3) Les associations thématiques, un investissement et une action hors du champ de l’Université.

A l’inverse du fonctionnement et des modalités de participation politique des associations de filières, les associations thématiques investissent pour leur part les problématiques situées hors du champ de l’Enseignement Supérieur. Comme le montre le graphique n°38, 46,6 % des associations de ce type s’impliquent dans des actions revendicatives sur ces sujets, les forts résultats et les corrélations visibles sur les modalités « de temps en temps » et « assez souvent, voire toujours » confirmant leur dynamisme.

Graphique n°38 : la participation à des actions revendicatives sur des problématiques de société, hors champs de l’Enseignement Supérieur.
Graphique n°38 : la participation à des actions revendicatives sur des problématiques de société, hors champs de l’Enseignement Supérieur.

Source : enquête propre. Les résultats sont établis sur 1603 réponses.

On observe donc une véritable inversion des comportements entre les associations thématiques et les associations de filières. Celle-ci provient de la divergence des modalités de l’agir associatif entre ces deux types d’organisation.

En effet, l’observation des projets fondateurs des associations thématiques montre que ces dernières inscrivent l’essentiel de leur action collective dans le cadre d’une dynamique éthique, humaniste, loin de la représentation d’intérêt d’un groupe particulier de personnes
(cf. graphique n°39).

Comme le montre le graphique ci-après, les items à connotation politique au sens large regroupent une part importante des associations étudiantes thématiques : humanitaire international, aide à l’insertion professionnelle, défense d’une communauté, activités environnementales. Ainsi, plus de 40 % des associations thématiques se constituent autour d’un projet d’action de ce type. Ces pratiques nouvelles ne sont pas sans faire écho aux travaux d'Habermas ou de Touraine sur la question de société civile. En effet, pour ne citer que le second, Touraine précise bien dans « Pourrons-nous vivre ensemble ? » que la société civile « est plus éthique que politique ».

Graphique n°39 : les projets fondateurs des associations thématiques.
Graphique n°39 : les projets fondateurs des associations thématiques.

Source : enquête propre.

Se donne aussi ici à voir l’une des principales différences entre les associations thématiques et les associations de filières, à savoir la dimension de territoire politique. Autant les associations de filières se concentrent sur un territoire local et universitaire, autant les associations thématiques placent leur territoire d’action et de réflexion à l’extérieur des campus, en cherchant à la fois à faire entrer le monde extérieur au sein de ces derniers, en même temps que de faire exister les étudiants à l’extérieur des sites universitaires, comme acteurs à part entière de la société.

Si ces organisations sont par moment assez proches de certaines dynamiques ayant animé les mouvements étudiants des années soixante-dix, nous ne sommes en revanche plus ici dans une perspective de lutte et d’opposition ou de transformation sociale, mais bien plus dans une volonté d’action immédiate. La portée politique de l’action n’est ainsi pas entrevue comme un but. Ces structures affirment en revanche une logique de projets, d’actions, qui disposent, outre leurs retombées concrètes sur le terrain, de résultats ou d’incidences politiq u es. Elles offrent donc une alternative aux engagements syndicaux et politiques, générant de fait de nouvelles manières d’appréhender l’engagement collectif pour les individus.

Ces structures et les bénévoles qui les animent disposent d’une véritable conscience sociale qui donne sens à un nouvel agir politique. Pour Anne Muxel « la demande d'engagement et d'éthique des jeunes d'aujourd'hui … peut déboucher sur la mise en oeuvre de moyens concrets de transformation sociale. Ce surcroît de morale pourrait se retrouver au fondement du politique et de son
renouveau
 » ( 326 ). Cette réflexion, issue de recherches plus larges sur la population jeune en général, et étudiante en particulier, nous fournit les pistes des orientations des nouvelles configurations de l’agir politique des actions collectives du monde social, et dont les associations thématiques étudiantes nous donnent une approche pertinente.

Cette nouvelle conscience sociale se construit, dans le cadre des associations thématiques,par une intégration d’arguments moraux dans l’action politique. Elle est en fait la mise en forme d’une politisation des actions et des questions ressortant auparavant du strict registre de l’action caritative. Dans le cadre des actions menées par les associations thématiques, la prise de conscience dans le milieu étudiant des problématiques soulevées se fait, à l’instar des dynamiques de la société civile, par une mise en avant de la souffrance d’autrui, mélangeant alors deux regards, à la fois objectif et subjectif.

Les associations thématiques sont ainsi sources de création d’actions politiques à partir d’une pensée humanitaire, tout en restant dans le champ associatif.

Les modalités d’actions politiques des associations thématiques couplent à la fois exposition de soi, discours basé sur le registre moral, et lorsque cela est nécessaire, celui de la désobéissance civile. En effet, comme le montre notamment le graphique n°38, les associations thématiques n’hésitent pas à entrer dans le jeu des actions revendicatives sur des problématiques de société hors champ de l’Enseignement Supérieur et à l’affirmer clairement, tranchant en cela totalement avec les autres types d’associations étudiantes ( 327 ). Elles s’inscrivent en cela totalement dans la dynamique des nouveaux mouvements sociaux.

Leur discours se place en outre dans une perspective de moyen terme. Si elles n’envisagent pas la transformation radicale de la société, elles se développent pour une certaine partie d’entre elles sur des perspectives de changement social : commerce équitable, développement durable, reconnaissance des droits des minorités, égalité des individus de part le monde, sauvegarde de l’existant, … Les associations thématiques donnent donc à voir dans le monde étudiant les formes nouvelles de l’agir politique, plaçant de fait le secteur étudiant comme participatif de l’affirmation des nouvelles modalités de l’engagement collectif des individus dans l’ensemble du monde social. Elles bouleversent le consensus social entourant la fonction des associations dans le social, et ouvrent un nouveau champ des possibles tant pour ces structures que pour les individus. Elles génèrent de fait une transformation des formes de l’engagement collectif des individus dans le monde social.

Notes
326.

( ) MUXEL Anne, L'expérience politique des jeunes, Presses de Sciences Po, janvier 2001.

327.

( ) En témoigne à ce titre les difficultés de placement qu’a connu la F.A.G.E. lors de la crise du C.P.E. LA F.A.G.E. est ainsi la seule organisation à s’être prononcée contre le C.P.E., tout en appelant à manifester du bout des lèvres, refusant le blocage des universités, et à n’être pas membre du collectif syndical des 12 (12 organisations syndicales salariées, étudiantes et lycéennes opposées au C.P.E., regroupant la quasi-totalité du champ syndical français.)