Les similitudes/divergences avec les autres organisations du monde social :

Outre les changements déjà évoqués, la fin des années quatre-vingt et le début des années quatre-vingt-dix voient l’informatisation progressive des organisations du monde social. Celle-ci fut dans un certain nombre de cas source de tensions entre anciens militants réfractaires, nouveaux bénévoles, et salariés de l’organisation. La place croissante des buts de système dans la hiérarchie des normes des organisations et la mise en évidence des gains potentiels en termes de temps et de travail permettront sa mise en place dans des délais raisonnables.

L’utilisation d’Internet fut très progressive pour les organisations du monde social, suivant en cela le rythme général de la société. Les structures sont souvent obligées d’attendre l’arrivée aux commandes d’une deuxième génération plus professionnelle, succédant aux fondateurs idéalistes.

Le secteur associatif étudiant dispose sur ce point d’une incontestable antériorité. Celle-ci découle en première mesure du fort taux de rotation des élites, rares étant les bénévoles s’investissant plus de trois années consécutives. Le milieu universitaire, lieu de nouveauté, jouera aussi incontestablement son rôle de catalyseur. De fait, son action impactera les autres formes de l’engagement collectif des individus.

A cette même période, les organisations du monde social entrent dans une démarche forte de communication publicitaire et de marketing. La publicité médiatique est utilisée pour accéder à des fonds nouveaux, notamment par une augmentation du nombre de donateurs. L’évènementiel s’impose comme moyen principal pour faire connaître l’organisation et la cause défendue. Recherche de fond et de reconnaissance conduisent ainsi le monde social à mettre en œuvre une forte démarche en direction des médias.

L’orientation d’une partie des organisations du monde social se déplace progressivement en direction de l’extérieur, par le développement de politiques actives de communication, de lobbying, de diffusion d’informations et de recherche de fonds. Faire parler de soi et récupérer des fonds s’imposent comme tâches stratégiques et complémentaires aux buts de système.

Pour réaliser ces activités nouvelles, les organisations du monde social recrutent des professionnels de la communication. Ces derniers ont à charge d’organiser les contacts presse, développer la communication en direction des médias. La qualité de la communication s’en ressent : les contacts deviennent plus réguliers, tandis que les aspects trop excessifs ou engagés des organisations sont peu à peu gommés. Les références au capital, des termes comme « exploiteurs », « structures d’oppression », … disparaissent des discours pour être remplacés par des notions telles que le « développement durable », le « commerce équitable », … ( 287 ). L’image, les publications des organisations font l’objet de mise en place de procédures rédactionnelles et de contrôle avant diffusion.

Les associations étudiantes vivent ces évolutions communicationnelles de manière plus partielle. Lors de mes présidences successives, nous avions référencé tous les médias rhônalpins, leurs coordonnées ainsi que les noms des journalistes à contacter. Notre dossier « contact presse » comportait près d’une cinquantaine de référence (journaux, radios, télés). Nous l’avons mis à profit utilement tant lors de nos congrès annuels, lors des Olympiades de l’A.G.I.L., ou lors des manifestations étudiantes.

Le discours des structures tend à intégrer plus qu’auparavant des problématiques liées au développement durable, au commerce équitable, et comporte moins de critiques institutionnelles (cf. « Décisions Etudiantes », journal de la F.A.G.E. et son supplément « Génération Solidaire »). Elles connaissent les mêmes difficultés relationnelles avec les médias, dans la nécessité qu’elles ont parfois à devoir compléter, nuancer voire infirmer le discours médiatique sur certains sujets. A l’instar de nombreuses autres organisations du monde social, les médias de communication interne ont une vocation fortement consensuelle. Ils abordent des points techniques et événementiels, mais ne retraduisent jamais les débats de fonds qui animent le cas échéant l’organisation.

En revanche, rares ont été les associations étudiantes à recruter sur des postes de communicants. La communication reste du ressort des bénévoles dans une très large partie des structures, même pour les fédérations, du fait de l’absence de ressources financières. L’utilisation de l’évènementiel s’en trouve donc amoindri en regard des organisations du monde social. Les victoires électorales ou les Congrès annuels des associations étudiantes restent connus d’un microcosme, et ne débordent que rarement de celui-ci. La collecte de fond étant une activité inexistante dans le milieu étudiant, les rapports avec les médias n’intègrent pas cette dimension, même dans les communications internes. L’impact du milieu associatif étudiant sur cette modalité des engagements collectifs des individus sera donc négligeable.

Notes
287.

( ) AGRIKOLIANSKY Eric, FILLIEULE Olivier et MAYER Nonna montrent toutefois dans « L’altermondialisme en France, la longue histoire d’une nouvelle cause » que ces nouveaux thèmes de mobilisation ne viennent pas tant remplacer les anciens, mais qu’ils en assurent sans doute bien plus la continuité sous une forme discursive différente, plus en phase avec le social. L’altermondialisme en France, la longue histoire d’une nouvelle cause, Flammarion, 2005.