Rejet des formalismes :

Les nouvelles formes de l’agir associatif étudiant se construisent de plus par l’abandon généralisé du juridisme et de tout formalisme. P.V., convocations et ordres du jour, compte des présents, des excusés ou des représentés, de ceux qui prennent la parole, font dorénavant figure de lourdeurs procédurales inutiles. Les associations thématiques proposent un modèle organisationnel quasi-archétypal de ce mode de fonctionnement.

Cet abandon des formalismes se reflète en premier lieu au travers de l’implication de la F.A.G.E. sur cette question. Ainsi, le n°56 de mars 2001 du « Décisions Etudiantes » consacre toute une fiche pratique sur « le secrétariat de l’association ». Fortement détaillée et explicite, elle présente le rôle du secrétaire dans sa double dimension, à la fois archivage, juridique et sa dimension communication interne. L’article insiste plusieurs fois sur l’importance de l’archivage. Il est à noter que sur l’ensemble des « Décisions Etudiantes », seul ce poste a été à ce jour abordé et décrit de manière aussi explicite.Cependant, dans le même temps, une petite B.D. complète l’article : elle présente le secrétaire d’une association en train de recopier des documents pendant Noël, pendant que les autres font la fête : rôle ingrat et rabat-joie du secrétaire est ici tourné en dérision, montrant dès lors la perte de considération de cette fonction sur l’ensemble du mouvement associatif étudiant. L’édito du n°57 (avril 2001) insiste néanmoins de nouveau sur la nécessité d’un secrétariat archivé, en essayant de responsabiliser les dirigeants d’associations par quelques lignes appuyées du président de la F.A.G.E. de l’époque : « Vous vous devez également de laisser votre asso dans les meilleures conditions à vos successeurs, c’est-à-dire au moins avec un secrétariat archivé et un cahier de trésorerie bien tenu pour ne pas découvrir de mauvaises surprises plus tard. ». Comme tout excès qui se fait avant tout révélateur d’un vide,cette profusion de formulation, d’implication,
au-delà de la valeur légitime de l’acte, retraduit clairement le vide qui entoure la réalité des pratiques sur le terrain.

Les permanences des bénévoles répercutent elles aussi l’abandon du formalisme visible dans une large partie des associations étudiantes
(cf. graphique n°29).

Comme le montre le graphique n°29, seule un peu plus de la moitié (55,6 %) des associations disposant de locaux tiennent des permanences. Si une majorité se dégage en faveur des permanences, celle-ci n’est pas suffisamment significative pour être relevée par Sphinx. Il semble en revanche se dessiner une forte propension à l’abandon du formalisme des permanences (44,4 %).

Graphique n°29 : les permanences au sein des associations disposant de locaux.
Graphique n°29 : les permanences au sein des associations disposant de locaux.

Le tableau est construit sur 536 observations. Les pourcentages sont calculés par rapport au nombre de citations. Ce tableau est construit sur la strate de population « associations ayant un local » contenant 536 observations et définit par le filtrage suivant : local = {un local ou plusieurs}.

De ce fait, l’important pourcentage actuel d’associations ne réalisant pas de permanences conduit à penser une expansion des pratiques informelles dans le milieu associatif étudiant, elles-mêmes élément du nouvel individualisme. S’observe donc une lente réorganisation des temps de participation des bénévoles. A titre d’exemple, nous disposions de locaux pour les deux fédérations que j’ai présidées. Si nous étions présents sur une large plage horaire de la journée, nous n’avons jamais, en cinq années de présidence, mis en place la moindre organisation de permanence. Exceptée dans un cas, la dizaine d’associations étudiantes présentes sur le site fonctionnaient de même. Ce qui ne veut pas dire que nos locaux étaient fermés ou vides : machine à café et accès à Internet nous garantissaient une présence régulière de plusieurs bénévoles, pas toujours membres du bureau. Les bénévoles concilient désormais les contraintes formelles liées aux adhérents, et leurs envies personnelles, souhaitant disposer d’une vie propre en dehors de l’association. Ces pratiques bousculent les modes de fonctionnement collectifs antérieurs, et donnent à voir les formes pratiques des engagements actuels et futurs des individus dans le monde social.

La notion d’adhésion prend elle aussi des formes et des allures différentes. « Alors qu’hier l'adhésion valait acte militant, aujourd'hui l'adhésion peut être de pure forme tandis que la mobilisation peut se passer d'adhésion » ( 291 ). Ainsi, le calcul de corrélation entre adhésion effective et taux de suivi des activités des associations, montre que ces deux variables sont totalement indépendantes (cf. graphique n°30).

Graphique n°30 : calcul du coefficient de corrélation entre montant de l’adhésion
Graphique n°30 : calcul du coefficient de corrélation entre montant de l’adhésionet pourcentage de suivi des activités.

Source : enquête. Le graphique montre les 1619 points de coordonnées montant ; pourcentage d’adhérents. La dépendance n’est pas significative. Equation de la droite de régression : pourcentage = 0,05 *montant 31,97. Coefficient de corrélation : + 0,12 (le montant explique 1 % de la variance de pourcentage). Ecart-type du coefficient de régression : 0,009. Les non-réponses ont été mises à 0. Chaque observation est représentée par un point.

Comme le montre le graphique ci-dessus, il n’existe aucun effet de corrélation entre montant de cotisation et pourcentage de suivi des activités par les étudiants. Une association peut donc mobiliser des étudiants sur ses activités sans pour cela que ceux-ci soient dans leur majorité « encartés » par elles. Elle dispose par conséquent d’une aire de diffusion plus large que ses capacités numériques : son territoire d’influence déborde de son territoire formel. S’observent ici les nouvelles modélisations de l’agir collectif, le secteur associatif étudiant se faisant fortement acteur de ces nouvelles modalités de l’engagement des individus. Il participe à ce titre de leurs diffusions et de leur institutionnalisation, et donc des évolutions des formes de l’engagement des individus dans le collectif.

En revanche, la sociabilité tend à devenir une dimension capitale du fonctionnement des organisations. Celle-ci s’articule autour de, et s’appuie sur, la dimension informelle de la relation en cours. Il n’est pas rare de voir des responsables d’associations faire des cartes d’adhésion gratuites à des relations proches. Celle-ci n’est du reste plus toujours payante. La carte ne fournit plus une identité collective, une appartenance à son possesseur. Elle participe de la construction de l’identité individuelle de l’étudiant détenteur, comme élément parmi d’autre. Elément d’inscription dans un réseau nouveau de connaissances, l’adhésion n’enferme pas et autorise pleinement tant la multi-adhésion que le soutien sans adhésion.

Tout un ensemble de nouvelles pratiques se donnent donc à voir dans le milieu étudiant, visant à faire disparaître les différentes formes de contraintes formelles de l’action collective et les modèles de construction de la société salariale. Ces dynamiques nouvelles retraduisent la participation du mouvement associatif étudiant à l’émergence de la seconde modernité, et plus particulièrement à l’affirmation de formes nouvelles d’engagement des individus dans le monde social.

Notes
291.

( ) ION Jacques, op. cité, p 103.