour analyser ces différents buts, Anne-Marie Dieu s’appuie sur les travaux de l’école de la contingence et de Mintzberg notamment, qui séparent buts de système - relatifs à l’organisation elle-même et/ou à ses membres -, et buts de missions – qui visent la clientèle ou les produits. Si ces buts sont compatibles, ils sont alors dit intégrés, sinon, ils sont conflictuels.