Une implication forte dans les technologies de l’information et de la communication :

Premier signe révélateur, l'enquête sur laquelle nous nous appuyons, réalisée en 1996-1997, contient près d’une demi-page de questionnaire orienté sur les moyens de communication des associations : téléphone, fax, portable, email, ... Dès cette époque, la F.A.G.E. essaye d'être en pointe dans ce domaine. Par ces questionnements, elle cherche à poser un état des lieux des pratiques existantes afin de définir sa stratégie de communication en direction des associations.

Cette organisation dispose déjà d’un site Web depuis 1995, et met en ligne des annonces d’associations, des liens nombreux avec d'autres structures. Elle pousse les associations étudiantes à créer leur propre site en s’appuyant sur les serveurs des universités, afin de constituer rapidement « une association globale », un « véritable réseau associatif étudiant » ( 271 ). Le réseau AnimaFac n’est pas en reste, et développe sensiblement à la même époque une politique similaire. En revanche, rares sont à cette époque les organisations du monde social à pouvoir se prévaloir d’un rapport aux nouvelles technologies aussi avancé.

Internet devient rapidement pour les associations étudiantes un outil puissant de structuration de réseau. Le cas de la Fédération des Etudiants du Mans est à ce titre caractéristique, puisque dès 2001, cette structure s’organise et se développe uniquement à partir de ce média, la fédération ne disposant pas de local.Cependant, des activités importantes s’organisent (challenge de karting, édition d’un journal, …) et les associations étudiantes de la ville se raccrochent à la fédération. Dans le même ordre de pratiques, la F.N.E.K.E. (Fédération Nationale des Etudiants en Kinésithérapie et Ergothérapie) créée
mi-février 2002 ouvre moins de deux mois plus tard son propre site Internet, « afin de faire circuler l’information au sein [du] réseau national » ( 272 ). D’outil de communication, Internet devient vecteur de structuration des nouveaux réseaux, en abolissant les contraintes géographiques et matérielles ( 273 ). A ce jour, il n’existe guère encore sur le monde social de réseau associatif structuré avant tout sur une base virtuelle. Bousculant les pratiques habituelles, le mouvement associatif étudiant institutionnalise de nouvelles modalités d’engagement pour les individus, alliant nouvelles technologies et informalité croissante ( 274 ).

Cette dynamique se retraduit notamment au travers de l’utilisation par les associations des différents outils et moyens liés aux technologies de l’information et de la communication (cf. graphique n°27).

Graphique n°27 : l’utilisation des nouvelles technologies
Graphique n°27 : l’utilisation des nouvelles technologies par les associations étudiantes.

Source : enquête propre. Les valeurs sont les pourcentages, établis sur 1619 observations. Le total dépasse 100 % du fait des réponses multiples possibles.

Comme le montre en effet le tableau ci-dessus, plus de 70 % des associations étudiantes disposent en 1997 d’un ordinateur au minimum. En outre, certaines d’entre elles possèdent à la fois d’un ordinateur PC et d’un Mac, dualité très utile pour travailler avec des imprimeurs ( 275 ). Dans le même temps, plus du tiers des structures est relié à Internet. Ces chiffres dépassent très largement la moyenne nationale, puisqu’à la même époque, le taux d’équipement des ménages en matière de connexion Internet était de moins de 6 % ( 276 ). Par leur action fortement volontariste en direction des T.I.C., les associations étudiantes contribuent donc à développer et vulgariser un modèle nouveau d’agir individuel et collectif qui s’appuie sur ces nouveaux outils. Comme le note de fait Castells sous un angle beaucoup plus large, « contrairement à l'imputation d'isolement social que suggère la métaphore de la tour d'ivoire, les universités sont les principaux agents de la diffusion de l'innovation sociale en ce que, génération après génération, la jeunesse qui les fréquente découvre de nouvelles manières de penser, de diriger, d'agir et de communiquer » ( 277 ).

Cette implication en direction des technologies de l’information s’observe aussi au travers des journaux étudiants. « Décisions Etudiantes », journal du réseau F.A.G.E., comporte ainsi de nombreux articles et dossiers sur l’utilisation et le maniement de ces dernières ( 278 ). On trouve au gré des pages de ce journal des renvois nombreux aux technologies de l’information, sous forme de promotion d’associations s’investissant sur ces dynamiques, ou sous forme d’informations sur les potentialités de ces technologies. Une rubrique « A l’asso du net » présentera, pendant un tiers de l’année 2000, des sites et des activités liées à Internet et potentiellement utiles aux associations étudiantes. Elle se poursuit pendant l’essentiel de l’année 2001 sous la forme d’un « point Etnoka », ce site-entreprise étant entre-temps devenu le partenaire de la F.A.G.E. sur ce domaine.

De fait, les associations étudiantes mettent rapidement en oeuvre des projets s’appuyant sur ces technologies pour accroître leur capacité de communication. Ainsi l’A.D.B.E.P, ( 279 ) a élaboré un site assez exhaustif, avec une rubrique recensant un annuaire des anciens doctorants, un bulletin d’infos on line « biothésard » qui permet la circulation et l’échange d’infos, des aides pratiques types bourses, financements, une rubrique emploi et post-doc, … L’ensemble des informations concernant l’emploi, la recherche, la vie étudiante et l’enseignement de cette filière sur Poitiers est centralisé sur ce site. Régulièrement mis à jour, il est un lieu d’échanges et d’informations important pour les étudiants.

Comme le relève le n°55 (février 2001) de « Décisions Etudiantes » dans son article consacré aux médias étudiants, le nombre de journaux étudiants en ligne se développe fortement dès le début des années quatre-vingt-dix. Outre le fait que les associations bénéficient dans ce cas des moyens informatiques mis à leur disposition par les établissements et disposent d’un média peu coûteux, le développement de ces « feuilles de choux » étudiantes doit surtout son succès aux potentialités offertes par Internet, dont notamment le caractère informel, furtif et instantané de ce dernier : « rapidité, réactivité, interactivité, incontrôlabilité … des avantages qui valent leur pesant d’or » ( 280 ). L’absence de possibilité de contrôle, le caractère immédiat et déjà dépassé, l’absence de mémoire de ce qui est écrit, de ce qui est échangé, participe ici totalement du développement des nouvelles actions associatives étudiantes. Si elles bousculent les pratiques habituelles du secteur sans but lucratif en la matière, ces modalités d’actions donnent dans le même temps à voir une forme potentielle de la communication et de l’engagement collectif de demain.

Désormais, l'individu se fait de plus en plus présent dans le cadre de l’agir associatif par une croissance de l'individuation et l'expansion du nombre de micro-projets. Les nouvelles technologies de la communication deviennent dans le même temps un moyen pertinent de s'adresser à l'individu pour accéder au groupe.

C’est ainsi à un véritable changement de perspective auquel on assiste, et que le mouvement associatif étudiant institutionnalise par son action. Alors qu'auparavant, en s'adressant au groupe, on s'adressait à des individus, désormais, il s'avère nécessaire de s'adresser à des individualités, qui retranscrivent ensuite le message auprès de leurs groupes d'appartenances divers. Les technologies de l’information, et leur utilisation par les associations étudiantes, sont des éléments d’actions puissants dans ce changement de perspective. La très forte implication des associations étudiantes dans ce domaine conduit à leur affirmation sur l’ensemble de la société, impactant de fait les formes des engagements collectifs des individus.

De fait, les projets mis en œuvre sur le terrain par les associations étudiantes intègrent cette nouvelle dimension. Des réalisations nouvelles émergent, qui prennent en compte celle-ci. Ainsi, l’association étudiante de Sup-Telecom organise en 1997, parallèlement à son gala annuel, une exposition sur le thème « Un monde sans communication, comment nous représentons-nous les nouvelles technologies ? ». Cette même année, l’I.S.I.M. met en place, pour son gala annuel, un espace Internet doté de cinq machines connectées et une initiation avec un moniteur. En 1997 encore, une association étudiante de Perpignan crée l’un des premiers journaux sur Internet, le « facultatif-ezine ».

Si toutes ces idées participent de l’affirmation des dynamiques de la société communicationnelle sur l’ensemble de la société, le secteur associatif étudiant se fait dans le même temps innovant, utilisant les technologies de l’information dans le cadre de réalisations inattendues. Ainsi, dès 1995, dans son numéro de Décembre, le « Décisions Etudiantes » évoque l’idée de cyber-galas, c'est-à-dire de soirées qui verraient se côtoyer dans un même lieu et même moment un espace discothèque et un espace Internet et multimédia. Quelques années plus tard, une telle idée se voit reprise par le monde social, avec notamment dès 1999, l’organisation de cyber fest-noz, soirées bretonnes retransmises via Internet dans le monde entier ( 281 ). Le mouvement associatif étudiant joue donc un rôle fortement volontaire sur ces techniques, impactant par la force de l’exemplarité et la diffusion des messages l’ensemble des formes de l’engagement collectifs des individus dans le monde social.

Notes
271.

( ) Décisions Etudiantes n°9, juin 1995, p 3.

272.

( ) MORFIN Luc, Président de la F.N.E.K.E., Décisions Etudiantes n°66, avril 2002, p 3.

273.

( ) Olivier FILLIEULE relève à ce titre dans « Lutter ensemble » l’importance de l’usage du minitel par les organisateurs des mouvements lors des manifestations étudiantes de 1986 ou le mouvement lycéen de 1990, comme emblématique des changements à l’œuvre en matière de communication interne et de propagation de l’information. FILLIEULE Olivier et PECHU Cécile, Lutter ensemble, L’Harmattan, 2008.

274.

( ) A titre personnel, membre « déconcentré » du réseau bénévole Max Havelaar France, nous construisons actuellement sur Lyon une antenne, un groupe local structuré. Ce sont des modalités liées aux nouvelles technologies que nous utilisons pour ce faire, échanger, se répartir les actions entre une dizaine de volontaires. Les réunions sont donc peu fréquentes (une par mois), et nous permettent d’échanger sur l’actualité de nos projets ainsi que d’échanger sur nos difficultés respectives. L’antériorité de l’agir associatif étudiant est ici encore avérée, de même que la capacité transitive de son message.

275.

( ) Les imprimeurs travaillent en effet essentiellement sous Mac. En conséquence, posséder un Mac pour une association s’avère relativement utile lorsqu’elle a de nombreux travaux d’impression à réaliser. La connaissance et la maîtrise de cette spécificité dès le milieu des années quatre-vingt-dix s’avèrent pour l’époque très atypiques sur le monde social. Une telle réalité existe en revanche sur le monde étudiant, ce qui explique notamment le fait que nous ayons 68,8% des associations à disposer d’un ou plusieurs ordinateurs : nous avons regroupé sous cette modalité à la fois le fait d’avoir un ou plusieurs PC, et avoir un ou plusieurs Mac. En conséquence, nous aurons par exemple « pas d’informatique » + « un ou plusieurs ordinateurs » > 100 %.

276.

( ) INSEE Première, n°1011, mars 2005. « Un ménage sur deux possède un micro-ordinateur, un sur trois a accès à Internet ».

277.

( ) CASTELLS Manuel, « La société en réseau », p 403.

278.

( ) Le n°17 de juin 1996 décrira dans sa rubrique « Actu asso » à quoi ressemble une association étudiante type. On y apprend notamment que les accessoires les plus courants possédés par cette dernière sont le téléphone, le frigo, l’ordinateur, le trophée, la cafetière, et le radiocassette. Deux des six éléments cités sont spécifiquement liés aux technologies de l’information et de la communication. Le n°28 d’avril 1997 consacre pour sa part un dossier complet sur l’utilisation d’Internet par les associations étudiantes. Le n°46 de mai 1999 est l’occasion d’un long exposé sur les différents sites Internet des associations étudiantes. Le n°51 d’octobre 2000 est pour sa part un numéro spécial Internet, dans lequel sont abordées à la fois toute une série de questions techniques (choix de l’ordinateur, choix du provider, exposé des arnaques les plus courantes dont il faut qu’une association se méfie, méthode de recherche sur Internet,…), ainsi que toutes les utilisations possibles que peut faire une association étudiante de cet outil (communication avec des étudiants étrangers, recherche d’informations, circulation rapide d’information, …). La liste des articles traitant de ce sujet est trop longue pour être citée de manière exhaustive.

279.

( ) Association des Doctorants en Biologie de Poitiers sur http://asso.univ-poitiers.fr/adbep/.

280.

( ) Décisions Etudiantes n°55, février 2001, p 4.

281.

( ) L’idée du cyber-gala, apparue dans le « Décisions Etudiantes » de décembre 1995 se verra ainsi retraduite en fait lors des cyber-fest-noz de Quimper, qui depuis 1999 se mettent en place chaque année à Quimper. L’édition 2003 aura été suivie en direct par plus de 33 000 spectateurs à travers le monde via internet.