Outre cette implication dans l’usage des nouvelles technologies de la communication, les associations étudiantes cherchent plus qu’auparavant à pénétrer le monde des médias. On retrouve à ce titre un fonctionnement similaire à celui que Pierre Pachet met en évidence dans « « Raison et conviction – l’engagement » pour la construction des comités de soutien dans l’ensemble du monde social : travail de lobbying auprès des diverses institutions pour leur faire prendre conscience de la problématique traitée, fort investissement en direction des médias et de l’opinion publique plus particulièrement, afin d’interpeller plus que de convaincre la population de la justesse et de l’urgence de la problématique, …
Les associations étudiantes organisent tout d’abord de manière plus récurrente des partenariats avec les différents médias, et plus particulièrement les radios et la presse locale. Ainsi, dès 1994, les fédérations étudiantes des villes de Toulouse, Metz, Clermont-Ferrand élaborent un travail commun avec les stations NRJ locales : tous les soirs à 18 heures, elles disposent de deux minutes d’antenne pour traiter de l’actualité étudiante locale ou nationale ( 282 ). Les fédérations étudiantes de Marseille et d’Aix ont négocié pour leur part un partenariat avec les stations Skyrock, leur permettant de disposer de sept minutes d’antenne. D’une manière générale, les associations et les fédérations construisent des liens forts avec la presse locale. Sont alors échangées une « oreille attentive » des médias aux problématiques et actions des associations étudiantes contre une promotion du journal sur l’école ou au travers des actions réalisées.
Les associations étudiantes diffusent dans le même temps leur message via le réseau des radios étudiantes locales. Ainsi, dans les villes de Strasbourg, Bordeaux, Lyon, Lille, Toulouse, Grenoble, Dijon, Limoges se tissent des partenariats forts entre associations étudiantes et les Radios Campus. Comme le décrit du reste Thierry Danet, directeur de Radio Campus Strasbourg, c’est autour d’une implication mutuelle que se construisent ces relations : « il faut aussi soutenir leurs actions, je recherche un partenariat basé sur
l’échange » ( 283 ). Celles-ci se concrétisent le plus souvent par des temps d’antennes pour les associations étudiantes, des spots pub et des interviews, contre l’apposition du logo voire la présence de la radio lors des manifestations de l’association. Ces collaborations s’élaborent sous une forme de plus en plus récurrente, à savoir un partenariat entre une association thématique et une association de filière ou une fédération, structures à vocation beaucoup plus généraliste. Partenariat inédit dans le monde social, il donne à voir des formes potentielles à venir de recomposition du tissu associatif et du monde social dans son ensemble.
Il devient alors nécessaire pour les associations étudiantes de créer du sensationnel, de l’évènementiel, afin de plaire aux médias et par effet induit, de disposer des moyens de diffuser le message qu’elles portent. Cette recherche de construction de partenariats avec les médias participe totalement de la dynamique générale de transformations du rapport au médiatique qu’entretiennent les structures du secteur sans but lucratif. Wievorka cite à ce titre dans l’ouvrage collectif « Raison et conviction – l’engagement » la mobilisation associative et médiatique en faveur de Salman Rushdie. Dans une moindre mesure mais dans une même dynamique, les heures d’antenne hebdomadaires des associations étudiantes sur les radios jeunes participent pleinement de ce phénomène.
L’absence de médias lors d’une manifestation se vit de fait comme une forme de stigmatisation, ce que confirment les échanges entre la Ville de Lyon et les associations étudiantes ces dernières années. Désormais, par l’implication de la municipalité, une visibilité plus importante est donnée aux actions associatives étudiantes au travers des médias locaux. De manière identique, par l’implication de la municipalité, l’Association Valentinoise des Etudiants dispose d’une plus large audience médiatique, permettant une diffusion étendue de ses informations et de ses actions.
Cette volonté communicationnelle impacte les modes d’organisation interne des associations étudiantes. Si ces dernières souhaitent voir désormais leurs évènements « couverts », les structures dont les projets disposent d’une certaine ampleur se construisent de plus en plus souvent un « press book ». La fédération des étudiants du Mans met même en ligne ce dernier ( 284 ), idem pour l’A.F.N.E.U.S. ( 285 ) ou le B.N.E.I. ( 286 ). Les exemples en ce sens pourraient être multipliés à l’envie, il conviendra donc de remarquer la forte volonté des associations étudiantes de se faire présentes et visibles aux yeux de l’opinion publique, afin d’y diffuser leurs messages.
Cette résolution se donne aussi à voir au travers des journaux étudiants, et notamment le « Décisions Etudiantes » du réseau F.A.G.E. Le n°66 (avril 2002) comporte un dossier « Communiquer autour d’un évènement ». Au travers d’une approche très professionnelle de la communication évènementielle, sont alors explicités ce qu’est une stratégie de communication, comment communiquer efficacement, les relations presses, … Le n° 73 (février 2003) comporte pour sa part un dossier « communiquer avec les médias », expliquant les différents types de relations possibles avec les médias, ainsi que les outils communicationnels : fichier presse, communiqué, dossier de presse, revue de presse, … Le n°81 (janvier 2004) revient encore sur ce thème, au cours d’un dossier « les assos et les médias », expliquant comment monter le plan média d’une opération.
Sans disposer de l’aire médiatique de structures plus importantes du secteur sans but lucratif, les associations étudiantes entrent donc, elles aussi, dans un travail de lobbying en direction des institutionnels et des décideurs, afin de développer leur communication vers l’ensemble de la société.
Ces nouvelles modalités de l’agir pour les associations étudiantes participent du jeu de la parole, c’est-à-dire de l’intervention médiatique auprès et avec des partenaires institutionnels moins pointus mais plus reconnus, pour la défense de projets. Dans une relation dialectique, les associations crédibilisent les institutions par l’expertise de leurs discours, ces dernières crédibilisant les organisations bénévoles par leur aura d’institution. Les modes d’engagement des individus s’en ressentent, qui incluent désormais cette dimension comme élément participatif important dans la construction de tout projet.
L’incursion étudiante dans le champ médiatique se réalise aussi au travers de la contestation institutionnelle. En effet, même sous cette forme, il se donne à voir une transformation du rapport au médiatique, sous un rapport plus communicationnel. L’importance du médiatique dans l’action des associations étudiantes se mesure alors à l'aune des potentialités de mobilisation des médias.
A cet égard, lors des manifestations de février 1997 des étudiants d’I.U.T., la couverture presse locale des actions envisagées et menées sur la région Rhône-Alpes fut rapide et intense. La première journée d'action que nous avons planifiée au sein de la F.E.D.I.U.T. a vu l'arrivée massive et en une demi-heure, de quatre chaînes de télévisions (CTV, TLM, M6, FR3) trois quotidiens régionaux (Le Progrès, Le Dauphiné, Lyon Matin). Les conséquences ont été rapides, puisque le lendemain, le Ministère demandait à nous rencontrer.
Ces projets nouveaux s’accompagnent en outre d’une liberté de ton croissante dans les discours, qui vient s’opposer aux paroles policées des groupes institués de la société industrielle. En effet, comme le note Castells, l’ironie s’affirme comme une valeur suprême de la société capitaliste-informationnelle. Les associations étudiantes participent depuis longtemps déjà de cette dynamique, notamment par le biais de leurs journaux. Les archives des journaux étudiants regorgent d’articles tournant en dérision tel ou tel professeur, tel ou tel ministre. Les journaux étudiants actuels ne se sont en rien départis de cette liberté d’expression. Ainsi, Franck de la F.E.D.E.L. qui raconte son expérience associative étudiante : « nous éditons tous les mois un journal : Fac's. Succès avec plusieurs milliers de lecteurs chaque mois ! Il devient un organe d'expression, associant information, humour et divertissement (et notamment une mini-série avec notre journaliste - héros malgré lui : Indiana Bond) ».
Dans le même sens, les différents numéros de « Décisions Etudiantes » édités sous le Ministère Allègre tourneront souvent en dérision, dès la première de couverture, le personnage et ses actions. Ainsi en est-il par exemple du n°38 de décembre 1997, dont le titre de la première de couverture sera « 1998 : les étudiants peuvent-ils encore croire au père Noël ? ». On y voit notamment le ministre Allègre croqué en Père Noël. Le numéro de janvier affiche le même esprit, avec ce titre : « Plan social étudiant … on consulte ». On y voit alors un mammouth alité sur un sofa chez un psy que l’on voit de dos, et dont on se doute fort qu’il s’agisse du ministre Allègre. Là encore, les exemples seraient trop nombreux à répertorier, on retiendra surtout l’aspect courant de la pratique de la dérision et de l’ironie au travers des modalités de communication des associations étudiantes, inscrivant de ce fait l’action de ces dernières dans les nouvelles modalités de l’agir communicationnel des organisations du monde social.
Quelle que soit donc la forme que prend l’action collective étudiante, le « médiatique » s’impose désormais dans les actions des associations. Par incidence et par effet d’expérience, ce dernier impactera d’autant les modalités à venir de l’engagement collectif des individus dans le monde social.
( ) Décisions Etudiantes n°2, novembre 1994.
( ) Décisions Etudiantes n°2, novembre 1994.
( ) http://fedm.univ-lemans.fr.
( ) http://www.afneus.org.
( ) http://www.bnei.org.