II-B-2) Nouveaux rapports entre local et national

Multitude et diversité du terrain, étroitesse de l’échelon fédératif :

C’est désormais à partir du terrain et des associations de bases qu’il nous faut comprendre la réalité des réseaux associatifs étudiants. A l’instar de ce que montre par ailleurs Castells sur l’ensemble de la société, les réseaux anciens se désagrègent en même temps que de nouveaux émergent. Les réseaux vont s’additionner par superposition, parfois fusionner, le plus souvent s’influencer mutuellement tout en restant séparés formellement les uns des autres (cas des réseaux de mono-disciplinaires et du réseau F.A.G.E. par exemple). Alors que la première modernité imposait de partir du global pour aboutir au local, nous repartons à présent du local et des types d’associations pour construire le global. Comme l’analyse à ce titre la F.A.G.E., « les étudiants ont rejeté les grands ensembles trop contraignants pour de petites structures souples. Ils ont préféré le réseau à l’organisation » ( 301 ).

Le secteur associatif étudiant se compose aujourd’hui à plus de 95 % d’associations de terrain, les fédérations ne représentant que 3 % du nombre total d’associations (source : enquête propre). En outre, le fédéralisme ne se structure pas dans ce secteur comme sur d’autres champs du monde associatif, en ce sens qu’il n’existe quasiment aucune fédération d’échelon départemental ou régional. Faible structuration fédéraliste, absence de parallélisme de forme avec l’institution, le secteur associatif étudiant se construit donc de manière atypique, en décalage du modèle général décrit par Ion dans « La fin des militants ? » pour l’ensemble du secteur associatif ( 302 ).

Comme le montre le graphique ci-dessous, la principale période de création des fédérations locales démarre à partir des années quatre-vingt
(cf. graphique n°33). Si cela ne sous-entend pas qu’aucune structure fédérative n’existait antérieurement, il convient de remarquer l’accentuation du développement de ces regroupements à partir de cette date. La courbe de tendance (moyenne mobile) des créations de fédérations suit peu ou prou la forme de celle des associations étudiantes, au moins jusqu’en 1995. La petitesse de l’échantillon fédéral peut certainement expliquer une partie des divergences observées.

Deux éléments disjoints s’additionnent pour donner corps au développement de ce fédéralisme local. Une pression exogène exercée par l’Etat rencontre à cette période la tendance sociétale de fond de développement du monde associatif. Les années quatre-vingt-dix sont en effet une période de rééquilibrage des équipements universitaires nationaux. La multiplication et le renforcement des sites d’Enseignement Supérieur sur l’ensemble du territoire viennent alors nourrir les volontés individuelles croissantes en matière d’engagement collectif, visibles tant sur l’ensemble de la société que sur le monde étudiant ( 303 ).

Graphique n°33 : Comparaison création associations/fédérations
Graphique n°33 : Comparaison création associations/fédérations au cours du temps

Source : enquête propre.

Cette faiblesse de l’échelon fédéral, qui rejoint celle exposée par Ion pour l’ensemble du secteur sans but lucratif, ne s’accompagne pas d’une prise de distance des associations avec les instances de niveau supérieur. En effet, près de 60 % des associations étudiantes d’une ville adhèrent aux fédérations locales présentes (cf. annexe n°4 : Fédérations locales et tailles de villes). Milieu étudiant et secteur sans but lucratif diffèrent sur ce point.

L’importance de cette adhésion doit aussi s’entrevoir avec le développement de relations moins hiérarchiques et distanciées entre les associations et la fédération locale. Un modèle de relations très lâches entre les structures s’observe dans un certain nombre de cas. Ainsi, l’A.J.A.N. 06 ( 304 ), se présente elle-même comme un réseau plus qu’une fédération. Malgré son rôle fortement structurant (gestion d’un site Internet présentant toutes les actualités des associations jeunes de la région, édition d’un « ajanda » gratuit pour les étudiants de Nice, édition d’un journal, mobilisation lors des élections
étudiantes, …), les associations qu’elle regroupe restent totalement indépendantes : pas de cartes d‘adhésion, participation ou non aux activités, … Dans les faits, ces dernières se font alors fortement demandeuses et motrices des actions menées : «A Nice, … ce qui fédère les assos, ce sont plus les évènements et les opérations concrètes que les réunions. … Aujourd’hui les assos des Alpes-Maritimes viennent d’elles-mêmes nous transmettre leurs infos, leur actu, elles aiment utiliser le nom de l’A.J.A.N. pour de grosses soirées par exemple. Mais aucune hégémonie surtout ! On se rassemble autour de thèmes fédérateurs tout simplement pour faciliter la vie associative, soutenir leurs actions quand elles le désirent ». Une forme nouvelle de relations entre investissement sur le terrain et cadre structurel se tisse donc, visible à tous les échelons organisationnels, de l’individu aux structures. Elle se construit autour de projets concrets et de valeurs telles que l’indépendance, l’autonomie et le travail en réseau, rejoignant en cela les modèles d’organisations militantes en pointe dans le combat de transformation sociale, comme A.C. ! ou le D.A.L.

Le fonctionnement de la F.A.G.E. reste lui aussi atypique sur le monde étudiant, puisqu’il est construit sur un modèle confédéral, disposant toutefois d’un certain nombre d’aménagements. Ce modèle s’avère nécessaire à la survie et au développement de l’organisation : la multiplicité des profils des organisations adhérentes interdit en effet tout corporatisme, en même temps que toute hégémonie d’une organisation sur les autres. Elle agence en outre son fonctionnement avec ses structures adhérentes selon un fort principe de subsidiarité, particulièrement visible dans les relations qui se tissent entre le national et le local. Ainsi, lors des périodes électorales, la F.A.G.E. ne se présente pas en son nom propre. Elle laisse aux associations l’entière liberté de construction des listes et des campagnes, tout en leur fournissant matériel et idées. Lorsque nous avons présenté des candidats aux élections C.R.O.U.S. de l’Académie de Lyon en 1995 et 1997, la F.A.G.E. nous a fourni des trames de tracts, des idées d’affiches, du matériel explicatif pour des interventions en amphi, … Notre fédération n’était pourtant pas adhérente de la F.A.G.E., et nous n’avons jamais précisé ce soutien sur nos documents lors de ces campagnes. La F.A.G.E. ne nous l’a jamais demandé non plus. Un lien très lâche en même temps que solide réunissait alors notre fédération locale et la F.A.G.E.

Notes
301.

( ) « Qu’est ce que la F.A.G.E. ? », p 106.

302.

( ) Cette faiblesse numérique de l’échelon fédéral n’est pas nouvelle, la grande U.N.E.F. ne regroupant au plus fort de sa présence qu’une soixantaine d’A.G.E. Ce particularisme trouve son origine dans le fait que le secteur associatif étudiant n’est que très rarement en contact avec des échelons décisionnels autre que les universités et les villes, excepté lors des élections C.R.O.U.S. (élection de dimension académique). Ainsi, excepté les organisations à ambition nationale, les autres structures fédératives associatives sont essentiellement des fédérations locales d’associations.

303.

( ) Archambault montre en effet que cette période connaît une forte croissance du nombre de création d’association sur l’ensemble de la société française. Si cette tendance retraduit la volonté plus marquée des individus en matière d’engagement collectif, le monde étudiant participe à sa manière de l’affirmation de cette orientation sociale. ARCHAMBAULT Edith, op. cité.

304.

( ) Association des Jeunes à Nice et dans le 06, Décisions Etudiantes n°53, décembre 2003, p 3.