II-A-3) Relations avec les associations.

Avec des organisations à l’intérieur du réseau étudiant, une complémentarité nouvelle et subsidiarité entre organisations :

Nous l’avons vu lors de notre première partie, le monde associatif étudiant se compose désormais d’un nombre important de structures. Expression de la diversité et de la complexité du réel, cette multitude va entretenir des rapports internes particuliers. L’observation de ces derniers s’avère nécessaire si l’on veut décrypter les lignes de construction des futurs modes d’engagement des individus dans le monde social.

Lors de nos précédents travaux, nous avions notamment montré que dans les I.U.T., la création de clubs aux thématiques précises était une expression particulière du rapport institué / instituant, circonscrite au système interne de l'institut. Nous y présentions et démontrions le positionnement au fil des ans des B.D.E. et associations de la filière comme structures instituées. L'émergence des associations thématiques dans le monde universitaire répond de la même logique. Lorsqu'elles apparaissent au sein d'une école, d'une filière, il existe la plupart du temps un B.D.E., une association fortement implantée sur cet environnement local et qui, par son enracinement, a permis l'émergence de structures nouvelles oeuvrant sur des thématiques auxquelles le B.D.E. ne répondait pas.

L'existence d'un tel rapport se confirme statistiquement par l'observation des années moyennes de création des associations de filières et des associations thématiques. Les premières sont antérieures aux secondes de plus de cinq ans
(cf. graphique n°24).

Graphique n°24 : Année moyenne de création selon les types d’associations
Graphique n°24 : Année moyenne de création selon les types d’associations

Source : enquête. Les valeurs du tableau sont les moyennes établies sans tenir compte des non-réponses.

L’observation d’un panel de population d'association assez large montre que la naissance des associations thématiques est presque toujours, sur le milieu étudiant, postérieure à celle de l'association de filière, même dans le cas des nouveaux sites universitaires. Sur place est déjà présent un B.D.E., une association de filière depuis en moyenne près de cinq ans, disposant le plus souvent d’un local, ainsi que d’une écoute de la part de l’administration et des étudiants. La multiplication des cas incite à penser à un phénomène global plus qu’à l’exposé d’un particularisme. Ce phénomène rejoint le processus de spécialisation mis en évidence par Ion pour l’ensemble du monde social.

Sans approfondir plus avant ce début d’analyse institutionnelle, il convient surtout de remarquer le lien quasi-ombilical entre association thématique et association de filière. Les associations thématiques se créent selon la logique de l'instituant-institué, qui veut que l'existence d'un institué fort crée à la fois les conditions et les moyens de l'émergence d'instituants.

Un processus similaire se donne à voir dans le monde social, notamment sur le commerce équitable. L’émergence et l’institutionnalisation de Max Havelaar France a fait fleurir tout un réseau d’organisations spécialisées sur des approches particulières de cette question, ainsi que d’autres autour d’une filière spécifique. Il n’est cependant en l’état des connaissances pas possible de déterminer sur ce point un lien de préexistence entre secteur associatif étudiant et monde social. Nous en conclurons donc que ces deux secteurs participent conjointement au développement de cette dynamique.

De prime abord, l'existence conjointe sur un même terrain universitaire d'associations de filières et d'associations thématiques pourrait conduire à penser une lutte entre ces deux acteurs pour la possession des ressources rares que sont les bénévoles. Ainsi, l’émergence de nouvelles structures pourrait laisser supposer un rapport de type conflictuel entre le nouveau et l’ancien.

Cependant, lorsque l’on observe les cycles d’études qui correspondent à ces différentes catégories d’associations, il apparaît que celles-ci sont constituées de populations fort différentes. Cette spécialisation des adhérents se trouve être révélée par la construction d’une A.F.C., présentée ci-dessous
(cf. graphique n°25).

Comme le montre l’A.F.C. ci-dessous, les associations de filière recrutent majoritairement des étudiants de premier cycle. En revanche, les associations thématiques vont plutôt être l’œuvre et s’adresser à une population de second et troisième cycle. Il n’y a donc, de toute évidence, pas concurrence entre les différentes formes d’associations étudiantes, mais bien plus une complémentarité.

Graphique n°25 : les types d’adhérents selon les types d’associations
Graphique n°25 : les types d’adhérents selon les types d’associations

Source : enquête propre.

La réalité du terrain corrobore ces résultats statistiques. Ainsi, dans la filière L.E.A. de Nantes, deux associations, L.E.A. Junior et L.E.A. service partagent leur local et apportent des services à la fois différents et totalement complémentaires aux étudiants ( 269 ). Tandis que la première s’occupe de tisser des contacts avec les entreprises pour trouver des offres de stages, des activités rémunérées pour les étudiants à l’instar d’autres juniors-entreprises, la seconde s’occupe des soirées, des rencontres sportives et de la représentation des étudiants. Des activités communes sont organisées, notamment des forums de rencontre entre étudiants et entreprises.

Cette complémentarité s’observe aussi sur les formes d’actions réalisées par les associations (cf. graphique n°26). Comme on peut en effet le remarquer sur le graphique ci-dessous, il y a un véritable partage des actions réalisées selon le type d’association. Si cette distribution renforce la spécialisation des organisations, elle confirme dans le même temps la complémentarité croissante des structures entre elles. Cette complémentarité des structures, visible dans le monde étudiant depuis de nombreuses années, reste peu développée dans le monde social. Depuis peu, certaines associations de secteurs différents mettent en place des « plates-formes » de travail, leur permettant de se rencontrer et d’élaborer des projets ensemble. Le secteur étudiant dispose ici encore d’une certaine antériorité, qui impacte par effet de diffusion les modes d’engagements des individus dans l’ensemble du monde social.

Graphique n°26 : Les différentes actions des associations selon leur type.
Graphique n°26 : Les différentes actions des associations selon leur type.

Source : enquête propre. Les résultats sont établis sur 5729 citations.

Cette appréhension des problématiques et des besoins de plus en plus sectorisée, dichotomisée, illustre dans le même temps la participation du mouvement associatif étudiant au mouvement sociétal global d'individuation, telle que mis en évidence tant par Ion que par Castells. En effet, l’accroissement des demandes sociales auxquelles répondent de manière générale les associations auraient pu trouver au moins deux types de réponses différentes :

  • soit un accroissement du nombre de bénévoles, d’activités, « d’encartés » au sein des associations déjà existantes,
  • soit une augmentation du nombre de structures, une multiplication des projets associatifs.

C’est cette deuxième piste qui se développe. Les évolutions de la société salariale ont donc impulsé des réorganisations structurelles nettement visibles. Les différentes typologies d’associations se font à la fois plus spécialisées, en même temps que plus complémentaires les unes envers les autres. L’action associative étudiante s’élabore désormais autour de trois notions principales : la spécialisation, la différenciation, en même temps que la complémentarité des actions. Comme nous l’avons déjà évoqué lors de notre première partie, les fédérations locales jouent alors le rôle d’espaces de mutualisation et d’échanges de pratiques entre organisations différentes.

Les liens réunissant associations et fédérations locales s’établissent principalement selon deux modèles. A des réseaux d’organisations indépendantes et autonomisées les unes par rapport aux autres font face des modèles d’organisations plus traditionnels. Ainsi, nombreuses sont les fédérations de ville où les associations qui souhaitent adhérer se doivent de payer une cotisation préalable ; et si le modèle d’organisation pyramidale a bien disparu des pratiques associatives étudiantes, il perdure plusieurs situations où l’action de la fédération locale emporte avec elle celles des associations qui en sont membres. C’était le cas notamment de la Fédération des Etudiants Lyonnais, qui en se positionnant historiquement en faveur de P.D.E. au détriment de la F.A.G.E., a fait vivre une dynamique identique à une large partie des associations étudiantes lyonnaises jusqu’à sa disparition.

Ces cas tendent cependant à disparaître, l’influence des réseaux transversaux auxquels appartiennent les diverses associations étant source d’informations et d’exposés de pratiques divergentes. Cette concurrence entre les réseaux induit alors une plus grande autonomie des associations envers chacune des structures qui la surplombe. Elles tendent alors de ce fait à adopter un fonctionnement plus indépendant, autonome, qui se rapproche de réseaux d’entités autonomes. Sur l’ensemble du monde social, ce type de réseaux se développe progressivement. L’expérience acquise par les individus en milieu étudiant ne peut que contribuer à accentuer le phénomène, par réédition des expériences acquises antérieurement.

Notes
269.

( ) Décisions Etudiantes n°61, novembre 2001.