Transformation du rôle et de la place du national :

Dès sa conception, la F.A.G.E. donne une importance primordiale au local. Ainsi, les statuts de cette structure sont élaborés selon le droit alsacien. A la différence de toutes les autres organisations de représentation étudiante, le siège social de la F.A.G.E. se situe en province, à Strasbourg ( 310 ). Le localisme dispose donc dans le cadre de ce nouveau réseau d’une importance très forte.

Par incidence, les modalités de relations entre local et national se révèlent être en fort changement. Une véritable transformation du rôle de la fédération nationale s’opère dans le milieu associatif étudiant. Le rôle de cette dernière n’est plus de diffuser un message descendant, mais bien d’être avant tout un réceptacle, un lieu d’échanges et de débats des initiatives locales. Ainsi, comme le remarque Alexis, président de la F.A.C.E. 06, « la F.A.G.E. est un grand lieu d’échanges et de rencontres où nous pouvons confronter nos idées avec des étudiants issus de différents milieux pour approfondir notre réflexion » ( 311 ). Ce que confirme les propos de Guillaume Muller, président de l’A.N.E.M.F. (Association Nationale des Etudiants en Médecine de France) et élu C.N.E.S.E.R., analysant les rapports entre élus associatifs locaux et nationaux : « Au niveau local, la représentation est importante. Les élus locaux impulsent une dynamique aux élus nationaux, eux-mêmes élus dans leur université. … En terme de représentation, il me semble indispensable de faire participer nos élus locaux aux réflexions sur les grands thèmes de l’Enseignement Supérieur. Je pense qu’il est aussi important d’avoir leur avis, de les questionner sur les textes, les projets d’arrêtés passant au C.N.E.S.E.R. Les élus (locaux) connaissent des problématiques dont nous n’avons pas connaissance » ( 312 ). C’est à partir de ces échanges et par la synthèse de ceux-ci que s’élabore la ligne politique de la fédération nationale.

Lors de mes présidences successives à la tête des fédérations locales puis régionale des I.U.T., nous entretenions de forts rapports avec la F.A.G.E. Ces derniers étaient avant tout construits sur une remontée des informations, des visions et perspectives de notre part. Nous n’avons jamais eu de directives particulières émanant de la F.A.G.E. pour orienter notre action. Lors des manifestations étudiantes de 1995, différentes réunions de sorties de crises ont été montées par le Ministère. Avec plusieurs représentants des B.D.E. d’I.U.T. de Rhône-Alpes, nous siégions alors en notre nom propre, représentant les étudiants des I.U.T. Si nous avions notre propre discours et la F.A.G.E. le sien, les représentants de cette organisation s’inspiraient directement de nos positions pour définir le leur lors de ces réunions. Hors périodes conflictuelles avec l’institution, nous étions régulièrement consultés sur toute problématique touchant la filière I.U.T., le discours officiel de la F.A.G.E. étant alors une synthèse entre nos perspectives, celles d’autres associations étudiantes d’I.U.T., et le regard plus global dont une organisation nationale est empreinte.

De fait, la F.A.G.E. comme AnimaFac construisent leur communication en direction du local, en incitant fortement à des remontées continuelles de projets, d’idées, de position sur les sujets les plus larges. Ainsi, le n°52 du « Décisions Etudiantes » (novembre 2000) appelle à de nombreuses remontées d’informations de la part des associations étudiantes de terrain, en vue de proposer une redéfinition du F.A.V.E. Pour sa part, le n°54 du « Décisions Etudiantes » (janvier 2001) comporte un fort appel à contribution, sur les questions relatives aux licences professionnelles. La profession de foi du candidat Stephen Cazade, lors de son élection à la présidence de la F.A.G.E., sera encore plus révélatrice de cette volonté de faire émerger du terrain les idées et les initiatives, dans un appel fort aux fédérations locales pour des idées et des orientations de développement de la F.A.G.E. Dans le même objectif, il n’est pas rare de trouver dans les numéros du « Décisions Etudiantes » des appels à candidatures lancés aux associations locales pour des postes à dimension nationale : Conseil Supérieur de l’Education, Observatoire de la Vie Etudiante, Commission Consultative Nationale I.U.T./I.U.P., … Si le fonctionnement en réseau s’impose aujourd’hui à une très large partie des organisations du monde social, rares sont encore les structures du monde social à opérer de manière aussi découverte dans leur appel à leur base pour des candidatures et/ou initiatives. Il s’agit ici soit d’une spécificité du monde étudiant, soit d’une forme préfigurative de fonctionnement qui apparaîtra d’ici peu dans d’autres secteurs de la vie sociale ( 313 ).

Les rapports entre structures locales et nationales s’élaborent donc sous un angle avant tout partenarial et relationnel. Ainsi, comme l’explique notamment Ana, présidente de l’U.N.E.C.D. (Union Nationale des Etudiants en Chirurgie Dentaire) : « la F.A.G.E. nous a apporté une vision plus globale et plus ouverte sur le monde étudiant. Elle nous a permis de nous mettre en relation avec des tutelles, avec d’autres étudiants du secteur de la santé. Nous avons également pu développer des projets communs avec d’autres filières » ( 314 ). Ainsi, sans être affiliée et adhérente officielle de la F.A.G.E., notre fédération étudiante F.E.D.I.U.T. a représenté cette dernière lors des commissions d’élaboration du contrat de Plan Etat-Région de 1997 dans la région Rhône-Alpes. Partenariat gagnant-gagnant, nous avions tout intérêt à nous positionner sur ce type de réunion officielle, quand la F.A.G.E. cherchait pour sa part un relais, une antenne avec qui travailler sur la région.

En même temps, l’action qui est menée par les fédérations nationales étudiantes type F.A.G.E., mais aussi I.S.F., A.C.C.E.D.E. est guidée par le pragmatisme, l’acte de service. Ainsi, une part importante des relations qu’entretient la F.A.G.E. avec son réseau passe par la fourniture de services de toutes sortes, l’aide au développement, l’apport ou la rencontre de sponsors éventuels, et la communication inter-associations. Elle colle en cela avec les demandes d’immédiateté qui émanent du local, répond de manière rapide aux demandes ponctuelles des représentants d’associations, leur fournit même parfois les moyens matériels de réaliser leurs actions. Ainsi, pour aider les structures à faire une campagne d’élections universitaires ou une action contre l’alcool au volant, la F.A.G.E. propose à ces dernières des formations, des tracts, des affiches, parfois même les trames des discours, charge ensuite à celles-ci de se réapproprier ces outils, si elles le souhaitent. Sur chacun de ceux-ci, une place est laissée pour l’association locale afin qu’elle y imprime son identité, sa marque, qu’elle se l’approprie.

Dans le même esprit, le « Décisions Etudiantes » n°88 de novembre 2004 propose un résumé de l’ensemble des services offerts par la F.A.G.E. aux associations étudiantes locales, sur un ton des plus dynamiques : « vous ne savez pas quelle stratégie de communication adopter pour vous faire connaître du plus grand nombre ? Si vous ciblez les institutionnels, les partenaires économiques ou les étudiants ? Vous ne savez pas comment rédiger un dossier de presse ou un communiqué de presse ? La F.A.G.E. vous aide dans vos démarches. Notre chargé de communication, David Zeisler, vous donnera les bons conseils pour passer aux 20 h de PPDA ». « Votre logo n’est pas vraiment original, la mise en page de votre revue a pris un coup de vieux ? La F.A.G.E. vous donne des idées. Notre graphiste, Olivier Jolly, répondra à coup sûr à vos attentes. » … « Vous souhaitez créer votre site, mais vous ne savez pas comment vous y prendre, créer un nom de domaine, vous avez besoin de conseils techniques ? Pas de panique ! Jean Charles Fleury, notre ingénieur informaticien, résoudra tous vos problèmes ». L’élaboration de la communication institutionnelle des associations locales sert de lien entre ces dernières et la fédération nationale sur la base d’une relation d’entraide.

Dorénavant, une fédération, a fortiori nationale, incarne donc avant tout un lieu d’échanges et d’élaboration en commun d’une politique, donc d’une identité et d’une culture. Si elle n’est que le réceptacle de cette identité qui se forme et se crée au travers d’elle et pas par elle, elle en devient cependant le symbole implicite. En ce sens, la F.A.G.E. (ainsi qu’AnimaFac qui fonctionne sur une dynamique similaire) prend la forme d’un organe de diffusion culturel, au sens où cette organisation fait transparaître, au travers de sa structuration et de ses actions, une culture d’action et non pas un discours ou des idéaux
particuliers ( 315 ). Par son action, le mouvement associatif étudiant institutionnalise les changements de formes des engagements des individus dans le collectif.

Le rapport nouveau qui se tisse entre organisations d’échelons institutionnels différents, et notamment l’importante autonomie dont jouissent les structures membres des fédérations, laisse deviner l’émergence d’un mouvement culturel, tel que le définit Touraine : « ce qui définit le mieux le but des mouvements culturels actuels est l’idée d’enpowerment, d’autonomie, qui réclame pour les individus et les groupes le pouvoir d’agir sur leur environnement, de devenir acteurs de leur histoire personnelle et collective » ( 316 ). La participation du mouvement associatif étudiant aux transformations des modes d’engagement des individus dans le monde social se fait là encore fortement visible, l’apparition de telles dynamiques sur la société n’étant pas encore à l’œuvre selon Touraine. En proposant un nouveau modèle d’engagement, le mouvement associatif étudiant vient remettre en cause les modalités antérieures en même temps qu’il institutionnalise progressivement le changement.

Notes
310.

( ) et ceci, même si le siège administratif est à Paris depuis le milieu des années quatre-vingt-dix.

311.

( ) Décisions Etudiantes n°88, novembre 2004, p 9.

312.

( ) Décisions Etudiantes n°88, novembre 2004, p 10.

313.

( ) Etant maintenant bénévole au sein de Max Havelaar France et siégeant au Conseil des Régions de cette organisation depuis plusieurs années, 2008 aura été la première année où il a été officiellement lancé des appels à candidatures similaires. Ce détail confirme là encore le rôle précurseur du mouvement associatif étudiant.

314.

( ) Décisions Etudiantes n°88, novembre 2004, p 9.

315.

( ) Dans le cadre de mes fonctions actuelles de bénévole au sein de Max Havelaar France, c’est ce que nous vivons aujourd’hui en 2009/2010, avec la définition de notre orientation et de notre identité au sein du programme « Plus de CEL dans les territoires », réforme en profondeur de l’organisation. Anecdotiquement, je suis l’un des membres du comité de pilotage de cette réforme (composé de neuf membres, ce comité de pilotage comporte quatre anciens responsables associatifs étudiants, dont trois à avoir exercé des responsabilités nationales).

316.

( ) TOURAINE Alain, op. cité, p 423.