II-B-3) Nouveaux rapports au politique.

Un éclatement et une spécialisation des formes de la participation politique :

La forme de l’action politique des associations étudiantes s’analyse en premier lieu au travers du rapport qu’entretient chaque association avec l'histoire de la grande U.N.E.F. Ainsi, une association d’aide aux populations du Bénin, une association organisant une manifestation au profit d’une organisation caritative comme les Restos du Coeur, une association de résidents universitaires, n'entretiennent que peu de rapports affectuels ou historiques avec la structure de services et de défense des étudiants qu'a été la grande U.N.E.F., à la différence de certaines associations de filière ou des fédérations locales. Les différentes typologies d’associations s’organisent donc aussi selon une réappropriation différentielle de cette dimension historique, dans son aspect héritage de pratiques, sa dimension de mythe ainsi que comme corpus de pensée.

Ce lien différentiel avec l’histoire constitue un facteur explicatif fort des différents vecteurs de construction qui ont animé le monde associatif étudiant.

A partir des années soixante-dix, les associations de filière se multiplient, dans un nombre croissant d'entités universitaires, sur des secteurs auparavant totalement hors champ associatif (cf. partie I). C'est une ère de tâtonnement, d'essais multiples et multiformes, se rejoignant dans un discours
commun : l'apolitisme. Cette constante, hautement revendiquée et présentée par un certain nombre d’associations étudiantes comme rempart à toute manipulation, ne procède toutefois que de l'illusion quand ce n'est pas, parfois, du mensonge.

C'est néanmoins à partir de cette notion que se reconstruit le mouvement associatif. Toutefois, étant une notion négative et négatrice, elle n'emporte avec elle aucune dimension organisationnelle ou structurelle. Une forme nouvelle du rapport au politique et à la représentation émerge. Tandis que les syndicats étudiants politisés s’inscrivent dans un rapport dominant/dominé dans leurs relations avec le politique et s‘appuient sur des stratégies de rapport de force et de conflit institutionnel, les associations, pour leur part, cherchent à mettre en œuvre et développer une pratique davantage inscrite dans la participation, la négociation. Comme en opposé des syndicats étudiants, elles fuient les attitudes contestataires, dans une crainte presque permanente de tout marquage politique ou de ce qui pourrait y ressembler. Ainsi, pour Stephen Cazade notamment, « la F.A.G.E. se positionne de façon pragmatique, c’est une grosse différence avec les autres organisations. Elle n’est ni à droite, ni à gauche. Elle est plus ouverte. Quand une loi sort et qu’elle ne plait à personne, la F.A.G.E. ne la rejette pas en disant qu’elle ne plait à personne. Elle explique pourquoi elle ne plait pas et donne des explications d’ordre technique. L‘U.N.E.F. et l’U.N.I. ne sont que revendicatifs, alors que la F.A.G.E. est pragmatique et non idéologique » ( 318 ).

Arme à double tranchant, l’apolitisme revendiqué de manière ostentatoire permet un ralliement plus aisé d’individus autour des notions pragmatiques et d’actes de services défendus par les associations, en même temps qu’il freine fortement toute implication dans les débats de société. Aux associations de filières vont donc peu à peu s’adjoindre les associations thématiques, moins inscrites de manière dogmatique sur cette ligne apolitique.

Différentes approches de l’agir politique vont dès lors cohabiter dans le milieu étudiant. Dans l’action des associations de filières, ainsi que dans celle des fédérations, transparaissent par endroit les résurgences de pratiques plus anciennes, réalisations des associations de la grande U.N.E.F. des années cinquante. Par leurs pratiques plus individualisées, en même temps que plus impliquées dans le devenir de la planète, les associations thématiques se font plus caractéristiques de la société capitaliste-informationnelle, c’est-à-dire d’une société en mutation, et plus réfléchie sur elle-même. Nous allons cependant voir dans les lignes qui suivent que chaque type d’associations – de filières, thématiques, fédératives –, tout en se spécialisant dans un type d’action politique particulier, inscrira cette dernière dans un rapport complémentaire et imbriqué avec celles, alternatives, mises en œuvre par ses pairs.

Notes
318.

( ) CAZADE Stephen, Décisions Etudiantes n°88, Novembre 2004, p 5.