2) Les associations de filière, une participation politique dans le cadre stricto sensu de l’Université

Comme le montre le graphique ci-dessous (cf. graphique n°37), les associations de filière sont les structures les plus enclines à siéger au sein des conseils de facultés et les conseils d’écoles ( 319 ). Par tradition autant que par volonté, les associations étudiantes de filière s’inscrivent dans les schèmes de la démocratie représentative.

Graphique n°37 : participation des associations aux instances décisionnelles
Graphique n°37 : participation des associations aux instances décisionnelles selon leur type.

Source : enquête personnelle. Le graphique est établi sur 1818 citations.

A l’inverse, les associations thématiques se positionnent tendanciellement hors du jeu de la représentation électorale.

Les associations de filières se positionnent sur l’échiquier politique local comme des groupes d’intérêts. Elles permettent la construction de la formulation de problèmes sociaux concernant directement les étudiants, et interpellent les pouvoirs publics pour leur résolution. Dans le contexte actuel, les associations de filière s'orientent le plus souvent vers la promotion de la filière et l'aide à l'intégration des étudiants, au détriment de la défense des usagers. A cette différence près, elles jouent peu ou prou le rôle qu’incarnent les sections syndicales de branches dans les entreprises.

Les objectifs d'une association de filière se répartissent principalement en trois tendances : le service immédiat à l'étudiant, la valeur professionnelle de la formation et la chaleur humaine échangée. L'aspect pragmatique et concret se couple d’une forte dimension affective et de lien social, elle-même constitutive de l’expérience associative ( 320 ). L'ensemble de ces objectifs se distancie dans le même temps clairement des espaces polémiques, en privilégiant des terrains d'action où sont présents consensus et fortes perspectives d'adhésion de principes de la part de l'ensemble des étudiants.

La défense des étudiants en tant qu’individus reste ainsi un domaine peu abordé par ces associations. On touche ici aux limites des potentialités de l'esprit de corps, élément central de ces organisations. Mis à mal par l’expansion de l’individualisme, l’esprit de corps s'avère désormais n’être plus un élément à lui seul déterminant dans le cadre d'une mobilisation sur des questions pédagogiques. Celles-ci sont en effet, pour reprendre Le Bart et Merle, « perçues comme extérieur au champ des bénéfices pédagogiques » que chaque étudiant souhaite escompter d'un engagement quel qu'il soit, de groupe comme individuel ( 321 ).

Les débats se situent donc avant tout sur le terrain du « comment faire », « quelle action choisir » ... En revanche, prendre une position claire de la forme « pour ou contre la défense de tel étudiant » s'avère plus problématique, plus dangereux, moins consensuel. Donner un sens, une pensée générale, c’est-à-dire au final une grille d'interprétation du réel, s'avère être envisagé comme une opération trop risquée dans un objectif utopique de l’adhésion maximum des étudiants à l'association. Se donne à voir dans le champ de l’action politique et représentative des associations de filières une des tensions entre individualisme et collectif, caractéristique des formes nouvelles de l’engagement collectif dans le monde social. En cela, les associations de filière se font participatives des modalités actuelles de l’engagement collectif des individus.

Ces organisations se caractérisent donc par une absence de caractère revendicatif dans leur agir politique. Ce n'est pas leur créneau d'action, stratégie qu'elles revendiquent clairement par un positionnement « a-politique », parfois presque caricaturalement. Le champ revendicatif et d’utopie sociale étant occupé par les syndicats politisés étudiants, essentiellement l'U.N.E.F. et dans une moindre mesure l’U.N.I., il existe un véritable partage de territoires et des espaces publics de représentation entre ces deux types de structures, la ligne de fracture se situant dans une appréhension différente de la notion d'intérêt général.

Remarquons tout d’abord à la suite de Sainsaulieu que l'association, même lorsqu'elle se dote d'ambitions représentatives, n'est pas un mouvement social au sens Tourainien du terme. En effet, « alors que le mouvement social trouve sa subsistance collective dans la critique et l'action oppositionnelle au prix d'une implication militante de ses membres contre les pouvoirs en place, l'action associative ne peut échapper à la mise en oeuvre de fonctionnements concrets et durables. La grande différence entre le mouvement social et l'association se retrouve donc être précisément l'importance de la réalité de ses fonctionnements collectifs, car c'est de leur qualité que découlera la valeur du projet associatif » ( 322 ). En conséquence, l'agir des associations de filières, regroupant à la fois action politique et action économique, s'inscrit plus dans une dynamique de « société civile ». La forme de participation politique de ces organisations ne doit donc pas s'entrevoir comme une représentation de l’action représentative calquée sur les modèles de l’action politique d'un parti ou d'un syndicat. Elle se développe au travers de dynamiques participatives et de représentations différentes. De fait, l’imaginaire collectif lié à cette typologie d’agir diffère lui aussi des imaginaires collectifs hérités.

A ce titre, comme nous l’avons vu déjà précédemment, la dimension professionnelle se fait éminemment présente dans les imaginaires collectifs de ces structures, mais aussi et surtout dans l’imaginaire collectif qui sous-tend l’action représentative de ces associations. Une telle subjectivation des objectifs de l’action collective à réaliser est avant tout une conséquence de la détérioration de l’avenir professionnel des étudiants, et en ce sens, un essai de construction d’une adéquation de l’action associative aux problématiques sociétales.

Les associations de filière défendent en outre une vision pragmatique de l’action et de la représentation politique. Celle-ci n’est pas une fin en soi, elle est davantage entrevue comme une sorte de service supplémentaire rendu aux étudiants, à tout le moins le passage obligé pour rendre efficient une partie des actions engagées pour les étudiants. A telle enseigne, une des principales revendications et avancées des associations étudiantes dans leur rôle de représentation aura été la refonte du F.A.V.E. en F.S.D.I.E., afin notamment que les associations puissent bénéficier de lignes budgétaires plus claires pour la réalisation de leurs projets. La représentation politique constitue donc aussi un moyen de faire avancer les choses, de débloquer des moyens, d’agir sur des leviers a priori plutôt économiques. L’U.N.E.F. et l’U.N.I. n’ont à ce titre quasiment pas évoqué cette réforme, quand les deux réseaux associatifs F.A.G.E. et P.D.E. l’ont longuement expliquée à leurs associations respectives au travers de différents numéros de leurs journaux de communication, des formations, ...

Nous ne sommes pourtant en rien ici dans une vision opportuniste ou utilitariste de l’action politique. Il s’agit simplement pour les associations étudiantes de filières de se doter des moyens techniques pour réaliser les projets pour les étudiants.

Il reste donc dans l’action de représentation politique des associations étudiantes de filière un fort imaginaire collectif, le rêve d’une dynamique de groupe. Celle-ci s’exprime principalement autour de la dimension technique, économique et professionnelle de l’action, avec la recherche de résultats concrets rapidement visibles.

Dans le même temps, l’action politique de représentation des associations de filières tend à se déplacer en direction du domaine du droit, à l’instar des autres organisations du secteur sans but lucratif. Les négociations menées lors de la mise en place du F.S.D.I.E. reflètent cette nouvelle dynamique. La revendication politique portée alors par ces organisations dans les instances décisionnelles concerne le droit des étudiants à bénéficier de financements cohérents pour la réalisation de leurs projets et activités, ceci à partir d’une analyse juridique et technique de la réalité du F.A.V.E. ( 323 ). Dans le même sens, les associations de filières soulèveront les premières la question des droits illégaux perçus par les universités, en se plaçant là encore sur le domaine du droit. En se posant comme défenseur de l’intérêt général et en s’appuyant sur un argumentaire juridique solide, ces structures vont ainsi réussir à faire reculer l’institution et lui faire abandonner certaines des facilités d’interprétation qu’elle s’accordait ( 324 ).

Si les associations de filière se placent donc désormais sur le domaine du droit pour l’exercice de leur activité de représentation, elles n’hésitent cependant pas en certaines occasions à sortir de ce registre et entrer dans celui de la contestation sociale. Ainsi en est-il des mouvements étudiants au sein des I.U.T. des années 95. La contestation sociale, la désobéissance civile, est alors utilisée pour faire avancer le droit, en opposant légitimité de l’action à la légalité en vigueur. Elle s’appuie pour se faire sur une forte dimension d’intérêt général, nécessaire à une mobilisation de ce type dans les associations de filières, l’intérêt collectif rejoignant alors l’intérêt individuel. Nous nous trouvons ici dans une mise en forme explicite des nouvelles manières d’agir collectif telles qu’elles se dessinent sur l’ensemble des organisations du monde social (mouvements de sans papiers, D.A.L., ...)

Les associations de filières restent cependant soumises à un rapport de dépendance à l’institution, à la fois matérielle mais aussi parce que cette dernière constitue le premier interlocuteur. A ce titre, les associations étudiantes sont en permanence soumises au risque de vassalisation, comme le relève notamment sous un angle parallèle Martine Barthélemy ( 325 ) pour les structures associatives du secteur sans but lucratif en contact rapproché avec les institutions.

A l’inverse, les associations thématiques développent un lien plus subversif à l’égard de l’institution, en contredisant leur discours, voire en s’opposant avec les institutions situées hors du champ de l’Enseignement Supérieur.

Notes
319.

( ) C'est cette ouverture vers l'univers du politique et de la représentation qui entraîne les associations de filières à des oppositions vives et marquées avec d'autres organisations étudiantes. Comme le note du reste de manière parallèle Le Bart, « les conflits qui peuvent exister entre (l'association) et (les syndicats) sont davantage liés à cette concurrence objective autour du droit à parler au nom des étudiants qu'à une position idéologique de type droite / gauche ». LE BART Christian et MERLE Pierre, op. cité, p 86.

320.

( ) Ce qui rejoint du reste les analyses de François Rolin, cité par François Bloch-Lainé, concernant l’ensemble du secteur sans but lucratif. A ce titre, il considère notamment qu’il existe trois principes opérationnels qui fondent le particularisme associatif : « la primauté de l'homme, l'exigence d'associer, et la non lucrativité ». BLOCH-LAINE François, sous la direction de, Faire société, Editions Syros, 1999, p 131.

321.

( ) LE BART Christian et MERLE Pierre, op. cité, p 100.

322.

( ) SAINSAULIEU Renaud et LAVILLE Jean-Louis, op. cité, p 334.

323.

( ) Institution d’une véritable commission de répartition des crédits F.D.S.I.E., report automatique des crédits non utilisés d’une année sur l’autre (circulaire du 29 août 2001), orientation du F.D.S.I.E. uniquement pour le financement de projets étudiants (circulaire ministérielle du 22 avril 2005) constituent les changements principaux entre F.A.V.E. et F.D.S.I.E. Ces évolutions sont toutes de forme réglementaire, limitant de fait fortement les dérives.

324.

( ) Il est à noter que la notion des droits illégaux arrive aujourd’hui, en 2009, sur le terrain de l’enseignement secondaire, portée par les parents d’élèves. Se donne ici encore à voir la dimension préfigurative de l’action associative étudiante, précédant de près de dix années l’ensemble de la société civile.

325.

( ) BARTHELEMY Martine, Associations : un nouvel âge de la participation ?, Presses de Sciences-Po, 2000.